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Chronique des 5 Royaumes de Lorentis : Chant 04 - Vers l'autre rive ?

Gabriel était resté au chevet de Zéphyr qui ne semblait plus avoir le goût de vivre. La chaleur du bain qu'il avait pris et la douceur de ses nouveaux vêtements avaient soulagé son corps. La fatigue l'étreignait maintenant. La chambre qu'il connaissait bien ne lui apportait, cette fois, aucun réconfort. Il ne pouvait pas aider son ami. Il regarda le corps allongé dans son lit, replié sur lui-même. Les cheveux roux dépassaient des draps qui par moment étaient secoués de sanglots. Gabriel se reprochait d'avoir offert ce cadeau perfide à son compagnon, son frère. Il ne savait pas comment lui dire qu'il était désolé, parce que ce n'était pas un mot suffisant pour ce qu'il ressentait au fond de lui. Il repensa aux moments qu'ils avaient vécus pendant l'entraînement. Ces moments où ils avaient dû synchroniser leurs esprits pour faire face aux pouvoirs de leurs maîtres. Ils étaient maintenant tellement proches que si l'un d'entre eux venait à mourir, l'autre ne survivrait certainement pas très longtemps.

Il leva les yeux vers le brouillard qui glissa doucement sur la ville d'Astius, en contrebas du palais. Il ne savait même pas si l'on fêtait la victoire de l'armée d'Astius ou si l'on se terrait dans la peur de l'invasion. Avaient-ils changé quelque chose ?

On frappa à la porte.

«Entrez !»

Un page qu'il ne connaissait pas poussa la porte. Il devait avoir une vingtaine d'années et portait les stigmates d'une adolescence difficile sur le visage.

«Le Seigneur Chilberic veut vous voir de suite, mon Prince.», dit-il d'une voix légèrement sifflante.
«Très bien, j'arrive.»

*
* *

Chilberic regardait le brouillard. Le balcon qui donnait sur la ville offrait une vue imprenable sur la vie du commun, d'habitude, mais cette fois, la destinée du royaume semblait aussi opaque que le paquet cotonneux qui se dessina devant les yeux du roi. Le Seigneur d'Opale était toujours présent, discret. Il scrutait le roi, comme si il était capable de comprendre les méandres de ses pensées actuelles. Il était le seul à pouvoir mettre Chilberic mal à l'aise. Le jeune page du Seigneur d'Olog était arrivé depuis quelques minutes, sale et fatigué, il était agenouillé derrière lui, à un mètre à peine.

«Tu me dis que d'Olog pensait que Nol s'est parjuré ?», dit-il plus pour lui-même que pour le jeune page.
«Oui, mon seigneur, c'est le message que mon maître m'a demandé de vous porter.»
«Très bien, et que devient cette bataille, selon toi ?»
«Je ne sais pas si...», bégaya le garçon.
«Je te demande ton sentiment, jeune homme.», coupa le roi, plus doucement.
«Elle est perdue, sire.»
Le roi se retourna vers le jeune page.
«Je m'en doutais un peu.», confirma-t-il, «Tu as été brave, va prendre du repos.»

Felys se releva et se dirigea vers la porte. Il trébucha et tomba de fatigue. Ce fut Gabriel qui l'empêcha de se rompre le cou sur le marbre du balcon.

«Je le connais.», dit Gabriel, un peu surpris, «Ce n'était donc pas un rêve.»
Il baissa les yeux, une prise de conscience d'autant plus douloureuse.
«Tu voulais me voir, père ?», dit-il plus fort pour que le roi l'entende.
«Ce n'est pas moi qui voulait te voir, Gabriel, mais le Seigneur d'Opale.»
Celui-ci sortit de l'ombre.
«En effet, jeune guerrier, j'ai une requête pour toi et pour ton ami.», annonça l'Elfe aux atours d'or et d'argent.
Gabriel planta son regard dans les yeux verts du Seigneur, lui signifiant qu'il écoutait.
«Je reprends demain la direction de l'Autre Rive. Et sur la demande de ma fille, j'aimerais que tu viennes avec nous.», Commença-t-il, «Je sais que l'école de magie d'Horus-la-trois se fera un plaisir d'accueillir des invités de votre trempe.»

