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Nels : Histoire d'un mage sans passé : Chapitre 31

Je me levai brusquement car l'intonation de Basaïn montrait clairement son inquiétude. Il m'entraîna vers un attroupement de soldats qui se tenaient près d'une de ces charrues lourdes de Mithland que certains des éclaireurs avaient prises : un homme semblait être étendu à l'arrière, un homme ou plutôt ce qu'il en restait. C'était devenu un cadavre rongé par quelque chose et ce quelque chose avait l'air d'être fort corrosif : les essieux des roues, pourtant forgés dans les aciers les plus solides, avaient été rongés sur une bonne longueur par une sorte de liquide. L'odeur me renseigna mieux : c'était de l'acide. Qu'est ce qui avait bien pu projeter ainsi de l'acide sur la charrue ? Une observation attentive permettait de se rendre compte des dégâts subis, la place du chauffeur ainsi que l'endroit où se tenait le cadavre semblaient avoir été visés avec une précision peu commune, tandis que le reste de la charrette était quasiment intact. Les chevaux durent être abattus : ils présentaient des entailles horriblement profondes qui étaient faites comme si quelque chose les avait piétinés. L'un des hommes qui observaient la charrette avec nous pointa du doigt une sorte de dague recourbée. Personne n'osait la saisir alors je montai dans la charrette et je la pris : ce n'était pas une arme blanche. La matière n'était pas du métal, il s'agissait d'un matériau organique, comparable à la carapace des insectes ou des crustacés. De quel type de créature pouvait venir cette griffe surdimensionnée ? Basaïn regarda la griffe, puis il écarquilla les yeux de surprise. Il me demanda :
- Quel type d'animal à grandes griffes peut acquérir la capacité de cracher de l'acide et de sauter assez haut pour entailler un cheval ?
- C'est un examen ?
- Non, juste une question à laquelle j'aimerais que tu répondes...
- Si j'étais optimiste je dirais un animal qui crache de l'acide à grandes griffes qui saute haut...
- Et si tu étais sérieux tu dirais les Slivoïdes...
Les Slivoïdes sont la pire des engeances jamais engendrées. D'après ce qui se racontait, les Slivoïdes sont les descendants de races anciennes d'insectes géants. Cependant après diverses manipulations hasardeuses de la part de Mages et de scientifiques inspirés, ils acquirent la pire des capacités : celle du partage des capacités entre eux. Les Slivoïdes n'ont pas qu'une seule capacité intrinsèquement, mais celle ci diffère selon la race de l'animal. Certains ont ainsi la capacité de projeter de l'acide, d'autres acquièrent une vitesse d'attaque très rapide, d'autres sont terriblement forts, d'autre volent... Les capacités sont toutes aussi variées que leurs noms sont explicites : Slivoïde ailé, Slivoïde musclé, Slivoïde acide et la liste n'est pas exhaustive. Cependant, en cas de rencontre entre un Slivoïde ailé et un acide, les deux auront à la fois la maîtrise du vol et celle de l'acide. Ajoutez à la rencontre un Slivoïde musclé, et vous obtenez des créatures encore plus puissantes. Le problème venait du fait que parfois ils se réunissent en grands troupeaux divers et c'est ainsi que l'on se retrouve avec de véritables monstres déchaînés qui sont surs de leurs capacités à chaque fois. Pour celui qui sait les appeler à lui, c'est un véritable avantage en pleine bataille. Ce coup ci, les avoir face à nous, c'était véritablement dangereux.
- Je me disais bien que cette griffe me rappelait quelque chose.
- Nous ne pouvons même pas savoir si des Slivoïdes cristallins font partie du convoi...
- Quelle est leur capacité ?
- Ils sont inciblables par quelque sort que ce soit.
- Phénoménal !
Basaïn ne me laissa pas le temps de me laisser impressionner. Il commanda qu'un front de catapultes mobiles et de balistes les plus puissantes soient mises en place. Il demanda aussi à ce que les membres des Guildes de Mages qui étaient avec nous se placent tous au Central pour un topo immédiat.
Une demi heure plus tard, nous étions une cinquantaine de personnes devant le Central. Il y avait des guérisseurs, un prêtre de Serra Maître de blanc, des Maîtres des Tempêtes, des Invocateurs Elfes parmi lesquels je reconnus Uthruil, et d'autres guildes que je ne connaissais que peu. Comme dans toute discipline où la sensibilité de chacun joue sur la manière de faire, il pouvait y avoir chez les Mages autant de courants de pensée que de personnes. Le principal était que nous étions tous là pour un brainstorming complet.
Les remarques allaient et venaient de manière assez désordonnée mais nous donnaient à Basaïn et moi une bonne idée de la méthode à mettre en place une fois que tout le monde serait là. D'ailleurs les méthodes bien qu'étant toutes possibles devaient de s'organiser. Les guérisseurs auraient un rôle habituel : dans les lignes arrières ils pourraient requinquer au maximum les hommes et sauver les blessés d'une mort certaine dans certains cas. Les invocateurs seraient sûrement amenés à nous fournir des renforts au cas où des faiblesses dans les lignes apparaissaient. Le prêtre de Serra était bien énigmatique, mais nous savions que ce genre de prêtres avait le niveau en blanc d'un grand Maître généralement. Les Maîtres des Tempêtes nous seraient utiles dans le cas où nous pourrions cibler les Slivoïdes s'il n'y avait pas de cristallins dans la masse. Basaïn définit aux divers chefs une zone dans laquelle il ne fallait pas pénétrer, et ce en aucun cas. Il s'agissait là d'une solution de secours qu'il semblait avoir prévu, et que je ne connaissais pas.

