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Nels : Histoire d'un mage sans passé : Chapitre 32

Une corde, tendue. On ne peut pas faire plus simple comme évocation : il lui suffit d'une direction dans l'espace pour la catégoriser, elle n'a ni début ni fin. Ce qu'on appelle une droite n'est rien de plus que l'évocation d'une corde tendue. Faites un noeud à une corde : vous obtenez une nouvelle entité dans l'espace. Liez deux cordes, vous avez l'ébauche d'un plan. Multipliez les cordes, nouez les, et ensuite voyez : vous avez recréé tout un univers avec ses règles de déplacement, sa logique, sa gravité entre chacun de ses noeuds...
Imaginez que chacune des particules autour de vous ne soit que les vibrations d'une corde. Cette corde nous entoure tous, elle est si fine que nous ne la verrons jamais, nous savons qu'elle existe car chacune de ses vibrations selon près de onze dimensions différentes a produit chacun d'entre nous, et tout ce qui nous entoure... Une corde qui serait le cordeau des dieux créateurs afin de poser les fondements d'un univers bien ordonné, en fonction d'un paramètre merveilleusement complexe...

L'ange volait lentement dans le ciel, et j'ouvrais peu à peu les liens de la matière. La technique interdite de la colère de dieu, une technique des plus redoutables à utiliser non seulement pour ses ennemis mais bien pire : pour chaque chose vivante dans les alentours, le danger devenait terrifiant. Imaginez vous que toutes les sections de cordes des êtres vivants soient mises en mouvement, et rappelez vous quelle est la base de tout être. N'est ce pas cette espèce de corde en spirale qui contient toutes nos ressources, qui nous indique ce que nous sommes et la différence entre chaque espèce vivante ? L'afflux de mana autour de moi en était désormais au niveau supérieur à celui qui déclenche le seuil d'une tempête élémentaire, mais je sentis à peine le contact décrit dans le document scellé...
Le contact était en fait une sorte de portail entre ce qui était visible et l'invisible, une interface que les dieux auraient laissée pour que certains puissent maîtriser les mécanismes de la création et surtout les mécanismes les plus profonds de toute matière vivante.

Basaïn se tenait près du prêtre de Serra, et observait les brumes qu'il avait invoqué afin de cacher aux Slivoïdes volants ma présence au dessus d'eux mais il n'avait pas prévu la suite des évènements. La suite, une impressionnante manifestation de la puissance des sorts scellés, et l'explication empirique de l'interdiction de ce genre de techniques...

Une spirale de flammes se formait suivant la forme d'une demi sphère dont le sommet semblait provenir de mes mains, dont la base devenait un grondement bruyant autour de la masse des Slivoïdes qui se regroupaient autour des ailés afin de pouvoir m'attaquer en masse. De ma position élevée, je voyais au loin les hommes se regrouper au fur et à mesure vers le poste central de commandement. Les lignes, enfin, le nombre incalculable de celles ci qui semblaient régir l'intérieur matériel de la sphère, semblaient converger en un seul point. Je me sentais comme un marionnettiste qui tenait en sa main les éléments. Un jouet composé de vies, autrement dit de simple humain j'étais passé à un statut de décideur : changer le monde ou détruire ce qu'il y avait avant.

Imaginez vous donc l'espace, tout l'espace, résumé à un simple ensemble de cordes. Une corde peut prendre nettement moins de place, si au lieu de l'étendre vous la pliez, tordez, pressez, enroulez... Alors imaginez vous l'infiniment grand pouvant se plier, se tordre, se presser et s'enrouler : vous imaginez alors ce que la main des créateurs des cordes peut faire dans un accès de colère. Les Mages anciens avaient pu percer les secrets du maniement des cordes, et certains artefacts agissaient en conséquence mais ces pratiques devenaient des armes invincibles qui pouvaient mettre en danger non seulement ennemis et amis lors d'une bataille, mais surtout la population entière de la Terre. Ce coup ci nous n'avions pas le choix : si ces monstres réchappaient, toute la population des alentours était tout de même en danger. Basaïn le savait, et il m'avait fait confiance pour ce qui était de me servir de ce genre de sorts. Je ne pouvais tromper sa confiance en manquant celui ci.

