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L'examen de la citrouille : Louis

Louis


1.

Il regardait les rues de Paris se couvrir d'une couche blanche de neige, se demandant ce qu'il faisait réellement ici. Il avait passé l'ensemble de sa non-vie à attendre de trouver une personne qui comble le vide qui avait pris l'ensemble de son être. Maintenant qu'il l'avait trouvée, il avait du mal à y croire.

Ils s'étaient installés dans une chambre d'un ancien hôtel au cœur de la ville. La chambre était spacieuse. Le gérant n'avait pas posé la moindre question. C'était tellement facile de berner les vivants, en particulier à cette époque de l'année. Pourtant, il était préoccupé depuis qu'ils avaient quitté New-York. Il avait l'impression d'être suivi. Qui pourrait suivre des fantômes comme eux ? C'était tellement improbable, mais il avait entendu parler de chasseur de fantômes qui n'étaient pas uniquement des rigolos avec une collection de machines sans intérêt, de vrais professionnels possédant des dons comme ceux de voir les incorporels.
Pas maintenant, pas alors qu'il venait de trouver une forme de bonheur qu'il cherchait depuis des siècles, déjà pendant sa vie humaine. Il ne pouvait pas tout perdre maintenant, alors que deux mois plus tôt, il aurait accueilli les chasseurs avec plaisir.

Il soupira, tourna les yeux vers la forme cachée sous les draps du grand lit qui occupait la quasi-totalité de la pièce. Il ne put s'empêcher de sourire. C'était donc ça, avoir une âme sœur ? En tout cas, il aimait sa présence, rien qu'un peu de chaleur en plus de la compagnie. C'était tellement important pour lui, bien plus que tout ce qu'il aurait pu gagner d'autre.

Ses yeux se posèrent de nouveau sur les rues enneigées de la ville lumière. Il l'avait entraînée ici pour que la magie de leur rencontre soit encore plus forte, peut-être qu'ils arriveraient à retrouver un semblant de vie. Finalement, ce n'était pas aussi important que cela mais le moment l'était, lui.

Il entendit des voix dans le couloir et se demanda qui pouvait parler si fort à cette heure de la nuit. Il eut comme un sursaut, un moment de terreur en pensant que ce pouvait être les chasseurs. Il n'osa pas non plus traverser la chambre pour regarder par l'œilleton. Il entendit un bruit métallique qu'il assimila au chargement d'une arme à feu. Quel chasseur de fantôme pouvait penser que ce type d'objet pourrait arrêter des êtres comme eux ? Certainement son oreille le trompait-il ?

Il finit par trouver le courage et se déplaça vers la porte rapidement. Il regarda par l'œilleton, le couloir était calme, ce qui ne lui sembla pas étonnant. Des personnes comme ça ne devaient certainement pas prendre le risque que leur cible les découvre par hasard.

Il tenta de se tordre le cou pour réduire un peu les angles morts, puis il finit par se dire qu'il pourrait aussi simplement ouvrir la porte sans prendre de grand risque. Alors que sa main s'approchait finalement de la poignée, il y eut deux coups brefs sur le battant.

Louis n'aurait jamais cru qu'il lui fut encore possible de ressentir de la surprise, ou de la peur, mais ce fut bien le cas. Il recula d'un pas, et regarda la porte comme si elle l'avait agressé. Quelques secondes interloquées passèrent tranquillement, puis il y eut deux nouveaux coups à la porte, eux aussi très calmes.
Maintenant intrigué, Louis s'approcha doucement du battant et regarda de nouveau par l'oeilleton, sans plus de succès. Il finit par prendre la décision d'ouvrir la porte. Alors que le battant laissait la place au couloir assez peu éclairé, il put y discerner une silhouette.

Derrière la porte, il y avait un vieil homme courbé, la tête basse, le front dégarni, les yeux tombants cachés sous deux énormes sourcils broussailleux blancs comme neige. Il se tenait debout, les pieds serrés, une canne précautionneusement coincée entre ses deux chaussures marron lustrées au point d'en être brillantes. Même s'il était petit de taille, sa stature était incroyable, son charisme époustouflant.

« Mon garçon, toi et ta compagne avez un rendez-vous... urgent. », dit le vieillard.

« Que... », tenta de répondre Louis, mais le vieil homme leva la main pour lui intimer le silence.

« Prenez la rue des Mirages et cherchez la petite église St-Marc, c'est l'endroit de votre destinée. », fit-il sur un ton solennel.

« Qu'est-ce que ça veut dire ? », dit finalement Louis avec un petit sourire, « Vous vous fichez de nous, c'est ça ? »

« En ai-je l'air, jeune homme ? », répliqua le vieillard sans bouger le moindre muscle, « Sachez que je ne plaisante jamais. Vous faites partie des composants obligatoires pour que ce qui doit arriver arrive... Il faut donc que vous fassiez ce que je vous demande. Remarquez que cette balade n'a rien de particulièrement désagréable, vous verrez. Et puis, votre compagne est réveillée, Fantôme. Je vous déconseille de rester dans cette chambre plus de quelques minutes, le temps de prendre un bon départ... Votre instinct n'a pas perdu de son acuité depuis votre mort, vous savez. Ils sont bien là.»

