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 Autrement...

Autrement... : Partie 15 - Echec et Mort

Linne se laissa tomber dans un des fauteuils confortables de la salle de repos de l'hôpital. Elle venait de faire une très longue journée, mais elle ne voyait toujours pas le bout des tâches qu'elle avait entreprises. Elle s'accordait juste un petit temps de repos entre deux courses contre la montre.
Elle avait du mal à croire que tout ceci était vraiment arrivé. Elle faisait maintenant partie du staff du premier hôpital pour les soins aux maladies magiques, avec une spécialité en pédiatrie. Elle était aussi une personne importante dans le service puisqu'elle était l'une des deux ésotéristes. Et tout cela n'avait que trois jours mais elle avait l'impression que ça faisait des mois. Elle n'avait jamais été aussi fatiguée.

Son bip vibra à sa ceinture. Elle soupira. Il affichait le code de l'IMU1. Elle ne connaissait pas le code qui y était associé mais elle savait qu'elle serait la seule à pouvoir y répondre puisqu'Alice était déjà en intervention. Elle se leva et attrapa le téléphone.

« - Linne Saint-Avant, hôpital de soins aux victimes de l'Eveil, j'écoute...

- Je suis Carl Steph de l'IMU. On a un problème qu'on ne peut résoudre ici, on aurait besoin d'un de vos ésotéristes rapidement.

- Je suis à votre disposition, quel est le problème ?

- Franchement, je ne sais pas. On a été appelés parce qu'un garçon de 7 ans avait des problèmes respiratoires graves. Maintenant, c'est un vrai feu d'artifice et sa soeur de 8 ans semble avoir des problèmes respiratoires elle aussi. Dépêchez-vous...

- Vous vous trouvez où, exactement ?

- Je vous envoie la localisation exacte par GPS. L'adresse est 102, place des Acacias.

- J'arrive au plus vite. »

Elle ne prit pas le temps de finir son café, consulta une carte d'après les données GPS, puis ferma les yeux. Elle se retrouva instantanément sur place. Dehors, il faisait nuit, le vent soufflait légèrement mais c'était agréable par rapport à la température excessive de la journée. Ses sens éveillés furent surpris par une vague énorme de Mana brut, l'environnement était éblouissant de fils mystiques tellement concentrés qu'ils en devenaient fluorescents. Ça aurait été un spectacle fabuleux si ça n'avait pas été la preuve de la souffrance de deux enfants.
Elle se trouvait en face d'une petite villa de banlieue aux volets de bois et à la porte de chêne rustique. C'était un pavillon agréable qu'occupait une famille modèle. Elle avança d'un pas rapide dans l'allée pavée de briques rouges et frappa à la porte ouverte. Ce fut une femme au regard stressé qui l'accueillit, elle était au bord des larmes.

« - Je suis Linne Saint-Avant, de l'hôpital de soins aux victimes de l'Eveil, puis-je voir les équipes de secours ?

- Je ne sais pas ce qui se passe, dit la femme d'une voix hystérique, on n'a rien fait, je vous assure, sauvez-les... »

Linne ne releva pas ce qu'elle venait d'entendre, elle avança dans la maison se guidant au son de la voix des infirmiers qui tentait de faire leur travail dans un environnement assez déroutant.

« Elle ne respire plus. Bon sang, bouge-toi ! », disait l'un des deux à l'attention de l'autre qui avait commencé un bouche-à-bouche.

Linne s'approcha. C'était une petite chambre, le corps du garçon était allongé. Son corps était entouré de filaments lumineux, brûlants de Mana, crépitants d'une charge inconnue. Linne décida de vérifier ce qu'elle commençait à croire être la raison de tout ce désordre. Elle modela sa vision pour la faire passer dans l'autre monde, celui des ombres. Les deux petits corps étaient liés par des filaments d'argent brillants.

« - Il faut que vous sortiez la fillette d'ici, si vous voulez que vos soins soient efficaces, finit-elle par dire.

- On ne peut pas, elle est en arrêt cardiaque, il faut la maintenir en vie.

- Elle mourra à coup sûr si vous la laissez ici, et je ne peux rien faire sans risquer la vie des deux enfants tant que l'effet de proximité est aussi fort.

- De quoi parlez-vous ?, demanda le second.

- Je me ferai un plaisir de vous l'expliquer mais ce n'est pas vraiment le moment. Sortez la fillette et son coeur repartira de lui-même ou avec très peu d'efforts. Si vous attendez encore un peu, on risque d'atteindre le seuil critique et ils mourront tous les deux et nous avec, vraisemblablement. »

Finalement, les deux infirmiers considérèrent qu'il valait mieux tenter ce que conseillait Linne. Ils soulevèrent la fillette et se dirigèrent vers la sortie au plus vite, au mépris de ce qu'ils avaient toujours appris. Quasi instantanément, la charge environnante descendit. Les filaments incandescents disparurent, existants mais tellement moins gorgés de Mana qu'ils n'apparaissaient plus.
Linne se dirigea vers le petit garçon dont le front était couvert d'une fine pellicule de sueur. Elle posa sa main sur son poignet, son coeur battait faiblement.

