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Ailleurs...

Ailleurs... : Partie 3 - Un nouveau départ

Nicolas regardait sans plus d'attention la masse des dossiers qui s'étalait devant lui. Il repensa subitement à la discussion qu'il avait eue dans cette salle avec Vincent, quatre ans auparavant. II n'aurait, à cette époque troublée de sa vie, certainement pas imaginé que, quelques années plus tard, il serait archimage et débordé par les événements.

C'était un sentiment si différent de tout ce qu'il avait ressenti avant : il avait prise sur les choses. Il pouvait prendre des décisions, mais elles avaient de telles conséquences qu'il n'avait pas réellement envie de devoir résoudre les dilemmes qu'elles impliquaient. Quelle importance avait sa vie personnelle maintenant qu'il était l'un des quatre hommes les plus puissant de cette Esopolis ? Il releva les yeux pour tenter de s'éclaircir l'esprit.

Il avait aménagé son bureau dans la bibliothèque réservée aux mages de haut rang ; dans l'ensemble, les livres qui s'y trouvaient n'avaient rien de réellement extraordinaire. Ils avaient plutôt une valeur décorative et historique. Cette décision avait fait grincer quelques dents, mais personne n'avait osé le regarder en face pour lui dire que ce n'était pas une bonne idée. Peut-être était-ce parce que le Feu-Mana brûlait toujours dans ses orbites, moins puissant mais présent. Il s'était refusé à prendre place dans le bureau de Jordan, comme on le lui avait proposé. Il avait les mots de la Dame Poussière à l'esprit. Peut-être son ami était-il encore en vie quelque part et il était hors de question qu'à son retour, Nicolas doive lui expliquer pour quelles raisons il avait pris son bureau. Il comprendrait sûrement la démarche, mais pour Nicolas, c'était comme une trahison.

Alors qu'il contemplait les murs de couverture de cuir vieillies et qu'il respirait un peu de la sagesse du lieu, sous la forme d'une odeur agréable de vieilles feuilles et d'encres archaïques, on frappa doucement à la porte.

« Entrez. », dit-il simplement.

Ça aussi, pour une personne comme lui, c'était étrange. C'était la preuve que rien d'autre que lui ne menait plus sa vie.

Une tête passa par l'interstice laissée par la porte à peine poussée.

« Puis-je... », demanda Anaïs, « si tu es trop occupé, je repasserai plus tard. »

« Non, non, entre... », répondit-il tout au plaisir d'être dérangé par son amie, « Je me demandais combien de temps j'allais devoir chercher un moyen de m'esquiver... »

Son menton indiqua le tas de dossiers sur la table devant lui.

« Tu commences mal... Ce ne sont plus de simples devoirs, maintenant, Nicolas », le réprimanda-t-elle.

Elle le scruta un moment, cherchant dans son allure ce qui avait changé depuis qu'il était devenu Archimage. Il sembla à Nicolas que la recherche ne fut pas concluante puisqu'elle se termina par une moue assez amusante.

« En dehors de tes yeux, je n'ai pas l'impression que tu aies changé... », dit-elle, « Je cherchais à trouver une bonne raison de t'appeler Monsieur l'Archimage. »

Nicolas éclata de rire.

« Tu en veux une bonne ? », demanda-t-il, « Tu seras dans ma classe de théorie de la magie, cette année... »

Elle le regarda dubitative.

« Tu deviens professeur, comme ça ? »

Il soupira. Oui, il devenait Professeur. S'il avait toujours eu les meilleures notes de toutes les classes où il avait été, c'était aussi bien parce qu'il était talentueux, en tout cas, il espérait qu'il y avait un peu de cela, grâce à l'apprentissage qu'il avait reçu de la part de Jordan. Mais la raison majeure était la communion d'esprit provoquée par l'ouverture du Mandala. Il avait purement et simplement partagé avec les trois autres Archimages son esprit, ses souvenirs, ses connaissances et certainement son âme même. Bien sûr, il restait des séquelles, qui n'étaient pas toutes désagréables. Le meilleur exemple étaient les connaissances très précises qu'il avait dans tous les domaines de la magie.

« Je vais avoir du mal à t'appeler Professeur et à te donner du ''vous''. », ajouta-t-elle, « Même si je reconnais qu'il t'arrive parfois d'avoir plus de compétences et de talents que nos professeurs les plus doués. »

Il sourit et lui fit une courbette qui ne cacha pas complètement son rosissement sous le compliment.

« Il va falloir que je m'y mette... », dit-il en pointant le tas de papier sur son bureau, « ... même si ça n'a d'importance que pour les bureaucrates que nous avons nous-mêmes créés... »

Il repassa derrière le bureau et se pencha sur le premier des rapports qu'il avait à lire.

« Je te laisse, mais... », ajouta Anaïs, « je crois qu'il vaudrait mieux que tu penses à demander conseil aux autres Archimages avant de prendre des décisions, en tout cas au début. »

Il releva la tête, prêt à prendre mal cette réflexion. Mais voyant le visage sincèrement soucieux de son amie, il oublia sa fierté qui aurait certainement été mal placée.

