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Contes Spalliens : Chapitre 49 - Baptême de feu

Atzla et Evisan était sur le chemin du retour et, seuls sur la route commerçante, ils discutaient des explications possibles des pouvoirs de Doujic.

« - Non, l'hypothèse était intéressante, car c'est vrai que c'est une branche nouvelle de la magie, mais plusieurs points ne collent pas avec l'usage de sorts entropiques.
- Lesquels ? » demanda Evisan. « Aucun de nous n'a jamais vu les effets d'un de ces sorts, et d'après ce que j'en ai lu, le principe général est de faire vieillir instantanément la matière, vivante ou inerte.
- Oui, ça pourrait expliquer l'état des armures et des bâtiments, mais l'état des cadavres ne colle pas. Si on laisse un corps mort évoluer tout seul dans une boite stérile, on obtient une espèce de bouillie ignoble, pas une momie.
-Hum, je ne suis pas d'accord. Les cadavres ont naturellement tendance à sécher quand on les laisse tranquilles, même en l'absence de charognard ou moisissure. La peau n'est pas étanche.
- Je... C'est vrai, mais... je ne pense pas. Le vieillissement causé par un sort d'entropie est instantané, le passage de l'eau à travers la peau prend du temps. D'ailleurs, l'article qu'on a lu disait que le résultat de ces sorts sur les êtres vivants était particulièrement atroce à contempler, surtout l'odeur.
- Je me souviens de ce passage, et c'est vrai que l'odeur ne colle pas. Et l'odeur de sang était déjà signalée dans les autres rapports sur les actions de Doujic, une sorte de signature qui serait lié à l'Epée de Sang. Cependant, aucun ne parlait de cadavres momifiés.
- Doujic ne s'était jamais attaqué à un si grand nombre d'adversaires aussi. Dans ce que j'ai lu, il avait plutôt l'air de s'attaquer à une cible particulière sans se soucier du menu fretin. »
Atzla avait prononcé ce terme avec dégoût, et Evisan se souvenait que c'était une expression utilisé par Doujic lui-même, d'après le récit d'une de ses tournées de bars qu'un barde avait retranscrit.

Elle semblait éprouver une réelle colère, voire de la haine, envers un être qui avait commis un tel massacre, à ses yeux inutile.
« S'il voulait détruire la forteresse, il aurait pu s'y prendre de bien d'autres façons. Et je suis sûre qu'il a utilisé un autre effet magique pour empêcher les gens de fuir. Il voulait être sûr de tous les massacrer.
Si je le croise, je..., je... , je détruirais son épée de malheur. »
Elle se tut, et ils continuèrent à voyager en silence.
Même en colère, Atzla semblait incapable de vouloir la mort de quelqu'un.

En l'observant, Evisan ne pu s'empêcher de penser qu'il était maintenant sûr qu'elle n'était pas une demi-elfe, ou n'importe quelle combinaison d'espèces qu'il connaissait. Il y avait trop de d'incohérences.
Elle disposait d'une mémoire absolue pour certains détails, comme les livres de sorts, elle était capable d'apprendre une langue en une semaine juste en lisant des dictionnaires et des livres de grammaire, ses blessures superficielles guérissaient dans la journée et, bien qu'ayant l'apparence d'une demi-elfe d'une dizaine d'années, elle pesait plus de 40 kilos et Evisan l'avait déjà vue soulever deux fois ce poids.

Après quelques minutes de cheminement tranquille sur la piste poussiéreuse, alors qu'Atzla semblait calmée, et s'était mise à repenser à autre chose, elle ne put s'empêcher de remarquer :
« - Ca fait longtemps qu'on n'a pas croisé quelqu'un. C'est bien la principale route commerçante ?
- Oui, c'est étrange. On demandera des informations au pont fortifié où l'on a dormi à l'aller, il est juste après cette colline. »

Une minute n'était pas passée qu'un cri retenti plus loin. Avant qu'Evisan n'ait pu dire quelque chose, Atzla avait déjà lancé sa monture au galop.
Lorsqu'il la rattrapa, elle s'était arrêtée au niveau d'un couple, dont l'homme, grièvement brûlé, maintenait tant bien que mal sa compagne sur le devant de son cheval. Choqué, il ne s'était apparemment pas rendu compte qu'elle était déjà morte.

