banniere

Retour

Neige Rouge : 2 Ouverture

Mars 1985, un couloir obscur devant une salle de garde.

Shaad avait le coeur qui battait si vite qu'il aurait pu croire qu'il allait finir par éclater. Il s'était retourné, il faisait face à un homme gigantesque, à l'âge indéfinissable et à la beauté incompréhensible. Aucune ride ne barrait son visage lisse comme de la pierre, Aucun bouton, aucun grain de beauté, rien pour changer ses lignes aiguës. Ce visage long, au nez fin et droit, aux yeux en amande, très légèrement bridés et à la peau pâle laissa un moment Shaad sans réaction, comme subjugué par une sorte de magie ou de mysticisme entre la terreur sourde et la soumission religieuse. Il était aussi incroyable qu'une personne de cette stature ait réussi à se glisser derrière lui sans qu'il l'ait entendue, ni même sentie.

L'homme portait une sorte de manteau de cuir rouge sombre, dont les pans n'étaient pas attachés mais plaqués contre son corps par une ceinture. Le col de fourrure blanche était relevé pour faire face au froid et il cachait un pull près du corps, un pantalon de cuir et une paire de bottes noires. Il affichait actuellement un petit sourire, voyant que Shaad cherchait à savoir s'il avait par inadvertance posé la question qui lui trottait dans la tête tout haut. Il pouvait aussi voir sur le visage du garçon, la peur qui résultait de l'analyse de la question.

« Il va falloir apprendre à devenir un chasseur. », reprit l'homme, « J'ai plus l'impression d'avoir devant moi un lapin terrifié par les phares d'une voiture qu'un des enfants traités par ce malade de Snow. »

Le visage de l'homme devint plus sombre, comme s'il cherchait à trouver des réponses dans les réactions de Shaad.

« En fait, je crois que la raison de ton comportement est plus simple. Tu n'es simplement au courant de rien. »

L'homme tourna de 90 degrés et prit la direction du dortoir. Il s'arrêta après quelques pas, voyant que Shaad ne le suivait pas. Son regard, incroyablement dur, sembla attirer l'enfant sans espoir de faire contre sa volonté.

« Allons, tu n'as ni de raison, ni le pouvoir de me résister. », ajouta-t-il, « De plus, maintenant que cette base est déserte, si tu veux vivre, il vaut mieux que tu me suives. »

Shaad obtempéra, contraint et forcé. Il se prit même à vouloir en savoir plus, comme si cet homme avait des choses à lui apporter qu'il connaissait déjà, mais dont il était incapable de se souvenir.

« C'est exactement ça, Shaad, puisque c'est ton nom. », dit l'homme sans le regarder, « Tu as des connaissances et des souvenirs qui ne t'appartiennent pas. Ce sont les miens. Tu es certainement le seul dans cet endroit à ne pas avoir subi le traitement dans son ensemble, les autres jeunes humains qui se trouvent dans le dortoir n'ont pas de rémanence de mes souvenirs, Snow y a veillé. Mais maintenant qu'il est mort et que les sérums ne seront plus administrés, ils vont les subir de plein fouet. Il va falloir les aider. Ce serait bien gênant qu'une bande d'immortels fous à lier ravage la planète, surtout si c'est à cause de mes souvenirs. Je sais que tu ne comprends pas grand-chose. Tout sera expliqué, mais il faut évacuer rapidement. Plusieurs expériences ont été effectuées par le Dr. Snow. Il a dépassé ses attributions et nous devons maintenant réparer les dégâts. »

« Nous... », osa finalement Shaad.

« Oui, nous, je ne suis pas seul à avoir fourni mon patrimoine génétique déviant pour les amusements du Dr. Snow. Je dois dire que nous y avons été contraints. Maintenant, il va falloir trouver une solution pour les créations qui ont été effectuées avec nos gènes. », ajouta l'homme en s'arrêtant devant la porte du dortoir, « Malheureusement, je crains que certains d'entre vous ne puissent vivre très longtemps. »

Il alluma les lumières réveillant ceux qui ne l'étaient pas encore.

« Rassemblez-vous le plus vite possible. », dit-il à la cantonade, « Nous partons dans 20 minutes au plus. »

A l'extérieur, le vent soufflait avec une force redoublée, des morceaux de glace venaient battre les murs et cognaient contre les vitres. Shaad se sentit soudain étrangement serein. Il aida ses compagnons d'infortune à se préparer. Il put remarquer que certains avaient du mal à bouger, des tremblements secouant leurs mains ou encore leurs jambes. Il se demanda s'il finirait comme ça.
Un homme d'une trentaine d'années entra dans le dortoir, portant trois énormes caisses de métal.

