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Ailleurs...

Ailleurs... : Partie 4 - Sanctuaires et Prison

Alors que les ruelles proches de celles des antiques cités nord-africaines s'étalaient sous leurs pas, Moïse réussit finalement à mettre des mots sur la question qui le titillait depuis leur descente du toit de l'hôpital. Il se tourna vers Aura qu'il trouva les yeux dans le vague, contemplant les architectures étranges. Celles-ci combinaient modernité et chaleur des couleurs sable et ocre des ruelles métisses d'Occident technologique et d'Orient accueillante.

« Cet endroit est si étrange, qu'est-ce qui fait que le mélange des cultures est plus harmonieux qu'il ne l'est à l'extérieur ? », demanda-t-il finalement.

« Je dois dire que je ne sais pas réellement ce qui a fonctionné mieux que nous ne l'attendions. Pour créer cette ville, nous avons créé une poche solide de roche ignifuge refroidie de la couche inférieure du manteau de notre terre. Ceux qui ont créé cette ville ont réalisé un acte de haute magie. La théorie concernant ce type de chose dit que, si plusieurs personnes réalisent en groupe un acte important, c'est leurs âmes qui offrent la puissance nécessaire à l'ouvrage. Nous étions tous plus ou moins de culture différentes, et nous étions amis... », commença-t-elle. Elle s'arrêta à la réaction interloquée de son jeune interlocuteur. « Qu'y a-t-il ? »

« Pourquoi parlez-vous au passé ? », s'expliqua-t-il.

« Hélas, ce type d'acte demande beaucoup de puissance et surtout de Mana, plusieurs de ces amis sont morts lors de la création de la ville... », répondit-elle

« Ils ont dépensés leur énergie vitale à la place du Mana, c'est certainement que le catalyseur n'était pas suffisamment puissant. », dit-il à demi-voix l'air dans le vague

Aura regarda l'enfant, soufflée par ce qu'elle venait d'entendre.

« Qu'est-ce que tu viens de dire ? », demanda-t-elle, plus pour être sûre de son ouïe que par incompréhension.

« Dans ce que je me souviens de ce type d'acte, il faut une ou plusieurs personnes qui ne font office que de catalyseur à l'acte magique, c'est-à-dire qu'ils accumulent de l'énergie pour permettre aux officiants de ne pas avoir à en dépenser. Si vous me dites qu'il y a eu des morts pendant le rituel, c'est certainement que les catalyseurs n'étaient pas assez nombreux, déconcentrés ou simplement pas assez puissants pour la quantité d'énergie demandée. Ce qui a provoqué une conversion d'énergie. Si on simplifie, les officiants ont utilisé leur énergie vitale, nécessaire à leur corps, pour compenser le manque. », répondit Moïse sans cillé. Il ajouta : « Ne me demandez pas d'où je sors ça, je n'en sais rien. »

« Toujours est-il que ... », continua-t-elle en secouant la tête, estomaquée de cette réponse, « ... nous avons fait plus que juxtaposer nos consciences pour réaliser ce que nos coeurs voulaient le plus au monde, et que nous imaginions différemment chacun de notre côté, nous avons combiné nos vouloirs pour obtenir un résultat homogène. C'est ce qu'est cette cité : un résultat parfaitement homogène de la combinaison de nos cultures, expériences, goûts et envies. »

Elle fit une pause, en regardant les minarets qui parsemaient la ville, dévêtus de leur caractère religieux, et flanqués d'arcboutants les reliant aux demeures à trois ou quatre étages en escaliers. C'étaient des tours d'observation privilégiées pour surveiller une population grandissante. Mais c'était aussi un moyen d'harmoniser la structure basse et décorée de la ville avec la rudesse primitive des piliers gigantesques qui s'accrochaient au plafond pour le soutenir.

« Malheureusement, je ne t'avais pas sous la main pour m'informer de cela, Moïse. », dit-elle.

« Excusez-moi. », répondit-il, « Je n'aurais pas dû... Je suis désolé. »

« Ce n'est rien. Autant ne pas reproduire cette faute la prochaine fois que nous aurons besoin d'une magie puissante. », contra-t-elle.

Moïse regarda ses chaussures et se dit qu'il faudrait qu'il apprenne à tenir sa langue. Mais il y avait tellement de choses dans sa tête qu'il ne savait plus réellement lesquelles il devait laissées sortir et lesquelles devaient être enfermées une bonne fois pour toutes. Il devrait aussi apprendre l'à propos. Ce serait certainement le plus compliqué.

