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Contes Spalliens : Chapitre 34 - Fleur

Le Sarais avait été conduit en prison et les ouvriers qui avaient démarré l'émeute avaient été interrogés, puis relâchés. Tous les témoignages concordaient, y compris ceux des autres Hommes Serpents et des Humains qui avaient essayé d'empêcher le lynchage.
L'homme assassiné était le patron de l'entreprise et le suspect (Valana continuait à parler de suspect) était un de ses employés, et il voulait partir tout de suite vers Ragemat. Il avait déposé sa démission la veille du meurtre, et c'était à ce moment qu'une dispute avait éclaté. Le patron, qui s'appelait Natens, avait refusé, conformément au contrat, de payer la part du mois en cours pendant lequel le Sarais, qui s'appelait Sojeph, avait travaillé. Ce dernier l'avait très mal pris et le soir du meurtre ils s'étaient séparés en très mauvais termes, puis le suspect avait été vu partant vers les mauvais tripots du port. Le lendemain, le corps de Natens était découvert et Sojeph, mal réveillé et gueule de bois, avait été pris à parti.

Mais il y avait beaucoup de problèmes. Premièrement, Natens avait été tué très proprement, la gorge tranchée, apparemment par derrière. L'arme du crime n'avait pas été retrouvée et il n'y avait aucun témoin direct, alors qu'un Sarais saoul fait en général beaucoup de bruit.
De plus, le montant en question n'était même pas d'une pièce d'or et d'après ses camarades de beuverie, Sojeph avait rapidement oublié l'altercation et fêté son départ. Il les avait cependant quitté vers 4 heures aussi plein de que les verres étaient vides et ne se rappelait plus lui-même de rien après minuit.

Pour résumer, il n'y avait qu'un alibi plutôt maigre, apparemment pas d'arme et l'occasion était juste possible, mais loin d'être sure. Sojeph avait plus été emprisonné pour arrêter l'émeute et le protéger de la vindicte populaire que pour l'empêcher de partir. Cependant, il faudrait bien le juger un jour, et même rapidement car l'affaire avait été reprise par les journaux et servait à alimenter le débat sur le problème de l'immigration des Sarais, ainsi que sur la lutte des classes.

« Vous continuez de penser qu'il s'agit d'un assassinat prémédité ? » demande Node Valos, le capitaine des gardes du port.
« Oui. », répondit Valana, « C'est bête à dire, mais un Sasert saoul ne se sert que très rarement d'une arme, il a plutôt tendance à broyer son adversaire dans ses anneaux. »
« C'est vrai que c'est plus ce que ferait un de ces monstres. »
Valana ne releva pas, elle regarda un moment par la fenêtre, pensive, pendant que le capitaine lisait un rapport de patrouille.

Au bout de deux à trois minutes, il rompit le silence :
« - Et à quoi pensez vous alors ? Un concurrent jaloux ou un mari trompé ?
- Je ne sais pas, peut être un concurrent, car Natens n'avait pas franchement la réputation d'un coureur de jupons. Cependant, il n'avait aucun ennemi connu qui lui en veuille à ce point.
- Je sais, je me tiens au courant des rivalités dans mon quartier. Mieux vaut prévenir... A tout hasard, j'ai quand même demandé à son fils, qui connaissait bien les affaires de son père, si rien ne manquait...
- Mais rien n'avait disparu. », finit Valana, « On n'a aucun indice, aucune piste,...
- A part le Sarais...
- Mais celle-ci ne tient pas debout.
- Donc retour au point de départ. » conclut Nide Valos, se replongeant dans sa paperasse.

Cette fois ci, le silence dura plus longtemps, mais l'on frappa à la porte.
« Entrez. »
La porte s'ouvrit sur le visage d'un des plantons du poste.
« - Y a le fils Natens qui veut vous voir, parait que c'est important.
- Quand on parle du loup. » fit le capitaine.
Et ils se levèrent tous les deux pour accueillir le nouveau venu. Celui-ci entra passablement agité, il avait une fleur de la taille du poing à la main. Elle était passablement défraîchie.
« - Je ne sais pas si c'est important, mais j'ai trouvé cette fleur dans le bureau de mon père. J'ai demandé à Mère si elle la connaissait mais elle m'a dit que c'était la première fois qu'elle en voyait une comme ça.
- Vous voulez dire que vous ne savez pas d'où elle vient ?
- Oui.
- Et où se trouvait elle exactement dans le bureau ?
- Sur une table, près de la fenêtre.
- Merci monsieur. Nous vous préviendrons si nous trouvons quelque chose de nouveau.
- Vous continuez à penser que ce n'est pas Sojeph ?
- Oui. » répondit Valana.
Le jeune homme partit sans rien ajouter, l'air soucieux.

« - Ca ne nous avance pas beaucoup, cette fleur.
- Peut être pas. », fit tout d'un coup Valana qui se leva. « Vous permettez que je la prenne ?
- Vous pensez à quoi ? » demanda Nide en tendant la fleur.
« - A une signature.
- Une quoi ? »
Mais Valana était déjà sortie.

Elle arriva à la bibliothèque en début de soirée, à peu près à l'heure de la fermeture.
« - Lysa, tu peux rester ce soir, j'ai un travail pour toi.
- De quoi il s'agit ? Je dois retrouver Taki au temple, moi. » fit Lysa, la mine boudeuse. « D'ailleurs, où est Thorin ?
- Il est resté chez lui, il s'est mal remis de la blessure qu'il a reçue.
- Il est resté de son propre chef ?
- Non, je lui ai dit que les paladins observaient des jours de méditation jusqu'à la mousson.
- Ah, d'accord. Bon ben salut ! »
Valana attrapa Lysa par le cou.
« - J'ai encore oublié quelque chose ?
- Oui.
- ...euh ... C'était quoi ?
- J'ai un service à te demander. Et j'ai besoin de la bibliothèque.
- Vraiment besoin ?
- Oui. »
Lysa se résigna et fit demi tour. Ce n'est pas comme si j'avais prévenu Taki que j'allais venir, se dit elle.

Une fois dans la bibliothèque, Valana sortit la fleur et la montra à son amie :
« - Première question : est ce que tu sais ce que c'est ?
- Euh, tu sais, je ne suis pas très forte en botanique.
- Mais est ce que tu en as déjà vu ?
- Je ne sais pas. Il y a énormément de fleurs dans le parc, mais je n'ai jamais vraiment fait attention.
- C'est une fleur d'arbre fétide. » fit une voix derrière elle.
Il s'agissait du vieux bibliothécaire qui avait élevé Lysa.
« - On la reconnaît facilement une fois qu'on a connu ses fruits. Ils sentent la chair en décomposition pour attirer les charognards. Une horreur. Mais la fleur est plutôt jolie.
- Est-ce que ça pousse dans le coin ?
- Non. Ils avaient essayé d'en importer pour le parc. Mais au lieu de pieds uniquement mâles, il y avait aussi des femelles. Après la première production de fruits, ils ont été abattus.
- C'est vieux ?
- 30 ou 40 ans au moins. Où avez-vous trouvé celle-ci ?
- Oh, par terre, sur le quai. Elle a dû tomber d'un bateau.
- Ah bon. »
Le vieil homme, qui était chargé, repartit dans les rayonnages. Une fois la porte du bureau où elles se trouvaient refermée, Valana reprit :
« - Bon, alors il faut que l'on trouve d'où vient cette fleur...
- Avec son nom, ça pendra une demi heure maximum...
- ... et si là bas, elle a une signification particulière pour les assassins. »

Dvorak

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