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 Autrement...

Autrement... : Partie 20 - Affrontement et préparatifs

Nicolas poussa la porte un peu plus vite qu'il n'aurait fallu en arrivant dans l'amphithéâtre, manquant de peu de renverser un des réfugiés qui était resté trop près de l'embrasure. Il murmura un « excusez-moi » en passant un peu vite. L'homme retint sa mauvaise humeur au moment où les yeux de Nicolas croisèrent les siens.

Il chercha un moyen de trouver quelqu'un dans l'immensité de la salle, il vit aussi que les portes du haut de l'amphi étaient ouvertes. Il savait qu'elles donnaient sur un couloir comportant des classes, il supposa que Linne avait installé les premiers soins dans cette zone. Il décida de tenter de trouver quelqu'un qui serait au courant de l'organisation de ce chaos.

Alors qu'il gravissait les échelons, il prit conscience de la grandeur du bâtiment. C'était un endroit parfait pour expliquer les principes de la virtualisation des dimensions. Nicolas se souvenait Jordan lui dire : « c'est bien beau, tous ces termes, mais il n'y a qu'une seule façon pour comprendre ce que c'est : l'expérimenter soi-même. ». Il avait quand même appris par coeur les informations du livre, et lorsque Jordan l'avait appelé pour lui en faire la démonstration, il avait parfaitement compris... qu'il n'avait rien compris. Il avait simplement ouvert la porte d'un placard... et s'était retrouvé dans une chambre gigantesque, meublée et préparée avec ses propres affaires. Jordan lui avait juste dit : « J'ai pensé que ton ancienne chambre ne te convenait plus, alors j'ai aménagé celle-ci, dans un placard. » Ils s'étaient regardés et avaient éclaté de rire.

C'était la même chose ici, le bâtiment était spacieux de l'extérieur, mais la vue du haut de l'amphi était incroyable. C'était aussi beaucoup plus compliqué car les dimensions de la pièce avaient été transformées différemment pour les personnes assises et pour les personnes dans les allées de façon à ce que chacun puisse voir l'orateur de façon correcte, mais aussi l'entendre clairement. Nicolas n'imaginait même pas atteindre ce niveau de compréhension. Pourtant, Jordan lui avait assuré qu'il serait très fort pour ce type de choses.

Il chassa ses souvenirs et courut pour finir de grimper l'interminable escalier qui menait aux portes du haut de l'amphi. Il passa devant un groupe d'enfants qui semblaient s'amuser dans l'entrebâillement de la porte. Bizarrement, il ne se sentit pas l'envie de les rejoindre, bien qu'ils aient à peu près le même âge que lui. Il se demanda ce qui avait changé en lui en plus peut-être d'une partie de sa conscience de l'univers. Peut-être que le temps était différent aussi, un peu moins éternel, un peu plus raisonnable. Il se demanda s'il n'allait pas rater quelque chose de ne plus avoir cette innocence qu'il voyait dans leurs yeux.

Il finit par passer la porte. Dans le couloir, assez large pour permettre à quatre personnes de marcher de front, il y avait des brancards ainsi que des blessés un peu partout. Il était parfois difficile d'avancer tellement les corps étaient serrés les uns contre les autres. C'était une vision d'apocalypse. Nicolas se trouva terriblement égoïste de ne penser qu'à son frère et sa mère. Il arriva finalement devant l'infirmerie, où Linne avait embauché Ethan pour faire le recensement. Ils étaient en train de soigner une jeune femme qui semblait grièvement brûlée.

Il s'installa dans un coin de la pièce et attendit qu'ils aient terminé. L'environnement était un peu froid, il finit par sortir pour prendre l'air. Dans le couloir, un peu plus loin, il trouva une sortie de secours qu'il ne connaissait pas. Il resta planté un moment sur le palier de pierre pour prendre l'air. Sa tête lui faisait un peu mal, il avait trop de cas de conscience en ce moment. Il regarda en bas. Il y avait là des apprentis qu'il avait déjà rencontrés. Il entendit quelques éclats de voix et descendit voir de plus près.

