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Chronique des 5 Royaumes de Lorentis : Chant 08 - Le Chemin du Désespoir

Les Hiboux ne sont pas ce qu'ils paraissent être...
- Twin Peaks, David LYNCH -



Gabriel regardait la sombre forêt former un chemin ténébreux autour de lui. Les branches des arbres formaient une voûte noire pareille à un plafond de pierre angoissant. Il se demanda sur le moment s'ils avaient fait le bon choix. Mais en avaient-ils un autre ?

Zephyr, à son côté, serrait fortement son arme, prêt au combat et visiblement peu rassuré par ce qu'avait dit le Seigneur d'Opale concernant les habitants de la forêt de Troos. Il regardait chaque plante en tentant de la reconnaître, mais il était clair que la malédiction n'était pas une légende. Tout était déformé, ici, brûlant d'un mal profondément ancré qui avait modifié la flore d'une horrible façon. Chacune de ces herbes semblait capable de tuer un homme par des centaines de moyens différents. Le pire était pourtant à venir. Ils étaient suffisamment fous pour vouloir tomber dans le piège dressé par les Elfes Noirs au lieu de l'éviter consciencieusement.

Illian marchait à leurs côtés, coutelas au clair. Il gardait une profonde culpabilité de n'avoir pu arrêter le Démon-Ombre. Il était d'ailleurs le seul à se le reprocher. Il avait insisté pour débarquer dans la crique avec la petite barque plutôt que d'attendre calmement l'arrivée à Horus-la-Trois. Il savait lui aussi parfaitement les risques qu'il prenait.

Ils marchaient déjà depuis près d'une heure et le décor n'avait pas changé. La variété des plantes ne permettait pourtant pas de voir l'avancement du parcours. Ils avaient l'impression de tourner en rond, bien que le chemin fut unique et qu'ils ne pouvaient pas revenir sur leurs pas sans qu'ils l'aient perçu. Gabriel, Zéphyr et Illian commençaient à comprendre la teneur du piège des Elfes Noirs. Bien que Tristan l'ait décrit précisément, ils n'avaient pas pleinement pris conscience du pouvoir de la Déesse Loth.

La forêt formait une sorte de prison qui étouffait les bruits et masquait la présence des vivants comme des morts. Ils ne pouvaient que faire attention à l'endroit où ils posaient les pieds. Certaines plantes projetaient des feuilles aussi coupantes que des lames de rasoir, d'autres, comme des najas, expulsaient des traits de venins aussi corrosifs que de l'acide. Rien n'était commun dans cet endroit, les pièges ne ressemblaient pas à des pièges et ils n'avaient encore pas vu la faune locale.

Ils arrivèrent à un croisement. Une pierre noire d'un mètre semblait faire office de panneau indicateur, libellé dans une langue étrange et sombre, un elfique déformé comme le reste de la forêt.

« Que faisons-nous maintenant ? » dit Zéphyr, visiblement affecté par l'ambiance oppressante de l'endroit.
Ces paroles semblaient être un anathème au silence morbide de la forêt. Il baissa le ton.
« Je crois qu'il faut suivre les indications du monolithe pour avoir une chance de trouver le chemin, d'après ce que disait le Seigneur d'Opale. », poursuivit-il en regardant attentivement autour de lui.
« Tu sais lire ce type de langue ? », demanda Illian.
« C'est assez simple, » répondit Gabriel, « C'est une forme archaïque de l'elfique commun. Ça dit : « Marchez vers l'onde et vous trouverez le chemin des anciens. » »
« Ça ne nous renseigne pas outre mesure », finit Illian.

Gabriel tendit l'oreille en faisant signe à ses camarades de faire silence. Il perçut dans le lointain sur sa gauche un bruit semblable à de l'eau. Il n'en était pas sûr, tellement le silence était prenant. Ça pouvait être une illusion.
« Par ici, » décida-t-il, « il me semble entendre de l'eau. »
Ils avançaient l'oreille tendue, sans pour autant percevoir quoi que ce fut. La marche reprit, plus monotone encore que précédemment. Jusqu'à ce qu'ils tombent sur un petit pont de bois pourri. Ce qui glissait dessous ne pouvait certainement pas être qualifié d'eau. C'est un liquide opaque, presque brillant qui reflétait en les déformant les images qui provenaient du décor.

