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L'examen de la citrouille : Liam et Rham

Liam et Rham


1.

Liam était un adolescent de treize ans plutôt musclé, même s'il était un peu maigre, grand pour son âge, au visage assez agréable, auraient certainement dit les filles du lycée s'il y avait été. Ses cheveux bruns glissaient simplement sur ses épaules, et malgré le dénuement de l'environnement, il se faisait un point d'honneur à les garder parfaitement propres. Peut-être aussi parce qu'il était totalement inconcevable pour le Colonel de lui permettre de les laisser sans soins, même par - 15 °C.
C'était une vie étrange qu'ils menaient, son jumeau, Rham, et lui, une vie de préparation, de renforcement et de labeur. Quelle importance qu'ils ne soient pas aussi heureux qu'ils auraient pu, ils ne connaissaient rien d'autre. Il n'y avait donc aucun moyen pour eux de comparer. Leur père, celui qu'ils appelaient le "Colonel", était un ancien Marine. Il était dur dans son éducation. C'était la raison de son surnom d'ailleurs. Il n'avait pas changé depuis qu'il était revenu de la Première Guerre du Golfe. Bizarrement, il avait passé de longs moments avec ses fils à leur expliquer ce qu'il avait vécu, et ils le considéraient comme un héros. Certainement qu'il en était un d'ailleurs.

Pourtant, s'il les avait écartés du monde, dans un coin incroyablement sauvage du Wyoming, ce n'était pas parce qu'il avait perdu pied dans les étendues désertiques couvertes d'un nuage noir de pétrole. Il les avait préparés à une autre forme de combat, mais les enfants ne savaient pas réellement ce qu'il avait en tête.

Leur demeure de rondins était perchée sur les flancs d'un contrefort, assez haut pour que les arbres n'y poussent plus. Etrangement, cette zone n'était pas aussi montagneuse que cela, même si les pentes pouvaient parfois être traîtresses. C'était une réminiscence des à-pics des Rocheuses qui s'élevaient à plusieurs dizaines de kilomètres de là.

Dans cet environnement tranquille, les deux frères avaient appris bien des choses, ils savaient tout ce qu'il y avait à savoir sur les sciences de ce monde. Le Colonel avait été un scientifique brillant, avant. Avant quoi d'ailleurs, il ne leur avait jamais parlé de la raison qui l'avait poussée à s'éloigner des cités, et à vivre ici, avec eux. On les aurait certainement pris pour des garçons bien élevés, studieux voire brillants, mais le Colonel ne ménageait pas sa peine pour que ce fût le cas. Bizarrement, en treize ans, ils n'avaient vu qu'une seule personne, le Shérif et gardien de la réserve, qui n'était resté que quelques minutes pour discuter avec le Colonel.

Mais ce jour-là, le 31 octobre de la treizième année de leur vie, alors que la pluie couvrait les bois et la plaine d'un étrange brouillard laineux, un homme arriva à pied sur le chemin de terre qui menait à leur demeure. C'était un personnage étrange portant un grand manteau de cuir noir qui comportait une capuche. Il s'arrêta à la limite de la cour de terre battue, humidifiée par les torrents qui tombaient de l'à-pic. Liam, qui coupait du bois sous l'auvent s'arrêta, la main sur le manche de sa hache, pour regarder le nouveau venu.

« Tu es Liam, n'est-ce pas ? », dit-il d'une voix forte et grave.

L'adolescent répondit positivement de la tête.

« Mais comment le savez-vous ? », dit-il, « Même le Colonel nous confond. »

« Je sais des choses que le Colonel ne peut même pas imaginer. », dit l'homme en noir, « Mais j'ai l'impression qu'il a réussi sa dernière mission avec brio. »

L'homme le toisa de haut en bas, comme pour prendre l'ampleur du travail accompli.

« De ce que tu m'as dit, ton frère te ressemble énormément, c'est parfait. », ajouta-t-il, « Sais-tu où se trouve le Colonel ? »

« Il est à la chasse. », répondit Liam.

« C'est assez peu prudent, ou très présomptueux de ta part, tu ne connais pas mes intentions. », répliqua l'homme brusquement.

Liam serra le manche de sa hache, se maudissant de n'avoir pas réfléchi.

