banniere

Retour
Ailleurs...

Ailleurs... : Partie 7 - Unions

Moïse flottait, doucement dans un océan de ténèbres, doux, soyeux même, mais terriblement vide. Au bout de quelques minutes de flottement, il commença à angoisser. L'endroit était non seulement un grand néant mais aussi d'une solitude à mourir. Il commença d'ailleurs à se demander si ce n'était pas le cas, si Aura n'avait pas échoué dans son acte de haute magie, celui qui devait lui sauver la vie, paradoxalement.

La mer de ténèbres laissa brusquement la place à la lumière et Moïse sentit un violent flux d'énergie traverser son... En y réfléchissant, et après cette sensation étrange, il se demanda si c'était son corps qu'il voyait devant lui, et même si les sensations étaient celles de ses sens. L'environnement blanc, presque brûlant, laissa lentement la place à une pièce étrange, aux bords indéfinis et aux dimensions illogiques. Dans cet endroit incongru, il y avait deux sièges en velours rouge. Moïse sentit lentement apparaître la sensation de l'existence du siège, comme si la compréhension visuelle de l'environnement provoquait l'apparition des autres sens. Installé dans l'autre, il y avait un homme qu'il ne connaissait pas. Celui-ci le fixait, sans agression, mais avec perspicacité et attention.

« Excuse-moi. », dit l'homme doucement, « Je ne souhaite pas te mettre mal à l'aise, mais c'est la première fois que je rencontre mon véhicule, et surtout le garçon qui m'héberge. »

« Je ne comprends pas... », dit Moïse, « Vous êtes en moi ? »

« Je crois que c'est bien plus compliqué que cela, mais pour l'instant, je ne vois pas d'explication plus proche de la réalité. », répondit-il, « Je m'appelle Jordan, je suis... enfin, j'étais un Archimage, de l'Université de France. J'ai bien cru mourir lors de la création d'un demi-monde pour sauver l'Université, mais je ne me souviens plus de rien après ce moment. Juste que tu me posais des questions et que je te répondais de mon mieux. »

« Vous voulez dire que les choses si bizarres qui me venaient à l'esprit, c'était vos réponses ? », demanda Moïse.

« Oui, tu ne me donnais que des questions auxquelles il me semblait indispensable de répondre, mais ni la raison, ni le niveau de nécessité. Tu ne savais pas que j'étais là, jusqu'à maintenant, n'est-ce pas ? », répondit Jordan.

« Non, Monsieur. », dit l'enfant, « Mais je savais que les connaissances que j'avais n'étaient pas à moi. »

« Tu apprends vite, tu sais, tu seras certainement un élève très doué. », le complimenta Jordan, « Même si je crains de ne pouvoir sortir de toi aussi facilement que cela. »

Ils se regardèrent. Moïse comprit très vite qu'il n'avait rien à redouter, qu'il avait un allié. Jordan, lui, vit une personne qu'il pourrait certainement guider s'il n'avait aucun moyen de se libérer des entraves qu'on avait placées autour de son âme.

« Ecoute, je te propose un échange mutuellement profitable. Tu me permets de t'aider en échange d'une petite place dans ton corps. », dit Jordan, « Je ne compte pas t'affronter pour prendre le dessus. Après tout, je suis mort. »

Moïse le regarda un instant, sa mémoire semblait si proche qu'il aurait presque pu faire revenir les souvenirs.

« Je crois que je l'étais aussi... », finit-il par dire.

*
**

Friedrich sortit simplement du bureau, l'air détaché. Avec le cri que venait de pousser Warren, personne ne lui poserait de question. Mais il ne comptait pas en rester là. L'erreur de ce crétin lui avait fait perdre des jours entiers de recherche. Il n'avait plus le droit à l'erreur. Même s'il avait fait en sorte que ceux qui s'opposaient à lui soient paralysés pendant un moment, ce ne serait pas éternel. Il ne les sous-estimait pas.

« Warren vient de se faire virer, le Maître n'est pas content. » dit-il.

Les hommes se rassemblèrent autour du nouveau venu. Intérieurement, il sourit, il avait marqué des points avant même de les menacer.

« Le Maître ne souhaite pas que les cobayes soient abattus. Warren a pris des libertés avec les ordres. Il ne nous pardonnera plus aucune erreur. », dit Friedrich, calmement.