« Merci, ne t'inquiète pas trop pour moi, je ne suis jamais réellement seul dans ce type de moment. », dit-il évasivement.

Elle comprit qu'il ne souhaitait pas en dire plus, mais elle avait déjà remarqué de nombreuses fois les étranges blancs dans les réactions de Nicolas, comme s'il s'adressait secrètement à quelqu'un d'autre, hors de la réalité. Elle avait d'ailleurs beaucoup de mal, comme la plupart de ses camarades dans toutes les classes qu'il avait fréquentées, à le suivre quand il partait dans des explications sur la théorie de la magie. Peut-être les cours qu'elle devait suivre avec Nicolas lui donneraient-ils une idée plus précise de ce qui se cachait dans sa tête... et peut-être même dans son coeur.

*
**

Ce qu'avait dit Joshua le jour précédent et qui avait provoqué une si grande réaction dans les émotions de Moïse était encore en-dessous de la réalité. Ils se trouvaient sur le toit de l'hôpital de la cité souterraine, et Moïse avait énormément de mal à comprendre ce qu'il contemplait. La ville devant ses yeux était gigantesque et certainement était-elle purement magique. En tout cas, c'était une incroyable composition de bâtiments complexes et de troglodytes soutenus par des piliers de pierre immenses tenant le plafond en place, comme les protecteurs de la cité merveilleuse des profondeurs : une prison-Eden loin sous la surface.

Comme si elle lisait les pensées de Moïse, Aura se tourna vers lui.

« C'est certainement à la fois la plus belle chose que je n'aie jamais réussi à réaliser mais aussi la pire. », dit-elle comme pour répondre à une question, « C'est la prison nécessaire à notre survie. C'est notre ghetto. C'est ça ou la guerre contre l'humanité. La seule chose, c'est que nous nous opposerions à nous-mêmes, tuerions des frères qui ont autant le droit que nous de vivre. C'est un compromis temporaire, me suis-je promis, mais je ne sais pas si je pourrai voir le jour où nous sortirons de nos retraites. »

Moïse la regarda, il sourit. Il tenta de déchiffrer ses pensées, il n'y parvient pas. Il prit toutefois pour la première fois le temps de la détailler. C'était une très belle femme aux cheveux de feu, ondulés et tressés à l'indienne d'une façon assez peu commune. Cette complexité offrait à sa stature assez imposante la liberté qui la rendait simplement attirante, et charismatique. Il lisait aussi dans ses yeux violets une détermination que son front assez profond laissait transparaître sans le moindre doute. Elle était assez grande aussi, bien plus que la plupart des femmes, mais savait en jouer pour impressionner ses interlocuteurs. Avec Moïse, ça n'avait pas marché bien longtemps, il voyait aussi une tristesse et une solitude qu'il connaissait dans ses traits à peine tirés. C'était une femme de pouvoir, forte et seule.

« C'est étrange que vous me disiez cela. Je suis un enfant vous savez. », répondit-il d'un ton serein, « Qu'est-ce qui vous fait croire que je suis capable de comprendre ce que vous tentez de me faire passer ? »

Elle l'affronta avant de détourner les yeux.

« Ce type de réaction ! Ce n'est pas la première que je la vois de ta part. Tu m'étonnes, jeune Moïse, tu ressembles si étrangement à un vieil ami qui a sauvé une partie de notre race en déplaçant l'Université. Tes regards sont si proches des siens... »

Il oublia la note qui se glissait dans la voix de la femme.

« Vous savez, Aura, je ne me souviens plus de qui je suis. Je suis perdu ici mais vous semblez, comme Joshua, me faire une entière confiance, alors que je n'arrive pas à me faire confiance à moi-même. C'est assez déstabilisant, je dois dire. »

« Il y a deux solutions. », répondit-elle abruptement, « Ou tu es le plus doué des jeunes mages que je connaisse, le plus près de la réalité de l'univers, et cela sans le moindre apprentissage autre que celui de la rue, ou toute cette magie - elle ouvrit les bras - a changé quelque chose en toi pour te faire devenir un petit peu un autre. Dans les deux cas, tu ne corresponds aucunement à ceux que j'ai trouvés en haut avant toi et que j'ai amenés ici. »

Il la regarda en souriant, d'un air taquin.

« Pitié, je ne suis pas le messie. Je n'ai même pas le loisir de me souvenir si je crois en Dieu. », dit-il en pouffant de rire.

Elle le regarda sans réellement comprendre ce qu'elle ressentait en provenance du garçon.

« Bon, allons manger un morceau et je vous présenterai quelques personnes qu'il vous faut absolument connaître pour bien vivre ici. », dit-elle.

Joshua, jusque là complètement absorbé par la ville souterraine, se tourna et sourit.

« J'ai une faim de loup. », dit-il simplement.

Nehwon

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