Autrement... : Partie 19 - Poussières du destin

Jordan regardait les corps allongés de Tim et Kevin à travers la vitre qui séparait du couloir leurs chambres d'hôpital. Il avait aussi passé un moment devant la chambre des filles. Il souhaitait que ce qu'avait subi Thomas ne se reproduise pas. Il se trouvait égoïste aussi. Elisa, Maxime, Nathan, Sarah, Tim et Kevin, Gwenne et Stephanie, ils étaient tous en train de faire une réaction violente à la vague de mana qu'il avait employé pour faire revenir Nicolas. Il n'avait pas pensé avant d'agir et c'était la pire des choses à son avis.

Il se demandait maintenant si le déplacement de l'Université dans un monde réalisé sur la base du schéma de l'univers, ne provoquerait pas plus de dégâts que de bienfaits.

Alors qu'il regardait pensivement la vitre séparatrice, Linne s'approcha.

« Tout va bien, vous savez. », dit-elle doucement.

« Je ne crois pas. », répondit Jordan pensivement.

« Je vous assure que la transformation se passe le mieux du monde. S'en est même très étrange. La surcharge de Mana aurait dû produire des effets néfastes, accélérer la croissance des pouvoirs, jusqu'à empoisonner le corps, mais ce n'est pas le cas. », ajouta-t-elle.

« Ce qui ne va pas, c'est que je les ai entraînés dans une aventure à laquelle ils n'étaient pas forcément destinés. Ce qui leur arrive est en majorité de ma faute. »

« Vous êtes trop dur avec vous-même. », dit-elle, « Vous avez fait revenir à la vie une personne qui vous admire énormément, c'est un geste très rare. Que peut-on faire de plus grand pour quelqu'un qu'on aime ? »

« Parfois, le laisser mourir. », répondit-il tristement.

*
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Vincent étudiait les plans que Jordan lui avait laissés, les yeux lui piquaient de fatigue. Ce qu'avait réalisé son ami était complètement hallucinant, mais il savait qu'il pouvait encore l'améliorer et que ce n'était pas aussi complexe que Jordan l'entendait. Il ne voyait pas toutes les possibilités, même s'il était très fort. Chacun des trois archimages avaient leurs propres capacités et celles de Vincent lui rendaient évident des défauts dans le protocole mis en place par son ami. Il se dit qu'ils devaient rapidement y travailler ensemble.

On frappa à la porte.

« Entrez. », dit-il distraitement.

Nicolas poussa la porte, laissant juste passer sa tête.

« Stéphane a besoin de toi au niveau de la fontaine de Mana, il est en train de revoir les plans et il aimerait en parler. », dit-il d'une petite voix.

« Oui. », dit Vincent, « Veux-tu entrer un instant ? »

Nicolas poussa la porte complètement. Vincent s'attarda sur le visage de l'enfant. Son teint gris n'avait pas passé. Ses petits yeux semblaient ailleurs, et son regard ne portait plus d'expression, comme s'il était dans un autre monde. Il paraissait infiniment plus triste qu'il ne l'était avant.

« Comment te sens-tu, Nicolas ? », demanda Vincent avec une voix ferme, qui lui signifia qu'il voulait une réponse franche.

« Comme si j'étais en train de glisser sur le mauvais côté d'une pente qui séparerait ma vie de ma mort. Je devrais marcher vers la mort et je glisse inévitablement dans l'autre sens », il fit une pause, « Je ne suis pas encore très sûr de vouloir être vivant. »

Vincent le fixa un moment.

« J'ai une nouvelle pour toi, qui t'aidera sûrement. », fit-il en tentant de choisir ses mots, « Je viens de recevoir le rapport d'Ethan et de Linne, et j'ai vu un nom dans la liste des personnes qui ont été recueillies lors des émeutes. Ta mère et ton frère sont dans le grand amphithéâtre où nous avons logé les réfugiés le temps d'agrandir la zone. »

Nicolas écarquilla les yeux.

