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Ailleurs...

Ailleurs... : Partie 8 - Retour et Renaissance

Cilia regardait avec intensité le jeune homme aux cheveux blancs et noirs. Son aura était incroyable, chaotique, puissante, extraterrestre... Lorsque ses yeux croisèrent ceux de l'archimage, elle se sentit étrangement ébranlée. Elle ne vit pas les habituelles notes de compassion, le « pauvre petite » et autres moues de pitié. Il la regarda, lui sourit et se pencha vers son compagnon de droite pour lui dire :

« C'est la jeune fille en fauteuil roulant qui nous a contactés. »

Cette remarque avait été émise sur le ton du fait, pas sur celui du jugement de valeur. Elle en trembla presque de plaisir. Les trois archimages s'approchèrent.

Inujin fixa le premier. Stéphane s'inclina.

« C'est l'archimage Stéphane Graen, Inujin. »

Nicolas afficha un sourire.

« Nous avons reçu votre demande d'assistance. Nous sommes désolés du temps que nous avons mis pour venir, mais nous sommes prêts à vous aider. », dit-il.

« Malheureusement, Messieurs, ce n'était pas vous que nous attendions. », dit Inujin, « Cette petite erreur risque de nous avoir coûté très cher. »

« Mais enfin, Inujin, ce n'est pas des façons d'accueillir des visiteurs. », dit Cilia, « J'ai en effet fait une erreur lorsque j'ai cherché à contacter la cité souterraine, mais... »

« Cilia, tu en dis trop. », cria Inujin, « Ce ne sont pas des amis. »

« Nous ne souhaitons pas être vos adversaires. », dit Stéphane, « Nous sommes réellement venus pour vous aider. Il est vrai que nous n'avons aucun moyen de vous prouver notre bonne foi. Mais nous vous apportons la possibilité de vous réfugier dans l'Université de France, le temps que vos amis puissent faire quelque chose pour vous. »

« Nous pourrions aussi vous considérer comme nos prisonniers, le temps d'y voir plus clair. », contra Inujin.

« Arrête un peu, Inu, le plus jeune d'entre eux détruirait ce campement en claquant des doigts. Qu'est-ce que tu veux réellement faire contre eux ? », murmura Cilia.

« Comme toujours, des informations invérifiables, Cilia », grogna-t-il entre ses dents, « Qu'est-ce qui me dit que tu ne te trompes pas encore une fois. »

Ils se regardèrent un instant, s'affrontant.

« Nous pouvons en effet être... disons... vos invités pour quelque temps? », dit Nicolas, « Histoire que vous puissiez faire ces vérifications. »

« Tu vois, même lui, il est censé. », grogna Inujin.

Il fit demi-tour et se dirigea vers la tente principale.

« Je suis désolée. », murmura Cilia, « Les derniers jours ont été très éprouvants. »

« Nous l'avions compris lorsque nous avons reçu votre demande d'assistance. », répliqua Stéphane, « Mais nous sommes certainement très loin de la réalité. Qu'est-ce que vous pouvez nous dire de la situation ? »

Elle regarda le sol, un instant.

« Tu ne sais pas pour où commencer. », demanda doucement Vincent, « Disons que tu pourrais commencer par il y a trois ans. »

Elle le regarda.

« Vous n'avez réellement plus d'informations depuis le départ de l'Université ? », demanda-t-elle.

« Nous avons quelques bribes grâce aux autres universités qui ont réussi le rituel après nous. », ajouta Stéphane, « Mais c'était assez décousu. »

« Alors... Parmi les Esos, vous êtes certainement les plus chanceux. Après la première explosion, le monde a découvert que partout les Esos avaient tenté de prendre le pouvoir. Ça a réellement fait flamber les esprits. Malheureusement, personne n'a pris de recul. Personne n'a analysé les faits sans bouillir de colère. C'était parfaitement réglé, tellement bien fait. », dit-elle, « Les pions ont pris le pouvoir. Des humains « purs », des Norms endoctrinés qui brûlaient de faire le ménage. Ça a été un massacre. Ceux qui n'ont pas été assassiné se sont retrouvés dans les rues, cachés dans les forêts magiques, ou encore enfouis dans des endroits les plus secrets possibles, par petits groupes. Bizarrement, aucun de ceux-ci n'ont été pourchassés, comme s'ils n'avaient pas d'importance ou comme si ça faisait partie du plan. Et après quelques jours, nous avons compris que c'était en effet le cas. Celui qui mène le jeu avait parfaitement prévu la façon dont il fallait préparer ses pièces. Mais aussi les moyens qu'il fallait pour les maintenir en place... et nous, les Esos, sommes ce moyen. », expliqua-t-elle.