« Tu veux dire que tu prends la place de Warren. », demanda un des hommes de main sur un ton de défi.

Friedrich dégaina un Beretta 93R et lui tira une balle dans la jambe, sans s'émouvoir. L'homme s'affala sur le sol, laissant un long silence derrière lui.

« C'est dingue ce que j'aime ce jouet. », dit Friedrich, « Je vais te dire un truc, mon gars, quand le Maître me demande de faire une chose, je l'exécute efficacement dans les meilleurs délais... Et tu sais pourquoi ? Non ? Alors, Warren était encore plus con que je le pensais. »

Il s'approcha si près de l'homme blessé que celui-ci devait certainement sentir son haleine.

« Le Maître n'est pas indulgent. Le Maître est diligent, il n'excuse pas les erreurs, il ne veut que ce que nous devons faire : exécuter les ordres à la lettre, efficacement et dans les meilleurs délais. », murmura-t-il suffisamment fort pour que tous l'entendent, « Dans le cas contraire, on perd une jambe, un doigt, une oreille, ou la vie, suivant l'erreur. Ça fait 20 ans que je suis à son service, ce qui veut dire que je fais les choses bien et vite, comme il les aime. Donc, et pour finir, tu t'exécutes au mieux ou la prochaine finira entre les deux yeux. C'est assez clair ? »

« Très clair, Monsieur. », dit l'homme en serrant les dents de douleur.

« Bien. Le camp 25 a été attaqué avant que les charges placées n'explosent. Je veux savoir qui a fait ça et comment il a fait débarquer les 120 Esos qu'il y avait dans le camp. », dit Friedrich, « Si vous le trouvez, ne l'affrontez pas, je le veux vivant. Le Maître compte sur vous. »

Alors que le groupe se dispersait, il se dirigea vers le blessé que deux hommes tentaient d'aider.

« Laissez-nous. », dit-il.

Personne ne pensa même à le contredire.

« Ecoute, je sais deux choses. La première, tu ne m'affronteras plus jamais, et tu peux m'être utile. », murmura Friedrich, « Fais ce que je te demande et tu seras respecté. »

« Oui, Monsieur », répondit-il.

*
**

Nicolas était resté stupéfait des déclarations qui avaient été faites dans l'Amphithéâtre. La plupart des vieux Esos, dirigeants de l'Université et ses anciens professeurs s'étaient violement opposés à l'ouverture d'un portail pour aider les personnes qui avaient contacté l'Université. Avant même de savoir quoique ce soit sur la situation, ils condamnaient unanimement près de 150 personnes à un sort peu enviable. Nicolas était calme, mais il sentait la colère monter en lui, lentement. Il regarda Stéphane puis Vincent, qui lui fit un petit sourire.

« Laisse-toi aller, », murmura-t-il dans son esprit, « Affirme-toi comme le nouvel Archimage. »

Il regarda le reste du conseil, les Archimages n'avaient pas encore donné leur avis. Mentalement, il fit le vide, quelques secondes, comme s'il prenait une longue inspiration virtuelle.

« Messieurs, j'ai entendu vos remarques et vos récriminations contre cet acte qui nous met potentiellement en danger. », dit-il le plus calmement du monde, comme s'il allait abonder dans leur sens, « Cette décision de votre part est innommable. »

Le ton qu'il avait employé était celui de la discussion, comme s'il venait de dire que c'était la meilleure chose à faire. Il laissa passer quelques secondes, le temps que tous puissent intégrer ce qu'il avait dit. Vincent eut du mal à retenir un sourire, Nicolas avait toujours été un élève très doué.

« Trois ans, cela fait trois ans que nous avons fui notre vraie demeure pour nous réfugier dans cet ersatz. Il est vrai qu'il est beau, notre demi-monde, que c'est très bien réalisé, mais ce n'est pas la Terre et ça ne le sera jamais. Par ailleurs, vous êtes en train de dire que 150 personnes ne comptent pas plus que notre petite sécurité. », commença-t-il, « Certains d'entre vous étaient présents quand Jordan a plaidé contre la guerre contre les Norms. Maintenant, ce n'est plus l'heure de nous demander si nous devons les affronter. Il faut se demander comment nous devons le faire. Vous savez tous que la guerre a débuté, depuis trois ans. Nous nous sommes cachés, ne vous enterrez pas la tête dans le sable maintenant, surtout que ce sable est totalement virtuel. Il se pourrait que ce sable se désintègre un jour aussi vite que nous avons réussi à le créer. »

Alors que les anciens allaient le contrer, Stéphane prit la parole.

