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Contes Spalliens : Chapitre 47 - Doujic

Atzla reposa son livre et regarda avec étonnement partir les invités de Erisan. Il s'agissait d'Elfes, il n'y avait aucun doute là-dessus, mais ils avaient un teint excessivement blafard et étaient grands et fins. Il se dégageait d'eux une impression de sécheresse, impression renforcée par leur démarche lente et maladroite. Ils étaient de plus équipés de curieux exosquelettes, qui plutôt que de les protéger en cas d'attaque, servaient vraisemblablement à éviter qu'ils ne s'écroulent sous leur propre poids. Etrangement, ce dernier détail lui semblât familier.

Une fois les étrangers remontés dans leur chariot, elle descendit du mur d'enceinte, saluant les gardes aux passages, et rentra dans la tour de son maître.

« - Qui étaient-ce ?
- Des ambassadeurs venus en ville pour signer des accords portuaires. »

Le phrase aurait pu paraître étrange, Balos étant situé à 200 km dans les terres et ne possédant pas de fleuve navigable. Mais Atzla était au courant de la nature du grand chantier qui avait lieu à quelques centaines de mètres de la ville, c'était d'ailleurs devenu un secret de polichinelle au cours du dernier mois, et bien que non inauguré (l'événement ferait venir beaucoup d'officiels de la capitale) l'ouvrage était déjà partiellement en service.

Cependant, maintenant comme pendant la phase d'exploitation, le spacioport ne devait pas accueillir un trafic phénoménal. Du moins, pas un véritable trafic spatial, l'infrastructure servant aussi de terrain pour les dirigeables et autres aéronefs plus courants, qui jusqu'à présent avaient l'habitude de se poser dans les prairies alentours, pas toujours avec autorisation.

C'était un grand événement politique à l'échelle internationale. En effet, seule la capitale de Wrax était connue pour posséder un véritable spacioport et il était contrôlé par les militaires. Celui de Balos serait placé sous l'autorité de la ville et permettrait aux extra-terrestres de venir se ravitailler directement en denrées rares issues de toutes les plaines du Sud, mais aussi des ressources minérales venant de la Grande Barrière Rocheuse (zone de haute montagne séparant les terres sèches du centre des plaines tempérées du Sud).

« - C'était des Elfes Gris ?
- Non, des Sélénites, des habitants de la Lune. Les Elfes Gris ce sont ceux qui habitent dans les déserts de la Confédération.
- Mais ce sont bien des Elfes ?
- Oui, ils se sont établis là-bas depuis 10 000 à 15 000 ans, après l'apparition des Hommes.
- Mais il n'y a pas de vie à l'état naturel sur la Lune ?
- Non, ils vivent dans des grottes aménagées, protégés du vide par des sorts et des sas étanches. Les quelques serres qu'ils ont en surface, ils les utilisent pour de l'agriculture intensive.
- Ca va être les principaux utilisateurs du spacioport alors ? Ils sont quand même beaucoup plus près que ces mantes qui vivent dans les astéroïdes ou les Nains qui vivent sur Mars.
- Ce n'est pas sûr. Ils ne commercent qu'à contre-coeur. On raconte même que la majorité de leurs installations sont sur la face cachée de la Lune afin de ne pas voir la Terre. »

Evisan trouvait bizarre qu'Atzla, pourtant plongée dans les études corps et âme, néglige à ce point l'histoire et la politique. Ce n'est pas qu'elle n'y était pas douée, mais elle semblait éviter volontairement le sujet.

Par contre, sur le reste, elle avait depuis longtemps dépassé son maître dans tous les domaines, et pas seulement en magie. Elle aurait bientôt épuisé sa bibliothèque et commençait déjà à aller faire des recherches en ville.
Elle restait cependant, pour autant qu'un esprit de sa finesse et de sa rapidité le permette, incroyablement naïve. Non pas par ignorance des choses de la vie, mais par choix. Elle semblait ne pas vouloir du monde complexe qui l'entourait et avait failli attaquer à elle toute seule le marché aux esclaves que Citadelle maintenait autour de son enclave.

