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 Autrement...

Autrement... : Partie 13 - Les armées se rassemblent

Ethan regardait le ciel qui se couvrait présageant un orage. Il était installé, pour une courte pause, sur le haut d'un château d'eau qui lui servait de promontoire pour observer la ville. Il abaissa légèrement ses petites lunettes en demi-lune pour fixer plus attentivement l'université. Il ne savait pas vraiment pourquoi il était là mais il n'y avait aucun doute que le destin avait été très clair avec lui. Il devait, maintenant, se trouver dans cette ville car il avait des choses à y faire.
Il porta sa main à un étui de cuir qui se trouvait à sa ceinture, et en tira une carte de tarot, jaunie et surannée, la Roue de la Fortune, une fois encore. Il ne s'était donc pas trompé d'endroit. Il avança un pied dans le vide, il se laissa simplement tomber. Il atterrit sur le sol de béton comme s'il venait de descendre d'un trottoir. Au-dessus de lui, le vent faisait claquer le drapeau qui surplombait le château d'eau, quarante mètres plus haut. D'un bon, il sortit de l'enclos qui entourait le bâtiment et se mit à courir vers les abords de l'université.
Il fut brusquement arrêté dans son élan par une sorte de mur de Mana qui le fit tomber à la renverse. Cet endroit était différent, bien plus protégé que tous les endroits qu'il avait visités avant. Il dut se soumettre à l'étrange examen des esprits gardiens qui passèrent son aura au peigne fin. Cela ne prit que quelques secondes mais ce fut une prise de conscience douloureuse, il ne pourrait faire ce qu'il voulait et devrait se conformer aux règles en vigueur dans cette forteresse magique.
Lorsqu'il pénétra sur le campus, plusieurs jeunes femmes tournèrent leur tête vers lui. Il est vrai qu'il avait une certaine allure, vêtu d'un manteau de voyage en cuir à l'ancienne dont le col se rabattait très loin sur son épaule et claquait à chacun de ses mouvements. Cet ample vêtement avait pour but de dissimuler en grande partie le sac à dos qui contenait le peu de possession qu'il conservait. Son jean noir était assez serré et près du corps pour ne pas gêner ses mouvements et il portait des bottes de cuir noir qui complétaient une mise pratique et sobre qui correspondait parfaitement à l'aura qu'il dégageait. Ses yeux étaient à nouveau cachés derrière de petites lunettes de soleil en demi-lune qui allongeaient un visage droit et long qui ne correspondait pas tout à fait un être bohème comme lui.
Maintenant qu'il avait atteint le but de son voyage, il pouvait commencer à se demander ce qu'il faisait là. Il n'y avait pas beaucoup d'universités ésotériques au monde. Et après les souvenirs qu'il en avait, celle-ci était la première.
Il s'installa sur un banc, face au bâtiment principal, et sortit de son sac, bien trop petit pour le contenir, un carnet de dessin ainsi que le matériel dont il avait besoin. Il fit d'abord un croquis du bâtiment et la magie, sa magie, transforma le papier en une oeuvre si réaliste qu'elle eut pu passer pour une photographie. Il déposa près de lui l'étui qui comportait ses cartes de tarot et, lorsqu'il eut fini son dessin, il tira trois d'entre elles au hasard.
Il les retourna une à une, le mage, la tour-dieu, et le diable. Il se dit que, pour une fois, il n'était peut-être pas là pour observer. Il supplia les célestes pour que ce soit vrai. Car pour une fois, sa divination était claire.

*
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Plusieurs heures après le rendez-vous que Jordan avait eu avec le président, il restait encore les options disponibles qui s'ouvraient à lui pour sauver ce monde qu'il commençait à aimer d'une guerre civile, maintenant inévitable.
Le président lui avait proposé de défendre lui-même, devant l'assemblée, son point de vue concernant la loi sur la magie. Il ne s'était pas prononcé à ce moment, il ne savait toujours pas s'il devait le faire. Pour la première fois, il était incapable de lire les trames du destin. Cela le troublait énormément, laissant perplexe Nicolas qui tentait de jongler sans utiliser ses mains.

« - C'était si terrible que ça ?, finit par demander le gamin, après un long moment d'hésitation.

- Eh bien, je ne peux pas dire que cette discussion ait réglé quoique ce soit. Mais, d'un autre côté, elle n'a rien empiré non plus. Je suis maintenant sûr que le président de la République n'est pas notre ennemi. Mais il ne pourra pas, comme il me l'a expliqué, placer son veto sur cette loi. Ce serait pour lui comme un suicide, j'espère lui avoir fait comprendre que le vote serait pour nous comme une mort. »