« Je sais ce que vous allez dire : vous pensez visiblement que Nicolas n'est qu'un jeune présomptueux sans connaissance et que son avis n'est pas important. Malheureusement, je suis de son avis, pleinement et totalement. », dit-il tout aussi calmement, « Je ne veux pas mettre en danger la vie de ceux qui nous ont demandé de l'aide. Je sais, et Vincent et Nicolas le confirmeront après étude, que ce n'est pas un piège monté par des Norms, et que ces personnes sont des enfants pour la plupart. Je sais aussi que la personne qui a réussi à nous contacter était un nouveau type de mage, je pense qu'il serait plus qu'important pour nous d'étudier la personne qui a été capable de nous trouver. »

« En effet, si elle y est arrivé, alors il doit y avoir d'autres personnes capables de le faire, avec ou sans compétences magiques, et malheureusement cela nous met en grand, très grand danger. », termina Vincent, « Ce qui signifie que je suis complètement d'accord avec mes deux confères Archimages, messieurs. Nous devons agir et les aider. »

Vincent regarda les autres membres du conseil, six voix contre six, il fallait que le conseil débatte encore un peu, mais il savait qu'il finirait par avoir le dessus, ce n'était qu'une question de temps, il espérait que ça ne serait pas trop tard pour sauver les réfugiés.

*
**

« TU AS FAIT QUOI ? », hurla Inujin à destination de la jeune fille en fauteuil roulant.

Il avait guidé tout son petit monde à l'abri dans les montagnes, ça n'avait pas été sans difficultés, plusieurs étaient franchement choqués par ce qu'ils avaient vécu. D'autres étaient si mal en point physiquement qu'ils avaient du mal à marcher. Et la marche vers le camp qu'il partageait avec son petit groupe était longue. Dans l'ensemble, ça s'était bien passé, même si son cavalier était entre la vie et la mort.

« J'ai tenté de contacter Aura, mais je suis tombé sur un autre node pendant la connexion et j'ai adressé le message un peu vite. Je suis désolé, Inu. », répondit la fille, franchement mal, « Je t'assure que je n'ai pas vendu le camp, c'était hors de la sphère terrestre, mais pas à l'intérieur, c'était à l'extérieur. Je suis sûre que c'était des Esos, il y avait des protections magiques comme jamais je n'en avais vues. »

« Comment tu as réussi à les avoir s'ils sont si bien protégés ? », dit Inujin aussi en colère que surpris, « Ca n'aurait tout simplement pas dû passer... »

« Heu... La barrière était active et intelligente... », dit-elle.

« Tu te fous de moi ? », commença-t-il, « Tu inventes une excuse au fur et à mesure en sachant parfaitement que je n'ai aucun moyen de vérifier. »

Elle se prépara à nier quand une grande lumière apparut dans le milieu du camp.

« Et merde... », jura Inujin, « Tu n'as pas été pistée, c'est ça ? »

La jeune fille se dirigea vers la sortie, à la suite d'Inujin.

Trois personnes étaient apparues dans le milieu du camp, provoquant la panique des réfugiés. Le groupe de sécurité et Inujin s'approchèrent s'attendant à des tirs, des hurlements et des coups. Ce ne fut pas le cas. Ils n'étaient que trois : un garçon et deux hommes, l'un très imposant et l'autre plus filiforme.

« Cilia ? », demanda Inujin.

« Les trois plus puissants Esos que j'aie jamais vus. », répondit la jeune fille en fauteuil roulant.

« Qu'est-ce que tu as déterré là, ma belle ? », murmura-t-il.

Elle regardait attentivement les trois personnes, les détaillant.

« Tu les as déjà vus ? », demanda-t-il.

« Le plus jeune est mignon. », dit-elle en traînant la voix.

Elle sourit en voyant le regard d'Inujin se tourner vers le ciel.

« Les deux autres, je les connais, ce sont deux des trois archimages de l'Université de France. », fit-elle.

Nehwon

Précédent - Suivant