« Mais c'est le problème de l'isolement, tu n'as pas de raison de me craindre, puisque tu n'as jamais craint personne avant. », ajouta-t-il, « Détends-toi, je ne viens pas pour te tuer, bien au contraire. »

Rham sortit la tête de la maison, par la porte de l'avant.

« Liam, tu as bientôt fini ? Je vais avoir besoin de ton aide. », cria-t-il

« Nous avons de la visite. », hurla son frère, espérant qu'il réagirait correctement.

Ce fut le cas, il sortit avec l'un des fusils que leur père utilisait pour chasser.

« Voila un accueil plus proche de celui que j'attendais. », dit l'homme.

« A qui avons-nous l'honneur de parler ? », demanda Rham.

« Je me nomme Fabien, et outre le supérieur du Colonel, je suis votre vrai père. », répondit-il.

2.

Les garçons se regardèrent un moment et se demandèrent ce que voulait dire cet homme. En y réfléchissant, jamais le Colonel n'avait voulu qu'ils l'appellent "père" ou "papa", jamais il ne s'était autorisé un quelconque signe d'affection, comme si celui-ci aurait été déplacé. Cela avait un sens.

« Peut-être pourrions-nous faire connaissance au sec, ne pensez-vous pas ? », ajouta l'homme.

Il releva la tête et repoussa sa capuche pour découvrir son visage. Stupéfait, Liam et Rham le fixèrent un moment. Il n'y avait aucun doute, ils lui ressemblaient indéniablement, presque comme des frères, même si il avait un petit quelque chose de plus terrifiant qu'eux. Il s'approcha du même pas sûr que celui qu'il avait à son arrivée. Ce n'était pas un pas militaire, il était bien trop souple. Sa position non plus n'était pas aussi naturelle que cela, il semblait tendu comme une corde de guitare, prêt à se détendre à chaque instant, comme un diable sortant de sa boîte. Rham releva le fusil, et visa sa poitrine.

« Je ne crois pas que tu sois capable de faire cela, maintenant que tu sais la vérité. », dit homme.

Il se déplaça si rapidement que Rham tomba à la renverse de surprise quand la main de l'homme se posa sur le canon de son arme, inutile à cette distance. Après cette démonstration, il se pencha vers Rham, au sol.

« Et il te manque encore quelques clefs pour pouvoir m'affronter victorieusement, mon fils. », dit l'homme.

Il cassa le fusil, et retira les cartouches des canons, puis il tourna l'arme pour la rendre à son propriétaire.

« Je ne vous veux aucun mal. », dit-il, « Bien au contraire, je souhaite que vous soyez prêts pour le grand moment. »

Presque contraints, Liam et Rham marchèrent devant pour s'installer dans la salle commune de la maison de bois. Ils se laissèrent tomber dans le grand canapé, près de la cheminée d'où provenait une douce chaleur.

« Vous vous demandez certainement pourquoi maintenant, n'est-ce pas ? Pourquoi je ne vous ai jamais contactés ? C'est assez simple en fait, je vous protégeais. Je me suis opposé à des personnes dangereuses et je ne souhaitais pas que vous soyez exposés par ma faute. Mais il y avait une autre raison. Une raison bien plus importante. Il fallait que vous soyez prêts pour cet Halloween, rien de moins. Ce soir, tout va changer et vous êtes les vecteurs de ce changement. »

Il reprit son souffle, laissant Liam et Rham le regarder, incrédule.

« Le Colonel vous a certainement enseigné les bases de ce qui m'amène, vous a-t-il parlé de la loge de Thulé ? », dit-il

« Oui... », répondirent les jumeaux en chœur.

« Alors vous avez déjà une approche de ce que j'ai à vous dire. Cette société secrète allemande croyait fermement à la supériorité de la race aryenne qui était une émanation des premiers habitants d'Hyperborée, une île fantôme au nord de l'Europe. Même si c'était une stupidité, les Hyperboréens ayant les mêmes gènes que les autres hommes, ils avaient raison sur un point. Cette île fantôme, météoritique, existe réellement, ou en tout cas, a existé. Elles sont neuf au total, réparties sur toute la Terre et pas seulement au milieu des mers. Outre l'Hyperborée, il y a Emerald, l'île Pepys, Avalon, Panchaïe, l'île d'Atlas, les piliers mystiques de Babylon et Ys. »

« De quoi parlez-vous, Monsieur ? ... et surtout, ça ne fait que huit, pas neuf. », répliqua Rham en le regardant dans les yeux.