Nicolas regarda le visage tendu de Jordan et comprit que celui-ci avait déjà prévu ce qui allait suivre. Contrairement à ce qu'il avait laissé entendre au conseil, Jordan se préparait à la guerre et Nicolas était sûr maintenant qu'il y avait un projet bien plus grand derrière cette mine défaite.
Alors que l'enfant allait à nouveau ouvrir la bouche, Jordan sursauta, comme s'il avait perçu à l'intérieur même de l'université une présence étrange qui allait modifier le terme de ses visions. Il parut un peu plus agité, se dirigea la porte et sortit de la pièce sans un mot.
Avec un peu de retard, Nicolas sentit lui aussi la présence incongrue qui lui sembla toute proche, comme une potentielle agression, mais aussi comme une forme illogique de soulagement. Il se dirigea vers la fenêtre, l'ouvrit et, après avoir parcouru les quelques mètres qui le séparaient du bord du balcon, tenta de repérer cette énergie déplacée dans la population des visiteurs de l'université. Il ne lui fallut que quelques secondes pour que ses yeux se posent sur un homme, assis sur un banc en face du bâtiment principal, et qui semblait très occupé à dessiner les arcs-boutants qui se lançaient au-dessus de lui.
Nicolas sentit la peur monter en lui lorsqu'il s'aperçut que l'homme le regardait. Celui-ci prit quelque chose près de lui, Nicolas ne vit pas ce que c'était, et le posa sur le carton à dessin qu'il avait devant lui. Le gamin eut l'impression d'être scruté, comme si sa vie présente, passée et future était maintenant à disposition de l'individu. Il se tendit instantanément, modelant son esprit en une forme de bouclier. L'homme réagit violemment comme s'il venait de recevoir une gifle.

*
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Ethan se demandait maintenant pour qu'il était venu. Il savait que sans doute que ce n'était pas un endroit ni une chose, ni même une circonstance, mais bien une personne. Alors que son dessin avançait, et alors qu'il reposait une fois de plus les yeux sur son modèle, quelque chose lui parut incorrect. Le décor avait changé. Sur le balcon du cinquième étage, il y avait maintenant une personne. Ethan avait du mal à la distinguer mais elle lui semblait trop petite pour être un adulte.
Ethan fixa son attention sur cette modification du tableau et son esprit s'étendit jusqu'à elle comme une marée d'yeux cherchant à identifier ce nouveau venu. Les lignes tressées des tableaux du destin lui apparaissaient maintenant plus clairement et le jeune homme qui se trouvait sur le balcon avait un grand rôle à jouer dans la pièce qui allait se monter en ce lieu.
Il prit conscience que cet enfant avait toujours vécu dans le malheur, et qu'alors qu'il trouvait enfin un lieu de paix, il allait à nouveau devoir combattre contre le désespoir.

Le choc fut rude lorsqu'il sentit l'esprit de l'enfant se refermer comme une mâchoire gigantesque sur son esprit. Sa première réaction fut la surprise. Un enfant de cet âge-là ne devrait pas avoir cette puissance. Sa seconde réaction fut la frustration de ne pas avoir pu entrevoir la réelle destinée de l'enfant ni même les circonstances de cette terrible prédiction.

Il arracha la page de son carnet qui comportait le dessin du bâtiment principal et, alors qu'il ne l'avait jamais vu, il chercha à matérialiser l'enfant. Il ne lui fallut que quelques minutes pour obtenir quelque chose de convaincant. Lors de ces longues pérégrinations, il n'avait jamais trouvé le but de sa mission aussi facilement. Peut-être y avait-il quelque chose de plus complexe derrière cette première partie qu'il devait mener contre le destin.
À l'autre bout de la place, sortant du bâtiment principal, il vit un homme se diriger vers lui. Il paraissait déterminé et Ethan se demanda s'il était bien raisonnable de rester. Il décida que, maintenant qu'il avait trouvé sa mission, il ne pouvait se permettre de s'éloigner. Il resta donc installé nonchalamment sur le banc, laissant les destinées faire leur travail.

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«... Avec le président pendant plusieurs heures. Il en est ressorti que l'archimage serait cordialement invité à exposer son point de vue devant l'assemblée nationale et le Sénat lors du vote de cette loi qu'il a qualifiée de « Ethericide ». Avec la réouverture de l'hôpital pour les victimes de l'Eveil, l'université ésotérique est maintenant que le plus grand pôle mondial pour l'étude et la compréhension des phénomènes magiques. »

De fureur, Mercurey brisa la télécommande sur le socle en marbre de son bureau. Il savait pertinemment que de Jordan ne se laisserait pas faire. Et, comme il avait annoncé au conseil, il tenterait toute chose possible pour contrecarrer ses plans. L'ouverture de l'hôpital à l'université était un premier pas vers une médiatisation positive du groupe des éveillés. Et il savait maintenant que Jordan avait commencé la guerre des médias et avait gagné une bataille. L'annonce qui venait d'être faite concernant la présence de Jordan au vote de la loi ne pouvait que détruire les espérances folles qu'il avait bâties autour de la réaction des norms.
Il n'avait pas encore perdu la guerre, bien sûr. Mais il allait maintenant devoir réagir vite. Il fallait, avant tout, faire taire Jordan. Et pour cela, il avait une idée très précise des moyens à employer.

Il prit une feuille de papier, y inscrivit les ordres qui lui semblaient couler de source, et par magie, transporta instantanément plusieurs des copies vers ses hommes de main. Ce ne fut qu'après qu'il eut pris le temps de se calmer, qu'il prit conscience qu'il allait facilement pouvoir retourner cette annonce à son propre intérêt. Maintenant, il savait ce qui lui restait à faire et ce serait certainement le glas de Jordan.

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Alors que tout semblaient tranquille dans la campagne d'Auvergne, plusieurs portails de téléportation apparurent, dissimulés par la solitude des lieux. Des hommes habillés de noir et encagoulés se répartirent sur le terrain comme lors d'un exercice de commandos. Dans le silence le plus parfait, émaillé par la chanson des grillons, le groupe militaire encercla une fermette en pleine nature.
Et à ce moment, le destin était figé. Il n'y avait plus d'autre solution que l'affrontement.

Nehwon

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