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Contes Spalliens : Chapitre 51 - L'envol

Une semaine passa et le dragon arrivait à jouer une mésange parfaitement crédible. Il avait jadis passé beaucoup de temps à observer les oiseaux sauvages depuis son antre, entre deux siestes, aussi se souvenait-il de beaucoup de mimiques et de comportements réels et arrivait à donner le change.
Bien entendu, Evisan et même Atzla s'étaient montrés très prudents au début (sa cage était renforcée par magie), mais devant l'absence de réaction "intelligente", et après un essai de sondage psychique dont le passage avait été un vrai défi de contrôle de soi, tous avaient fini par conclure que la transformation était complète.

Dans le même temps, quand il était seul, le dragon s'était rendu compte qu'il conservait une grande partie de ses pouvoirs magiques. Ce n'était pas grand-chose, et cela ne lui permettait pas directement de retrouver sa liberté, mais c'était mieux que rien. En particulier, ses sortilèges de tromperie lui étaient encore accessibles et il pouvait toujours influencer les esprits faibles.

Il avait ainsi réussi à se faire apporter, par une des filles de chambre, des insectes frais et autres larves, parce que malgré sa taille, il mettait un point d'honneur à rester un prédateur féroce, toutes proportions gardées.

A part ça, il conservait des sens aiguisés, mais il ne savait pas s'ils étaient normaux ou non pour une mésange. Sa vision était excellente, et il avait une oreille plus fine que les humains qui allaient et venaient dans les étages. Il avait cependant remarqué qu'Atzla avait encore meilleure audition et que seule, dans sa chambre, il lui arrivait d'écouter les discussions des étages inférieurs, principalement par jeu, mais aussi pour suivre l'évolution des affaires que traitait Evisan.
Celui-ci ne disait rien à ce sujet, bien que le dragon le soupçonnait de savoir pour cet espionnage amateur, car le mage savait qu'Atzla avait des capacités physiques largement au-dessus des normes humaines ou elfiques, à la hauteur de ses prouesses intellectuelles.

La situation en elle-même était calme, la mousson était arrivée sur la côte dans le Nord, et l'hiver commençait à poindre dans les plaines aux Sud. Cependant, au soir du septième jour, un visiteur arriva depuis la capitale. C'était un représentant officiel de la monarchie, chargé des affaires de magie, et lui-même un mage très capable.
Il se présenta à Evisan comme venant chercher le rapport de ce dernier sur la forteresse détruite par Doujic et discuter de la nature réel du nain, de ses pouvoirs et du danger qu'il pouvait représenter pour le royaume de Bolidraks.

Pourtant, plus tard dans la soirée, la discussion que menaient le gouverneur militaire et son hôte dans un salon privé dévia rapidement sur l'incident avec le grand dragon bleu, qui avait eu plusieurs témoins et avait fait beaucoup de bruit. L'émissaire savait qu'Evisan n'aurait normalement eu aucune chance contre un tel adversaire et il savait aussi qu'Atzla l'avait accompagné lors de son voyage.
Evisan n'avait jamais caché la présence d'Atzla à ses supérieurs, cependant, comme pour le personnel de sa demeure, il l'avait présentée comme une jeune apprentie normale. Il l'avait d'ailleurs présentée à plusieurs reprises à des visiteurs officiels, y compris le soir même à l'émissaire.
Cependant, vu le tournant que prenait la discussion, il devenait clair que les réelles capacités de la fillette avaient été découvertes. Les prêtres et leurs escortes, qu'Atzla avait croisés dans l'auberge où elle avait aussi rencontré le poseur d'énigmes, étaient arrivés à la capitale sans encombre dès la réouverture des routes, et ils avaient parlé de leur rencontre avec une jeune fille apparemment très douée en magie qui avait été prise comme élève par Evisan.
De cette rumeur, et après la nouvelle de la disparition du dragon, un agent avait remonté la piste d'Atzla jusqu'à Ousivant, la ville où Erin l'avait faite soigner dans un temple. Elle avait ici laissé moins de souvenirs car la ville était en pleine effervescence à cette époque, mais l'agent avait largement mérité son salaire, car il avait fini par retrouver Tod, le magicien, qui lui a alors rapporté l'incident avec le disque flottant.

