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Contes Spalliens : Chapitre 48 - Désolation

Evisan descendit de son cheval devant les portes grandes ouvertes de la forteresse orque. De toute façon, sa monture refusait d'avancer plus loin. Si l'approche de la forteresse était facile, un fort sentiment prenait aux tripes dès que l'on s'approchait des murailles. C'était indéfinissable, mais fortement désagréable. Apparemment, aucun des pillards qui rodaient autour n'avait encore eu le courage de pénétrer l'enceinte. Les charognards non plus d'ailleurs.

Plus que tout, c'était l'odeur de sang qui prenait à la gorge, une odeur tout à fait inhabituelle près de deux semaines après l'événement. Elle ne semblait pas être apportée par le vent, mais surimposée au paysage. Comme quelque chose de huileux dans lequel on pénètre à contre-coeur.

En revanche, seule une faible odeur de cadavre en décomposition se dégageait, amenée par le faible vent qui tourbillonnait sur la désormais ruine. Elle était, par contre, beaucoup trop faible pour 2 000 corps. Pourtant, ceux-ci étaient bien là, il pouvait déjà en apercevoir une bonne centaine dans la cour.

Il alla examiner les portes. Lourdes et massives, avec d'importants renforts d'acier, c'était le seul moyen de rentrer et de sortir, de la forteresse, qui était juchée en bordure d'une colline escarpée. Un pont de pierre permettait de passer le fossé sec qui la séparait du reste du plateau.
Cependant, elles n'avaient pas été défoncées, elles étaient grandes ouvertes avant que Doujic arrive. Une forteresse ne rentre pas en alarme quand un voyageur isolé s'approche, surtout quand (1, 2, 3, 4, ...) 20 soldats en gardent l'accès. Plus les archers sur le toit...

« Comment il a pu ? »
Evisan avait proposé à Atzla de rester en arrière, mais la curiosité et la volonté de comprendre prenaient le dessus sur la peur.
« Il a attaqué de plein jour, de front, sans aucune surprise. Rien que les flèches, il n'a pas pu toutes les éviter ! »

Des dizaines, si ce n'est une centaine de flèches avaient frappé la pierre du pont au niveau de la zone d'entrée. Le combat y avait duré plusieurs minutes, d'autres gardes étaient venus prêter main forte aux plantons, les archers avaient eu le temps de l'aligner.

Pourtant, pourtant, les corps se rapprochaient de plus en plus de l'intérieur, jusqu'à y pénétrer. Seules des traces de hache ou d'épée étaient visibles. Des coups violents, terribles, qui traversaient les armures jusqu'à couper les hommes en deux, mais rien d'autre.

« Il ne les a pas toutes évitées ! », répondit le mage.

Une flèche lourde, entièrement en métal, gisait au sol, légèrement tordue. Il y reconnut une des flèches perforantes vendues par Citadelle.

Il y en avait d'autres, plantées dans la pierre, mais celle-là avait visiblement atteint son but. Du sang séché recouvrait sa pointe, et il était facile de s'imaginer qu'on l'avait arrachée en précipitation d'un bras ou d'une épaule.

« Il y en a d'autres par ici qui l'ont touché. »
Atzla, ignorant les corps dans un effort visible, entreprit de toutes les ramasser. Il n'y en avait que 6, 6 sur la centaine tirée, et toutes étaient puissamment enchantées pour percer les armures.
« Adamantium. », murmura Evisan, « Je pensais que c'était des racontars, mais il faut se rendre à l'évidence. »
Il examina la pointe d'acier tordue d'une flèche qui avait ricochée.
« Il possède bel et bien une armure en adamantium massif. Même les alliages drows n'offrent pas une telle protection. »

Laissant les corps du pont, ils se dirigèrent vers l'intérieur de la citadelle. La vision qui s'offrit alors au mage et à son élève était simplement terrifiante.