« Je crois que nous avons trouvé l'Onde. », dit Gabriel, « Je ne prendrais pas le risque de m'y rafraîchir. »

Ils passèrent le pont en faisant bien attention de ne pas entrer en contact avec le liquide miroitant. Le chemin se fit de plus en plus oppressant. Lourd d'un silence encore plus complet. Même leurs pas étaient absorbés par l'environnement végétal. Ils purent aussi voir quelques fils de ci de là. Des fils semblables à ceux des araignées, mais bien plus larges et bien plus effrayants. Certains, dans le lointain, devaient avoir la taille d'un poing. Plus ils progressaient, plus l'environnement se remplit de ces toiles luisantes et cotonneuses. Bientôt, il leur sembla qu'elles formaient une sorte de cocon autour du chemin qui continuait droit dans la même direction.

« Nous y sommes, », dit Gabriel plus bas qu'il ne l'aurait voulu, « c'est le Chemin du Destin. »

Ils avancèrent plus précautionneusement encore. Rien ne bougeait et aucun bruit ne venait troubler le silence de mort du passage. Après plus d'une heure, terrible pour les nerfs, s'ouvrit devant eux un passage plus large, comme une grotte de soie donnant sur une immense grille de fer forgé. Elle représentait les pattes d'une araignée géante. Des chaînes comportant des menottes étaient accrochées aux deux colonnes qui portaient la grille. Gabriel soupira de soulagement, ils étaient arrivés avant que ce soit trop tard.

*
* *



Félys et Emeraude avaient été présentés à la dame du nom de Ethanahelle. C'était une femme assez grande et très fine, d'une beauté à couper le souffle. Elle portait une robe noire au col montant jusqu'au niveau de son crâne, structuré par des doigts crochus semblable à des pattes d'araignée en argent. La robe était, elle aussi, brodée d'une toile d'argent. Ses cheveux blancs était tressés de façon complexe et tombaient sur son épaule gauche, descendant jusqu'à sa poitrine. Ses yeux, d'un rouge de rubis, les gelèrent sur place, ne laissant aucun doute sur la cruauté dont elle pouvait faire preuve.

Elle les regarda intensément pendant un moment cherchant à trouver une solution pour contrer le vieil homme qui les vendait. Mais elle ne trouva rien.

« Très bien, Mogoroth, je ne peux rien redire à ce marché. Qu'il soit conclu. Vous avez le soutien des Elfes Noirs de la forêt de Troos et temporairement l'aide de Loth. »

Elle fit un geste de la main et les deux enfants furent instantanément couverts d'une espèce de soie blanche qui forma un cocon autour d'eux, les empêchant de respirer. Ils sombrèrent tous deux dans une forme de sommeil cataleptique vide d'espoir et de rêve.

Le voile tomba dans une salle qu'ils ne connaissaient pas. C'était un palais d'Onyx et de Jade, dans lequel la pierre verte formait des voûtes étranges et splendides. Contrairement à la Cathédrale des Ossements, ce nouvel endroit était d'une beauté proche de la perfection. Toutefois, il y régnait une terrible aura de violence et de cruauté. Les murs étaient décorés d'araignées d'argent dans leurs toiles de mythril et les colonnes de jade ciselées montaient vers le ciel en d'imposants entrelacs gothiques de fils verts.

Quand ils eurent enfin repris leurs sens, ils remarquèrent la dame Ethanahelle en grande discussion avec un Elfe Noir d'une stature imposante. Il portait une armure de platine brillant d'une lueur éthérée et était armé de trois épées gigantesques dont les fourreaux étaient croisés dans son dos.

« Tu n'as pas réussi à avoir ce vieux débris qui se fait appeler le Maître de Ossements, j'ai du mal à le croire, mon amour. », dit le guerrier.

Felys le dévisagea discrètement cherchant à trouver à qui il pouvait ressembler. Il était persuadé qu'il avait déjà rencontré ce personnage, mais il n'arrivait pas à retrouver où. Il y avait quelque chose en lui qui ne collait pas avec son souvenir incertain.