« C'est de sa faute, je te dis. Il n'y avait que lui pour faire un truc comme ça. », disait un garçon d'une quinzaine d'années, criant sur son camarade, « Personne n'est aussi fort qu'eux. Personne d'autre ne pouvait déclencher un tel cataclysme. »

L'autre le regardait à peine alarmé par ses gesticulations et ses cris. Il lui répondit calmement :

« Ca ne peut pas être lui, ce serait plutôt ton cher Mercurey, c'était un malade. »

L'autre garçon devait avoir un ou deux ans de moins que le premier. Ses lunettes, semblables à des hublots, le faisaient sembler plus sage que son visage ne voulait le dire. Ses cheveux roux semblaient tellement anarchiques qu'il n'y avait certainement aucune solution pour les faire tenir en place.

« Retire ça tout de suite. », vociféra le premier.

Et il frappa avant même d'attendre la réponse.

Nicolas se sentit bizarre. La colère brûlait en lui pour une raison qui n'était pas totalement claire dans son esprit.

« Stop », cria-t-il avant que le coup n'atteigne son destinataire.

Quand on donne un coup de poing, on est généralement incapable de s'arrêter, ce ne fut pas le cas de l'agresseur, mais ce fut contre sa volonté. Alors que celui-ci tentait d'ordonner à son corps de finir le mouvement, Nicolas descendit les quelques marches qui lui restait pour faire face à l'agresseur.

« De qui parlais-tu, en l'accusant ainsi ? », demanda-t-il en serrant les dents puisqu'il connaissait déjà la réponse.

« Jordan, bien sûr, avec ses airs d'ange, c'est un malade. »

« Et je suppose que tu l'accuses du meurtre des députés et des sénateurs, c'est bien ça ? », continua Nicolas, comme si l'adolescent ne lui avait pas répondu.

« Oui... Mais qui es-tu et lâche-moi, bon sang... »

Nicolas regardait l'adolescent droit dans les yeux, et sa belle assurance venait de fondre sous la puissance du regard rouge.

« Commence par réfléchir, même si c'est un peu difficile pour toi. », reprit Nicolas, « Comment Jordan, Vincent ou Stéphane auraient pu préméditer un truc comme ça, alors qu'ils cherchaient tous à garder la paix. »

« Ce n'est pas vrai, ça ne profite qu'à eux... »

« Faux, tu trouves que tenter de sauver nos vies est un profit alors que maintenant l'ensemble de la population Norm du pays est à nos trousses. », répliqua Nicolas, « En plus, c'est bien Mercurey qui a monté tout ça, j'étais au conseil d'où il est parti en claquant la porte. »

L'autre cligna des yeux, regardant Nicolas plus attentivement.

« Tu es son apprenti. », dit-il comme une injure.

« Oui, et j'en suis fier. », répondit Nicolas, en tentant de se calmer.

Le rouquin se lança sur son camarade, alors que Nicolas relâchait son sort.

« Arrête, Killian, tu vas nous attirer des ennuis. »

Killian cogna une fois, violement et sèchement, de telle sorte que le rouquin se retrouva allongé par terre, le visage en sang.

« Il n'y a qu'une seule façon de régler ça. », dit-il en regardant Nicolas.

Nicolas dut se résigner à abaisser ses bras, les mains dirigées vers le sol.

« Très bien, », dit-il visiblement à contrecoeur, « Certamen ».

Une vague d'énergie magique forma un cercle au sol, qui se couvrit de glyphes plus complexes les unes que les autres, sur sa circonférence extérieure. Un deuxième cercle d'énergie, concentrique au premier, vint compléter la barrière magique formée par le défi.

« J'accepte le défi... », répondit son adversaire.