Cela embarrassait Evisan, qui n'avait pas envie de garder Atzla éternellement sous sa coupe. Elle représentait un potentiel énorme qu'il ne fallait pas garder enfermé, que ça soit entre les murs d'une bibliothèque ou dans un monde fantasmé.
Il était décidé à la rendre autonome, et ne décelant aucun mal en elle, il lui avait déjà laissé libre accès à ses sorts de combat. Peut-être lui fallait-il lui montrer, de manière plus ou moins directe, à quoi ils servaient.

« - Sur un sujet complètement sans relation, le conseil militaire m'a demandé d'aller faire une mission dans les territoires Orcs, j'aimerais que tu m'accompagnes.
- Une mission de terrain, mais tu es le gouverneur de la région ! Ils n'ont personne d'autre à envoyer ?
- A vrai dire, non. C'est une mission qui demande de rester secrète et une grande connaissance en magie. Je suis le plus proche, et toutes les autres personnes qualifiées ont des postes au moins de mon niveau. »
A la différence de Wrax, Citadelle, ou même de la Fédération, Bolidraks manquait de troupes d'élites, et recruter des mercenaires ou des aventuriers comportait toujours un risque.
« - De plus, il ne s'agit d'un trajet que de 4 à 6 jours uniquement.
- En volant ?
- Non, à cheval, je ne veux prendre vraiment aucun risque de me faire repérer.
- Et pour la ville ?
- On approche de l'hiver, il n'y a pas eu de mauvaise récolte et aucun mouvement de troupes signalé à plus de 100 km des frontières, je peux prendre le risque de m'absenter une semaine.
- Et la mission, de quoi s'agit-il exactement ? »
Le ton de voix d'Atzla, commençait à montrer une certaine curiosité.
« - Doujic a détruit une forteresse, on veut savoir comment et pourquoi.
- Doujic... c'est pas un aventurier nain ?
- Pour autant qu'on sache oui, mais ça commence à être de plus en plus douteux.
- Pourquoi ?
- Doujic le tueur de dragons, Doujic le terrasseur de Géants, Doujic l'invincible, Doujic le Noir... On lui attribue des faits d'armes impossibles, aux quatre coins du continent, mais entre chacun, il semble disparaître. Il ne fait pourtant pas dans le discret.
- Peut-être qu'il se télétransporte ?
- C'est un guerrier, il agit toujours seul. La téléportation reste une option, mais pas la plus évidente. On penserait plutôt à un prête-nom, mais beaucoup de détails sont troublants.
- Lesquels ?
- Dans beaucoup de rapports, on insiste sur son armure... en adamantium massif, difficile à confondre pour n'importe qui qui s'y connaît un peu en métaux. Il y a aussi son épée de sang. Et le fait qu'il vide les tavernes dans les environs de ces exploits, avant de disparaître.
- Une épée de sang, beurk ! Et là, il aurait détruit une forteresse ? En ce servant de quel type d'arme : catapulte, magie ? Il l'a incendiée ?
- Non, d'après ce que je sais, uniquement son épée et sa hache... uniquement son épée et sa hache. »
Evisan répéta l'information comme s'il avait du mal à l'intégrer correctement.
« - Combien il y avait d'hommes ? 200, 300 ?
- Plus de 2 000.
- Ha, ouais, quand même. »

Atzla avait l'air légèrement dégoûtée par le principe, mais Evisan voyait bien qu'elle ne se représentait pas vraiment ce que ça représentait.
« C'est environ le nombre de personnes qui vivent dans ces bâtiments. Mages, prêtres, maîtres d'armes, dompteurs, bêtes de guerre, cuisiniers, pages, écuyers, apprentis... »
La figure d'Atzla était beaucoup plus pâle maintenant qu'elle envisageait la mort de tous ces visages familiers.
« Et il n'y a eu aucun survivant. »

Dvorak

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