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L'examen de la citrouille : Ravel

L'examen de la citrouille


1.

« Il faut être fier de ce que l'on est » avait dit son père. Il avait fait une pause et avait finalement ajouté « Même quand on est un esclave ». Cette phrase résonnait dans sa tête depuis plus d'un an maintenant. C'était une honte pour lui, la pire des humiliations. Mais quand il baissait les yeux de son plafond sombre, douillet, d'où il protégeait Sean, la blessure ne lui faisait plus aussi mal. Il avait appris à Sean tout ce qu'il savait du "savoir-être" un monstre, il l'avait initié à l'occulte et avait développé les prédispositions que le garçon semblait avoir pour ce qui était du "faire-peur".

Lorsque Sean avait tué son beau-père, dans un bain de sang digne du pire des Monstres-Massacreurs, sa mère l'avait simplement fait enfermer, mais ce n'était, bien sûr, pas suffisant pour couper les liens qui s'étaient formés entre Ravel et lui. Les médicaments que lui donnaient les médecins, ça, c'était nettement plus problématique. La psy qui le suivait ne le croyait pas quand il disait la vérité, mais Ravel devait trouver un moyen pour le faire sortir de là. C'était lui aussi son seul, son meilleur ami, depuis qu'il avait été rejeté par les siens. Il devait maintenant s'arranger pour que Sean devienne un vrai monstre, mais c'était compliqué. Il n'y avait pas deux mille solutions, il devait trouver une porte pour le monde d'en dessous. Une fois que Sean serait là-bas, ce qu'il avait réussi le transformerait, ce ne serait pas difficile. Ravel n'aurait plus qu'à repasser son examen pour redevenir le meilleur des monstres, après Sean, bien sûr.

Il sourit à cette idée, il se suspendit aux barres métalliques qui tenaient le faux plafond, et se laissa tomber souplement sur le sol près du lit de Sean. Le garçon dormait à poings fermés. Depuis qu'il prenait les médicaments que lui donnait le médecin, il ne le reconnaissait plus. Franchement, il ne reconnaissait plus rien, c'était un zombi, sans l'odeur.

« Sean... Hé, Sean, réveille-toi ! », dit-il en lui tapotant la joue.

Le garçon ouvrit des yeux embrumés, il murmura un truc, incompréhensible et sembla flotter pendant un instant dans cet état. Même l'apparence de Ravel ne lui faisait plus peur.

« Mauvais sang, Sean, qu'est-ce qu'ils ont fait de toi ? », murmura-t-il plus pour lui que pour son compagnon, « Il faut qu'on te sorte d'ici au plus vite, sinon tu vas finir par perdre consistance, comme les fantômes. »

« Tu n'existes pas... Les garçons-monstres n'existent pas... Les fantômes n'existent pas... », murmura Sean, la voix pâteuse, comme une litanie.

« Ben si, mon pote, et le garçon-monstre, il va te sortir de là. L'enfer à côté de c't'endroit, c'est Ibiza... », ajouta-t-il.

Il l'aida à se lever, mais il sembla vite à Ravel que son précieux compagnon n'irait certainement pas bien loin chargé comme il l'était. Il ne tenait pas sur ses jambes. Il était en pyjama.

« Et zut, comment on va s'en sortir ? », fini-t-il par jurer, « Je vais pas te laisser là, à disparaître à petit feu, c'est pas possible. »

Comme les larmes venaient à ses yeux orange, une violente crise d'impuissance le submergea.

« Allons bon, voilà que notre premier de la classe perd son aplomb. », dit une voix féminine dans son dos, « Peut-être qu'il est un peu tard, mais tu peux quand même demander de l'aide. »

La tête d'une jeune fille sortit du sol, sans autre forme de procès. Ravel fit un petit bond en arrière, sur la défensive.

« Et arrête de dire que nous sommes aussi larvesques que ça ! », ajouta-t-elle en pointant son doigt éthéré sur Sean, « Je veux bien avouer que certains d'entre nous sont un peu déconnectés du réel, mais, en même temps, nous, on est morts... pas lui. »

« Hum, t'es qui toi ? Qu'est-ce que tu fiches à te cacher dans mon dos ? », dit-il en regardant la chose qui sortait du sol.

« Mon nom est Anna, je suis morte ici, pendant qu'ils me "soignaient". », dit-elle.