« Va les retrouver. », ajouta Vincent, « Nous arriverons certainement à nous passer de toi le temps que tu prennes de leurs nouvelles. »

Nicolas tourna instantanément les talons et se dirigea vers la porte. Mais, alors que sa main était posée sur la poignée pour l'ouvrir, il se retourna.

« Je sais ce que vous êtes en train de faire avec Stéphane et Jordan. J'ai vu par hasard un des rapport de mon Maître sur son bureau. Si vous comptez le faire, ne le faites pas sans moi. », dit-il d'un ton énigmatique, « La Dame des Poussières ne voudrait pas qu'il vous arrive des soucis. »

Il passa la porte sans attendre la réaction de Vincent.

*
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La Fontaine de Mana avait été entourée d'un ensemble étrange et aérien développé autour d'une vraie fontaine incluse dans l'architecture du bâtiment principal de l'université. C'était un cloître aux déambulatoires ouverts d'ogives. L'ensemble de l'endroit était tinté d'une couleur violette, à cause du Mana cristallisé qui s'y formait en une petite couche de quelques millimètres.

La Fontaine était un objet de pierre circulaire pris sur l'exemple des fontaines de jardin à la française du XVIème siècle. Elle diffusait une sorte de lueur bleu cyan, diaphane et diffuse. Comme de l'eau, la substance de la magie glissait étrangement sur le marbre de la structure, modifiant la pierre et ciselant étrangement celle-ci sans organisation logique semblait-t-il. Le monument distillait, outre l'aura magique qui le caractérisait, une ambiance de calme et de douceur ainsi que d'immuabilité.

Quatre bancs de pierre l'encadraient, et Stéphane était installé sur l'un deux, le plan de l'université sur les genoux et un crayon de bois à la bouche. Il fixait les lignes fluides qu'avait fait installer Jordan lors de la construction du complexe, contre leurs avis. Il comprenait que ce "Mandala", puisque ça n'avait aucun autre nom, était une solution. Loin d'être aussi complexe qu'il le pensait à la base, la théorie de Divenson, profondément modifiée par Jordan, ne lui semblait plus ni aussi farfelue ni aussi théorique. Quelques adaptations devaient clairement être faites sur le dessin d'origine, ainsi que dans la théorie elle-même de façon à refléter les connaissances que Stéphane avait acquises dans la compréhension de la matière au niveau magique.

Vincent s'approcha et eut la même réaction qu'à chaque fois qu'il arrivait dans le cloître. Il poussa un soupir de soulagement et se sentit instantanément reposé et dispo.

« Tu voulais me voir ? », demanda Vincent.

« Oui, j'ai plusieurs choses à voir avec toi... », répondit Stéphane sans lever le regard de ses plans, « La première concerne Nicolas. »

« Je t'écoute... »

« Je suis inquiet de ses réactions, depuis son... retour. », il fit une pause, « Il me semble qu'il n'est pas totalement normal. Tu penses que ses allusions à une "Dame des Poussières" frisent l'hallucination ? »

« Je ne sais pas si tu as vu son aura quand il parle de cette Dame ? Je ne pense pas qu'il ait mal supporté son retour parmi les vivants, je crois qu'il n'est pas revenu seul. »

Le regard de Stéphane, qui avait finalement quitté le papier, signifiait « C'est bien ce que je craignais. »

« Le deuxième point concerne Jordan. », dit-il sans s'étendre sur le premier, « Il est en train de perdre pied ? »

« J'en ai bien peur. Il est en train de se culpabiliser pour une chose dont il n'est pas directement responsable, mais nous le savions. Non ? »

La réponse sembla aussi couler de source.

« Et tu sais qu'il a raison sur la plupart de ses craintes pour l'avenir. », ajouta finalement Vincent, comme si c'était obligatoire pour conclure ce point.

Stéphane soupira à son tour.

« Le dernier concerne cette sacrée théorie, nous verrons pour le reste une fois en sûreté. »

Ils acquiescèrent et se penchèrent sur le plan.