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Chronique des 5 Royaumes de Lorentis : Chant 07 - Echange Morbide

Felys tenta d'ouvrir un oeil. Il choisit le mauvais.

Une brûlure atroce traversa son crâne l'amenant aux portes de l'évanouissement. Peu à peu, la mémoire refit surface, s'imprimant par morceau dans son cerveau matraqué par la douleur.

Il y avait eu un coup dans la porte de la cabine, dans le bateau de pierre du seigneur d'Opale. Un coup suffisant pour faire voler la porte en morceaux. La chose qui était apparu derrière le dernier débris et qui avait porté le coup était tellement immonde qu'il avait eu beau chercher du courage, il n'avait pu trouver qu'un moyen de se cacher d'elle. Il ne se la rappelait d'ailleurs pas complètement. Il ne voulait simplement pas s'en souvenir.

Zéphyr et Illian avaient tenté de le protéger mais le sang qu'il répandait semblait faire l'effet d'un poison violent, comme si rien ne pouvait lui résister. Les objets fondaient à son contact et il laissait de terribles traces noires brûlantes sur la peau.

Deux autres créatures de la même engeance que la première avaient alors passé la porte. Il avait vu son frère tomber au sol sans connaissance, et Illian gémir sous l'effet du poison, près de lui. Puis... il ne se souvenait plus vraiment de la suite... L'une des créatures lui avait certainement tapé sur le crâne, mais il n'en était pas sûr.

Ce qu'il se souvenait ensuite c'était de son réveil. L'endroit autour de lui était une sorte de prison qui sentait le moisi. Elle était composée d'un certain nombre de cages, même pas de vraies cellules. Il avait pu voir un cadavre pourrissant à l'autre extrémité de la pièce. Il y avait de la paille au sol ainsi que des débris qu'il n'avait pas eu le courage d'identifier.

Il frissonna. Il y avait aussi ces chaînes qui lui enserraient les poignets et cette créature grotesque qui se tenait avachie sur une chaise de mauvaise facture derrière la grille de métal rouillé. Au premier regard, il n'avait pas compris, mais finalement il s'était souvenu des retours de battues, ce devait être un Hobgobelin, avec la peau verte et des pustules un peu partout sur le corps.

La créature lui avait crié des choses incompréhensibles avec un rictus qu'il n'avait pas réussi à interpréter comme un sourire. Elle l'avait battu aussi, frappé si souvent qu'il ne sentait plus ses jambes. Elle lui posait certainement des questions, à ses intonations de voix, mais il ne comprenait pas un traître mot de ce qu'elle disait. Ça avait duré très longtemps... Il avait certainement perdu connaissance plusieurs fois... Mais il ne se souvenait pas.

Maintenant, son oeil droit avait gonflé et sa mâchoire lui faisait horriblement mal. Il ne pouvait d'ailleurs pas dire ce qui lui faisait le plus mal... Tout son corps brûlait de cette lancinante vibration de douleur.

Il y eut un bruit, comme une lourde porte que l'on ouvre. Un raclement de bois contre la sol. Et un discours dans cette langue gutturale qui semblait venir de sa droite. La nouvelle voix était différente de celle de l'Hobgobelin, comme si la gorge du nouvel arrivant n'était pas adaptée pour ce langage barbare. Il fini par trouver le courage d'ouvrir l'oeil qui lui restait. Un homme était là, devant sa prison. Il semblait chercher une solution satisfaisante à un problème grave... Comme si la colère montait graduellement en lui pendant qu'il comprenait l'état physique du prisonnier. Lui ? C'était bien lui que l'homme regardait... Une bouffée d'espoir passant un instant dans sa tête, mais il finit par réfléchir. Quel homme pourrait discuter avec une créature comme celle là... Ce n'était certainement pas son sauveur.

« Je t'avais dit de prendre soin de notre prisonnier comme il se devait. », dit le personnage d'une voix si glaciale que Felys se demanda s'il était vivant. « Tu n'es vraiment que d'une piètre utilité. »

Le peau verte tomba à genou en bégayant des choses incompréhensibles dans sa langue.