« J'aurais aimé t'y voir, cette créature abjecte croit réellement tout savoir de moi. Je ne pouvais pas lui laisser les modeleurs en lui disant simplement d'aller se faire voir chez ses succubes. », répondit la Reine Elfe.
Le guerrier éclata de rire à cette réplique.
« Maintenant que nous avons l'intégralité des modeleurs, que pouvons-nous faire pour que l'Archi-Liche lâche enfin l'emplacement de la Balance ? », continua le guerrier.
« Ça c'est ton problème, mon amour, », dit-elle avec un regard sournois, « Je te rappelle que c'est ton idée de venir jouer avec ce monde. »

Elle regarda du côté des enfants.
« Je crois qu'il va falloir reprendre notre rôle, tes petits protégés sont revenus parmi les vivants. »

Quand le guerrier se tourna vers Felys, celui-ci le reconnu finalement. Il était différent, sa peau était noire et ses yeux étaient rouges comme des rubis. Mais ça ne pouvait être que le Seigneur d'Opale, sans l'ombre d'un doute.

*
* *



Gabriel attendait comme lui avait conseillé le Seigneur d'Opale qui s'était fait un devoir d'aller négocier le sort de Felys et de l'autre prisonnier auprès de la Reine des Araignées. Si cela devait tourner à son désavantage, ils seraient là pour éviter la mort des enfants. Ce qui lui posait problème c'était de retrouver son chemin pour le retour dans le cas où le prince aurait finalement le dernier mot. Il supposait que le piège n'était pas aussi facile à éviter que cela.

Au bout de quelques heures, il se passa quelque chose que Tristan d'Opale n'avait pas prévu dans son scénario. La porte s'ouvrit en grand et l'intérieur du Cimetière du Désespoir s'offrit à leurs yeux.

Ça n'avait d'un cimetière que le nom. C'était une sorte de ville simple, composée de petites maisons basses, où vaquaient à leurs occupations des dizaines de personnes très disparates. L'environnement semblait calme et des échanges bon enfant étaient audibles parmi la population qui ne semblait pas voir le portail.

Gabriel regarda Zéphyr puis Illian qui ne semblaient pas plus comprendre que lui ce qu'ils voyaient. Contre les indications du Seigneur d'Opale, ils avancèrent vers le village. Celui-ci devient plus réel alors que la porte devenait plus éthérée. C'était une débauche agréable de couleurs et d'odeurs où l'on pouvait discerner le safran, la muscade, des poivres exotiques, mais aussi des odeurs de tabac et de menthe. C'était aussi une sorte de marché, où l'on pouvait voir des étoffes de laine et de soie aux couleurs chatoyantes de bleu, de jaune et d'orangé. L'ensemble bougeait d'une vie paisible, simple et agréable. Des enfants s'étaient assemblés autour d'eux pendant qu'ils regardaient, étonnés, le fameux cimetière. Les parents leurs souhaitaient d'une main ou d'un sourire, la bienvenue. Illian ne put que ranger ses couteaux, assez déplacés pour affronter une vie aussi agréable.

Zéphyr s'était retourné pendant que Gabriel répondait aux milles questions que posaient les enfants.

« Je crois qu'on vient de tomber dans le piège. », dit-il doucement.
Illian et Gabriel se retournèrent d'un coup.
« Pardon ? », fit finalement Gabriel.
« Tu vois un portail pour nous ramener dans les royaumes, toi ? »

Gabriel regarda plus attentivement l'endroit. Ils avaient abouti sur une place ensoleillée. Il n'y avait pas trace de la forêt, pas trace non plus du portail arachnide qui les avaient amenée ici. Ils se regardèrent avec une certaine incompréhension dans le regard.

Ce fut une jeune femme qui leur adressa la parole pour briser leur réflexion.

« Vous avez vu juste, guerrier », dit-elle

C'était une jeune fille d'une vingtaine d'année. Sa peau était aussi noire que la nuit et ses oreilles en pointe ne pouvaient signifier qu'une chose : c'était une Elfe Noire.
« Vous êtes dans la cité de l'Entre-Monde. Nous l'avons renommée ainsi puisque Cimetière n'est pas un nom qui lui convient. C'est pourtant bien l'endroit que les miens appellent le Cimetière du Désespoir. », continua-elle.

Ils la regardèrent, éblouis par sa beauté simple mais brillante sous des atours du commun.

« Je me nomme Ania. Je suis la soeur de la Reine des Araignées, et, contrairement à la majorité des personnes qui sont ici, j'ai choisi d'y venir. »

Elle leur fit signe de la suivre.

