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Neige Rouge : 7 Découverte

Mars 1985, New York, Bureau du Président de la Chton Corporation.

Weathley Mattheson regardait par la fenêtre de son bureau loin au-dessus de Central Park. Ce qu'il voyait au sol n'avait aucune importance. C'était juste un moyen de poser son regard sur quelque chose de réel pendant que ses réflexions l'amenaient vers des conclusions déplaisantes. Il se retourna finalement et pressa du doigt la touche d'appel haut-parleur de son téléphone. Il n'y eut pas de réponse. Il regarda l'heure sur le cadran.

L'objet indiquait « 5:32 ».

Il fit la moue et prit place dans son fauteuil. Il se connecta au réseau, ce qu'il avait horreur de faire, les ordinateurs ne l'aimaient, en général, pas vraiment et il leur rendait au centuple. Pendant que l'engin cherchait ses données utilisateur biométriques et qu'il lui demandait de patienter, ses yeux se posèrent sur la moquette fraîchement posée sur le sol. Il se promit de ne plus abattre un de ses collaborateurs dans son bureau, il préférait la couleur de la précédente.

Une fois la session sécurisée ouverte, il chercha dans son agenda le nom d'un correspondant et reprit le combiné du téléphone. Il composa prestement le numéro qui avait l'indicatif de Salem, dans le Massachusetts. Il se souvenait parfaitement du bâtiment carré sur deux étages, semblable à une maison, sur Tremont Street, face au Harmony Grove Cemetery, qui faisait office de quartier général dans cette ville chargée d'Histoire. Il y avait été une fois et avait trouvé qu'il aurait certainement fallu passer à autre chose. Mais, à l'époque, il n'était qu'un novice, ça avait changé.

« Chton Corporation, division d'Amérique du Nord, bonjour », dit une voix féminine, « Que puis-je pour vous ? »

Weathley regarda rapidement la fiche pour trouver le nom de l'employée actuellement en service.

« Bonjour, Melinda, Je suis Weathley Mattheson, je souhaiterais parler à John Devray rapidement. Je sais qu'il est tôt, mais serait-il disponible ? », articula-t-il avec le plus de courtoisie possible.

« Monsieur Mattheson ! C'est un honneur ! Je vais voir s'il est arrivé. », dit la standardiste.

Une énervante musique d'attente remplaça la voix de la femme.

Pendant ce temps, son ordinateur émit un petit tintement indiquant l'arrivée d'un nouveau courriel : « Increase your penis » indiquait l'objet, le nom présent au niveau de l'expéditeur était fantaisiste. Un SPAM passant les protections serveurs, c'était plus qu'improbable et pour Mattheson, ça avait une signification particulaire.

Il fit quelques clics pour lancer le programme de décryptage de sécurité. Une nouvelle identification biométrique de son index compléta la séquence. Le téléphone arrêta sa musique d'attente.

« Monsieur Mattheson, je suis désolée, mais Monsieur Devray n'est actuellement pas dans nos locaux, et il n'est pas joignable sur son portable. Je vais me permettre de vous faire patienter un moment si vous n'y voyez pas d'inconvénient. », dit la standardiste, visiblement ennuyée.

« Ne vous inquiétez pas, demandez-lui juste de me recontacter au plus vite à mon bureau de New York. », dit-il en réponse.

« Très bien, Monsieur, Bonne journée. », répondit sa correspondante.

« Vous de même, Mademoiselle. »

Il ouvrit le courriel tout en raccrochant le téléphone.

« Identifiant : A1-826439 Division Informations - Philip D. Mitcham

Courrier sécurisé - Niveau de protection 5 - Cryptage long - Identification correcte.

Monsieur le Président,

Les informations qui vous sont parvenues sont vraies, vous trouverez les preuves dans les fichiers joints aux dossiers sur l'Intranet. Ce qui n'était pas précisé c'est que l'Opus Inquisitum est présent sur place, ainsi qu'une division de la Réduction des Dégâts de l'US Air Force. Ils ont clairement pris l'ampleur du problème, c'est le lieutenant général Astings qui gère en personne l'intervention.

Il semble que le dossier parle de 42 sujets de 10 à 14 ans, ainsi que de plusieurs échantillons de génomes déviants. D'après les dernières informations en provenance de la surveillance aérienne, plusieurs vols non autorisés auraient pris la direction de la Russie en partance de la zone indiquée dans le dossier 18-248368-B. Je poursuis l'investigation, conformément au protocole.