« Ensorcelé ! Et qu'est-ce que tu comptes faire pour nous ? Tu es intangible, c'est bien ça, non ? »

« Les humains disent "enchanté" pas "ensorcelé", et j'ai quelques talents, comme par exemple celui de pouvoir faire léviter les gens... », reprit-elle.

Pour conclure de façon plus convaincante, elle leva lentement les mains et le corps de Sean, mu comme une marionnette, commença à se déplacer seul.

« Ah oui, forcément, ça va être plus simple. », dit Ravel ravi, « Et qu'est-ce que tu veux en échange ? »

« Je sais où tu vas avec lui, je veux passer aussi pour devenir une Ame-en-peine, j'ai toujours rêvé d'être un monstre. », dit-elle.

« De quoi tu te plains ?! T'es un fantôme. », s'écria Ravel.

« Chuuut, on va t'entendre... », fit-elle, « J'suis un fantôme mais ça dure pas éternellement comme état... Je veux devenir un vrai monstre. »

« Bof, si tu veux après tout, je vois pas comment je pourrais m'en sortir tout seul de toute façon. », finit par dire Ravel.

2.

Ils avaient eu bien moins de mal que ne le prévoyait Ravel. Anna avait réussi à faire sortir Sean de l'hôpital, Ravel s'occupant d'ouvrir et de fermer les portes grâce à ces trucs de monstre. Finalement, dans le monde réel, les cours à "faire-peur" qu'il avait eu pouvaient servir à bien des choses. Faire grincer une porte, c'était le b.a.-ba et pour faire grincer une porte, il fallait bien qu'elle soit ouverte, même quand elle n'aurait pas dû. Un frisson dans le dos et une fenêtre qui claque pouvait rationnellement faire l'office d'une bonne diversion. En fait, Ravel dut s'avouer qu'il s'amusait comme jamais, et il était bien meilleur dans ce type de jeu qu'aux travaux pratiques de ses cours de hantise.

Maintenant, il allait falloir trouver une porte, une vraie porte vers le monde d'en dessous.

« Attends. », murmura Anna, « Des portes pour le monde d'en dessous par lesquelles les humains peuvent passer, y'en a pas des tonnes. Il va falloir qu'on se renseigne pour en trouver une. »

« On a pas le temps, on peut tenter de le faire passer par un placard, non ? Ou par le dessous d'un lit ? », demanda Ravel.

« T'as vu son état, comment tu veux qu'il croie à quelque chose d'aussi étrange dans cet état-là ? », rétorqua Anna, « Jamais il croira assez fort pour passer. »

« Tu as p'tet raison, va falloir trouver aut'chose alors. », dit-il en se fourrant le pouce dans la bouche pleine de dents pointues.

« Tu devrais aussi retirer ton déguisement de "Monstre à faire peur", ça va pas être très adapté dans les rues. », ajouta-t-elle, « Et ... heu... tu es ridicule quand tu réfléchis... »

Ça n'empêcha pas Ravel de poursuivre ses pensées.

« Pour le déguisement, c'est parfait, c'est Halloween, on va me prendre pour un monstre qui fait le tour des maisons. Comme si on faisait ça, d'ailleurs. », dit-il finalement, « Pour le renseignement, je ne vois qu'une seule solution, la boutique de M. Harvey. »

« C'est pas un examinateur de monstres ? », demanda Anna, « Un de ceux qui se sont intégrés pour faire passer les examens à Halloween ? »

« Il me semble que si, mais on a pas le choix. On s'en sortira jamais sinon. », répondit-il en soutenant Sean.

« ... dormir... existe pas ... », gémit Sean.

« C'est horrible de le voir comme ça... », dit Ravel, « Heu... triste, j'voulais dire... »

Anna se contenta de le regarder de travers.

3.

Ils se trouvaient tous les trois devant une étrange boutique qui comportait l'écriteau "Harvey - Objets et Livres anciens" dans une coursive sombre d'une rue peu passante. C'était certainement un magasin pour connaisseurs, peu de personnes devaient s'y arrêter par hasard. Ils poussèrent la porte. Elle émit un long grincement plaintif. C'était du grand art, se dit Ravel, il devait tenter d'obtenir ce son-là la prochaine fois qu'il ferait grincer une porte.
A l'intérieur, la pièce poussiéreuse cachait une collection non négligeable de livres et d'objets étranges servant à des choses que l'imagination développait sans réellement pouvoir s'y accrocher. C'était un environnement plus étonnant qu'effrayant, mais tellement proche de la limite que ça pouvait paraître normal. Pour la première fois dans sa courte vie de monstre, Ravel voyait une réalisation presque parfaite d'un monstre virtuose. Après le long grincement, la porte émit une petite sonnerie discrète, en provenance d'un carillon perché au-dessus de l'embrasure. Cela fit sursauter Ravel.