Mais Evisan se concentra et essaya de se visualiser la scène : Doujic arrive à se débarrasser des gardes du pont, mais il a mis du temps, la garnison est maintenant pleinement active, et il est déjà blessé.
Il passe sous la herse, et là, personne ne lui saute dessus (il n'y a pas de cadavre), par contre un ou des mages l'attaque(nt) avec des sorts de foudre (une traînée caractéristique dans le sable de la cour). Mais cela n'a aucun effet, l'adamantium est imperméable à la magie, et Doujic pare les décharges d'énergie et les dévie dans le mur (impacts importants dans les fortifications, selon un angle très différent des traînées dans le sable).
Un mage un peu plus intelligent lance une boule de feu, qui explose en avant de Doujic. Si l'armure ne craint rien, la vague de chaleur a dû passer à travers les joints de l'armure.

Mais ça ne l'arrête pas, il franchit le porche, les archers recommencent à tirer (des flèches sont plantées dans le sable), des piquiers essaient de le garder à distance (encore des corps éventrés à l'épée).

Là encore, des coups percent son armure. Des soldats d'élite arrivent avec des lances épieux pneumatiques, des armes de siège. Les fantassins se retirent, les épieux partent.
Doujic en arrête un avec sa lame (il gît au sol, pointe brisée) deux autres le ratent et abîment le mur par derrière, le dernier... l'atteint de plein fouet.

L'armure a dû tenir, mais il a été projeté en arrière à cause du choc, et il est tombé (traces sur le sable). Profitant de cette situation, le commandant (ou tout autre officier qui dirigeait la défense) lâche un des as qu'il gardait dans sa main : un lézard minotaure.

Une bête de guerre de plus de 15 mètres de long, rapide, agressive, dont la dangerosité naturelle a été renforcée par un dressage efficace, un bardage en plaques d'acier et un affûtage de ses crocs et de ses griffes. Presque aussi dangereux au corps à corps qu'un dragon.

Mais...

Mais...

Mais à partir de ce moment, le carnage a commencé.

D'un coup, la tête du lézard, y compris ses protections d'acier épaisses de prés de 5 cm, a été déchirée, découpée. Pas proprement, pas à l'épée ou à la hache. Le crâne a été comme broyé, comme si deux mains titanesques avaient pénétré les os entre les deux yeux puis écarté le reste d'un coup sec. Comme si une colonne était tombée sur la tête du lézard avec assez de force pour passer à travers et projeter les deux moitiés à plus d'un mètre de distance.

Mais le pire, c'était que sur le même coup, l'ensemble du corps était comme momifié. Il gisait desséché, immobile, comme si le combat avait eu lieu il y avait plusieurs années, et que depuis le soleil et le vent, semblables à ceux des déserts les plus secs, avaient fait leur oeuvre.

Mais cet effet momifiant était plus net à l'avant du corps, près de l'impact. A l'inverse l'extrémité de la queue semblait "fraîche" et, seule, commençait à pourrir.

Après avoir terrassé le lézard, Doujic avait réattaqué. Mais les traces ne ressemblaient plus à un combat. Les corps, tous momifiés, étaient presque méconnaissables, non seulement coupés en deux, mais dispersés. Un seul corps pouvait être réparti en plusieurs dizaines de fragments sur une vingtaine de mètres.

Plus inquiétant, les pierres, les armures, les matériaux, tant minéraux qu'organiques, étaient altérés de la même manière que les corps. Les armures (ou ce qui en restait) étaient rouillées, la pierre fracturée comme après des siècles d'exposition au gel, les poutres étaient sèches et serrées comme dans un vieux manoir, les tissus tombaient en poussière.

Une personne non prévenue aurait pu croire observer le lieu d'un combat antique, de l'époque héroïque*. Mais personne ne raconterait les faits d'armes de ces soldats aux prises avec un ennemi inhumain.

Tel un démon, Doujic avait parcouru la citadelle, balayant la vie comme Mort** en personne.

Et aucun n'avait cherché à fuir. Ils avaient reculé, s'étaient regroupés, s'étaient barricadés, avaient tendu des barricades, mais aucun ne semblait avoir songé à s'enfuir, tant par la porte que par un autre moyen. Pourtant, le spectacle de ces corps se faisant déchiqueter aurait dû suffire à ce que un ou deux, terrifiés, préfèrent se jeter dans le vide.