Elle reprit son souffle.

« Il a placé ses pantins aux places cruciales : à la présidence bien sûr, mais aussi au poste de premier ministre et dans la plupart des ministères. Le ministère de la magie est devenu un moyen de répression. Toutes les lois ont été modifiées pour faire de nous des sous-êtres. Et les cris d'une partie de la population ont été bâillonnés à coups de charges policières. Les agents de l'ordre se sont aussi révoltés une fois qu'ils ont compris qu'ils frappaient non pas sur des délinquants ou des terroristes mais sur des personnes désespérées et des enfants. Malheureusement, le maître du jeu avait déjà fait changer les principaux dirigeants militaires par des personnes à sa solde. Et la révolte a été réprimée dans le sang. Inujin était l'un de ces policiers révoltés. »

Elle soupira.

« Pour le reste de la population ésos, c'est devenu un enfer. Visiblement le maître du jeu a pris des cours à bonne école. Ceux qui n'ont pas de marque particulaire, comme moi, doivent porter des symboles sur leurs vêtements, comme aux plus belles heures du nazisme. Ils nous ont parqués comme des animaux, dans des ghettos plus marqués encore que ne l'étaient les zones urbaines d'urgence avant la scission. C'est un moyen de nous contrôler. L'autre élément étrange, c'est que de plus en plus de personnes sont touchées par « le Mal », enfin l'Eveil. Comme si ça faisait partie des buts et des objectifs de tout ceci. »

« Je crois que cette partie est de notre faute. », dit Vincent, « Les actes de haute magie ont eu lieu tout autour de la Terre, ce qui a provoqué la consommation mais aussi l'amalgame de grands champs magiques, avec pour incidence l'augmentation des Eveils. »

« Je ne crois pas que ce soit le cas. », reprit Cilia, « Dans ce que j'ai pu voir, les champs dont vous parlez sont très à l'extérieur du continuum. Ils ne peuvent pas nous affecter. Toujours est-il que plus le temps avance, plus les choses empirent. Il n'y a maintenant plus que deux camps : les Esos et les Norms. Il y a beaucoup de cas où ce furent les familles elles-mêmes qui dénoncèrent leurs enfants, ou leurs parents en cours d'Eveil au lieu de les protéger. C'est mon histoire... Finalement, le gouvernement a annoncé qu'il remettait le pouvoir à un regroupement de dirigeants, le Consortium, créé autour d'un être abject, Frédéric Hayese. Ce fut le cas de la plupart des états anciennement souverains du Monde Libre. Le Consortium commence à faire des expériences sur les Esos pour trouver un « remède » à notre nature. Je pense que vous connaissez suffisamment l'Histoire pour imaginer ce qu'ils ont pu se permettre. Ils ont fabriqué des outils qui reproduisent certains concepts magiques pour permettre aux Norms de « se défendre face au fléau du Mal ». Très logiquement, un certain nombre de croyants un peu fanatiques sont devenu des fous de Dieu, apportant des « ce sont des disciples du Malin » aux explications de maladies ou de mutations qui ont été faites par le nouveau pouvoir, et, à partir de là, la folie a gagné le reste du monde. »

Elle reprit son souffle quelques instants.

« Ce qui nous a poussé à vous contacter, en fait pas tout à fait vous, mais c'est le même principe, c'est qu'Inujin a découvert un camp de la mort près d'ici. », dit-elle, « Vous voyez autour de vous les personnes que nous avons faites sortir de cet endroit. Certains sont mourants. Certains préféreraient l'être. »

Nicolas tourna les yeux vers le camp autour de lui. C'était un lieu de désespoir, la plupart des jeunes gens autour de lui semblaient totalement perdus. Certains étaient en train de prendre conscience de ce qu'ils venaient de vivre et les yeux de la plupart glissaient dans le néant.

« Je suis persuadée », poursuivit-elle finalement, « que personne ne connaît réellement celui qui tire les ficelles. Je crois que c'est aussi l'une de ses plus grandes forces. On ne peut pas détrôner quelqu'un que l'on ne connaît pas. »

« Je comprends. C'est en fait difficile surtout quand on ne connaît pas non plus ses buts. », ajouta Vincent, « Jordan avait raison quand il t'a dit que ce n'était pas Mercurey qui tirait les ficelles. »

« Que pouvons-nous faire pendant que votre ami fait les investigations qui lui paraissent nécessaires ? », demanda Stéphane.

« Il y a plusieurs blessés graves. Nous n'avons pas de médecin. », répondit Cilia

« Ce n'est pas un problème. », répondit-il.