« Hé ! Ce n'est rien ! Tu ne dois pas te sentir coupable pour mes échecs. », intervint Aura, « Je sais que tu as dit la vérité. Tu m'as donné la solution pour régler le problème de ce rituel. Il sera nécessaire de le refaire pour agrandir notre habitat, à un moment ou à un autre. Et nous pourrons le faire sans risquer la vie de plusieurs d'entre nous. C'est une bonne nouvelle, même si elle manque un peu de tact. »

Elle lui sourit. Il eut du mal à comprendre sa réaction.

« Tu n'as aucune raison de t'en vouloir. », ajouta-t-elle.

« Vous avez fait un travail formidable, et mes mots étaient mal placés. J'en suis désolé. Je sais aussi que cet ici sera certainement l'endroit le plus confortable pour vivre ce que nous sommes, enfin pour l'instant. », dit-il en forme d'excuse.

Il prit conscience d'une douleur lancinante derrière son crâne, c'était comme cela que ça avait commencé la première fois. Il attrapa le bras d'Aura pour lui signaler, incapable d'ajouter un mot. Elle le regarda stupéfaite, mais comprit vite qu'il y avait un problème. La jambe droite de Moïse tremblait frénétiquement. Il était incapable de la contrôler, il ne put que se laisser tomber lourdement sur le sol. Les spasmes ne firent que s'aggraver, et finalement alors qu'il tentait de garder ses dents serrées, le noir se fit.

*
* *

Le vieil homme entra dans la salle d'un pas lent, suivant un jeune garçon en toge d'apprenti, il sourit en pensant que rien n'avait réellement changé dans l'ordre des choses, en tout cas dans cette université. Il resta un pas derrière l'enfant, laissant le gamin prendre la pleine ampleur de ce qu'il voyait. La pièce était un mémorial, dessiné à sa demande, et réalisé suivant ses attentes, c'était aussi une forme de crypte, qui avait été construite autour des corps de ceux qu'ils avaient pu retrouver.

« Maître, je n'ai normalement pas le droit d'entrer ici. », dit l'enfant sans se retourner.

« Ca n'a plus vraiment d'importance maintenant que nous sommes en paix. », répliqua-t-il.

Cette vérité arracha un morceau de son âme.

« Pourquoi l'aviez-vous interdit, Maître ? », demanda le gamin, « C'est l'endroit qui rappelle que beaucoup d'Esos sont morts dans cette guerre. »

« La raison en est simple, Pépin. », répondit le vieillard, « La mémoire est consciente quand les choses sont passées, avant, les souvenirs qui provoquent la tristesse sont source de haine. »

« Je ne comprends pas... »

« Réfléchis un instant, Pépin. », le houspilla le vieillard, « Si je t'avais amené ici lorsque la guerre faisait rage au dehors, qu'aurais-tu pensé ? »

« Que je devais venger mes amis ? », répondit l'enfant timidement.

« Exact ! Que penses-tu maintenant ? »

« Que cette chose était stupide. », dit finalement l'enfant, comprenant les propos du vieillard, « Qu'ils sont morts pour rien. »

L'homme lui passa la main dans les cheveux contemplant le désastre auquel toute sa vie avait été dédiée. Des larmes glissèrent sur ses joues.

« J'ai perdu des amis, j'ai perdu ma vie, mon amour, et mon mentor. Tout ce à quoi je tenais a disparu dans cette stupidité, et je n'ai eu aucun moyen de l'arrêter même si j'y ai passé ma vie. », dit-il, « Tu vois, Pépin, c'est mon échec. »

L'enfant leva les yeux et se serra contre son mentor. Le vieillard aux cheveux blancs et noirs avait encore une part du feu-mana brillant au fond de ses yeux.

*
* *

Nicolas hurla en rejetant les draps loin de son corps couvert de sueur. Il tenta de reprendre le cours de la réalité. Il se demanda un moment, en regardant le mur blanc en face de lui, si ce rêve étrange était une prémonition ou un simple cauchemar. C'était bien lui, le vieillard, qui comprenait trop tard qu'il avait perdu une vie à tenter d'empêcher les autres de perdre la leur. Son coeur battait follement, mais il ne semblait pas vouloir se calmer. C'était comme si l'interprétation était plus terrifiante que le constat. Comme si le plus cauchemardesque était le réveil et le regard vers la réalité.