Atzla, qui était restée immobile, comme pétrifiée, pendant qu'Evisan reconstituait les faits, s'avança vers une haute silhouette qui restait debout, au milieu de la cour.
Il s'agissait d'un demi-ogre ou d'un orog***, revêtu d'une armure de plate complète d'un style ancien, qui avait dû être ciselée, et armé d'une imposante épée qu'il tenait d'une main, comme prêt à frapper.
Il était cependant aussi immobile que le reste des soldats de la place forte. Son équipement, comme le reste, était rouillé, sa cape tombait en poussière, et l'on devinait derrière la visière de son casque un regard mort, à jamais fixé sur son adversaire.

« Il n'y a plus de magie. »
Evisan se rapprocha d'Atzla. Elle avait l'expression étrange, sans émotion, qu'elle adoptait quand elle était vraiment concentrée sur un problème.
« - Plus une trace, rien. Comment est-ce que c'est possible ? »
- Certains pensent que son épée de sang est une arme vampirique qui aspire la vie de ses adversaires à chaque coup et le soigne. Cela semble être le cas, je ne vois que cette explication. Avec une telle arme, et son armure, le nombre d'adversaires qu'il affronte ne signifie rien ; qu'il en tue un, et il repart en pleine forme. Impossible de l'avoir à l'usure. Une combinaison mortelle ! »

Atzla regarda son maître, pour la première fois depuis qu'elle le connaissait, elle vit qu'il avait peur. Pas une peur physique, instinctive, mais une terreur plus sourde, qui lui était dictée par l'analyse des faits qu'il avait effectué.
« Une arme vampirique draine la vie, elle ne fait pas se fissurer la pierre, elle ne fait pas rouiller le métal. Elle ne supprime pas la magie ! », répliqua t-elle, « Et elle ne permet pas de passer à travers les armures comme si elles étaient en papier. Elle ne permet pas de pulvériser des soldats comme des statues de sable.
C'est autre chose.
...
Et pourquoi n'ont-ils pas fui ? »

Le silence retomba. L'odeur de sang les reprit à la gorge.




* Epoque héroïque : avant la première catastrophe, soit il y a deux mille ans. Il ne reste que des récits diffus de cette époque, et le flou des légendes rend épiques les combats légendaires des royaumes elfes contre les hordes orques et hobgobelines.

** Pour clarifier, il y a 8 grandes divinités majeures, ou créateurs : Guerre (Mars), Mort (Pluton), Mercure (Air), Lune (Eau (à cause des marées)), Soleil (Feu), Demeter (Terre, Vie), Jupiter (Magie), Saturne (Esprit, Sagesse).
Chacun correspond à un corps céleste classique.
Cette division est remise en cause par la découverte d'autres corps célestes, et par les contacts avec des civilisations extra-terrestres. La tendance actuelle est de ne considérer qu'un créateur unique, qui possède plusieurs aspects, trop grand pour être appréhendé dans son ensemble par les mortels.
Les divinités "mineures" ne parlent jamais de ça avec leurs fidèles. De toute façon, le(s) créateur(s) n'intervient (n'interviennent) plus sur sa (leur) création et lui (leur) vouer un culte ne sert à rien. Alors le peuple s'en tient à la tradition.

*** Demi-ogre : union d'un ogre et d'un humain
Orog : union d'un ogre et d'un orc
Orc et humain peuvent s'unir de manière viable avec à peu près tout ce qui est humanoïde, ce qui fait dire à certain qu'il ne s'agit que d'une seule race. Les mélanges raciaux des grands centres urbains font encore plus pour brouiller les frontières. Parler de métis finit par être plus rapide que de chercher des termes pour 1/4 orc, 1/4 humain, 1/8 elfe, 1/8 nain, 1/8 ogre, 1/8 hobgobelin et 1/8 dragon d'or.

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