*
**

Moïse n'ouvrit pas les yeux tout de suite. Il prit un moment pour apprécier le contact du tissu sur sa joue. Il lui sembla qu'il était capable de percevoir bien plus de choses qu'avant de s'être endormi. Il aurait aimé sentir le soleil et d'être obligé de garder les yeux fermés pour ne pas être ébloui par la lumière jaune et chaude. Malheureusement, il se souvint qu'il était sous terre et qu'il risquait de vivre une vie avant de revoir le ciel bleu du dehors.

Il finit par se convaincre qu'il devait tenter de détailler la pièce. C'était une chambre, comme celle dans laquelle il s'était éveillé la première fois. Il soupira. Aura avait-elle réussi ? Son crâne ne le faisait plus souffrir, mais ça n'était pas un indice probant.

Il leva sa main droite et la fit entrer dans son champ de vision. Une peau sombre familière, mais des formes trop fluides, trop parfaites, si différentes de sa main habituelle. Ça lui parut étrange. Cette vision-là était plus claire. Ça devait vouloir dire que l'expérience n'était pas un échec.

Il n'avait pas faim, ni soif, pas de douleur ni de quelconque sensation déplaisante. Il percevait le poids des draps sur le reste de son corps. Il lui sembla qu'il était nu, mais n'en était pas sûr. Il les repoussa et se regarda. C'était lui, presque à l'identique, mais très différent aussi. Il lui semblait que les mois de souffrances et de difficultés qu'il venait de passer avaient simplement disparu. C'était bien un corps neuf, presque parfait, très proportionné, gracile, presque trop.

Il se demanda si ses sensations seraient elles aussi différentes de ce qu'il avait vécu jusque là. Il sortit du lit et se dirigea vers l'armoire de petite taille au fond de la pièce. Il y avait à l'intérieur des vêtements à sa taille. Il les passa. Au fur et à mesure qu'il bougeait, ses muscles s'assouplissaient. Il se sentait mieux que jamais. Il comprit rapidement que son nouveau corps répondait à ses demandes avec une précision mécanique. Il lui fallut un temps pour s'adapter à l'incroyable potentiel de ce nouvel habitacle qu'il possédait.

Il avait passé un caleçon et une chemise quand la porte s'ouvrit sur Aura. Elle le regarda et sourit.

« Je pensais qu'il te faudrait un petit moment pour te remettre de cette opération. Ça a dû être extrêmement éprouvant. », dit-elle.

Il se retourna. Elle eut l'air surprise.

« Je ne crois pas que je puisse dire que ça ait été éprouvant. Et ce que vous avez fait est... C'est PARFAIT. », dit-il en appuyant sur le mot.

Elle le regarda embarrassée par sa joie.

« Je crois qu'en effet j'aurais dû prendre plus de temps pour inclure un peu d'imperfection dans le travail que nous avons réalisé. Je suis désolée. », répondit-elle.

« Au contraire, il faudra que je m'y fasse, mais je me suis jamais senti comme ça avant... C'est merveilleux. », dit-il.

Il passa un pantalon et vient s'assoir sur le lit en face d'Aura.

« J'ai une chose importante à vous dire : il y a quelqu'un d'autre en moi. », murmura-t-il, ne sachant trop comment lui dire cela.

« On a fait une erreur ? On a transféré l'âme de quelqu'un d'autre dans ton corps ? », demanda-t-elle un peu vite.

« Non ! Non ! C'est pas ce que je veux dire ! Il y avait quelqu'un d'autre en moi au moment où tu as fait le transfert, et il est toujours là. », la détrompa-t-il rapidement, « Il s'appelle Jordan et il m'a dit qu'il vous connaissait. Son âme habite mon corps à cause d'un acte magique qu'il a fait. C'est moi qui suis revenu avec lui et, lorsqu'il est mort, il est resté attaché à mon âme. C'est la raison pour laquelle je savais tellement de choses sur la magie. Je crois qu'il m'a aussi expliqué que j'avais intégré un certain nombre de ses pensées et de ses souvenirs. Il voudrait que vous l'aidiez à sortir de moi pour que nous puissions vivre à nouveau chacun de notre côté. »

Elle le regarda, c'était plutôt censé et les réponses qu'il lui avait fournies sur la théorie de la magie s'expliquaient plutôt bien s'il avait les connaissances de Jordan. Elle soupira.

« T'a-t-il dit si c'était urgent ? Souffrez-vous de cette cohabitation ? », demanda-t-elle.

Moïse sourit

« Non, nous ne souffrons pas. », dit-il, « Ça peut attendre demain. »

Nehwon

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