Même si le ton de la conversation était resté calme, une certaine tension était apparue dans la pièce où se tenaient Evisan et l'émissaire. Comme on pouvait s'y attendre, l'émissaire demanda à Evisan de lui dire ce qu'il savait vraiment sur Atzla et sur ce qui s'était passé avec le dragon.

Evisan n'était pas vraiment enchanté, car il ne connaissait pas vraiment l'émissaire, mais il se résolut cependant à dire la vérité. Il avait confiance dans le gouvernement actuel, qui, l'un dans l'autre, était juste et bien intentionné, en particulier grâce à la surveillance du clergé, qui était lui au dessus de tout soupçon.

Atzla et le dragon avaient suivi la conversation avec le plus grand intérêt. Volontairement ou par chance, le salon n'était pas situé loin de la chambre de la fillette, en tout cas suffisamment près pour les capacités auditives exceptionnelles de ses deux occupants.

« Ils vont me tuer. »
La voix, qui semblait sortir de nulle part, fit sursauter Atzla. Elle se tourna cependant rapidement vers la cage, comprenant qu'elle avait été jouée.
« - De quoi parlez-vous ?
- Ils ne vont pas vous laisser à la garde d'Evisan, ils vont vous envoyer à la capitale, et maintenant qu'ils savent ce que je suis, ils vont me tuer.
- Je pourrais vous garder avec moi, pour vous surveiller. Ils n'espèrent tout de même pas que je vais être d'accord avec tout sans rien dire. Et j'avais de toute façon envie de bouger, pourquoi pas la capitale ?
- Faire venir un grand dragon, dont le souffle est incontrôlable, dans la capitale du royaume, tu crois qu'ils vont accepter ? Ce serait idiot.
- Et peut-être qu'ils ont raison, en fin de compte, vous jouiez à l'oiseau, mais en fait vous restez un dragon. Pourquoi cette comédie, pourquoi ne pas vous tuer ?
- Parce que je veux rester un oiseau, je ne veux pas retrouver mon corps de dragon. Je ne constitue pas une menace.
- Pourquoi ? Je ne comprends pas ?
- Evisan ne t'a pas dit pour le Souffle ? Si tu ne m'avais pas piégé dans ce corps, je me serais désintégré une ou deux heures plus tard, dans une souffrance atroce. Et ce sera le cas si le sortilège est lev? »

Ils se turent car dans le salon, la discussion n'allait plus aussi bien. Par moment, même un humain aurait pu entendre des éclats de voix. Apparemment, Atzla ne devait pas être envoyée à la capitale, mais devait être remise à des étrangers qu'Evisan ne connaissait pas, et ni lui, ni Atzla n'avaient leur mot à dire, ni même droit à des explications, si tant est que l'émissaire savait lui-même le fin mot de l'histoire.
C'était inquiétant car l'émissaire ne semblait pas exclure l'emploi de la force, même en tenant compte de la puissance personnelle d'Atzla et de son maître.

Evisan finit donc par céder, il restait un soldat loyal, et, apparemment, Wrax et Citadelle faisaient partie des soutiens sur lesquels l'émissaire pouvait compter dans le cas où cela ne se passerait pas bien. Que ces deux nations ennemies, qui dominaient la scène internationale, soient d'accord sur quelque chose constituait un argument de poids.

Atzla n'aimait guère Wrax, une nation froide et impérialiste, plus un conglomérat d'intérêts commerciaux qu'autre chose. Et Citadelle, esclavagiste et presque ouvertement maléfique, représentait tout ce qu'elle abhorrait.
Aussi, quand Evisan et l'émissaire montèrent la chercher, ils ne trouvèrent qu'une pièce vide, sans aucun des effets personnels d'Atzla, la fenêtre ouverte sur les vastes étendues montagneuses presque sauvages que l'on devinait à la lueur de la lune.

Evisan nota aussi avec inquiétude que la cage à oiseaux était vide et qu'il manquait un ouvrage sur les capacités réelles des dragons et leur comportement.

Dvorak

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