« Allons, ne me dis pas qu'une année a suffit à faire disparaître tes connaissances, jeune Ravel », murmura la voix parfaitement claire d'un vieillard au fond de la pièce, « Il faut toujours surprendre. Les tours habituels ne fonctionnent encore que sur les enfants. Tu en as d'ailleurs un beau spécimen avec toi. Que fais-tu ici avec un fantôme et un jeune humain ? Ce n'est pas comme ça que tu vas réussir à rattraper ta mauvaise note. »

« C'n'est pas ce que je compte faire, M'sieur. », dit Ravel, « Lui, il a mérité de devenir un monstre. J'avais jamais entendu un cri d'horreur comme celui qu'il a fait pousser à sa mère y'a deux Halloween. Et je supporte plus de le voir devenir un zombi jour après jour. »

« Voyons, voyons, je ne crois pas que tu aies reçu le droit d'aider un humain... », dit le vieil homme.

« Je me fiche de savoir si j'ai le droit ou pas. », hurla Ravel, « C'est mon ami et il peut pas rester comme ça ! »

Le vieil homme caqueta un moment. Il fallut quelques secondes à Ravel pour comprendre qu'il riait.

« Voilà un jeune monstre bien étonnant s'il en est... », dit le vieillard, « Très bien... »

Il tendit la main vers une pile de livres, et en saisit un, dans le milieu de celle-ci, qu'il retira si rapidement que les autres ne firent que vaciller un instant. Il l'ouvrit promptement à une page, qui sembla être au hasard à Ravel.

« Il n'existe que peu d'endroits qui permettent d'entrer dans le royaume d'en dessous quand on n'est pas un de ses habitants : il faut une porte des enfers. », dit le vieillard, « Je ne vois pas pourquoi les humains l'appellent comme cela, mais bon. La plus proche se trouve dans le Wyoming et s'appelle la Colline des Ombres. »

Le vieillard faisait semblant de lire une ligne dans son livre, Ravel le vit clairement.

« Vous saviez que je viendrais ? », demanda-t-il

« Et bien, oui, et je savais parfaitement que tu chercherais le meilleur moyen de sauver ton ami. C'est une vertu, tu sais, chez les monstres aussi. Sais-tu pourquoi nous disons aux jeunes monstres de ne pas tenter de faire peur à cet humain-là particulièrement ? », dit-il en pointant Sean de l'un de ses longs doigts crochus.

« Heu... non... pas vraiment... mais il porte une représentation des Sephirots autour du cou. », dit Ravel.

« Et bien, tu as presque toutes les clefs, c'est un Changelin, un être-fée, il est à moitié monstre et à moitié humain. C'est la raison pour laquelle s'en approcher est dangereux pour les monstres comme toi et moi. », dit le vieillard, « Il est comme nous, il est capable de nous voir et de s'approcher de très près de nos pouvoirs, même s'il ne peut pas franchir le voile de notre monde comme nous pouvons le faire avec le sien, mais il est aussi celui qui peut nous imaginer. »

« Mais il n'est pas dangereux... », contra Ravel

« Tu crois ? Et pourquoi es-tu donc lié à lui comme ça, s'il n'est pas dangereux ? », murmura le vieillard avec un sourire, « Je crois que tu ne te rends pas bien compte du fait qu'il t'a asservi. »

« Mon père me l'a dit... », soupira Ravel

« Ce que tu veux faire, c'est amener un prince dans notre monde, grand bien te fasse alors. », dit le vieillard, « Aide ton Fantôme à le transporter jusqu'ici, et tu as une chance d'y arriver. »

Le vieillard déchira la page du vieux livre et il indiqua à l'encre rouge une croix en plein milieu de nulle part.

« Attention, tu n'as que la nuit, après le lever du soleil, ce sera trop tard. »

Nehwon

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