Le campement était en effervescence, autour du Central tous les mages se regardaient entre la crainte et la fascination pour le spectacle : une masse de feu incandescente de forme semi sphérique tournoyait devant eux, montrant une puissance que certains ne soupçonnaient pas, les hommes non habitués à ce genre de visions commençaient de prendre peur et de vouloir lever le camp : dans une mesure de précaution on s'éloignait de la zone. L'avancée des hommes fut arrêtée par une colonne de fantassins en armure légère qui venait de l'autre sens : une colonne d'Elfes qui était en fait l'avant garde de l'armée de Lemba. Le fameux Roi de Lelanide venait avec ses hommes, tout étonné de trouver le fameux Central, chose qu'il ne devait pas connaître, et il était accompagné de sa charmante épouse. Charmante épouse qui alla droit vers Basaïn en lui demandant ce qui se passait, tandis que son mari devait sûrement avoir le peu de courage qui lui restait qui fondait comme neige dans une fournaise.

L'ange semblait se dissoudre maintenant. Comme j'avais le contrôle de toute matière dans le dôme, je pouvais sans peine prévoir une sorte de bulle gravitationnelle dans laquelle je flottais sans peine. L'immense énergie contenue dans la sphère se libérerait en cas de prolongation trop grande... Mais personne ne s'attendait à voir ce qui allait se passer. Les flammes semblèrent s'atténuer rapidement mais en fait c'était simplement que les cordes prenaient un aspect nettement plus filaire. Et voir une distorsion de tout un espace se produire, ce n'est généralement pas réjouissant. Les distorsions de gravité, de temps, d'espace et de magnétisme dans la sphère ne laissaient d'autre alternative aux Slivoïdes que de devenir une matière informe, qui disparaissait comme une vapeur. Le problème c'est que ce genre de distorsions pouvait être perçue soit comme rapide à la manière d'une explosion, ou lentement, et tout le monde put voir le corps de la Reine, immense et majestueuse, se déchirer et brûler lentement au milieu de ses enfants, dans des mouvements désespérés. Je ne pouvais en avoir qu'une vision partielle, car la bulle était aussi en état de distorsion temporelle...

L'Urbs, en pleine effervescence à nouveau. Le Roi lui même réunit une cellule de crise : un Sombre mènerait des opérations de terrorisme au sein même de la cité. La plupart des gardes de la Cité n'en avaient rien vu, on retrouvait juste des cadavres littéralement calcinés.
Dans une autre des pièces du Palais royal, une jeune femme appelle :
- Lupus, Andrus ? Où vous êtes vous encore cachés ?
C'est une jeune femme d'une vingtaine d'années, vêtue de la tenue habituelle des suivantes de la Reine. Elle semble d'ailleurs passablement énervée, ayant sans doute tourné des heures dans les longs couloirs du palais...
- Aurora ?
- Majesté, je ne trouve plus les Princes...
Après avoir été acceptée au service de la Reine, Aurora faisait partie intégrante de la cour. Sa prédisposition à la garde des enfants en avait fait la nourrice des jumeaux. Non pas qu'ils aient été particulièrement turbulents, mais en grandissant les savoirs immenses qui leur étaient distillés les poussaient à des imprudences qui étaient sûrement moins risquées pour les mages qu'ils devenaient.
Un capitaine de la garde passa en trombe près d'Aurora, la reversant presque. Il entra dans la salle de réunion de la cellule de crise en annonçant :
- Le Vicomte Altec a arrêté lui même le criminel. Il l'avait retrouvé et pris la main dans le sac...
Aurora connaissait bien ce Vicomte qui lui faisait quelque fois les yeux doux, mais elle ne se doutait même pas qu'il ait pu être un guerrier si fort. Elle en eut le rouge aux joues quand d'un coup elle sentit une présence humaine derrière elle.
- Andrus, tu m'espionnais ?
Choix étrange de la nature, le jumeau aux cheveux de jais avait une terrifiante prédisposition pour le Noir, et l'on ne s'était pas gêné pour le former dans cette voie.
- Non. Je ne vous espionnais pas Dame Aurora. J'allais et venais dans l'ombre, observant ce qui peut s'y passer...
Ses longs cheveux noirs avaient bien poussé, et étaient suffisamment longs pour qu'Aurora les saisisse en une seule fois et tire d'un coup sec :
- Ne sois pas si obséquieux avec moi... Tu es beaucoup plus du genre à aller dans le vestiaire des jeunes suivantes n'est ce pas ? Ce n'est pas un jeune prince de 15 ans qui va me soutenir le contraire...
- Mais Rora, répondit le jeune homme en position de faiblesse, tu devrais arrêter de me prendre pour un simple gamin. J'ai grandi depuis...
- Si peu, si peu... Mais bon ce n'est pas pour rien que tu es mon préféré, rit elle. Garde surtout ton caractère joyeux, compris ?
Bien qu'étant plus âgée que lui d'environ treize ans, Aurora en paraissait dix de moins. Elle laissa là le jeune brun qui avait rougi jusqu'aux oreilles remettre en place ses cheveux.
- Même pas vrai que je suis un gamin en plus...