Nous ne savions pas à quel moment nous serions attaqués mais nous pouvions être surs que nous le serions : les profondes plaies infligées aux chevaux avaient laissé une trace sanglante le long du chemin qu'ils avaient suivi. Des cris se firent entendre rapidement. Nous n'avions pas passé bien longtemps à nous consulter mais déjà l'alerte était donnée. Nous avions demandé à ce que les hommes se tiennent en retrait. Dans le cas d'une attaque en masse des créatures, un homme ne faisait pas le poids devant un insecte longiligne, d'environ trois mètres de long de base, disposant de griffes qui croissaient aussi, qui pouvait doubler sa capacité musculaire, développer une aptitude au vol, voire dans le pire des cas, une prédisposition aux attaques psychiques. Heureusement, plus la capacité était puissante et maîtrisée plus le sujet devenait exceptionnel, et le partage des capacités n'était valable que quand ils étaient proches après quoi, en cas de séparation, ils reprenaient leurs caractéristiques normales.
Je me mis sur une des catapultes et attendais de voir d'où venaient les cris d'alerte. Un homme muni d'une longue vue nous en décrivit un qui avançait sur le sol en suivant les traces de sang de cheval, puis il marqua un temps d'arrêt. Les machines Phyrexianes qui disposaient des canons à concentration de lumière se mirent en place, je ne connaissais pas leur cadence de tir la plus rapide, mais Angus m'avait avoué qu'il pouvait en être fiers. Ce qui nous serait utile face à une horde nombreuse. Je vis au loin le Slivoïde avancer le long des traces... La bête ne se souciait que de sa trace et ne semblait pas nous avoir vu, pourtant on plaisantait souvent sur le fait que les mamans Gobelins disaient à leur horrible progéniture : "les Slivoïdes sont malins, les Slivoïdes sont rusés, et si tu te fais manger personne n'ira te pleurer". C'était là sans doute la seule phrase censée qu'avait prononcé un jour un Gobelin, et nous nous ferions manger si nous ne prêtions pas attention. Je sautai de ma catapulte et allai vers une armure mobile, lui demandant de verrouiller sa cible. C'était déjà fait, je lui fis faire feu. Le Slivoïde ne fit pas long feu, si l'on peut dire car sa carcasse brûlait encore au loin quand un bruit comme de feuilles froissées se fit entendre... C'était eux qui s'approchaient. Leur espèce de crissements résonnait au fur et à mesure que leur horde se mettait en place, tout du moins se regroupait. Les Slivoïdes sont des malins mais pas des formes supérieures d'intelligence : ce ne sont que de redoutables prédateurs. Je pus voir qu'ils semblaient presque se battre entre eux lorsqu'ils avançaient, mais pourtant ils n'étaient plus très loin. Nous sentions leurs grognements, et d'un coup ils se mirent à avancer plus vite. Leurs griffes s'allongeaient, et j'entendis Basaïn donner l'ordre de feu aux canons de lumière Pyrexians, à cadence maximale. La cadence était tout bonnement incroyable, un tout petit peu plus qu'un tir par seconde. Multiplié par le nombre de machines, et sachant que certaines d'entre elles disposaient de deux canons, nous avions ainsi une puissance de feu non négligeable qui commença de décimer les créatures. Le prêtre de Serra s'était avancé, et regardait au loin. D'un coup il demanda une longue vue : il avait repéré un petit groupe de Slivoïdes ailés qui allaient rejoindre le troupeau. Je fis dévier les tirs de quelques canons lumière, tandis que les catapultes se mirent à bombarder l'avancée des créatures.
Les diverses gerbes de feu et de lumière au loin semblaient s'approcher de plus en plus tandis que l'atmosphère s'emplissait du hurlement strident de chacune de ces immondes bestioles. L'air se chargeait un peu comme lorsqu'un orage pèse de tout son poids sur un soir d'été, avant que d'éclater de toute sa puissance. Le prêtre de Serra tenait encore sa longue vue et semblait inquiet mais sans plus. Il commença je ne sais quelle incantation, traçant au sol avec son bâton de pèlerin une sorte de cercle accompagné de divers caractères. Sans tarder ce cercle s'illumina de mille feux, les divers caractères semblaient bouger comme les étoiles d'une magnifique galaxie. La brillance du dessin sembla s'élever dans les airs, formant une masse de lumière qui s'intensifia en ayant une forme de plus en plus précise. Une forme humanoïde surdimensionnée flottait devant le prêtre qui avait accumulé une quantité impressionnante de mana blanc, tandis que la forme devant lui devenait manifestement féminine. La forme d'un visage sembla se dessiner sur ce qui était la tête de la forme lumineuse, un visage d'une rare beauté qui regardait fixement le prêtre qui finissait son incantation. Il sembla secoué de spasmes dans sa concentration puis écartant les bras tant qu'il put il sembla donner son dernier souffle dans l'effort intense qu'il réalisait en invoquant. Deux ailes magnifiques apparurent dans le dos de la forme, tandis que des plumes de lumière nous entouraient. Les hommes à bord des machines en cessèrent même le feu tellement le spectacle était magnifique.
- Au nom de Serra, Ange, je te demande d'être sous mes ordres.