« Cette cité est un piège intemporel. Elle rend immortels ceux qui y vivent. Les enfants vieillissent jusqu'à l'âge adulte puis attendent hors du temps qu'une personne ouvre enfin les portes pour que nous puissions nous échapper. », expliqua-t-elle.
« L'Entre-Monde grandit en fonction du nombre d'habitants pour que nous ayons toujours suffisamment de place pour vivre. Ce demi-plan fait plusieurs dizaines d'hectares, mais il se finit invariablement par une zone de brouillard, une forme de néant qui engloutit quiconque voudrait s'enfuir. Remarquez, je suis ici depuis près de 250 ans et c'est un bon moyen d'apprendre bien des choses. »

Elle s'arrêta devant une maison basse de terre cuite aux murs blancs et ocre.

« Voici ma demeure, vous pouvez rester tant qu'il vous plaira. Le temps que nous ayons construit une habitation pour vous, au moins. »

L'intérieur de la maison était spacieux, composé d'une majorité de bois aux fragrances étrangères et exotiques et aux couleurs chaudes et agréables. Des rayonnages de livres étaient disposés sur chaque mur de la pièce principale.

« Nous ne nous sommes pas présenté. Je suis Zéphyr, voici Gabriel et Illian », dit le jeune guerrier en indiquant ses compagnons, « Je suis désolé, mais je dois vous dire que nous sommes ici pour empêcher votre soeur de vous ramener dans le monde réel. »

La jeune femme se tourna vers Zéphyr avec un sourire.

« Vous avez raison. Je sais quel est le prix de la liberté, et je n'en veux pas. Qui sont ceux que vous voulez protéger ? »
« L'un d'entre eux est le frère de Zéphyr, Felys. », dit Gabriel, « Il a une dizaine d'années. L'autre, je ne le connais pas. »
« Deux vies pour une, c'est un prix trop cher à payer. Je ne veux pas avoir la mort de deux personnes sur la conscience. C'est encore plus vrai si ce sont des enfants. », déclara-t-elle doucement, « mais j'ai peur que ma soeur n'ait que faire de mes voeux. »
« Vos paroles sont étranges dans la bouche d'une Elfe Noire. », dit Illian d'un ton agressif.
« Vous vous trompez sur mon peuple, Illian. », répliqua-t-elle, « Il n'y a que les nobles qui vouent une dévotion impure à Loth. Et puis, j'ai eu le temps de faire connaissance avec la joie de vivre. Ici, personne ne s'empoisonne pour un peu de pouvoir, personne n'assassine ni ne torture. Le meilleur moyen d'apprendre la vérité sur la vie est de la vivre soi-même. Les Elfes Noirs ne sont pas vils par nature mais par nécessité, c'est pour cela que j'ai souhaité tomber dans ce piège. »
Illian continua à douter de ses bons sentiments.
« De toute façon, ma soeur n'est plus la personne qu'elle était. Elle n'est plus celle qui me protégeait de nos ennemis. Au moment où je me suis enfui de la Cité de Jade, elle était devenue folle de pouvoir. J'ai l'impression qu'elle a changé. Mais je n'ai rien vu qui puisse le confirmer. La cité aussi a changé. Elle est devenue rapidement l'antre du sournois, de l'assassin et de l'intrigue. Bien plus encore qu'au temps de nos parents. Ce n'est pas un endroit où il est possible de vivre paisible. » Elle semblait parler pour elle. Ania avait comme un reflet de regret dans les yeux. Elle finit par secouer la tête comme pour chasser les idées qu'elle venait d'avoir.
« Prenez place », fit-elle, « Je vais vous préparer quelque chose à boire. »

Elle se dirigea vers la cuisine et commença à passer une boisson au fort parfum d'épice.

« Ce qu'elle est belle. », dit Zéphyr le visage écarlate et les yeux rivés sur l'ombre qui se mouvait dans l'autre pièce.

Gabriel se retient d'éclater de rire. Il n'avait jamais vu son ami dans un état pareil. Il avait aussi pu remarquer qu'elle n'était pas non plus indifférente. Il se permit juste un sourire. Puis il retomba dans l'analyse de la situation, qui lui paraissait nettement moins agréable que la vie dans cette petite ville. S'il était piégé ici, personne ne pourrait plus empêcher la Reine des Araignées de faire son office. Une fois qu'ils seront libérés, il sera trop tard pour Félys.