Le vent soufflait de nouveau, et les distorsions temporelles s'amplifiaient au fur et à mesure que les cordes reprenaient leur place dans le dôme de puissance. Basaîn n'était pas rassuré. Sur le Central, en sa qualité de chef de la Coalition, Lemba entendait de suite prendre le commandement, et d'ailleurs il ordonnait sur l'heure mon arrestation. Il estimait que j'étais une menace pour toute chose vivante et que je devais être maîtrisé. D'ailleurs ses archers pointaient pour quelques uns ma position au sommet de la sphère.
La sphère s'effondra brutalement, et je tombai au milieu des corps déchiquetés. La colère d'un dieu, c'est l'aptitude à détruire tout ce qui a pu être créé. Je m'effondrais : la puissance que j'avais accumulée puis utilisée était encore plus grande que les dernières fois, et mes forces me quittaient en même temps que l'irraisonnable accumulation de mana. Je vis des gardes s'approcher l'épée à la main, je ne tenais même pas debout alors que faire, je fus en quelque sorte, emporté vivant à moitié inconscient.

C'est la fin de soirée et la suivante Aurora est encore dans les couloirs du palais. Elle avait pris l'habitude de dormir près des appartements des jumeaux, et cette habitude lui permettait de se lever un peu plus tard, les jumeaux n'ayant plus besoin de ses attentions permanentes de par leur âge, elle avait énormément de temps. Le Roi avait tenu à ce qu'elle reçoive une excellente instruction, et elle se consacrait aussi à la lecture et à la musique. Cette nuit là, elle était particulièrement fatiguée et ne se rendit pas compte de suite que quelqu'un frappait à sa porte.
- Vicomte...
- Aurora, j'ai à vous parler.
Il parla longuement, lui parla de mariage et d'autres choses. Elle lui souriait, mais quelque chose la retenait : ces jeunes hommes étaient bien grands, bien forts, mais elle ne pouvait pas accepter pour le moment. Elle les considérait comme un fils pour ce qui était de Lupus. Pour ce qui était d'Andrus c'était un peu plus délicat. Le fait qu'il allait devenir l'ombre de son frère, le second qui l'assisterait en tout temps lui avait donné une toute autre maturité... Aurora s'était mise à penser à voix haute. Le Vicomte Altec ne dit rien, mais son expression changea du tout au tout...
- A qui oses tu refuser quoi que ce soit, servante ?, hurla t'il de manière étrange.
La pauvre Aurora ne savait que faire, et pourtant quelque chose lui disait qu'il fallait fuir. Elle avait peur, et essaya de courir vers la porte mais le Vicomte la happa, et d'une main, l'étrangla lentement tandis qu'elle essayait de se débattre...
Il avait cette lueur dans les yeux qu'une bête sauvage peut avoir quand sa proie est proche, et qu'elle est sans défense. Il ne remarqua pas que l'ombre devenait plus épaisse à côté de lui. Un bras happa le sien, exerçant une telle pression sur le poignet qu'Aurora fut relâché de suite. Le bras qui tenait le Vicomte le propulsa à travers la pièce...
- Sale gamin, je vais te faire la peau, ça arrangera tout le monde...
- Je vois Vicomte, qu'en effet vous venez de démasquer un Sombre parmi nous, n'est ce pas ?
- Je ne sais pas de quoi tu parles, gamin...
- Est ce de la sorte que vous parlez à un Prince, Vicomte ?
- Je parle comme je veux au rebut de la lignée. Après tout peut être que cela arrangerait votre père de ne pas avoir ce fils couleur corbeau, ne pensez vous pas ? Prince de quoi ? Prince des hommes de l'ombre qui laisseront leur place à leur frère ?
Aurora s'était levée, et avec calme car elle ne voulait pas mettre d'huile sur le feu, parla :
- Et au moins il sera Prince, tandis que vous Vicomte, vous n'êtes rien...
- Je serai le Maître, c'est le pouvoir des Sombres qui vaincra...
Il avait sorti son épée, mais le Prince était rapide, et d'une chiquenaude l'avait fait passer par une fenêtre qui donnait sur une des cours intérieures, puis Andrus, le Prince aux cheveux noirs, passa aussi par la fenêtre et se trouva face à son ennemi.
Les épées s'entrechoquaient et divers serviteurs allèrent chercher le Roi tandis que le Sombre passa à une toute autre tactique. Ce fut le premier garde qui entra qui eut le sinistre premier tour du manège infernal des drains de vie que projetait Altec. Le pauvre homme fut à son tour calciné, et le jeune Prince ne put rien faire pour sauver ce sujet de son Royaume. Il ne serait pas Roi, car il n'était pas le plus proche de la lignée mais il devait protection à ses sujets. Il prit son épée à deux mains, se lança sur son adversaire, et il n'entendit même pas son père qui lui demandait de se calmer qu'il faisait rouler au sol la tête du Vicomte Altec, qu'on considérait comme l'un des plus brillants espoirs de la nation.
Dans une pièce sombre, on a laissé le Prince seul. Le Roi n'a rien dit mais lui a signifié :
- Je sais que la maîtrise de soi est difficile à acquérir, et je pense que j'aurais fait de même. Or je ne peux applaudir, car je suis le Roi, et ce que tu as fait n'est pas forcément la meilleure solution. Je ne peux pas forcer l'opinion des sages, c'est pour cela que je dois aller débattre avec eux... Je suis fier de toi mon fils.
Pourtant, la sensation de froid ne quittait pas le jeune prince. Il avait tué, et ne savait pas quoi penser. Il savait bien qu'en tant que futur assistant de son frère le Roi, il devrait tuer au cours de la bataille. Les commencements ont ceci de douloureux, que tout pli à prendre entraîne une marque à l'âme. Une femme entra, et passa rapidement la main dans les cheveux du Prince...
- Qu'ai je fait de mal Rora ? Qu'ai je fait de si mal ?