L'homme leva une main parfaitement blanche et propre. Il forma des signes complexes très rapidement et Felys vis le squelette de l'Hobgobelin sortir du corps de celui-ci en déchirant les chairs et les tendons, dans un bouillonnement de sang.

Sur le coup, il se sentit glacé au plus profond de lui. Il ne put s'empêcher de vomir. Le personnage tourna son regard vers lui. Un regard bleu, si pâle que l'on s'attendait à ce qu'il réfléchisse la lumière. Il avait les cheveux longs, semblables à de la soie, qui coulaient en cascade sur ses épaules. Il portait un pourpoint ajusté en satin noir, couvert de broderies or et argent. Elles représentaient le combat de deux dragons. Lorsqu'il avança ses bottes résonnèrent étrangement sur le sol pavé. Comme si elles étouffaient le son qui pouvait provenir de ses pas.

La porte de la geôle s'ouvrit d'elle-même quand le Seigneur s'approcha. Felys eut peur de son regard glacial, de son visage lisse comme de la porcelaine, et si peu expressif que la colère ne se voyait que dans son maintien.

« Salut à toi, mon jeune invité, l'accueil n'a pas été à la hauteur de ce que j'espérais, mais je vais tenter de me rattraper. », dit-il en posant une main sur le visage bleui de Felys.

Il prononça un mot, si bas que Felys ne le comprit pas. En un instant, tout son corps s'allégea débarrassé de la douleur mordante qu'il avait ressenti auparavant. Ses jambes répondirent et il se redressa pour faire face à son nouveau geôlier.

« Mon nom est Nas, » dit l'homme en le regardant droit dans les yeux. « Je suis le commandant en chef des armées du Seigneur Morgoroth. Je t'ai cherché dans tout le campement, c'est une grossière erreur que tu te sois retrouvé ici. Le gardien va me remercier dans les enfers où il croupit actuellement. Le Maître n'est pas aussi indulgent. »
Il ponctua sa phrase d'un geste de la main en direction du squelette, debout, au garde-à-vous.
« Il me servira d'ailleurs bien mieux maintenant. », fini-t-il.
Il fit une pause, observant les réactions de Felys.
« Le Seigneur veut faire ta connaissance, mais il va falloir d'abord arranger ton apparence. Tu ne peux pas te présenter à la cour dans cette tenue. »
Felys tenta de retenir ses larmes. Il ne voulait pas connaître de seigneur ni personne d'autre ici, d'ailleurs. Il voulait simplement retourner près de son frère.

Les fers tombèrent comme par enchantement, et il en profita pour se masser les poignets.

« Suis-moi et ne te perds pas, la plupart des créatures de mon armée sont plus vicieuse que ce bon à rien. Je n'aimerais pas que tu finisses ta courte existence dans le ventre de l'un d'entre eux. »

Ils montèrent deux escaliers aux marches usées et aboutirent dans une cour. Le bâtiment d'où ils venaient de sortir était une sorte de grande tour qui semblait servir de garnison et de prison. D'énormes corbeaux tournaient lentement autour de son sommet. Le ciel était d'un gris d'orage, sombre et stable, comme si le vent qui soufflait pourtant en rafales ne pouvait faire bouger le plomb fondu qui servait de ciel à l'endroit.

Devant lui, à quelques centaines de mètres s'élevait un bâtiment aux allures de cathédrale à la pierre blanche jaunie. Il avait une ampleur incroyable indiquant sa nature magique. Entre eux et la porte gigantesque du parvis de l'étrange édifice, se tenait un champ de tentes aux allures fétides, occupées par des créatures toutes plus terrifiantes les unes que les autres. Felys tenta de les éviter du regard. La terreur montait lentement en lui plus il avançait. Les immondes créatures s'écartaient sur les pas du général, respectueuses... ou terrifiées. L'environnement sonore du campement était la pire chose que Felys ait perçu dans sa vie. Des grognements provenait de ci de là, des craquements aussi, comme si une créature énorme mastiquait des choses indéfinissables. Il y avait aussi les cris, de douleur pour la plupart et un cliquetis continuel provenant du bâtiment de pierre blanchâtre en face de lui.