Le coeur de Gabriel fit un bond. L'école de magie d'Horus était certainement le lieu de puissance thaumaturgique le plus réputé de la planète.

«C'est un grand honneur, Seigneur, mais je crains de devoir refuser.», dit Gabriel, à son plus grand regret.
Le Seigneur d'Opale sourit doucement.
«J'ai un devoir envers mon peuple et la guerre est très proche.», continua-t-il sans laisser le temps au Roi d'Opale de prononcer une parole, «Je me dois d'être aux côtés de mon père lorsque les armées du félon arriveront à nos portes.»
«Elles n'arriveront jamais.», dit simplement le Seigneur Tristan.

Les voix de Gabriel et de son père se mêlèrent dans la même exclamation de surprise.

«Tu les as défaites.», continua-t-il, «La déesse ne t'a pas fait l'honneur d'une modification du temps pour que ton ami puisse voir son père une dernière fois. Ses plans sont bien plus complexes.»

Les dires du seigneur sonnaient si juste. Gabriel trembla un instant. Pour la première fois, il lui sembla percevoir la réalité, la vraie présence du seigneur d'Opale. Il compris en un instant fulgurant pourquoi on le nommait le Roi-Dieu d'Opale. Lorsque les yeux du seigneur se posèrent à nouveau sur lui, son regard vert avait laissé place à des pupilles mauves et ce fut dans son esprit directement que la voix de cet être nouveau résonna.

«Ne crois pas que j'ai fait le déplacement pour visiter le royaume de ton géniteur. Je suis ici pour toi, parce que tu pourrais être une simple marionnette dans les mains d'une Déesse sans adorateur.»

Il y eut une pose pour que Gabriel intègre les informations qu'il percevait. Il était en présence d'un Dieu incarné, pas d'un seigneur puissant et charismatique.

«Oui, tu pourrais être une amusante marionnette dans les mains d'une Déesse délaissée, mais je te propose autre chose. Je te propose de faire de toi un Modeleur. Tu penses sans doute que l'on ne devient pas un Dieu, n'est-ce pas ? Tu te trompes. On a la volonté de devenir le créateur de son propre destin ou on reste à jamais le jouet de ceux qui t'imposent un chemin tout tracé.»
«Je ne comprends rien.», répondit Gabriel, «Je ne suis pas un Modeleur, je suis un simple guerrier qui a appris la guerre contre son gré.»
«Tu te trompes encore. Tu es capable de m'imposer ta pensée et de communiquer avec moi sans que les autres le perçoivent. Regarde.»

Son père, étonné, regardait alternativement le Seigneur et son fils qui se regardait dans le blanc des yeux, sans comprendre.

«Ça ne veut rien dire, la plupart des Elfes sont capable de télépathie.», contra Gabriel.
«Et combien d'entre eux seraient capable de supporter la pensée d'un Dieu sans en mourir instantanément ?»
Le sourire du seigneur s'agrandit.
«Laisse-moi te donner un bref aperçu de ce que la Déesse Takas a gagné au moment où elle t'a recruté.»

