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Contes Spalliens : Chapitre 30 - Petit déjeuner d'après midi

Blood se réveilla avec bonheur en constatant que le soleil s'était levé depuis plusieurs heures. Depuis le début de leurs vacances, c'était leur premier vrai repos. Les deux premières nuits avaient en effet été fortement gâchées par les tirs d'artillerie de l'armée, positionnée sur le haut de la falaise et les ripostes effectuées par l'ennemi, qui était d'ailleurs resté invisible toute la durée des combats. Finalement l'armée avait enfin replié bagage, et, apparemment, tout était fini.
Elle s'habilla rapidement et sortit prendre son déjeuner avec les autres sur la terrasse. Bien qu'elle ait eu certaines craintes au début quant au logement, elle était maintenant parfaitement contente de sa proposition. L'atelier de Turner était en effet une ancienne habitation familiale humaine reconvertie et possédait de nombreuses chambres confortables, une hauteur de plafond suffisante et, à sa grande surprise, toutes les commodités vantées par Turner. Il avait lui-même installé l'eau chaude, un système solaire de son invention.

Turner se leva encore plus tard que ses invités. Pendant deux jours, ils avaient eu la guerre à leur porte, cela n'était pas particulièrement bon pour le moral. De plus la loi martiale avait été instaurée dès que le châtelain et le sergent de l'avant poste avaient été au courant de la situation. Personne n'avait donc pu aller à Principatus pour chercher le matériel pour réparer et les inspecteurs des assurances pour les dégâts (il avait pris une tout risque, vraiment tout risque, après d'un assureur basé à Wrax). Ses cernes étaient remarquables et tout le monde dans le complexe de galeries était sur les nerfs, bien qu'il n'y ait eu que des blessés.
Enfin presque tout le monde. En arrivant lui aussi sur la terrasse, il ne put que remarquer la mine réjouie des mercenaires. Eux avaient surtout été gênés par le bruit, mais semblait très familier à l'état de guerre, surtout leur chef, Black, et le couple qui s'ignore, Blood et Claymore. Turner avait fini par les appeler comme ça car ils n'arrêtaient pas de se reprendre l'un l'autre et semblaient avoir un long passé commun, cependant ils ne se montraient aucun signe de tendresse particulière et, bien entendu, faisaient chambre à part.
Au niveau vestimentaire, tous étaient méconnaissables. Finie la tenue de combat. Les hommes étaient en pantalon de toile légère et chemise de coton, pas vraiment local et plutôt chic, mais ils s'en foutaient. Ils avaient cependant chacun gardé une lame, au cas où disaient-ils. Mais Turner soupçonnait aussi qu'il s'agissait aussi d'armes rares, donc de valeur.
Pour sa part, Dark avait adopté une tunique légère du coin et définitivement abandonné toute trace de magie ou d'arme. Si ce n'était sa carrure, elle pouvait presque se fondre dans la foule locale.
Quant à Blood, ben, elle s'était lâchée. Elle arborait une robe en soie blanche, étincelante, certainement faite sur mesure, retenue à la taille par le fourreau de son fleuret, qui, curieusement s'adaptait très bien à la robe tout en restant très visible. Et, eut égard à son teint délicat, elle avait ressorti un chapeau de paille à large bord d'un des greniers. En clair, on ne voyait qu'elle à deux cents mètres.

- Bonjour, Monsieur Turner. » lança joyeusement Black, interrompant les conversations de ses compagnons. « Belle après midi, n'est ce pas ? »
- Euh, » Turner jeta un coup d'oeil à l'horloge qui lui servait d'enseigne. Merde, se dit-il, déjà. « Oui, en effet. » finit-il par répondre. Il regarda tout autour de lui, semblant chercher quelque chose.
- Si vous chercher vos apprentis, ils sont tous les deux partis vers Principatus à dix heures environ, avec la liste que vous leur avez faite. » indiqua Braveheart.
- Merci beaucoup de votre attention. » répondit aimablement Turner, puis continua avec une voix de miel. « Justement, pendant qu'on en parle, vous vous souvenez des plans dont je vous ai parlé avant hier ? ».
- Mais bien sûr, dit Black, nous étions justement en train d'en parler.
- J'ai examiné votre porte, celle qui joue et ne ferme plus depuis le tremblement de terre. Et j'ai remarqué un truc de bizarre. » commença Braveheart. « Je suis loin d'être un expert, mais il me semble qu'on ait tenté de la crocheter puis on l'a défoncée, ou bien on l'a crochetée avec succès puis le tremblement de terre l'a défoncée. En tout cas il y a des traces récentes d'outils métalliques sur la serrure. »
Le vieux gnome resta un moment sans voix, puis explosa :
- Donc c'est bien un vol. Des salopiots ont vraiment osé voler mes précieux plans.
- Vous en doutiez ? demanda Dark, surprise.
- Au début non, bien sûr. Mais ce crétin de sergent a finit par me faire douter. A force d'entendre dire qu'on est sénile, on finit par le croire.
- Moi aussi j'ai des nouvelles, reprit Dark, pendant le couvre feu j'ai été faire un tour dans le bar louche du coin. » Turner faillit dire un truc du genre 'toute seule !', mais il se retint. La magicienne avait les épaules plus larges que beaucoup de bûcheron qu'il connaissait.
« Apparemment tous croit sérieusement que vous êtes fou, pas un qui pense que vous vous êtes fait voler.
- Ce serait un comportement normal pour des voleurs de dire ça. » fit remarquer Turner.
- Mais je n'ai pas dit que c'est ce qu'ils disent, j'ai dit que c'est ce qu'ils pensent. » répondit Dark avec un sourire.