Un mal de crâne horrible me tient, tandis que je vois dans le flou de mes yeux un Elfe qui se tient bien droit comme pour essayer d'avoir une haute taille. Je reconnus alors Lemba au moment où je me relevais. Un de ses gardes un peu zélé voulut me faire fléchir, en hurlant que je devais respect au Grand Roi Lemba, mais Basaïn le tança vertement :
- Prenez plutôt garde comment vous parlez à un Grand Maître. Sinon je vous exécute, et je doute que votre Roi ci présent puisse y faire quoi que ce soit.
Lemba sembla contrarié par cette dernière remarque, mais il laissa dire. Il n'avait pas vraiment le choix : il avait bien vu les ravages dont j'étais capable, d'autant plus qu'il avait décidé de camper là, afin que ses troupes se reposent quelque peu. Il me toisa encore du regard, et dit :
- Je vous laisse libre dès demain...
Je me relevai et lui fis face. Je plantai mes yeux dans les siens, et lui dis :
- Vous me renvoyez ? C'est un plaisir. Je vous quitterai dès demain matin, et j'invite qui veut me suivre à le faire.
- Comment osez vous vous adressez de la sorte à moi... Vous devriez avoir honte, et je pense...
- Erreur : vous devriez vous rappeler que vous ne pensez pas.
- Et vous m'insultez ? Je devrais...
- Vous n'avez qu'à vous taire. Et je pars...

J'allais au loin du campement le plus vite possible. J'entrai dans une espèce de petit bouquet d'arbres et une fois assis sur le tronc d'un vieil arbre tombé, je ne savais pas quoi faire. En y venant, plusieurs m'avaient parlé. J'avais parlé à Leblis, qui me proposait de venir avec moi, le prêtre de Serra voulait m'accompagner ainsi qu'Uthruil. Angus m'avait aussi rattrapé en me disant qu'il ne me lâchait pas qu'il n'obéirait pas à un Elfe. Je leur avais bien dit que je n'étais sûr de rien et qu'il fallait que je réfléchisse...

Dans le bouquet d'arbres, une forme féminine était apparue. Silencieuse, belle, souriant d'un doux sourire contenant une affection énorme, j'ai l'impression d'une apparition...

Les guerriers chantaient, ils mangeaient, et surtout ils se rassuraient. Même si un Orque est plus prenable qu'un Slivoïde, ils se rendaient bien compte que les batailles devant les murailles de Mithland n'avaient été que l'avant goût de ce qui les attendait.

La jeune femme qui se tenait devant moi n'avait pas changé, fait étrange...
- Qu'ai je fait de mal Rora ? Qu'ai je fait de si mal ?

Nels

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