Il se leva finalement pour tenter de chasser les images de son esprit. Il se dirigea vers la salle de bain et passa son visage sous l'eau. La personne qui le regardait dans le miroir était étrangement hagarde... un fantôme du futur, peut-être.

Il soupira, tentant de se débarrasser du poids qu'il avait sur les épaules. Il se trouva les traits tirés, finalement, il ne devait pas être prêt pour cela. On frappa à la porte.

« Nicolas ? », dit une voix masculine.

« Entrez », dit-il finalement.

Ce fut Vincent qui passa la porte. Il le regarda un moment et finit par dire :

« Je m'en doutais, j'ai senti ton esprit troublé. »

« Tu ne trouves pas que ça fait un peu trop Starwars pour que ça ait l'air sérieux ? », demanda Nicolas, fatigué.

« Qu'importe à quoi ça ressemble, tu veux parler de ce que tu viens de voir, peu importe que tu me prennes pour un petit lutin vert, je suis là pour t'écouter. »

Nicolas soupira, histoire de se donner la force de parler de ce qu'il venait de voir dans son rêve.

« J'ai rêvé de la fin du conflit. Pour être exact, j'ai vu la salle du Mémorial, construite par moi pour honorer les morts, les centaines de morts qui décéderont pour que nous puissions vivre. J'ai vu vos tombes, celle de Jordan et celles de personnes que je ne connais pas encore. »

« Tu es sur que c'est une prémonition ? », demanda Vincent calmement.

« Je ne suis sûr de rien, mais c'est la première fois qu'un rêve me paraît si réel. », contra Nicolas, « Et il est toujours vivace dans mon esprit. Il ne s'efface pas. »

« Tu ne dois pas en tirer de conclusions hâtives. Je sais que Jordan se laissait parfois porter par ses prémonitions, mais je suis toujours convaincu qu'il avait tord. », dit Vincent, « Je suis persuadé que le futur n'est pas écrit, et que les prémonitions que nous avons tous ne sont qu'une représentation plausible du futur. »

« Tu veux dire que tu crois qu'il nous est possible de les changer, de changer le futur, je veux dire. »

« Je veux m'en convaincre, oui ! », murmura-t-il finalement.

Un silence remplit lourdement la pièce.

« Je vais te laisser, je crois que tu as mieux à faire que de m'écouter disserter sur la réalité du futur. », dit Vincent, « Je vais poursuivre mon chemin vers mon propre lit. »

Nicolas le regarda.

« Merci... »

*
* *

Inujin porta les jumelles à ses yeux. Il scruta un moment le décor forestier qui s'étendait devant lui, cherchant à avoir plus de conscience de l'environnement. Dans la vallée, en plein milieu de nulle part, c'était là qu'ils les emmenaient. Il devait savoir où exactement.

Il regarda la route, le camion de l'armée qui roulait à vive allure jusque-là avait ralenti, il se préparait à prendre un chemin escarpé qui descendait près de la rivière. Là, il y avait un groupe de préfabriqués assez important, certainement une dizaine de baraques, un camp de rééducation, comme ils disaient.
Il regarda le camion s'arrêter et les militaires, certainement des miliciens norms, faire descendre des adolescents, parfois très jeunes, par la force. Il vit même l'un des enfants, qui devait certainement avoir perdu conscience pendant le trajet, être jeté hors du véhicule sans le moindre ménagement.

Il sera les dents, et il se promit de faire payer ça aux miliciens. Il rangea les jumelles et replaça le sac sur son dos. Il serra les dents et laissa le félin qui se trouvait en lui prendre le dessus. Généralement, seuls ses yeux jaunes fendus laissaient apparaître sa vraie nature, mais quand il le laissait prendre le pas, c'était tout son corps qui changeait. D'abord les mains et les pieds, puis son visage, ses jambes et ses bras pour finir par ressembler à un tigre de près de trois mètres. Ce qu'il n'avait jamais compris, c'est que cette magie officiait aussi sur ses vêtements et son équipement, mais il ne s'en plaignait pas.

Il ne devrait mettre que quelques minutes pour atteindre un poste d'observation plus proche du campement. S'il devait tuer quelques miliciens pour garder son approche discrète, ça ne serait que du bonus...

Nehwon

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