Turner regarda la magicienne avec respect. Il n'avait pas grande expérience de la magie, mais il savait que lire les pensées des gens sans qu'ils ne se doutent de rien était difficile. En règle générale, la lecture de pensée n'était efficace que dans le cas d'un interrogatoire poussé, ou bien ne servait qu'à des détections très superficielles. Puis il se dit rapidement qu'il lui allait falloir faire gaffe quand elle était dans le coin.
- Donc mes voleurs avaient quitté la ville avant la loi martiale. conclut-il.
- Sans doute même avant le tremblement de terre. Parce que tout le monde s'est réveillé à ce moment là et personne n'a rien remarqué, précisa Blood, cependant l'étude des registres d'hôtels n'a rien donné. Ils sont donc venus spécialement pour le vol et sont repartis tout de suite après, du très prémédité, donc.
- Je étais voir le sergent. Mais personne avoir été emprisonné pour non-respect de la loi martiale. Ni dans la région d'ailleurs, tout le monde il est resté chez soi sans bouger. Ca a dû faciliter un déplacement incognito des voleurs. Encore que si eux vraiment intelligents, eux avoir rien fait d'anormal et attendu sagement la fin des combats dans une auberge quelconque, plans faciles à cacher.»
Claymore avait lui aussi apporté sa pierre à l'édifice. Logiquement, Turner se tourna vers Black.
- Oh ! Moi ! Je n'ai pas quitté l'atelier. J'étais un peu fatigué. » Turner commença à faire la tête, mais Black continua sur sa lancée.
«Cependant j'ai réfléchit un petit peu. Il y a trois principales hypothèses, la première : les voleurs ont agi plus ou moins au hasard et essaient maintenant de revendre leur prise, on pourrait entendre leur offre et leur retomber dessus, ce serait le mieux. Mais je n'y crois pas trop. Les autres me paraissent plus plausibles ; les voleurs sont venus pour eux-mêmes, où sous contrat, et sont rentrés directement chez eux après, ça serait le pire, surtout s'ils habitent loin. La dernière... les voleurs sont venus en ayant repéré la cible, mais sans acheteur. On rejoint un peu la première hypothèse, sauf que là ils iront probablement voir directement des acheteurs à peu près sûrs.
- Où voulez-vous en venir ? demanda Turner, qui trouvait tout ça intelligent mais évident.
- Et bien, comme toujours, la même chose. A qui profite le crime ? Qui voudrait posséder ces plans et serait prêt à les acheter ? Je pense que c'est à vous de répondre Monsieur Turner. » Black regarda intensément son employeur avec attention, semblant le jauger. Mais il continua sans laisser le gnome répondre. « Aussi j'aimerais savoir ce qu'il y avait sur ces plans, et surtout si vous en aviez parlé, d'eux ou des travaux que vous avez en cours. » Il se tut et le vieil inventeur prit la parole, assez sûr de lui.
- Les réponses sont plutôt faciles. Pour les plans, je les ai refait pour passer le temps et j'ai commencé à faire un prototype.
- Vous voulez dire qu'il ne s'agissait encore que de théorique ? Rien de concret ? intervint Blood.
- Non, mais les calculs m'ont pris un an, et j'avais déjà réalisé des morceaux de l'appareil pour vérifier certains points pratiques. » répondit Turner, sans regarder la jeune femme. « Pour ce qui est de savoir qui était au courant, c'est simple, tout le monde dans le métier. Il y a eu une conférence en début d'année à Principatus et j'y ai dit mes espoirs d'arriver prochainement à quelque chose d'utilisable. Et, avant que vous ouvriez la bouche » là il regarda Blood, « c'était pour obtenir des subventions d'industriels. La réparation d'horloge ne laisse pas beaucoup de temps libre pour travailler concrètement sur autres choses. Enfin, pas la peine de chercher loin pour trouver des suspects parfaits, il y a un groupe de Kobolds qui s'est installé sur le dessus, le long de la route de la falaise ; des êtres vils et sournois qui font la majeure partie de leur chiffre d'affaire avec des engins de mort.
- Un chiffre d'affaire important ? demanda Braveheart, qui savait qu'il y avait à peine une génération, Gnomes et Kobolds s'attaquaient à vue.
- Je ne vois pas le rapport... » puis le visage du gnome s'illumina. « Ah ! Non je ne les dénonce pas par simple jalousie, ils constituent vraiment des suspects sérieux.
- Je pense quand même que l'on pourrait étudier les autres pistes possibles. D'autres noms qui vous viennent à l'esprit ? demanda Dark.
- Comme ça, non. Mais je dois encore avoir la liste des participants au congrès, on peut commencer avec ça.
- J'aimerais étudier vos plans aussi. Pour avoir une idée de ce que ça représente. »
Sur ce, ils se séparèrent. Black et Turner allèrent dans son établi, Claymore et Blood allèrent acheter des hamacs, Dark alla courir en forêt (elle rentrerait certainement avec la nuit) et Braveheart alla chercher un livre et passa son après-midi sur la terrasse.

Il est important de signaler que pendant la discussion, il n'y avait personne pour les écouter.

Dvorak

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