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Ailleurs...

Ailleurs... : Partie 5 - Un pas vers l'abîme...

Alors que Moïse ouvrait les yeux sur un tunnel d'acier et de plastique, il perçut le bruit de plusieurs voix à l'extérieur. Il lui fallut plusieurs minutes pour comprendre que ce tunnel étrange devait certainement être un appareil médical et qu'il était de retour à l'hôpital.

« Je ne comprends pas, Aura, tu te rends compte que ce garçon ne devrait simplement pas être vivant ? », disait une voix féminine.

« Pourtant, il l'est, c'est un fait ! », répliqua l'autre voix, « Je connais ta compétence Zabou et je sais aussi parfaitement que si tu me dis que ce n'est pas normal, ça ne l'est pas. Il faudra que l'on trouve une explication, mais il faut aussi trouver une solution pour que Moïse ne perde pas connaissance aussi régulièrement. »

« Une partie de son cerveau est morte, Aura, c'est un agglomérat magique qui le maintient en vie. Je ne vois aucune solution, je ne comprends déjà pas comment c'est possible. »

Moïse frémit. Son cerveau était donc gravement endommagé et sa vie ne tenait qu'à un fil magique. Il avait toujours eu des difficultés à comprendre la raison de son amnésie, mais maintenant c'était plus clair. Une partie du centre de sa mémoire avait dû subir des effets dégradants qui provoquaient une perte certainement irréversible de ses souvenirs. Il devait donc faire une croix sur ces images de son passé qui ne reviendraient jamais.

« Alors, il faudra trouver une solution innovante, ce garçon ne peut pas continuer à vivre dans ces conditions. Surtout que le reste de son cerveau va certainement se détériorer à cause de l'afflux de Mana qui est nécessaire pour le maintenir en vie. »

« C'est aussi ce que je pense. », dit la voix de Zabou, « Mais je ne vois aucun moyen de réparer son cerveau. »

« Dans ce cas, il n'y a pas trente-six solutions, il va falloir changer son corps dans son ensemble. », répondit Aura.

« Quoi ? », s'interloqua Zabou.

« Metempsychose et Homonculus », reprit Aura, « Je sais que tu ne crois pas que ces théories pourraient fonctionner sur un être humain, mais je ne vois pas d'autre solution, sauf peut-être trouver un donneur consentant d'un corps entier... »

« Personne n'a jamais réussi à faire vivre une de ces duplications de corps synthétique et magique, Aura. Tu te crois mieux préparée que les centaines de chercheurs Frankenstein qui l'ont tenté avant toi ? C'est de la vie de ce garçon que tu parles. »

« En effet, Zabou, c'est bien d'une solution pour qu'il vive encore quelques dizaines d'années dont je suis en train de parler. Si ça se trouve, ce sera un moyen pour le faire vivre éternellement. »

« Le seul hic, Archimage, c'est que tu es en train de te prendre pour Dieu, là. »

« Dieu est un concept idiot. », répondit la voix d'Aura, « Un moyen pour les hommes de cacher leurs implications et leurs responsabilités dans ce qui arrive dans l'Histoire. »

« Comme tu veux. Mais ne va pas risquer le peu de vie qu'il reste à cet enfant, je ne te le pardonnerais pas. »

Le brancard sur lequel Moïse était installé avait bougé et il était maintenant à l'air libre, il tourna la tête légèrement.

« J'ai confiance en vous, Aura. », dit-il, « Et je n'ai visiblement pas le choix si je veux comprendre réellement ce que je suis. N'est-ce pas, docteur ? »

Les deux femmes le regardèrent, se demandant ce qu'il avait entendu.

« Je suis mourant, c'est bien ça ? », demanda-t-il dans l'espoir de les faire sortir de leur mutisme.

« Pas exactement, disons qu'il n'y a aucune raison que tu sois encore en vie. », murmura Zabou, « Ton cerveau et certains de tes organes internes sont si abîmés qu'ils ne devraient plus fonctionner. »

« Nous ne savons pas combien de temps la magie qui te maintient en vie pourra continuer à opérer, tes maux de tête et tes pertes de conscience nous indiquent que la dégénérescence est déjà importante. », poursuivit Aura.

« Sans intervention, j'ai combien de temps devant moi ? », demanda-t-il en tentant de contrôler sa voix, devenue plus aiguë.

« Aucune idée, quelques jours, plusieurs années, quelques heures, je n'ai jamais vu quelqu'un comme toi avant. », répondit Zabou.

« Faites ce que vous pouvez pour moi, Aura... S'il vous plaît. »

Sa voix était maintenant un murmure, mêlé de supplique.

*
* *

Inujin regardait les environs en tentant de percevoir les mouvements dans les zones principales du campement. Rien ne semblait bouger, comme si les miliciens avaient simplement fermé les portes et jeté les clefs. Son sixième sens et son odorat lui disaient très clairement qu'il n'y avait plus rien de vivant à l'extérieur des baraquements, mais il restait dans sa bouche un goût de danger. Il se demanda un instant s'ils allaient simplement les laisser mourir de faim enfermés dans les baraquements hermétiques, ou si cette étrange sensation signifiait autre chose.

Il resta prudent et décida de commencer par faire le tour de la zone. Alors qu'il s'approchait du camp, quelques secondes plus tôt, il avait perçu les ronflements des moteurs des camions de l'armée qui s'éloignaient. Il se demandait encore la raison de cette disparition aussi rapide quand son odorat le fit rejoindre la réalité.