Tout en essayant de le calmer, Atzla et Evisan lui demandèrent ce qu'il s'était passé. Dans le discours erratique qu'il émit, le gouverneur militaire capta trois mots sensés : pont, attaque et dragon.
Si l'on savait ce qu'on devait trouvait, on apercevait une fumée noire s'élever par-dessus les rochers.

« - Atzla, attends-moi, même avec tes connaissances en magie, tu ne peux pas espérer vaincre un dragon ! Tu ne t'es jamais battue !
- Mais si l'on ne fait rien, il va massacrer plein de monde. Je ne peux pas laisser faire.
- Prends au moins le temps de réfléchir ! Prépare-toi au combat. Prépare une stratégie ! »

Tandis qu'ils chevauchaient, Evisan, en arrière, vit Azla réciter une série d'incantation, Evisan se mit à faire de même. Leurs silhouettes se retrouvèrent entourées d'une légère lumière bleue, puis devinrent floues et enfin se noyèrent dans une brume d'images décalées, empêchant de les localiser précisément.

Ils avaient à peine fini de mettre en place leur panoplie magique qu'ils furent en vue du pont fortifié. Ou de l'endroit où il aurait dû être. A sa place, on ne distinguait plus que deux piles de pierres à moitié fondues, et, plus bas, de la vapeur d'eau s'élevait de la rivière là où la lave se refroidissait. Cette fumée blanche se mêlait à celle, noire et épaisse, qui s'échappait des bâtiments en flamme.
Se dressant au milieu de la petite place forte, le dragon bloquait les survivants, écrasant les fuyards tout en repoussant les quelques soldats qui essayaient, en vain de lui tenir tête. Dans quelques minutes ce serait fini.

Les dégâts étaient bien plus importants qu'Evisan ne le craignait. C'était compréhensible. Il s'était attendu à un jeune, errant à la recherche d'un territoire et de richesses, un adversaire qu'il aurait même pu espérer vaincre seul, avec de la chance.
Mais le monstre qu'il contemplait n'avait rien à voir. Il s'agissait d'un énorme dragon de la foudre, long de plus de près de 200 mètres, plusieurs fois millénaire, dont les écailles d'un bleu vif se confondaient avec la couleur du ciel.

Mais le plus terrifiant était qu'Evisan se doutait de la raison pour laquelle ce grand ver avait quitté son territoire. Son souffle, l'énergie magique qui lui confère toute sa force, et lui permet, entre autres, de foudroyer ses adversaires, avait fini par devenir incontrôlable.
A présent, il débordait du corps du dragon et se mettait à la terre, cherchant à être utilisé. Des décharges parcouraient la cuirasse d'azur, chaque coup de patte déclenchait un éclair de taille respectable et une lumière magique intense sortait de gueule et des yeux du monstre.
Fou de douleur, brûlé de l'intérieur, le dragon était entré en rage meurtrière et errait au hasard, en quête de combat.
Cela ne durerait pas.

Soumis à une telle pression, même son puissant corps finirait par lâcher et le souffle, enfin libre, se dissiperait dans une terrible explosion.
Mais dans l'intervalle, ce vétéran berzerker représentait certainement la créature la plus dangereuse de la planète.

« Merde. », se dit Evisan, « J'aurais encore préféré tomber sur Doujic. Voire la Tarasque. Impossible de vaincre un tel monstre. »

« Je vais attirer son attention. Aide les autres à fuir ! »

Sans laisser le temps à son élève de répondre, il força son cheval à s'approcher autant que possible du dragon, puis finit de se mettre à portée à pied. Il lança alors une boule de feu dans le dos du monstre.
La vague de chaleur qui déferla alors était intense, capable de faire fondre sans problème du plomb ou de l'or. Cependant Evisan ne se faisait pas d'illusion, le feu s'étouffa en rencontrant les émanations du souffle qui courait le long du corps du dragon, le laissant intact.
Ce dernier se retourna cependant, et Evisan s'envola, s'assurant de constituer une cible bien visible tandis qu'Atzla contournait les deux adversaires pour aller aider les survivants à fuir.