Quand il fut un peu plus près de l'énorme édifice magique, Felys comprit qu'il s'était terriblement trompé sur le matériau qui avait servit à sa construction. Il se mordit les lèvres pour ne pas crier. La cathédrale était construite de corps humains entrelacés dans des positions ignobles et terrifiantes. C'était des squelettes jaunis par les vents qui se soutenaient les uns les autres pour maintenir la construction en place.

Il ne sut d'un coup plus quoi faire. Avancer, vers une bâtisse créée à partir de corps humains, rester sur place au risque de finir comme repas de l'un des séides de cette armée de cauchemar, ou courir peut-être sans savoir où il était, pour s'enfuir de cette horreur.

« Tu n'as pas le choix, jeune homme, tu ne sortirais pas vivant du cimetière qui s'étend sur des dizaines de kilomètre autour de la Cathédrale des Ossements. Tu rencontreras le Seigneur que tu le veille ou non, vivant ou mort, ça importe peu. »

Le général ne se retourna même pas, et ne modifia pas son pas. Félys se résigna finalement à avancer.

*
* *



Gabriel regardait les prêtres du bord faire ce qu'ils pouvaient pour Zéphyr et Illian dont le corps était presque totalement pris par la couleur noire profonde de la malédiction des Démons-Ombres. C'était bien peu d'ailleurs. Leurs pouvoirs ne semblaient pas réussir à faire ne serait-ce que reculer les effets néfastes du sang noir. Il se tourna vers le Seigneur d'Opale, comme pour le prier de faire quelque chose.

« Je ne peux pas faire grand-chose pour eux, moi non plus. Les Démons-Ombres appartiennent à un autre plan d'existence où les règles sont différentes. », dit-il sur un ton d'excuse.

Gabriel se laissa tomber dans un fauteuil tentant de garder le peu de foi qui lui restait. En quelques minutes, tout venait de s'écrouler. Felys avait disparu. Zéphyr était mourant et Illian ne respirait que très faiblement. Gabriel glissa ses mains dans ses poches, tentant de se réchauffer. Ses propres blessures le faisaient encore souffrir, mais les taches s'estompaient petit à petit. Les prêtres ne comprenaient d'ailleurs pas vraiment la raison pour laquelle il ne se trouvait pas aux portes de la mort. Le bout de ses doigts effleura un morceau de pierre lisse dans sa poche, le morceau était chaud comme sa propre peau, et palpitait légèrement. Il le prit dans sa main et le sortit de sa poche. C'était un petit rubis de la taille de son pouce, il était profondément rouge et palpitait de couleurs vermillon et orange, comme s'il était vivant. Ses yeux tombèrent sur son bras, là où le sang maudit de la créature l'avait touché. Sa peau avait repris sa couleur normale comme s'il ne s'était rien passé. Il regarda la pierre, puis son bras.

Il se dirigea vers le corps de Zéphyr et l'y posa. Elle sembla instantanément absorber la sombre marque qui glissait maintenant sous la peau de son frère d'âme. Il ne fallut que quelques instants pour que tout ait disparu. La pierre semblait avoir grossi de quelques millimètres, palpitant plus intensément. Zéphyr respirait maintenant librement comme s'il dormait. Lorsque Gabriel se tourna vers le Seigneur d'Opale, il vit un sourire énigmatique sur le visage de Roi-Dieu.

« Dépêche-toi de faire la même chose sur Illian ou il va mourir. », dit-il d'un ton qui sembla déplacé à Gabriel.

Il renouvela l'opération sur le corps du jeune marin. Le miracle se reproduisit bien plus vite que pour Zéphyr, comme si la pierre avait gagné en pouvoir. Une fois qu'il eut récupéré le cristal étrange, il se dirigea vers le Seigneur d'Opale.