--fin de transmission-- »

Les nouvelles étaient inquiétantes, en particulier si l'Opus et la RD de l'Air Force croisaient leurs données. Il devait faire en sorte au plus vite de retirer l'un des deux groupes de l'équation, si c'était encore possible.
Il lança son navigateur Internet et regarda les cours de la bourse. Les actions de Chton Corporation étaient encore très largement en hausse, pour la huitième séance consécutive. La division Armes et Défenses avaient réussi de gros contrats dernièrement et Chton devenait une valeur sûre. Il soupira, un scandale comme celui des enfants mutants de M. Snow serait une tragédie à l'ampleur du crack de 1929.

Le téléphone sonna.

« Monsieur le Président ? », dit la réceptionniste, « J'ai Monsieur Devray en ligne pour vous. Votre secrétaire n'étant pas là, je me suis permise... »

« Merci Mademoiselle, je vais prendre la communication », répondit Mattheson.

« John, bonjour. », dit-il une fois que le clic indiqua que la ligne avait été basculée, « J'ai bien conscience de l'heure, mais il me faut des informations au plus vite. »

« Je vous comprends Weathley, », dit une voix un peu vieillotte, « Il faut renforcer nos positions. J'étais d'ailleurs en train de faire la visite de notre nouveau complexe de recherche souterrain, c'est la raison de mon indisponibilité. »

« Le projet avance, donc. », demanda Mattheson, « C'est une bonne nouvelle, il ne faut plus éloigner les cobayes aussi loin que dans le cas des expériences de Snow, c'est trop difficile à gérer en cas de crise. »

« Je suis d'accord, Weathley. Le projet est parfaitement dans les temps, encore deux mois pour que nous soyons opérationnel. »

« Parfait. Mais ce n'est pas la raison de mon appel. », répondit Mattheson, « Vous avez toujours vos contacts au consulat de Russie ? »

« Je pense pouvoir vous aider en effet. Même si les derniers changements de gouvernement m'ont privé d'un certain nombre d'appuis. »

« Alors, il me faut un moyen de savoir où sont allés les vols en partance de notre camp de base en Alaska. », dit Mattheson, « S'ils ont pris la direction de la Roumanie, nous sommes dans une situation bien plus grave que nous ne le pensions. D'après ce que je viens d'apprendre, et vous devez avoir le mail vous aussi, les autorités aussi bien religieuses que laïques semblent prendre l'affaire très au sérieux. »

« Vous voulez dire que nous n'avons aucune chance d'avoir un retour sur investissement ? », répondit Devray, « Ce serait très mauvais pour nos affaires... Alors que j'étais en train de me préparer à acheter mon île personnelle pour mes vieux jours... »

« Gardez vos rêves, John. Je pense que nous pourrons en profiter de toute façon. », répliqua Mattheson, « Je pars pour Washington dans la matinée pour nos contrats défense, les informations que je viens de recevoir sont plus que bonnes pour les affaires. »

« Nos contacts sont dans la commission d'attribution ? », demanda Devray.

« Oui, ils n'ont pas encore été remplacés, et une fois que le contrat sera signé, il sera trop tard pour revenir en arrière. », dit Mattheson sur le ton de la plaisanterie, « Votre île ne risque rien. »

« Parfait, je vous fais parvenir les informations que vous m'avez demandées dès que possible. », dit Devray, « Vous savez comment sont les consulats, je vais certainement devoir leur forcer un peu la main. »

« Oui, faites au plus vite. », répondit Mattheson, « C'est vraiment capital. »

Il raccrocha et demanda par l'Intranet la mise en place d'un vol retour pour Salem en lieu et place de son retour à New York dans la soirée.


Mars 1985, base du Docteur Snow dans le Far North, Alaska.

Lorsqu'Asheley avait posée le pied sur le permafrost près des bâtiments, elle avait instantanément senti l'odeur de charognes. Ca ne prévoyait rien de bon pour la suite. Les gardes du lieutenant général avaient facilement retrouvé les surveillants de cette structure, ainsi que les docteurs et aides-soignants assistants bourreau. Ils ne répondraient certainement plus à aucune question. Elle s'en était doutée en sachant que Danté était passé par là avant elle.
Remarquez qu'elle ne les plaignait pas particulièrement pour ce qu'ils venaient de subir. Ce que lui avait appris Astings pendant le vol confortait ses propres informations. Les gosses qui faisaient partie de cette expérience finiraient certainement comme les deux ou trois groupes précédents... A moins qu'Il ne les prenne sous son aile, ce qui ne présageait rien de bon.