*
* *



Tristan les regardait avait des yeux étranges, comme s'il était différent de celui qu'il connaissait. Il fit simplement un geste de la main et ils furent emmenés par des gardes Elfes Noirs dans une pièce qui ressemblait à une chambre assez vaste. La décoration était plus simple, plus sobre que dans le reste du palais. C'était sûrement une pièce dédiée aux invités, pensa Félys, les Elfes Noirs aimaient à prouver leur supériorité et c'était tout à fait le type de détails qu'ils affectionnaient.

Félys était plus sombre que jamais. Il se demandait ce que faisait le Seigneur d'Opale ici. A moins qu'il se soit trompé et que ce ne soit pas lui. Il était tellement différent et pourtant si semblable. Il regarda Emeraude. Son compagnon ne paraissait pas de meilleure humeur. L'environnement n'était pas très propice à voir les choses du bon côté.

« Qu'allons-nous devenir ? », dit finalement Emeraude se laissant tomber dans un des fauteuils aux courbes étranges et arachnéennes.
« Je n'en sais rien, nous allons peut-être mourir, si la Reine des Araignées fait ce qu'a dit la Liche. Mais je ne le crois pas, elle en parlait de façon si désinvolte tout à l'heure. », répondit Félys.
« Je ne parierais pas sur le temps qu'elle mettra à changer d'avis sur le sujet. », soupira Emeraude.
« Il n'y a donc pas d'autre solution, il faut sortir d'ici au plus vite. », proposa Félys.
« Tu sais où nous sommes ? », s'écria Emeraude à la réflexion de son compagnon, « C'est la cité royale des Elfes Noirs. A coté, il serait simple de s'échapper des geôles magiques de Castel Pierre-Lune ! »

Après quelques secondes d'hésitation, Félys se permit.

« C'est quoi, Castel Pierre-Lune ? »
« Tu ne connais pas la ville des mages ? », s'étonna Emeraude, « Tu viens d'où ? »
« D'Astius, de l'autre côté de l'océan. »
« C'est une ville qui comporte 8 académies de magie. C'est l'endroit le plus sûr de cette planète, enfin, je pense. »

Félys avait commencé à faire le tour de la pièce, regardant attentivement chaque détail qui lui permettrait de s'évader de cette prison noire et argent. La pièce devait faire une quarantaine de mètres carré. Il n'y avait qu'une seule petite fenêtre qui donnait sur la voûte sombre des arbres géants de la forêt de Troos. Ils pouvaient aussi voir qu'ils étaient en altitude vu la taille des branches autour d'eux. Il n'y avait qu'une seule porte donnant dans un couloir qui devait être surveillé par des gardes. Il y avait un lit, suffisamment grand pour y dormir à deux et trois fauteuils étranges ainsi qu'une table d'échec naine. La conclusion de son inspection fut qu'il serait difficile de sortir d'ici par des moyens conventionnels. Il baissa les bras pour le moment, il commençait à avoir faim et soif, il n'avait rien mangé depuis son enlèvement du bateau du Seigneur d'Opale. Il n'avait d'ailleurs aucune idée du temps qui s'était écoulé depuis lors.

« Je crois que tu as raison, sortir d'ici est une mission impossible. », finit-il par s'avouer.

Il prit ses genoux dans ses bras et réprima une violente envie de pleurer. Que pouvait-il faire d'ailleurs en dehors de se laisser aller à sa peur. Il n'avait que l'envie de partir d'ici, de se sauver loin, de retrouver son frère aussi et enfin de vivre un peu plus vieux. Il ne s'était jamais senti aussi mal avant. Sa vision se troubla. La pièce devenait indistincte, comme irréelle. Emeraude poussa un petit cri de surprise et se recroquevilla sur son fauteuil à son tour. Félys eut l'impression de tomber dans l'inconscience comme si l'environnement n'était plus stable. Une sorte de brouillard noir les entourait maintenant. La pièce avait perdu consistance et finalement avait disparu.

« Qu'est-ce que tu fais ! », cria Emeraude.