« Pourquoi trouvez-vous cela aussi drôle ? », demanda-t-il en référence au sourire goguenard du prince ainsi qu'à l'intonation de sa voix quelques minutes plutôt.
« Sais-tu où tu as trouvé cette pierre ? », rétorqua le Roi-Dieu en réponse à sa question.
« Je me souviens vaguement l'avoir ramassée lors du combat contre le Démon-Ombre. »
« Tu sais te faire des amis, Nordenkein te considère suffisamment fort pour la manier et elle t'indique la solution à un problème qui n'est pas encore survenu. », sourit-il plus clairement.
« Je ne comprends pas... »
« Tu n'aurais certainement pas ramassé le coeur d'un Démon-Ombre si tu avais su de quoi il s'agissait. Ne crois-tu pas ? »

Gabriel réagit instinctivement à ce que venait de dire le Seigneur d'Opale, il lâcha la pierre qui roula sur le sol.

« J'ai visiblement raison. », conclut-t-il, « Le coeur des Démons-Ombre a des pouvoirs curatifs incroyables. Ils sont le composant principal des puissants sorts de résurrection. Ils ont aussi la propriété de garder l'âme des défunts dans leur corps. C'est pour cela que la plupart des Liches utilisent les Démons-Ombres comme serviteurs. »

Après ce petit cours, Tristan d'Opale ramassa le cristal qui commençait à noircir sur le sol. Instantanément, la pierre se remit à palpiter.

« Il faut aussi savoir que sans la présence d'un corps vivant dans les environs très proche, le coeur tombe en poussière en quelques secondes. », il le tendit à Gabriel, « Je te conseille de te le faire monter en pendentif, il pourrait bien te sauver une nouvelle fois la vie, un de ces jours. »

Tristan tourna les talons pendant que Gabriel regardait la pierre avec sur le visage un expression mi intriguée, mi dégoûtée.

« Il va falloir maintenant régler le problème du petit frère disparu... Ainsi que de l'origine de l'attaque... Remarque, je crois que je sais quelle en était la finalité... et qui est le coupable. »

*
* *



Felys avait été soigné par de très belles femmes. Nettoyé et préparé, comme l'on prépare un roi. Enfin, supposait-il. Il avait trouvé toutefois que les domestiques avait de drôles de façon de le laver, et qu'elles étaient aussi toujours très proches de lui. Lorsque le Seigneur Nas entra, il était sur le point de mourir d'embarras tellement elles étaient proches. Le Seigneur les regarda d'un sale oeil et elles reculèrent. Elles lui sourirent d'une façon qui aurait certainement fait tomber tout homme sous leurs charmes. Nas ne bougea pas, impassible.

« Ridicules déchets de démon, » prononça-t-il d'un ton de dégout « Vos minauderies ne fonctionnent pas sur moi, Succubes. Quand au garçon, il est trop jeune pour que cela l'affecte outre mesure. Priez donc vos princes que le Maître n'apprenne pas votre tentative. Vous pourriez retourner aux Abysses plus vite que prévu. »

Elles reculèrent en feulant comme des chats, leurs beautés envolées comme des masques, laissant place à des crocs et des griffes d'une lugubre augure.

« Suis-moi maintenant, le Maître s'impatiente. »

L'embarras passé, Felys se rappela sur quoi il était en train de marcher. Il frissonna, le corps gelé par la terreur. Il avança d'un pas automatique réprimant un frisson à chaque fois qu'il sentait le sol bouger anormalement.

Après quelques minutes de marche, ils se retrouvèrent devant une porte immense, à deux battants de près de quatre mètres de haut. Contrairement au reste du bâtiment, elle semblait faite de pierre, mais les corps qui bougeaient sur son encadrement semblaient souffrir d'une torture incroyable, bougeant avec une lenteur atroce dans une recherche d'un moment de répit qu'ils ne pouvaient trouver. Les battants étaient couverts de runes dont la puissance vibrait dans l'antichambre, devenant rapidement insoutenable. Ce n'était pas de la douleur mais plutôt une pulsation arythmique très déagréable.

La porte s'ouvrit d'elle-même. Et il sembla à Felys que c'était elle qui prononça les mots qui résonnèrent dans la salle du trône.