« Il va falloir que tu fasses un effort, bonhomme, je ne vais pas pouvoir tout faire toute seule. »

Elle concentra sa volonté sur le soin, une vague d'énergie contrôlée passa en elle. Tranquillement, elle laissa glisser sa volonté vers l'âme de l'enfant. Il était inconscient y compris dans l'autre monde, dans une sorte de cocon mystique qui indiquait l'Eveil, un Eveil violent. Elle ne trouva pas de passage vers son conscient ce qui la fit douter de pouvoir faire grand chose pour le petit garçon. Si elle agressait, elle risquait de le tuer ; si elle laissait faire, il n'avait pas beaucoup de chances de sortir de là vivant. Elle eut un moment d'hésitation. Elle s'approcha de la coquille et décida de tenter une solution plus subtile. Elle utilisa l'énergie des filaments qu'elle avait à proximité pour tenter d'atteindre la conscience de l'enfant. Elle laissa l'énergie couler doucement et elle comprit rapidement ce qui provoquait l'inconscience du petit garçon : il était simplement allongé sur une fontaine de Mana. Elle revint à la conscience, prit le petit corps dans ses bras et courut vers l'extérieur.
Elle vit que tout allait bien pour la petite fille, qui toussait dans les bras de ses parents. Elle déposa le garçonnet sur le sol, et lui administra les premiers soins. L'un des infirmiers la rejoignit et commença un massage cardiaque pendant qu'elle faisait du bouche-à-bouche. Pendant ce temps son esprit était reparti pour la limite des ombres, détissant le cocon en aspirant l'énergie des fils qui le composait, elle accéléra encore son travail en voyant que les problèmes corporels empiraient. L'enfant ne respirait plus seul, et son corps commençait à se refroidir. Elle entendit une voix, lointaine qui lui parlait. Elle ne voulait pas lâcher prise.

« Il est mort. »

Elle se concentra, s'activait autour de l'âme piégée. Elle tenta de la libérer de force cette fois, frappa grâce à l'énergie qu'elle avait pompée précédemment. Mais, il ne semblait plus très réel, terne et effacé. Les petits yeux vides semblaient perdus et terrorisés. Puis l'âme disparut, purement et simplement.

« Il est mort. », dit à nouveau la voix.

C'était l'infirmier qui lui tenait l'épaule. Elle s'aperçut qu'elle était encore penchée sur le corps de l'enfant. La mère pleurait à quelques mètres de là. Elle venait juste de comprendre ce qui venait d'arriver.
Linne se sentit d'un coup complètement glacée. Elle avait échoué. Elle n'avait pas le droit d'échouer. Elle serra le corps contre elle, et elle laissa couler ses larmes.

*
**

Jordan regardait Mercurey avec de plus en plus d'appréhension. Le sourire qu'il affichait depuis le début de la conversation paraissait malsain.

« - Vous comprenez, j'ai peur que ce malentendu entre les norms et nous ne soit plus difficile à faire passer que vous ne le pensez.

- Quant à moi, j'espère que vous ne ferez rien qui puisse nuire à la bonne entente entre ces deux parties de la société. »

Mercurey eut une légère mimique qui mit Jordan très mal à l'aise.

« Mais c'est déjà fait. », murmura-t-il, « et vous ne pourrez rien empêcher. »

Il releva les yeux pour fixer Jordan qui ne comprenait pas encore bien ce qui se passait.

« Vos débuts en politique sont assez pitoyables si vous me permettez, et pendant que vous perdez votre temps avec moi, j'ai pris des assurances et surtout préparé notre ascension. J'ai bien peur que ce soit votre chute aussi. »

Il se tourna vers le poste de télévision qui s'alluma sur la chaîne d'information.

« - "... sont arrivés depuis quelques minutes dans le but d'éteindre les flammes. Les rapports qui nous ont été communiqués indiquent que peu de députés ont eu le temps de sortir avant l'explosion qui reste pour l'instant une énigme pour les pompiers et pour la police. C'est un acte terroriste inconcevable vu les moyens de sécurité qui entouraient l'assemblée. Les rapports provenant du Sénat ne semblent pas offrir un horizon plus clément."

« Vous êtes un malade. », Jordan bondit sur ses jambes.

« J'ai pris des assurances comme je vous le disais. Ne comptez donc pas utiliser vos pouvoirs contre moi, si vous voulez revoir vos amis Edouard et Luc ainsi que vos petits protégés en un seul morceau. »

Mercurey ravala instantanément sa menace quand il vit que les yeux de Jordan brûlaient d'un feu de Mana.