« Tu es en retard, », indiqua l'homme au manteau rouge, « J'espère qu'ils n'ont pas déjà envoyé la cavalerie. »

« Avec le temps qu'il fait, la cavalerie n'ira pas loin, de toute façon. », rétorqua l'autre, puis il dit plus fort, « Venez prendre des vêtements, bougez-vous ! »

Que faire d'autre que de suivre les indications qui étaient censées leur sauver la vie ? Chacun, tant bien que mal, vint prendre les vêtements. Shaad s'étonna instantanément qu'un homme, même de cette corpulence et avec cette carrure puisse porter des cantines de cette taille pleines de vêtements, suffisamment pour une quarantaine de personnes. Ce qui avait tendance à s'ajouter aux informations que lui avait données "manteau rouge" : patrimoine génétique déviant... Qu'est-ce que ça pouvait vouloir dire ?

Il aida un garçon un peu plus frêle que lui à s'acheminer vers les cantines. Les tremblements de ses mains et de ses jambes semblaient tellement violents qu'il devait avoir du mal à tenir debout.

« Lui, il reste ici. », indiqua le cantinier à Shaad, « On aura assez de problèmes avec les valides. »

Alors qu'il s'apprêtait à se rebeller, ce fut l'homme au manteau rouge qui intervint.

« Stern, on ne laisse personne sur place. Même si l'expérience a raté, ils n'y sont pour rien et ils portent quand même notre patrimoine génétique. », dit-il d'une voix froide, « Tu oublies un peu vite quel est notre but. Tu ne comptes quand même pas obtenir la rédemption aussi facilement ? »

Le dénommé Stern baissa les yeux comme un enfant pris en faute. Il donna un peu brusquement les vêtements pour deux personnes à Shaad sans plus se faire prier. Alors qu'ils s'étaient dirigés vers un lit pour faciliter l'habillage de son compagnon, celui-ci eut une crise plus forte que les autres. Shaad se demanda même s'il n'allait pas mourir dans ses bras. Tout son corps se révulsa, ses yeux glissèrent sous ses paupières, ses dents se mirent à claquer frénétiquement.

« Tiens sa mâchoire fermée. », dit une voix de femme derrière lui, « Il ne faut pas qu'il puisse avaler sa langue. »

Elle plaqua sa propre main contre le menton de l'adolescent, et de l'autre main, prit celle de Shaad et l'approcha du visage de son compagnon.

« Maintenant, tiens bien fort et laisse-le finir sa crise. Nous verrons ce que je peux faire pour lui quand nous serons arrivés à destination. »

Elle posa une trousse de médecin sur le lit, l'ouvrit et chercha quelques secondes une seringue ainsi qu'une petite ampoule de liquide. Lorsqu'elle vit le visage de Shaad se refermer, elle sourit.

« Ce n'est qu'un léger calmant, pour éviter que ça ne se reproduise pendant le transport. », dit-elle pendant qu'elle cherchait la veine sur le bras parcouru de spasmes, « Il serait ennuyeux qu'il se blesse. Tu ne trouves pas ? »

Elle injecta le produit et, en quelques secondes, les spasmes se calmèrent, laissant le jeune garçon haletant et couvert de sueur.

« Je m'appelle Anya. Je suis l'une d'entre eux. », ajouta-t-elle en rangeant son matériel, « Danté m'avait dit qu'il y avait quelques réussites. Il me semble que c'est vrai, maintenant. »

« De quoi parlez-vous tous à la fin ? », cria un peu fort Shaad, « J'aimerais comprendre. Je tiens un garçon dans mes bras qui a l'air malade, là-bas, il y a une fille qui regarde la mur sans bouger, d'autres sont incapables de fermer la main. Qu'est-ce que ça veut dire ? »

« Crois-tu que c'est le moment des explications ? », murmura Anya avec un ton calme et apaisant, « Tu sais ce qui se passera si jamais nous sommes encore dans ces locaux, une fois la tempête calmée ? Ils vont faire ce qu'ils auraient du faire à la mort du docteur Snow, il y a quelques jours. Ils vont se débarrasser des preuves. »

« Quelles preuves ? », demanda Shaad, avec une certaine peur de la réponse qui venait de faire jour dans son esprit.

« Tu le sais : vous... bien sûr. »

Nehwon

Précédent - Suivant