Depuis la chambre, Suzie demanda :

« Louis, qu'y a-t-il ? »

« Rien, mon amour. », répondit-il en tournant la tête.

Quand il revint au vieillard, il avait disparu.

2.

« Je ne pensais pas que le Marais pouvait être aussi romantique par une nuit comme celle-ci. », murmura Suzie.

« C'est certainement la neige qui donne cette impression... », dit-il un peu tendu.

« Qu'est-ce qui se passe, exactement, Louis ? Tu n'as jamais été comme ça avant. », rétorqua Suzie un peu blessée.

« Je pourrais encore te dire "rien", mais ce serait complètement faux, et je ne souhaite pas te mentir. », fit-il après un soupire, « D'abord, j'ai eu l'impression que nous étions suivis depuis notre départ le New-York, comme une continuelle sensation d'oppression. Puis, ce matin, un étrange vieillard m'a indiqué qu'on avait bien de la compagnie et que ce n'était pas pour notre plus grand plaisir. Pour finir, il nous a donné un rendez-vous dans une petite église, St-Marc, dans la rue adjacente à celle-ci. »

« Pourquoi le crois-tu ? », demanda-t-elle, « Surtout que tu viens de me dire qu'il y avait des personnes qui nous suivaient pour nous faire du mal. Je ne comprends pas ta réaction. »

« Ecoute, Suzie... Contre ce type de personnes, je n'ai aucun tour, aucune solution pour nous esquiver. Ils sont une légende parmi les êtres comme nous, ils sont capables de faire des choses qui sont impossibles pour la plupart des humains. Et ils sont capables de nous détruire. » Il fit une pause. « Je ne veux pour rien au monde te perdre, pas maintenant que j'ai réussi à trouver l'amour et que je suis sûr de moi. J'ai acheté ça pour toi... »

Il fouilla dans sa poche et en sortit un écrin.

« J'ai acheté ça pour toi avant toutes ces péripéties, et je crois que c'est le moment de me lancer... », il s'agenouilla et lui tendit l'écrin, « Suzie, l'éternité te fait-elle peur ? Voudrais-tu la vivre avec moi ? »

L'écrin s'ouvrit sur un diamant de bonne taille. Des larmes glissèrent sur les joues de Suzie.

« Bien sûr que l'éternité me fait peur... et oui, je veux la vivre avec toi. », répondit-elle sans réfléchir le moins du monde.

3.

C'était une petite chapelle engoncée entre deux bâtiments plutôt sales, mais attachants. La porte en ogive à deux battants semblait un peu vieillotte, archaïque dans l'environnement cosmopolitain du Marais. Louis la regarda un instant sans trop la voir puis s'approcha, tenant Suzie par le bras.

« Nous y voilà, d'après le vieil homme c'est notre destin. », il poussa la porte, l'entrebâillant légèrement.

Le grondement produit par le battant résonna pendant un moment dans l'espace vide de la nef, comme un blasphème pour le silence qui remplissait l'endroit. La lumière des réverbères ne pénétrait que de façon ténue dans l'espace par des vitraux poussiéreux. Ils entrèrent.

Leurs pas, même fantomatiques, laissaient une trace sonore dans l'environnement comme si le son s'incrustait sous forme de couleurs dans le tableau irréel de l'endroit. La porte finit par gémir une fois de plus pour se refermer, diluant l'instant par le choc qui se produisit lorsque les battants se scellèrent de nouveau.
Louis sentit instinctivement que l'endroit était un peu spécial, même plus qu'un peu en fait. Il lui sembla qu'il n'était pas présent tout en existant dans l'univers irréel de son monde personnel. C'était une sensation étrange, dérangeante, comme s'il venait de donner corps à un rêve ou à un cauchemar.

De l'autre côté de la salle, près de l'autel, l'attendait le vieillard.

« Ne vous inquiétez pas, il n'est pas encore l'heure, c'est la raison de cette sinistre entrée en matière. Bientôt, St-Marc vivra à nouveau. », dit le vieil homme.

« Et les chasseurs ? », demanda Louis.

« Ils restent dans leur monde, en tout cas pour l'instant. », répondit l'être, « C'est étonnant qu'un Fantôme aussi ancien que toi ignore encore les possibilités que lui donne sa non-vie. »

« Mes professeurs n'ont pas été à la hauteur, remarquez, je n'en ai pas eu. », répliqua Louis.

« Ceci explique cela, en effet », sourit le vieillard comme s'il savait que Louis répliquera cela.

« Pourquoi nous avez-vous fait venir ici ?... », demanda Suzie, perplexe.

« Et bien, disons qu'il y a plusieurs raisons. La plus importante c'est qu'il fallait que vous soyez dans un endroit particulier au moment où les portes s'ouvriront finalement. Quoi de mieux qu'une église pour célébrer un mariage, en attendant ? »

Nehwon

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