« Le Seigneur Nas désire une audience, Mon Maître. Il vous amène le fruit de sa mission. »

La voix basse et lugubre résonna un instant dans l'immense salle du trône. Felys pensait qu'on l'avait préparé à faire face à une cour semblable à celle du Seigneur d'Olog, plus grande même. Mais la salle était vide, il voyait à peine le petit groupe de personnes qui se tenait auprès du trône à l'autre bout de celle-ci. Dans l'antichambre, il y avait plusieurs miroirs, il jeta un petit coup d'oeil à sa tenue. C'est assez étrange, il portait un pantalon de soie noire sur lequel était brodé de petits dragons d'argent stylisé, son pourpoint était très léger dans une matière qui ressemblait à de l'Ordaïne, un tissu végétal créé par les Elfes des forêts d'Alluviel pour sa résistance et son contact délicat. Il portait des bottes courtes confectionnées dans un cuir qu'il ne put identifier et un bandeau de satin, noir lui aussi, attachait ses cheveux en un catogan. Il eut du mal à concevoir qu'une tenue pouvait changer une personne de cette manière. Il put aussi voir qu'il n'avait pas totalement récupéré, son visage était très pâle, et ses yeux étaient cernés.

« Tu vas avancer un pas derrière moi, sans changer d'allure et sans regarder le trône directement. », murmura le Seigneur Nas, « Tu ne parleras que si le Maître te le demande directement. C'est clair ? »

Il fit « Oui » de la tête et recula d'un pas.

Le seigneur passa le pas de la porte d'un pas lent et avança selon un protocole bien défini, ni trop lentement, si trop rapidement. Felys ne put que se concentrer pour faire ce que lui avait dit le Seigneur au moment de passer la porte. Le temps qu'il leur fallut pour traverser la pièce lui parut une torture tellement cela lui sembla long. Lorsque Nas s'arrêta, Felys fut surpris et dut reculer d'un pas.

Un rire sec, semblable au bruit que produiraient des brindilles que l'on casse provint du trône.

« Visiblement, notre invité n'est pas coutumier des principes de la cours des Anciens, Seigneur Nas. », caqueta une voix terrible aux accents de mort en provenance du trône.
« Non, mon seigneur, je crains aussi que le séjour qu'il a fait dans nos geôles ne l'ait quelque peu marqué. », commença le seigneur sur un ton d'excuse.
« Nous ne nous souvenons pas avoir donné l'ordre de le mettre aux arrêts... », la voix se fit menaçante.
« Certains Démons-Ombres prennent parfois des libertés avec vos ordres, mon Seigneur. »
« Ces créatures sont aussi versatiles qu'elles sont stupides. », prononça la voix d'un ton indéfinissable.

Felys vit que le seigneur semblait toutefois soulagé, c'est certainement un moyen de dire que le Maître ne considérait plus Nas responsable de ce qu'il venait de lui arriver.

« Approchez vous de Nous, jeune homme », prononça la voix.
Felys monta les marches d'un pas lent, tremblant presque à chaque nouveau pas. Il garda la tête basse regardant les marches plutôt que les personnes qui se trouvaient autour du trône. Lorsqu'il fut au pied du maître, il s'arrêta, ne sachant plus quoi faire.

« Hum, Rebel ou Perdu ? », questionna le Maître.

Un doigt sec comme du bois mort se posa sur le menton de Felys qui réprima l'envie de se reculer violemment tant la peau était froide. Il dut relever la tête sous l'impulsion du Maître. Il fit face à une créature flétrie qui paraissait avoir mille ans peut être plus. Sa peau blanchâtre était tellement collée sur ses os qu'il n'était pas permis de douter de sa qualité. C'était une Liche, certainement même une Archi-Liche des plus puissantes. Le Maître portait une couronne aux pierres bouillonnantes de pouvoir. Un sceptre lui aussi magique, d'or et de mythril, trônait dans sa main gauche. Ses habits de satin, de fourrure et de soie, lui donnaient un côté solennel incroyablement choquant par rapport son apparence.

« Perdu. Je crois que je n'aurai pas à casser ta volonté. »

Les yeux morts le regardèrent encore un moment puis de la main il fit signe à Nas qu'il pouvait disposer.