« Vous m'avez toujours sous-estimé, Mercurey, et vos plans pour m'affaiblir ont échoués lamentablement depuis le début et en partie par la faute des "protégés" dont vous venez de parler. Vos meurtres ne changeront rien à cette affaire, ou en tout cas, vous ne verrez jamais votre victoire. »

*
* *

Nicolas regardait l'étrange bâtiment où résidait Mercurey. Jordan lui avait interdit de venir. Il avait prétexté qu'il n'avait rien à faire dans une discussion politique, mais Nicolas savait parfaitement que Jordan l'écartait pour ne pas le mettre en danger.
Il sentit l'esprit de Jordan se tendre, comme jamais avant ce jour. Il se souvint de leur discussion quelques jours auparavant...

Il était allongé dans son lit et regardait le plafond quand Jordan passa devant la porte pour voir s'il dormait. Il se pencha un peu en avant pour vérifier que Nicolas avait bien les yeux ouverts.

« - Il y a quelque chose qui te tracasse ?, demanda-t-il.

- Oui, je... »

Jordan sourit et s'agenouilla devant le lit pour regarder Nicolas dans les yeux.

« - Tu peux me faire confiance, et je n'ai pas de secret.

- Je me demandais pourquoi tu caches autant ton pouvoir.

- Tu crois que je le cache ?, demanda Jordan étonné.

- Je sais pas, ton aura est drôlement bizarre. »

Jordan soupira et baissa les yeux.

« - Tu es vraiment doué, commença-t-il, je ne pensais pas que tu sois capable de percevoir des choses aussi subtiles. Tu sais que j'utilise une partie seulement de mes capacités parce que je base ma magie sur les symboles hermétiques. Tu as dû lire cela dans les livres que je t'ai donnés ? »

Nicolas connaissait parfaitement le paragraphe du livre qui parlait de focii... Ce mot étrange représentait une image, un symbole, permettant à l'esprit du mage de se focaliser pour permettre de contrôler sa magie. Toutefois, la théorie expliquait que le focus était à double tranchant. Il permettait au mage de contenir et d'affiner son pouvoir mais le bridait aussi énormément. Il secoua la tête pour indiquer qu'il s'en souvenait.

« - Quand j'ai fait mon Eveil, mon pouvoir était comme une vague de forte marée. D'une puissante si gigantesque qu'il était totalement incontrôlable. Je déclenchais des catastrophes simplement en pensant à une chose agréable ou à une image déplaisante. J'ai donc fait un énorme effort pour réussir à me canaliser. J'ai utilisé ce que l'on appelle un Sceau pour brider mon pouvoir. J'ai un petit tatouage, ici - il découvrit sa gorge - qui en est le symbole, ce qui me permet de me contrôler.

- Tu n'en as pas besoin. »

Nicolas venait de dire cela comme si l'aveu de Jordan était une honte.

« Tu crois ? », Jordan sourit doucement.

Nicolas baissa les yeux, se sentant pris en faute.

« Tu as raison, je n'en ai plus besoin. Mais j'ai peur de faire du mal autour de moi. Si je ne suis plus capable de contrôler mon esprit, je risque de faire à nouveau mourir des innocents du fait de mes colères. »

Nicolas fut obligé de sortir de ses souvenirs quand l'étage où se trouvait Jordan se volatilisa. Le souffle détruisit les vitres des bâtiments des environs et celles de la voiture se fissurèrent.
La déflagration fut suivie d'un bruit étrange. Comme si le véhicule garé devant venait de recevoir une pierre énorme sur le toit. Quand Nicolas osa lever la tête, il comprit que la pierre en question n'était autre que le cadavre de Mercurey.
La porte de la voiture s'ouvrit un peu vite. Jordan regarda Nicolas dans les yeux. L'enfant trembla en voyant les yeux de son mentor pulser d'énergie magique.

« - Tu avais raison, Nicolas, je n'ai plus besoin de toutes ces limitations. Mais tu te trompais sur une chose : la raison.

- Quand nous en avons parlé, je t'ai dit que tu contrôlais parfaitement...

- Je ne contrôle plus rien maintenant. Et je vais avoir besoin de tout le pouvoir qu'il y a en moi parce que la guerre vient de commencer, il y a quelques minutes. Promets-moi de faire attention à toi, Nicolas. »

Ils se regardèrent un moment.

« La première chose que je devais faire s'est réalisée plus vite que je ne le pensais. », finit par dire Jordan en tournant la tête vers le corps brisé et sanglant d'Albert Mercurey.
« Il va maintenant falloir réparer les dégâts qu'il a fait, en tout cas ceux qui sont réparables. Mais avant tout, il faut solder les assurances vies qu'il avait prises. »

Jordan toisa Nicolas, comme s'il se demandait s'il devait l'emmener ou non. Nicolas ne broncha pas, sachant parfaitement que le supplier était le meilleurs moyen de rester à l'université.

« Nous partons faire une balade en Auvergne. », dit-il finalement.

Nehwon

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