Cependant, quelque soit sa taille et sa masse, le souffle, porté à son maximum, conférait au dragon une vitesse surprenante. Sans même avoir à décoller, il bondit sur Evisan et fut à portée de crocs avant que le mage n'ait le temps de commencer une nouvelle incantation.
Il évita les premières attaques, aidé par ses sortilèges défensifs, mais, tandis qu'il prenait de l'altitude, le dragon déploya ses ailes.

D'un seul battement, le ver dépassa le mage, puis, lui plongeant dessus, le frappa en plein vol. Les protections du mage absorbèrent l'impact, mais pas la foudre. Il retomba lourdement au sol.
N'ayant plus d'occupation immédiate, le dragon remarqua alors l'agitation derrière lui et se retourna vers les fuyards, maintenant assez éloignés. Il se mit alors bien en face d'eux, et déchaîna sa foudre.

D'habitude, le souffle d'un dragon de foudre ressemble beaucoup à un éclair naturel, long d'une centaine de mètres. La décharge d'énergie qui eut alors lieu ressemblait à une dizaine d'éclairs entremêlés, formant une colonne électrique de 10 mètres de large et qui atteignit sans problème sa cible distante de près de 500 mètres.

Cependant, au moment de l'impact, le flux d'énergie disparut presque entièrement, ne laissant plus que deux fines bandes sur les côtés. Au milieu, se tenait Atzla, qui maintenait tant bien que mal sa coquille de protection.

Le monstre chargea aussitôt. L'image était presque irréelle, celle d'une petite fille tenant tête à une bête des centaines de fois plus grande.
Prise de cours, Atzla essaya de dresser un mur de pierre magique pour bloquer le monstre, mais ce dernier ne ralentit même pas, fracassa le relativement frêle ouvrage et la frappa d'un coup au moins aussi violent que celui qu'il avait asséné à Evisan.

Là encore, les protections magiques absorbèrent le choc, mais pas l'énergie électrique qui parcourait le corps du dragon.
Azla fut violemment projetée sur le coté. Par pur réflexe, elle réussit cependant sa réception.

Sonnée, voyant le dragon revenir, elle tenta une attaque magique directe. Elle fut certainement la première surprise de la voir passer le souffle du dragon.
En un instant, des dizaines de parois miroitantes apparurent tout autour du monstre, semblant l'engloutir, puis se compresser. En moins d'une minute, il ne restait plus qu'une zone miroitante d'une dizaine de mètres de diamètre.

« Atzla, dépêche-toi, ça ne va le retenir longtemps, il faut fuir. »
Grièvement brûlé, mais sans fracture ou blessure visible, Evisan revenait vers Atzla d'un vol hésitant.

« Je... on n'ira pas assez vite, il nous rattrapera. Je veux essayer quelque chose de définitif. Du quitte ou double ! »

Evisan regarda un moment les survivants qui continuaient à fuir, mais se retourna pour faire face à la sphère miroitante, qui, lentement, recommençait à croître. Il sortit son épée et se prépara à soutenir son élève, telles deux musaraignes attendant la charge d'un tigre.

Quatre minutes plus tard, le dragon finit par déchirer la prison planaire qui le retenait et, sans marquer de pose, attaqua. Evisan lança une série de projectiles magiques. Sur cinq, un seul passa la protection du souffle.
De son côté, Atzla avait commencé une longue incantation, et elle ne l'acheva que juste avant le contact.

Le temps sembla se figer. Le dragon stoppa d'un coup, perdant toute vitesse, son corps parut onduler le temps d'un clignement d'oeil, puis il disparut.

Dvorak

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