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Contes Spalliens : Chapitre 52 - Sur les dragons

Le vent soufflait en rafales intermittentes, soulevant de fins cristaux de glace qui formaient de grands panaches autour des rochers et au sommet de crêtes. Les pentes étaient particulièrement raides et toute personne qui aurait voulu tracer un chemin, même une piste de mule, aurait dû se faire accompagner d'une armée d'ouvriers, renoncer à toute ligne droite et prier pour qu'une avalanche n'emporte pas plusieurs années de travail.

Pourtant une petite silhouette s'élevait régulièrement à flanc de paroi, par bonds verticaux d'une dizaine de mètres, s'arrêtant par moment sur un rocher comme pour chercher son chemin.
En se rapprochant, on reconnaît Atzla, emmitouflée dans une épaisse fourrure.

« L'entrée n'est plus très loin, fit la voix immatérielle du dragon, je ne l'ai jamais prise moi-même, mais j'y ai parfois déposé certains visiteurs. L'entrée principale est beaucoup plus haute et la plupart supportait mal le froid. »

Après leur fuite de chez Evisan, le dragon avait insisté pour qu'Atzla et lui aillent récupérer son trésor dans son antre. Elle lui avait fait remarquer qu'elle n'avait pas vraiment besoin d'or, en réponse de quoi le dragon l'avait traitée de matérialiste primaire.
Son trésor n'était qu'en partie monétaire et, si la possession de richesse était réconfortante pour un dragon, car symbole de son pouvoir sur les mortels, il possédait aussi un grand nombre d'objets utiles et pratiques.
A tout prendre, et s'il pouvait encore utiliser son ancien corps, il avait avoué à la jeune fille qu'il aurait préféré tout donner pour pouvoir encore utiliser son antre et son domaine, qu'il plaçait au-dessus de tout.

Maintenant qu'ils avaient presque atteint son but, Atzla le comprenait. Les montagnes s'élevaient haut dans le ciel, imposantes, impériales, séparées par de profondes vallées où proliférait du gibier de toute sorte. La plupart des vallées étaient fermées, uniquement accessibles par de hauts cols toujours pris par les neiges et la glace, et durant les trois dernières journées de progressions, Atzla n'avait remarqué aucun signe de civilisation, humain, elfique, nain ou autre. Elle en avait fait la remarque et le dragon lui avait indiqué les restes d'un avant-poste de géants des glaces.

« Mais ceux-là non plus ne poseront plus de problèmes avant longtemps », avait-il ajouté, avec ce qui, dans son état actuel, passait pour un sourire.

Atzla ne put cependant lui faire avouer combien de colons il avait massacrés au cours des siècles. Elle soupçonnait qu'il n'en avait simplement pas fait le compte. Elle comprenait cependant que tout ce qu'elle avait pu lire sur les dragons, bien que fruit de recherches sérieuses, n'avait qu'une vague ressemblance avec la réalité. Par exemple, elle avait été surprise que le dragon lui demande de s'enfoncer dans les Hautes-Terres. C'était un dragon bleu, un dragon de foudre, et l'on racontait qu'ils habitaient les déserts et les terres arides.

« - Et pourquoi habiterais-je là-bas ?
- Les sages supposent que c'est à cause de la pureté de ciel, qui permet à un dragon bleu adulte en vol de passer presque inaperçu.
- Et comment est le ciel ici ?, répondit le dragon en désignant le bleu limpide qui s'élevait au-dessus d'eux.
- Mais il peut y avoir des nuages.
- Qui se trouvent alors au niveau du sol et bloquent toute vision. De toute façon, pourquoi devrais-je me camoufler ? »

La question était étrange quand elle était posée par une petite mésange, mais Atzla se souvenait bien du formidable monstre qu'elle avait affronté au pont fortifié. Depuis plusieurs siècles, le grand dracosire ne devait avoir rencontré aucune menace sérieuse.

« Pour être franc, j'ai longtemps vécu dans le désert, mais après la mort de ma compagne...
Et bien quoi, pourquoi cette figure étonnée, j'ai vécu plus de dix millénaires, j'ai eu de nombreuses aventures amoureuses, deux compagnes, une douzaine d'enfants.
Les humains pensent donc être les seuls à pouvoir éprouver des sentiments ? Pensent-ils donc que les dragons apparaissent subitement de nulle part pour garder les trésors d'un nécromancien et apporter richesse et gloire à de quelconques "héros" boutonneux perfides et traîtres, "qualités" qui deviennent vertueuses quand appliquées contre un "monstre".
Et bien oui, je peux aussi lire les contes pour enfants.
Enfin bon, après la mort de ma deuxième compagne, je me suis sentis seul, vide. J'étais déjà âgé, même pour un dragon, et j'avais perdu le contact avec tous mes enfants, enfin ceux qui étaient toujours en vie bien sûr. J'étais cependant plus puissant que jamais, et sans proches à défendre, j'ai eu de soudaines pulsions de violence, comme pour tester ma force...
En y repensant, je pense que c'était déjà mon souffle qui commençait à me brûler de l'intérieur. L'utiliser contre mes ennemis me soulageait quelque peu, plus l'attrait de l'adrénaline, toujours puissant chez les dragons.
Cependant, déjà à l'époque, les pitoyables armées humanoïdes ne m'offraient guère d'opposition.
J'eus connaissance, je ne me souviens plus comment, de l'existence d'un grand dracosire blanc, qui possédait ces montagnes. Je pris donc mon envol et je le provoquai en duel, selon les règles en vigueur chez les miens. Il ignora cependant mes paroles et m'attaqua de suite, sans me laisser terminer...
Nous combattîmes longtemps, je dois avouer que je ne me souviens plus de tous les détails, et j'étais de toute façon plongé dans la furie du combat. Mon adversaire était puissant, peut-être plus que je ne l'étais, et il était chez lui, dans son élément, mais ses feintes et sa magie étaient grossières. Il n'avait pas l'habitude de combattre de dragons de puissance semblable à la sienne, et misait uniquement sur sa taille et sa force...
La victoire ne fut pas facile, et j'éprouvai mon corps et mon âme à leurs limites, peut-être même épuisai-je suffisamment mon souffle pour repousser de manière durable le moment où je ne le contrôlerais plus. Ou bien améliorai-je mon emprise sur lui, je ne sais.
Quand enfin je rompis mon adversaire, dans un dernier échange aérien, je ne pus que me poser avec difficulté sur un rocher et regarder son corps rebondir sur les parois en contrebas, le réduisant en morceaux.
Blessé et grandement affaibli, c'est par chance que je trouvai l'antre de mon adversaire. J'y suis resté longtemps, survivant et me remettant sur les réserves de nourriture qui y étaient stockées. Semi-conscient la plupart du temps, je pense que j'ai été d'une manière ou d'une autre charmé par le lieu et mon envie de combat semblait avoir été rassasiée. Quand enfin je fus de nouveau en mesure de faire un voyage conséquent, je me suis donc décidé à transporter mes possessions du désert à la montagne. »

Atzla atteignit enfin la plateforme que lui avait désignée le dragon et elle y trouva l'entrée d'un souterrain, grossièrement taillé.

Dvorak

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