L'ange sembla sourire... J'en avais déjà entendu parler mais je ne pensais pas au premier abord que ce prêtre soit assez doué pour ce genre de technique. L'ange était de toutes les manières déjà en vol à ce moment là, en direction du petit groupe de Slivoïdes qui volait vers nous. Les Slivoïdes semblèrent se replier vers leurs lignes arrières, mais ils revinrent subitement à la charge, semblant décidés à en découdre avec l'être de lumière. Celui ci sembla alors les laisser approcher. Je ne savais pas ce qu'était cette créature répondant aux humains, mais elle était souvent décrite comme d'une intelligence du combat extrême, et sa violence envers ses ennemis impies n'avait selon les récits d'égal que la terrible beauté de son visage. Les Slivoïdes semblèrent se jeter sur elle mais tout autour d'elle se forma un filet de lumière qui les découpa impitoyablement en morceaux. L'ange ne semblait même pas avoir engagé le combat que déjà elle bloquait leurs lignes aériennes. J'étais un peu perdu au milieu de ce bestiaire incroyable, phénoménal capharnaüm de bêtes éparses en tous lieux qui s'entredéchiraient avec une rage incommensurable. J'eus l'impression de ne pouvoir rien faire de plus que d'observer la charge majestueuse des horribles guivres à piquants qui semblaient surgir de sous la terre pour mieux happer les Slivoïdes, pour qui j'avais presque de la pitié quand je les voyais pliés impitoyablement sous les mâchoires immondes de nos alliées surdimensionnées. Les Maîtres des Tempêtes, encore affectés par le fait que Hansbrück avait pu se faire passer pour l'un d'entre eux, n'hésitèrent pas à inonder la plaine de terrifiants éclairs, ainsi que de vagues de flammes qui dévastaient littéralement le troupeau de Slivoïdes. A quoi servais je donc au milieu de tous ces guerriers? A force de se croire indispensable, on se sent inutile sur le champ de bataille dès que l'on n'est plus aux premières lignes... J'aurais sûrement à perdre cette envie de me dépenser pour les autres à la première ligne.
Une chose me frappa, c'était la manière dont les lignes des créatures étaient constituées : j'avais l'impression qu'elles se désassemblaient comme si leur but n'était que de nous tester et de voir les endroits où les lignes de défense étaient faibles. Ce qui me gênait nettement plus encore était de voir que le nombre de Slivoïdes ne faiblissait pas, et qu'alors que généralement on sentait en eux une certaine quantité de mana d'une couleur, voire pour certains de deux, là le mana semblait comme incolore... Comme certaines invocations artificielles...
Invoquer est un grand mot, les prêtres mettent cette capacité sur la volonté de leur dieu de bien vouloir leur fournir des créatures afin de faire leur volonté, les Elfes sur leur supériorité sur tout, les Humains sur leur intelligence. Pourtant le cheminement du mana sur chacune de nos invocations, même les plus simples, est d'une incroyable complexité. Ces dernières invocations semblaient dépourvues de sens, comme si la partition d'un musicien était jouée sans qu'aucun sentiment ne s'en dégage.
Il y avait quelque chose qui clochait de la horde de Slivoïdes. On nous avait bien parlé d'un certain Wohlrahj, qui les aurait apprivoisés il fut un temps. On avait aussi dit qu'Alarkhan avait pactisé avec les immondes insectes afin qu'ils lui servent de gardiens de frontière. Cependant nous avions oublié un détail : si les Slivoïdes sont trop nombreux, c'est qu'ils disposent d'une organisation, or pour être organisé il faut une hiérarchie. Et les Slivoïdes n'avaient pour maîtres absolus que deux êtres : le suzerain Slivoïde et la Reine.
La Reine... Pour celui qui a déjà eu l'occasion de pouvoir mesurer la différence de taille entre une Reine termite et un de ses sujets, la simple évocation de la Reine des Slivoïdes mène à la folie. Son doux compagnon le suzerain est d'ailleurs encore plus gros : un véritable monstre, capable lui aussi d'acquérir les capacités de ses enfants, car chaque Reine est une machine à pondre extraordinaire. Ce qui m'expliquait ces créatures à mana complètement incolore : des Slivoïdes dont les gênes n'étaient prévus pour aucune spécificité si ce n'était croître suffisamment rapidement pour créer rapidement des légions entières de ces insectes. Basaïn devait s'en douter, de par sa mine renfrognée et la manière dont il essayait de scruter les arrière lignes de la horde, puis il me fit un signe. Il me montra un drôle de rouleau, du même type que ceux utilisés pour répertorier les sorts Blancs, mais étant scellé de la même manière que d'autres sorts : les sceaux étaient ceux du bannissement, autrement dit le rouleau contenait des techniques interdites...
Les Slivoïdes continuaient d'avancer en rangs de plus en plus serrés vers leur sort funeste : soit ils étaient dévorés par d'immenses guivres, soit ils étaient carbonisés par les foudres ainsi que les rayons de lumière létale qui s'échappaient des centaines de machines Phyrexianes. Une première ligne de machines allait essayer une percée dans les rangs des monstres, afin de les déstabiliser. La ligne de métal allait de l'avant, toutes lames dehors afin de découper la ligne adverse... Occuper une ligne peut empêcher l'adversaire d'avoir l'appel de la victoire. D'ailleurs la ligne avait été percée de manière fantastique, les créatures ne pouvant rivaliser avec les machines agiles pilotées de main de maître, les bêtes se retrouvèrent littéralement découpées en morceaux, tandis que la percée prenait forme. Ce que nous craignions le plus devait arriver, la chose immonde se déplaçait : un insecte aux proportions démesurées, une chose qui dépassait l'entendement arrivait.
Le sceau ne prit pas longtemps à être ouvert, une fois que Basaïn posa les mains dessus... Le sort parut alors plus horrible encore que le pire des sorts noirs. L'accumulation demandée aurait pu tuer n'importe quel novice s'il s'y était risqué sans un minimum d'esprit de folie. Je me tournai vers Basaïn :
- Ceci ne semble pas beaucoup plus dur à maîtriser qu'une tempête élémentaire une fois lancé, mais la combinaison est impossible...
- Il faudrait être au dessus d'eux mais je peux le faire.
- Non vous ne pourriez pas Basaïn. Il faut que vous me couvriez, avec l'aide du prêtre de Serra. Un Ange peut me porter le plus vite possible...
- Je vois, et qu'est ce qui empêcherait les Slivoïdes de te voir ?