Elle fit le tour des aménagements sans trouver plus d'informations, jusqu'au moment où elle se retrouva face à une porte qui refusa obstinément de s'ouvrir. Les spécialistes d'Astings durent s'y reprendre à trois fois pour arriver à la faire céder avec du C4. Frankenstein aurait certainement blêmi devant ce qu'elle vit à l'intérieur de cet antre maléfique. Outre odeur de mort, ce fut le silence lourd des hurlements silencieux des êtres enfermés dans des tubes qui parsemaient la pièce qui la glaça jusqu'aux os. Des choses mutantes, certainement des humains, certainement des enfants d'une dizaine ou d'une douzaine d'années, étaient exposés là dans un simulacre de leur mort terrible. Certains avaient été disséqués. Asheley se demanda si ça avait eut lieu avant ou après leur mort. Ce qui lui fit réprimer un frisson.

Elle s'approcha du bureau, pratique plutôt qu'autre chose, ce qui dépareillait avec les installations où le Docteur Snow s'était installé et qu'elle avait préalablement visitées. Il restait quelques dossiers, même si le plus grand nombre avait été détruit par le feu dans une corbeille à papier en métal. Les spécialistes du groupement scientifique feraient le nécessaire pour récupérer les données qui avaient été détruites. Le feu n'était pas un moyen suffisant pour supprimer ce type d'informations. Elle se demanda si elle finirait par trouver un charnier, comme dans les autres endroits, à moins bien sûr que Snow n'ait pas eu le temps de faire des victimes... Ou qu'il ait simplement réussi à faire ce qu'il cherchait depuis trois ans. Cela serait certainement pire que le reste.

Elle fit le tour des lieux. Plus elle s'enfonçait dans les entrailles de l'endroit, plus les décors était morbides, terrifiants et horribles. Cet homme, le « Docteur » Snow avait prouvé qu'il était surtout un malade.

« Madame ! », hurla un des Marines en se signant, « Venez par ici !... »

Elle s'approcha au pas de course. En quelques secondes, elle entendit des grognements, comme ceux d'un animal. Lorsqu'elle posa les yeux sur le sujet de la crainte mystique du Marine, elle comprit. Il y avait là un jeune garçon dont le visage était totalement déformé, comme par une rage sans borne. Il avait aussi plusieurs blessures sur l'ensemble de son corps nu. Mais, il y avait bien pire. Ses dents sortaient de ses lèvres, blessant celles-ci, les laissant sanglantes. Elles ressemblaient plus à des crocs qu'à des dents humaines. L'iris de ses yeux était jaune et brillant, comme réfléchissant la lumière. Il ne semblait pas comprendre ce qu'il se passait autour de lui, la seule chose qu'il l'empêchait de sauter à la gorge du Marine était la chaîne qui s'enfonçait certainement douloureusement dans la chair de son cou.

Elle le regarda dans les yeux, tentant d'effrayer l'animal qui se trouvait en lui. Sa volonté suffit à le faire trembler. Elle le regarda un moment, tentant de comprendre ce qu'on avait pu lui faire.

« Madame. », dit le Marine, « Je crois qu'ils comptaient le tuer pour le disséquer... »

Il lui indiqua un dossier ouvert sur le bureau un peu plus loin de la pièce. Elle s'y pencha. Les lignes indiquaient la présence dans le sang du gamin d'étranges composants. Elle étudia longuement les indications présentées dans le dossier : modification génomique par rétrovirus, injections multiples de produits permettant d'augmenter la mutation. Il fallait conclure par torture, maltraitance, manque de sommeil et manque de nourriture.

« Donnez-moi un sédatif puissant. », dit-elle.

Le Marine réagit en lui passant un hypodermique avec une seringue visiblement remplie d'un sédatif. Elle tira en visant le flanc du garçon. Il ne mit que quelques minutes pour s'effondrer sur le côté, la respiration apaisée par le somnifère.
Elle se tourna vers le soldat qui restait bouche bée.

« Qu'est-ce qu'il y a ? », demanda-t-elle.

« Il a mis presque dix secondes de trop à tomber... Qu'est-ce qu'ils lui ont fait, madame ? »

« Vous êtes un bleu ? », répliqua-t-elle sur le ton de la constatation.

« C'est ma première mission avec la RD, Madame, en effet. »

« C'est l'une des expériences du Docteur Snow, je ne vous en dirai pas plus tant que votre commandant ne sera pas là. Il y a des choses qu'il ne vaut mieux pas savoir. »

« Je veux bien vous croire, Madame, mais... »

Il hésita.

« Oui, lieutenant ? »

« Il va s'en remettre ? »

« Tout dépend de ce que vous appelez "s'en remettre". »

Nehwon

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