C'est à ce moment que Nicolas se sentit pour la première fois depuis son retour réellement en vie. Au coin de la rue, alors que la foule s'amassait, attirée par les bruits et les lumières de l'affrontement, une femme reconnut son fils.
Elle tenta de passer à travers l'attroupement, poussant plusieurs personnes pour passer, puis se précipita pour l'empêcher de faire ce qu'il avait projeté de faire.

Ce fut Ethan qui l'en empêcha.

« Je crois, Madame, que vous ne devriez pas faire ça. », dit-il, « Le cercle du Certamen est une protection anti-intrusion, ainsi qu'une protection contre les dommages collatéraux. Ne vous approchez pas si vous ne voulez pas subir les effets du sort. »

Dans le cercle, Nicolas attendait patiemment de voir ce que pourrait faire son adversaire. Celui-ci concentrait l'énergie des éléments dans ses mains, avec une certaine difficulté. Il avait étudié tout ce qu'il y avait dans la bibliothèque sur le sujet. Mais il ne se sentait pas sûr de pouvoir l'arrêter, l'adolescent savait certainement mieux que lui ce qu'il faisait.

« N'aie pas peur, je suis là, près de toi. », dit une voix évanescente en provenance d'un autre monde, « Il ne pourra pas faire grand-chose si tu écoutes ma voix. »

*
* *

Ethan regardait le combat, l'adolescent venait de préparer un sort de missile enflammé dans le plus pur style heroic fantasy. C'était bien trop complexe pour le peu d'effet qu'il pourrait faire, mais c'était déjà la preuve d'un contrôle important des forces mystiques. Il se demanda s'il devait interrompre le duel de suite. La position de Nicolas l'en dissuada.

Il semblait écouter quelque chose qu'Ethan ne percevait pas. Il y avait aussi, autour de lui, une forme de déformation du Mana qui lui parut étrange.

Finalement l'adolescent lança son sortilège sans autre forme de procès. La bille de flammes eut une trajectoire bien droite et prit la direction de Nicolas, qui la repoussa d'un soufflet de la main, sans en paraître affecté. Ethan savait qu'il apprenait très vite, mais il en fut soufflé. Nicolas joignit les mains et les mots qu'il prononça n'étaient pas de ce monde. C'est ce qui décida cette fois Ethan à intervenir.

Alors que l'adolescent en face d'eux commençait à étouffer, son visage bleuissant à cause du manque d'oxygène, Ethan s'approcha du cercle de Certamen. Il prit une longue inspiration et plongea les mains dans la barrière crépitante. Elle ne défendit pas le duel très longtemps, brisée par une énergie plus forte que celle qui avait permis sa construction. Il ne frappa Nicolas qu'une seule fois, et ce ne fut qu'une gifle à peine appuyée. Elle brisa sa concentration et le laissa un moment hébété.

« Ca ne va pas bien, tu aurais pu le tuer. », dit-il en commentaire, avec une voix étrangement altérée, comme s'il tentait d'imiter l'autorité.

Il se dirigea vers l'adolescent qui toussait pour reprendre son souffle.

« Ecoute-moi bien, espèce de petit crétin... », lui murmura-t-il, « Si j'ai encore une fois une information qui me ferait dire que tu cherches à mettre un peu plus de désordre qu'il n'y en a déjà, je te promets que je le laisserai finir et que ce n'est pas tes vagues amusements de débutant qui l'empêcheront de te faire la peau. C'est clair ? »

Killian ne put qu'agiter la tête.

« En outre, puisqu'il semble que tu sois si prompt à critiquer les archimages, je vais te faire un grand honneur, je vais te les faire rencontrer. », ajouta-t-il finalement.

Il se retourna. Faisant face à Nicolas, mais surtout à la silhouette qui se tenait derrière lui. La langue qu'il employa ne fut comprise que de trois personnes, lui, bien sûr, la Dame Poussière, et Nicolas.

« Je ne vous donne pas le droit de vous servir de cet enfant pour récolter, Ma Dame. », dit-il calmement.