La discussion n'avait pas lieu d'être : les milliers de Slivoïdes s'affairaient autour de leur reine, extirpant leurs frères d'armes le plus vite possible et croissant leur nombre de manière inouïe. Ce n'était pas simplement tout le corps d'armée qui était en danger, mais la population d'une bonne partie des terres habitées qui serait détruite en cas de confrontation avec ces insectes. Chose qui même en ces temps menaçants faisant perdre aux plus courageux tous leurs espoirs était impensable.

L'air frais souffle sur mon visage, je suis bien ici, au milieu de rien, tout me semble si loin désormais. Nous progressons tous mais certaines progressions sont peut être trop rapides : demande t'on au fils nouveau né d'un Roi de savoir choisir un régime de gouvernement qui convienne à tout un peuple ? Le mana, encore et toujours, une puissance renouvelable, issue des mouvements de toute chose et manoeuvrable à volonté par ceux qui savent comment s'y prendre, affluait vers moi de toute sa puissance et coulait à travers mes veines comme un poison violent. Mes nerfs ne répondaient plus et même l'une des entités les plus puissantes que je n'aie jamais côtoyé, l'ange de Serra, est littéralement dissous dans le flux énergétique le plus extraordinaire qui soit.
La brise devient vent, le vent engendre la tempête, la tempête grandit et devient ouragan, et face à un ouragan peu de choses peuvent tenir. Et si l'on ne maîtrise l'ouragan, quelle destruction peut on imaginer ?
Le vent chasse le brouillard, tout devient plus clair, il ne reste pas grand chose à faire si ce n'est ...

-la colère d'un dieu...

Nels

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