Gabriel se revit sur le champ de bataille. La tristesse de Zéphyr l'assaillant. Près de lui son ami était tombé au sol, en pleurs. Les soldats ennemis qui depuis près de trois heures cherchaient une ouverture s'engouffraient dans la brèche laissée par ce moment de faiblesse. Puis, le temps s'arrêta. «Regarde ton pouvoir, jeune homme, et dis moi qu'un Elfe est capable de faire ça !» La voix du Seigneur Tristan résonna un moment pendant lequel Gabriel vit des ailes apparaître dans son dos et une colonne de lumière blanche l'entourer. Les âmes des ennemis s'envolaient vers la colonne sous la forme de flammèches dorées, argentées ou rouge sang en fonction du royaume d'horizon qu'ils allaient atteindre. Quand la voix se tut, la lumière disparut en même temps que les ailes qui ornaient le dos de son alter ego onirique. Le Gabriel du rêve avait les yeux fermés et il tomba inconscient au sol. Il ne restait plus qu'une armée d'Astius qui regardait les corps des ennemis gisants au sol, sans vie, prenant un temps avant de comprendre que la bataille qui devait être perdue venait d'être gagnée.
«Et ton compagnon d'arme n'est pas en reste, même si contrairement à toi, il fait trop cas de son corps physique.»
«Je pense que j'aurais été aussi triste que lui si mon père était mort devant mes yeux.», dit Gabriel.
«Alors, maintenant, il va te falloir faire un autre choix. Suis-moi et libère toi du joug de la déesse ou suis la destinée qu'elle a écrite pour toi. C'est le deuxième tournant de ta vie.»
«Je vais y réfléchir.», conclu Gabriel.
«Fais vite, je ne pourrai pas distordre les fils de la destinée plus d'une journée.»

Gabriel secoua la tête et regarda son père.

«Je vais emmener ce garçon. Il a besoin d'un bain, d'un lit et d'un repas.», émit Gabriel pour éviter les questions de son père qui ne tarderaient certainement pas à venir, «Je vais finalement réfléchir à votre proposition, Seigneur d'Opale.»
«Très bien.»

*
* *

Gabriel avait porté le jeune page dans ses propres quartiers. La place était suffisante pour lui permettre d'installer le garçon confortablement. Des domestiques l'avaient aidé à prendre un bain et lui avaient trouvé des vêtements qui allait mieux correspondre à l'environnement. La cour était un bien pire monstre que ceux que l'on pouvait croiser sur les champs de bataille. Gabriel regardait le jeune homme allongé dans un lit de camp, les yeux ouverts, recroquevillé sur lui-même et les larmes coulant le long de ses joues. Le silence de la chambre commençait à lui peser, son coeur battait encore douloureusement du choc qu'il avait subi par l'intermédiaire de son frère. Il s'approcha.

-Tu es en sécurité maintenant, tu sais, finit-il par dire.
-Je sais, mon seigneur, mais je n'ai plus rien, j'ai peur de l'avenir.

Gabriel accusa un coup, comment pouvait-on avoir peur de l'avenir. Puis, il finit par se rappeler les premiers jours de ses classes. Il avait aussi du mal à ne pas avoir peur de son futur.

- Si tu veux parler... dit Gabriel doucement.
- Le seigneur d'Olog m'avait pris comme page lorsque j'ai eu huit ans. Je suis né dans un petit village de l'est de la Marche près de son château. Je n'avais pas compris au début, la raison qui lui avait fait m'accepter à son côté.
L'enfant paraissait maintenant intarissable, comme si ses paroles devaient couler comme ses larmes.
- Il m'a avoué la raison de son geste avant de partir pour la guerre contre le seigneur Nol, comme s'il savait qu'il n'aurait peut-être pas d'autre moment pour me dire la vérité. Il m'a dit qu'il avait aimé ma mère et que j'étais son fils. C'était la raison de mon intégration dans sa cour. Il se sentait responsable de moi. Je crois que c'est aussi pour cela qu'il m'a envoyé ici. Ma vraie mission est de retrouver son fils légitime.
- Tu as donc encore quelque chose à faire. Tu ne crois pas ?
- Je ne sais pas si j'en aurai la force.