« Je n'ai aucune raison de suivre vos ordres et vous n'avez rien à m'interdire, Voyageur. », répondit-elle vertement.
« Vous faites erreur. Vous bafouez les règles d'Outre-Monde, je suppose qu'il ne sera pas très heureux de se l'entendre rapporter. », contra-il.

Elle recula.

« Il vous a envoyée ici pour éduquer ce jeune non-mort, pas pour jouer avec comme un pantin. », expliqua-t-il, « Si ce type de débordement devait se reproduire, c'est à lui que j'en référerai directement. »

Elle battit en retraite, disparaissant dans l'autre monde sans demander son reste.

« Vous la connaissez ? », demanda Nicolas, dans la même langue.

« Oui, assez bien en effet. », répondit Ethan doucement, « J'ai été un non-mort comme toi, mais je l'ai fait exprès, contrairement à toi. Non pas que je l'aie voulu, mais j'ai tenté une expérience de médecine sur moi-même qui n'a pas réellement fonctionné. Mais j'avais prévu une solution pour m'en sortir en cas de problème, une solution mécanique qui a réagi bien plus tard que je le souhaitais. C'était juste au moment de la résurgence de la magie. La combinaison des médicaments, des électrochocs qui devaient me ranimer et de la puissante concentration de magie m'a fait revenir alors que j'étais mort depuis plus de 8 heures et ça a mystérieusement réparé une bonne partie de mon système nerveux. C'est assez complexe, mais ça m'a sauvé. Mais j'avais déjà fait connaissance avec le conseil des morts de l'autre côté, dans l'Outre-Monde. »

« Pourriez-vous répondre à certaines de mes questions ? », demanda Nicolas encore un peu secoué par la rencontre avec la Dame Poussière.

« Je le peux, mais à une condition... », dit-il, « Tu ne dois plus jamais écouter ses conseils, sauf dans le cas où c'est toi qui lui as demandé une réponse. »

*
* *

« C'est bon, cette fois. », indiqua Vincent qui venait de reprendre pour la énième fois son calcul, « On ne devrait plus avoir de problème. »

Toutes les tentatives qu'ils avaient effectuées jusque là avaient réussi assez facilement, mais un certain nombre de paramètres, comme la gravité ou l'existence du temps ou encore la réaction du sol à la pression étaient incorrects. La matrice devait donc être adaptée pour permettre de créer une réalité proche de la nôtre.

Jordan regarda Vincent avec un léger sourire.

« Je crois que c'est bon pour moi aussi. »

Stéphane tendit le pouce pointé vers le haut en signe de réussite.

« Je termine et ça devrait être correct. », indiqua-t-il finalement, son crayon entre les dents.
Vincent regarda attentivement Jordan, il connaissait suffisamment le personnage pour interpréter ce que signifiait ses réactions. Il semblait avoir totalement oublié son moment de blues et les soucis qu'il traînait depuis un moment. Vincent soupira de soulagement, intérieurement, et il pria pour que cela dure.

« Tu ne devrais pas t'en faire pour moi, Vincent, je sais maintenant que Nicolas est sorti d'affaire. Ethan s'en est assuré. », dit-il, « Pour le reste, je vais prendre sur moi, bien que je croie toujours que je suis fautif. »

« Tu l'es certainement dans un certain sens, mais ça ne sert à rien de te le reprocher, ils le feront s'ils pensent que c'est nécessaire. Et, il y a gros à parier qu'ils n'y penseront même pas à leur réveil. », contra Stephane.

« J'y repenserai plus tard, quand tous seront en sûreté. J'ai fait le tour des protections de l'université, ce matin. J'ai peur qu'un jour de plus ne soit fatal au bouclier primaire, des agressions plus fortes ont eu lieu hier. Ce qui veut dire que nous n'avons que trois jours au plus avant l'effondrement complet des protections. Si c'est le cas, nous ne pourrons plus créer l'îlot puisque la quasi-totalité de l'énergie magique aura été consommée. »

Ils se regardèrent.

« Nous n'avons donc plus qu'à mettre en place le rituel pour cet après-midi. », termina Jordan.

Nehwon

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