Cela ramena Félys à la conscience. Ce qu'il avait vu auparavant n'était pas un rêve étrange dû à la faim, c'était bel et bien la réalité. Ils n'étaient plus dans la chambre noire et argent, mais dans une brume opaque, ne laissant qu'une petite clairière de réalité autour d'eux. Les sièges et un petit bout de marbre du sol était resté, mais rien d'autre.

« On est où, là ? », demanda Emeraude d'une voix timide.
« Je n'en sais rien. » répondit Félys sur le même ton.
« Entremonde », répondit une voix féminine provenant du brouillard, « Vous êtes dans Entremonde. Une partie de néant qui est le tampon entre les univers. »

Une femme sortit simplement de la brume. Pieds nus, elle marchait dans le brouillard comme s'il était solide. Elle était grande. Sa peau brune semblait avoir été tannée par un vent chaud et un soleil dur. Ses yeux noirs, pénétrants, les fixèrent un instant. Elle était vêtue d'une robe ample couleur safran et portait un foulard brun autour de ses cheveux noirs.

« Je m'appelle Mylianne, je suis une marcheuse de plan. Comme vous, semble-t-il ! », Elle les regarda attentivement, « C'est votre premier Changement ? Hum... Vous ne seriez pas aussi surpris si ce n'était pas un Changement Sauvage. Vous avez de la chance que je sois passé si prêt, vous auriez pu vous perdre.»

Ils la regardèrent sans comprendre un traître mot de ce qu'elle venait de dire.

« Visiblement, je ne suis pas très claire pour vous. Je vais m'expliquer mais avant nous allons repasser dans le plan que vous venez de quitter. Vous avez une idée de la destination qui vous conviendra dans ce monde ? », continua-t-elle plus doucement.

D'une même voix, ils répondirent « Castel Pierre-Lune. »

*
* *



Tristan d'Opale regardait la pièce où il avait enfermé les deux gamins. Elle était vide, et il manquait une partie du sol qui avait été transporté avec eux. Il fit un signe à la Reine des Araignées, puis se déplaça pour qu'elle puisse voir la pièce d'elle-même.

« Ils sont si puissants que ça ? », s'écria-t-elle un peu surprise.
« Seul, j'imaginais que Félys était comme son frère et Gabriel, assez capable. », dit-il après un moment de réflexion, « Tu connais la théorie de la symbiose des âmes pures ? »
« J'en ai vaguement entendu parler de la bouche d'un vieux mage de la Côte des Epées. », répondit-elle évasive, « Il me semble que c'est un dérivé de la théorie des âmes-soeurs. »
« C'est bien ça, les capacités des âmes des marcheurs qui n'ont pas encore conscience de leurs pouvoir se multiplient. Si la multiplication est relativement répétée alors la combinaison devient une symbiose. »
« Si je comprends bien, tu es en train de faire des expériences avec ces deux gamins. », dit-elle.
« Non, ce n'était pas dans mes intentions. Je souhaitais juste voir ce dont ils étaient capables. Je suis plus que servi. »

L'expression et la forme des deux Elfes avaient changée étrangement, leurs peaux était maintenant d'une couleur proche de l'ivoire et la métamorphose graduelle semblait vouloir changer aussi la couleur de leurs yeux et de leurs cheveux.

« J'ai peur que la technique que nous avons employée n'ait pas vraiment été la bonne. », fit Ethanahelle, « Tu as certainement perdu leur confiance maintenant. »
« Tu avais une autre idée en réserve. Tu sais que le temps va commencer à nous manquer maintenant ! », répondit Tristan.
« Tu penses vraiment que ce vieux débris parcheminé est capable de faire ce que la prophétie des anciens affirme ? »
« Je n'en suis pas certain, mes dons de prescience ne sont pas assez clairs dans ce monde pour me permettre d'en juger. Mais si c'est le cas, ce sera à eux ainsi qu'aux trois jeunes guerriers de protéger leur monde ou de le détruire. », répliqua Tristan, « Je ne veux pas les laisser sans défense contre les hordes d'En Bas au moment crucial, qu'ils me considèrent comme un ami ou comme un ennemi m'importe peu. »
« Très bien. Ne crois-tu pas qu'il serait temps d'aller libérer tes protégés du Cimetière et par la même occasion de faire disparaître cette fameuse malédiction qui pèse sur Troos ? »

Nehwon

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