« En effet, Rham, ça fait huit, parce que j'ai omis de préciser que nous nous trouvions sur l'un d'entre eux. », dit l'homme, « Par ailleurs, je parle de Sidh, la terre des illusions. »

Les deux garçons le regardèrent, étonnés, ne sachant trop s'ils devaient simplement rire ou s'ils devaient le croire.

« Incrédules, ça signifie que vous savez de quoi je parle. », dit-il en souriant, « Il a été prouvé par plusieurs ésotéristes plus ou moins fréquentables que des constructions météoritiques avaient, par on ne sait quel biais, la faculté de fabriquer un demi-univers, nourri de l'imaginaire commun de l'humanité. Cette capacité a été longtemps associée à des choses ésotériques ou mystiques qui n'ont rien à voir avec une capacité physique du métal particulier de ces météorites. C'est dans cet espace métaphysique qu'existe une part de notre Histoire, la partie que nous avons refoulée dans nos légendes. », dit-il sur un ton professoral, « Les nazis ont tenté par le biais de plusieurs expériences ignobles de profiter d'un de ces espaces, recréé pour la forme dans un de leurs camps de concentration. Ou ça n'a pas marché ou ça a trop bien marché, mais il en est que le camp a été détruit et que tout le monde, nazis ou non, a été tué. C'est la première fois qu'on a recensé un effet St-Barthélemy. »

Il fit une pause, les regarda un moment.

« Pour finir mon histoire, le Sidh a été visité, lors de la guerre du Golfe, par une section en perdition de l'armée américaine. J'y étais et le Colonel aussi. », murmura l'homme.

Liam et Rham se regardèrent, et ils comprirent.

« C'est pour cela que certains de nos rêves se réalisent ? », demanda doucement Liam.

« C'est une possibilité. », retourna Fabien en le regardant dans les yeux, « C'est envisageable, et j'y crois. »

« Vous nous étudiez, vous et le Colonel, c'est ça ? », explosa Rham.

« Le colonel m'avait informé que tu étais plus impulsif que ton frère, mais je ne croyais quand même pas que tu partais aussi vite. », rit Fabien, « Non, comme je l'ai dit, je vous protège en vous préparant pour ce jour. »

« Pourquoi aujourd'hui ? », demanda Liam.

Ce fut une voix provenant de la porte qui répondit.

« Parce que c'est aujourd'hui que l'ensemble des portes sont ouvertes et que le mysticisme universel offre le moyen aux illusions de ce demi-monde de les passer, ces portes que nous avons ouvertes par inadvertance, par erreur, par curiosité ou par envie. », dit la voix sèche du Colonel, « Major-Général, je suis heureux de vous revoir, si je puis me permettre. »

« Relax, Tobias, je ne suis plus qu'un voyageur sans grade maintenant, j'ai pris ce que j'avais à prendre dans l'armée. Mais je suppose que relax ne sera pas suffisant, alors repos, Colonel. », contra Fabien.

« Halloween est un jour particulier, c'est Samain, la fête celte qui permet de passer vers la saison sombre, et le royaume d'au-delà. C'est maintenant que vont s'éveiller les plus sombres et les plus étranges croyances de l'humanité. », reprit-il, « C'est déjà arrivé une fois à Babylone et une fois dans ce camp de concentration dont j'ai oublié le nom. C'est de ce moment que vous êtes nés, de l'union d'un humain avec une illusion de ce demi-monde. Et c'est pour cette raison que vous êtes très importants. »

« Mais alors, de quoi nous protégez-vous ? », demanda Liam.

« Il vous protège des fous qui ont créé l'effet St-Barthélemy, ils se font appeler la confrérie de l'Automne. », répliqua le Colonel.

« Et que feraient-ils de nous ? »

« Ils utiliseraient votre sang pour contrôler les illusions. Outre le fait que ça vous tuerait, ça provoquerait un autre effet St-Barthélemy, mais maintenant que toutes les portes sont ouvertes, c'est la Terre entière qui en souffrirait. », murmura Fabien.

« Ça, c'est vous qui le dites, », ricana une voix.

Des armes surgirent de toutes les ouvertures disponibles dans la pièce. Le Colonel, Fabien et les jumeaux n'eurent d'autre choix que de lever les mains en guise de reddition.

Nehwon

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