« Tu te demandes certainement la raison de ta présence ici... », commença la créature sur son trône, « Et bien, tu vas me servir dans mes desseins de conquête. Et tu comprendras bientôt de quelle manière. Je dois te dire que je ne pensais pas que tu arriverais à moi en aussi bon état, mais c'est d'autant mieux, ta valeur n'en est qu'augmentée. »

Il fit un signe et quelque chose bougea sur le mur près du trône.
« Prépare l'arrivée de nos hôtes, et arrange toi pour qu'aucune erreur ne soit commise cette fois. »
La créature ombre disparut comme elle était venue.

« Emeraude.», continua le Maître sur le même ton de commandement.
Un garçon, de l'age de Felys apparut à la gauche du Maître. Il avait les cheveux blancs, le visage triste et les vêtements d'un serviteur royal.
« Je veux que tu t'occupes de notre invité et que tu t'arranges pour qu'il ne s'impatiente pas avant l'arrivée de nos convives. »
« Oui, Maître. », dit-il d'une petite voix.

Il fit signe à Felys de le suivre à l'arrière du trône. Derrière l'une des tentures, il y avait une alcôve comportant quatre sièges et de quoi se restaurer. Emeraude lui fit signe de s'asseoir.

« Qu'est-ce qui va se passer ? », finit par demander Felys après avoir pris un peu de la nourriture que lui tendait le page.
« Nous sommes les présents que le Maître va offrir à ses invités en gage de sa bonne foi. Ce seront des alliés pour les guerres à venir d'après ce que j'ai compris. »
« Pourquoi moi ? Pourquoi toi ? », demanda Felys.
« Je n'en sais pas beaucoup plus que toi, je suis ici depuis une lune, c'est très long dans cet endroit de mort. Je crois que nous avons des destins qui sont particuliers et que nos âmes pourraient servir à des magies puissantes. »
« Tu veux dire que nous sommes de simple composants de sorts convoités pour leur rareté ? »
« Je crois que c'est en effet cela. »
« Je ne veux pas mourir pour un sortilège. Je veux retrouver mon frère », dit Felys d'une voix paniquée...

Il finit par craquer complètement, l'endroit le rendait totalement fou, les voix qui provenaient des murs et qui parlaient parfois si près de lui qu'il s'imaginait sentir le souffle des morts sur sa nuque augmentaient maintenant sa terreur. C'en était trop cette fois.
Emeraude se glissa près de lui et le prit dans ses bras.
« Je ne peux pas te dire grand chose pour te réconforter, mais il faut être fort, encore un peu. Nous trouverons peut-être un moyen de nous en sortir. »

Une voix parlait maintenant dans la salle du trône derrière la tenture. Ils se turent pour écouter.
« Je sais que vous nous avez fait venir ici pour une aide militaire. Vous savez que mes services ne sont pas gratuits et il va falloir bien plus que de l'or pour que je me décide à vous octroyer ce que vous me demandez, Morgoroth. »
La voix était celle d'une femme aux accents agressifs et aux intonations claires, elfiques.
« Je sais bien des choses sur vous, Ethanahelle de Troos, je sais par exemple que vous attendez depuis des lustres le moyen d'ouvrir le passage des damnés pour libérer votre soeur du cimetière du désespoir. Si je vous disais que j'en ai les clefs ? »
Il y eut un blanc. Comme si le vieillard avait marqué un point décisif.

Felys regarda le visage d'Emeraude qui semblait avoir perdu toutes couleurs.
« Nous sommes morts. », dit-il simplement.

*
* *



Gabriel se trouvait devant la porte du bureau de Tristan d'Opale. Le Seigneur l'avait fait quérir en début d'après-midi pour une raison importante avait dit le mousse. Il prit une grande inspiration et frappa à la porte.

« Entre », dit le Seigneur d'une voix forte.