« Semtex », grogna-t-il, « Quelles ordures... »

Il laissa ses règles de précautions de côté, et sauta sur la porte de la première baraque. Alors qu'il allait rencontrer le bois renforcé de métal, sa corpulence changea. Il était maintenant à mi-chemin entre l'homme et le grand tigre. Cet animal magique, à la forte corpulence, s'écrasa contre les renforts de la porte qui ne demanda pas son reste et s'affala lamentablement sur le sol à l'intérieur.

« Sortez ! », hurla-t-il sans prendre le temps de changer de forme, « Vous êtes en danger. »

Voyant qu'aucun des prisonniers ne bougeait, il regarda l'un d'eux dans les yeux.

« Tu vas les aider à sortir d'ici, il faut que vous fassiez vite. Prenez la direction du nord, vers la rivière, il y a une clairière à 20 minutes de marche. Ne perdez pas de temps... Vos vies sont en grand danger. », dit-il, « Compris ? »

Le garçon hocha la tête.

Inujin sortit en courant et reproduisit l'opération sur les six autres portes. Après avoir fracturé la dernière, il découvrit les pains de plastic dissimulés sous les baraques, suffisamment pour faire sauter deux ou trois buildings. Il découvrit aussi un compte-à-rebours indiquant un peu moins de 3 heures. Il trouva cela étrange. Il prit quelques uns des explosifs et les plaça dans son sac. Puis il prit la direction de la colonne de jeunes gens qui couraient vers la clairière. Deux jeunes gens en portaient un troisième, il se souvint du jeune garçon que les miliciens avaient jeté hors du camion. C'était plus évident maintenant, ils n'avaient aucune raison de prendre soins des enfants puisqu'ils allaient les laisser mourir. Non, ils allaient les exécuter. Il prit la forme d'un tigre.

« Grimpe sur mon dos. », dit-il, « Aidez-le vous autres. »

Les deux jeunes gens ne se firent pas prier.

« J'aimerais que vous me suiviez, il va me falloir de l'aide pour gérer ce bazar. », ajouta-il, « Je suis Inujin. »

La jeune fille répondit :

« Gabrielle, vous allez nous aider ? », se présenta-t-elle.

« Je suis venu pour ça. », ajouta le tigre, « Et pour empêcher les Norms de déborder, mais je crois que c'est un peu tard. »

« On dirait que ça vous chagrine... », demanda le garçon, « Désolé, je m'appelle Dominic. »

« Oui, j'espérais me tromper, mais visiblement les livres d'Histoire ne sont pas assez précis sur la Déportation, ou les Humains, Norms ou Esos, sont des crétins. Très franchement après ce que je viens de voir, je penche pour la seconde solution. Et malheureusement, je n'ai d'autre choix que d'être aussi stupide qu'eux. », conclut-il, « Comment s'appelle mon cavalier ? »

« Nous ne le savons pas, », répondit Gabrielle, « Il a passé son temps à perdre conscience et à gémir. Je crains que ses blessures soient plus graves qu'il n'y paraît, nous avons entendu les miliciens le tabasser, c'était immonde... »

Il y avait comme un goût de désespoir dans la voix de la gamine.

« Tu connaissais certains d'entre eux ? », demanda Inujin.

« Pas vraiment, mais c'est mes parents qui m'ont dénoncée. », dit-elle, « Ils savaient parfaitement qu'ils ne m'envoyaient pas uniquement dans un camp de soins ou de rééducation... Ils n'avaient qu'une seule envie, c'était de se débarrasser de moi... »

Elle regarda le sol un moment.

« C'est incroyable... Pourquoi ? Ils ne m'aimaient pas ? »

« Je ne peux pas répondre à cette question. », murmura le tigre, « Mes parents sont mort lors de la Résurgence. Ils étaient Esos, comme moi. »

*
**

Nicolas regardait le globe terrestre qui flottait magiquement au-dessus de son bureau de bois. C'était incroyable, mais il lui sembla que c'était plus que plausible. D'autres mages de grande puissance avaient réussi un autre acte de haute magie, sans Jordan, et sans la fontaine de l'université. Il s'était alors précipité dans le bureau de son ex-mentor pour fouiller dans ses notes, même si c'était une chose qu'il détestait, même maintenant qu'il avait disparu.

Il n'avait pas mis longtemps à trouver le classeur qui contenait les comptes-rendus personnels de Jordan sur les entrevues du conseil. Il savait que ce serait certainement dans ce type de choses qu'il trouverait les informations dont il avait besoin. L'une des pages, portant la date de la dernière entrevue du conseil, indiquait :

« J'ai finalement parlé avec le conseil restreint et ai fait part à Aura et aux autres de mes projets. Je leur ai aussi conseillé de faire la même chose rapidement, en utilisant une fontaine proche de la nôtre, sachant que même avec Stéphane et Vincent, je n'aurai pas le temps suffisant pour mettre au point le rituel qui nous permettra de mettre à l'abri l'ensemble des Esos. Je prie pour qu'Aura réussisse dans le projet qu'elle m'a soumis en retour. La création d'une cité sous-terraine si loin dans le manteau me paraît une idée merveilleuse, mais je ne suis pas certain que ça marchera plus sûrement que le principe du Mandala. »

Il avait donc raison. Les émanations magiques étranges venaient certainement de la cité en question. Il fallait maintenant qu'il arrive à trouver un moyen de réaliser un pont comme ils l'avaient fait avec les autres universités. Il avait hâte de revoir Aura. Et puis, il voulait aussi chasser très vite cet étrange sentiment de devoir.

On frappa brusquement à la porte.

« Oui, entrez. », dit-il doucement, concentré sur les papiers.

La porte s'ouvrit sur Samir.

« Nicolas, les professeurs sont réunis dans l'amphithéâtre, ils veulent que tu les rejoignes au plus vite. Il y a eu un contact, du monde réel. »

« Enfin... », murmura Nicolas en souriant.

Nehwon

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