La salle était très grande et bien meublée. Le Roi-Dieu se trouvait installé dans un grand fauteuil derrière son bureau en bois précieux. Il avait déserté son armure pour un pourpoint portant les armoiries des 5 comtés de Lorentis. Il fit signe à Gabriel de s'installer dans un des fauteuils qui se trouvaient en face de lui.
« Je sais où se trouve le frère de ton ami. », dit-il sans préambule, « Je dois aussi te dire que ce n'est pas une bonne nouvelle car ce n'est pas l'endroit auquel je pensais. »
Gabriel regarda le Seigneur dans les yeux, attendant la suite.
« Connais-tu la forêt de Troos. », demanda-t-il.
« C'est un forêt immense qui fait front à Horus-la-Trois sur les falaises qui surplombent la ville. Je crois même que la cité a été construite pour éviter que les horreurs qui vivent dans cette forêt ne fassent des ravages dans les 5 Royaumes. »
« C'est bien cela, on l'appelle aussi Troos la Maudite. C'est le repaire des Elfes noirs, séides de la Déesse Loth, mère des Araignées. »
« Que ferait Felys dans un endroit pareil ? Les Démons-Ombres ne sont pas liés aux Elfes noirs en général... Enfin, c'est ce que disait le livre de démonologie que j'ai trouvé dans la bibliothèque. »
« Tu as parfaitement raison, ces créatures sont de farouches opposants aux forces de Loth. C'est bien cela le problème. Le petit Felys est certainement un modeleur comme toi. Et je crois que l'ensemble des compagnons que le Grand Destin t'a choisi le sont tous. »
« Je ne vois pas bien le rapport, Seigneur. » indiqua Gabriel.
« J'ai peur qu'il n'ait été vendu comme esclave à la Reine des Araignées. Et c'est plus ce fait que sa présence sur les terres de Troos qui me pose problème. En effet, récupérer l'enfant ne sera pas très difficile, c'est une bonne amie à moi. Mais elle devra certainement honorer ses engagements auprès du vendeur, qu'elle ait les esclaves ou non. »
« Comme ça, les esclaves ? Felys ne serait pas le seul ? »
« Nécessairement, non. Il existe un étrange labyrinthe dans cette forêt. Un labyrinthe qui s'ouvre sur un chemin mortel qui finit par un porte qui donne sur un demi-monde, le Cimetière du Désespoir. C'est un piège qui est utilisé par les Elfes noirs pour éviter que l'on atteigne trop facilement le coeur de leur domaine, la Citadelle des Toiles. Le problème, c'est que certains Elfes noirs tombent aussi dans le piège lors de leur initiation à l'âge adulte et c'est le cas de la soeur cadette de la Reine des Araignées.
Le seul moyen d'ouvrir les portes du Cimetière et de ne pas rester piégé, c'est de confier cette tâche à deux modeleurs dont l'âme n'est pas liée à une croyance. Généralement les modeleurs ne survivent pas à ce processus et deviennent des âmes en peine. En échange, le Cimetière rejettera l'âme d'un des prisonniers au choix du magicien assez puissant pour avoir lancer le sort d'ouverture. Si Felys est bien un modeleur, alors il y a une autre victime. »
« Quel serait le but du kidnappeur, comment aurait-il su que nous étions des modeleurs et que nous voyagions avec vous ? »
« Les modeleurs sont rares et une créature comme le Maître de la Cathédrale des Ossements est assez puissant pour les détecter. Il devait déjà avoir le premier modeleur et il n'a rien trouvé de mieux que de me porter un coup en récupérant un autre modeleur. D'une pierre deux coups. C'était osé, mais sa stratégie a porté. Il a fait diversion avec ses armées de morts-vivants sur les terres des Nains à l'Est et pendant que je m'efforçais de comprendre sa manoeuvre, il prenait l'avantage. »
« Je ne vous suis pas bien... », conclut finalement Gabriel après une courte pose.
« C'est un peu confus quand on n'a pas toutes les pièces du puzzle. », dit Tristan, « Il faut maintenant limiter les dommages. Je vais contre-attaquer, mais j'ai besoin de ton aide et de celle de ton frère de sang, Zéphyr. Ce sera dangereux, je ne te le cache pas, mais c'est un coup suffisamment puissant pour faire s'effondrer la Cathédrale des Ossements une bonne fois pour toute. »
« Je ne peux pas m'engager pour mon frère, mais je vous écoute. »
« Très bien. », fit le Seigneur en étalant une carte sur le bureau.

Nehwon

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