Gabriel tourna la tête. Il avait perçu une présence derrière lui. Zephyr regardait la scène dans l'ombre de la pièce, le visage tiré et les yeux rougis.
- Pourquoi n'en aurais-tu pas la force ?
- Je l'ai toujours jalousé. Je voulais voir mon seigneur comme mon père. Et maintenant qu'il est mort, mon destin est de servir le nouveau seigneur d'Olog et ce seigneur est mon frère, j'ai peur de le haïr.
- Le connais-tu ? Sais-tu qui il est vraiment ?
- Non, je ne l'ai jamais vu. Mais je sais que le seigneur d'Olog l'aimait beaucoup. J'ai prié pour qu'il me laisse sa place... Et je m'en veux. Je sais qu'il doit avoir aussi mal que moi. Je me sens honteux d'avoir eu ce type de pensée.

Finalement Zéphyr s'approcha.
- Tu n'as pas de raison de t'en vouloir, tu sais. Tu connaissais certainement notre père bien mieux que moi. J'aurais aussi aimé être à ta place et vivre auprès de lui, plutôt que de faire ce que ma charge me demandait de faire.

Le garçonnet se retourna sur son lit pour faire face à cette nouvelle voix. Il regarda un moment le visage de Zéphyr. Il lui fallu quelques instants pour comprendre.

- Mon seigneur, vous avez tout entendu ? Je suis désolé, je ne voulais pas ...
- Je ne suis pas ton seigneur, je suis ton frère et pour moi la charge dont je parlais n'est plus. Je suis un danseur de guerre, pas un prince.

Gabriel perçut un étrange sentiment dans l'environnement, comme un combat entre la Haine et l'Amour. Les yeux des deux garçons étaient restés aimantés et le plus jeune, dont Gabriel ne connaissait toujours pas le nom, tremblait.
Gabriel comprit d'un coup. Il se leva et se retourna si vite que Zéphyr ne comprit pas qu'il était en danger. Gabriel frappa violemment Zéphyr au menton, l'envoyant voler sur quelques mètres.

- Tu n'as pas le droit de faire ça. Hurla-t-il avant même que le corps de son ami ne soit retombé sur le sol.
Zéphyr cligna des yeux.
- Je n'ai pas le droit de faire quoi ?, finit-il par dire, l'air complètement perdu.

Mais Gabriel regardait le ciel sans se soucier de ce que disait son compagnon. Un vent froid s'engouffra par une fenêtre qui devait normalement être fermée. Un battant de celle-ci frappa violemment contre le mur et la vitre vola en éclat. Gabriel sursauta et tenta de reprendre son calme. Zéphyr le regardait encore d'un regard interloqué, tentant de comprendre les sentiments qui l'avaient envahi et la scène qui venait de se dérouler.

- Tu n'as pas encore compris ? dit Gabriel plus doucement. Elle ne nous a pas pris sous son aile pour que nous ayons des vies meilleures. Ce n'est pas dans la vision des choses de la Déesse. Nous sommes ses combattants, ses pions. Rien de plus. Elle veut nos prières mais aussi nos âmes. Que pensais-tu avant que je ne te frappe ?
Zéphyr resta bouche bée. Il fini par regarder le sol.
- Je crois que je voulais sa mort.
- Et que ressens-tu maintenant ?
Zéphyr tenta de s'éclaircir l'esprit. Il sembla faire un gros effort tellement ses pensées avaient été affectées ou peut être à cause du coup qu'il venait de recevoir.
- Je n'en suis pas sûr. De la pitié peut-être et un peu de colère envers mon père qui aurait certainement dû me dire que j'avais un frère. Je crois que je ne le connais pas encore assez mais que je l'aime déjà.
Gabriel regarda Zéphyr dans les yeux et il sembla comprendre ce qu'il voulait dire.
- Ecoute, Zéphyr, le Seigneur Tristan d'Opale est vraiment un être très puissant, il peut certainement nous aider à devenir des personnes libres. Je veux dire vraiment libre, sans l'assujettissement que nous imposent les Dieux. Enfin, c'est ce qu'il m'a proposé. Je ne sais pas s'il en a le pouvoir, mais je crois que je peux lui faire confiance. Veux-tu tenter l'expérience avec moi ?
- Je ne comprends encore pas bien ce que tu veux dire, mais je crois que je suis partant... Tout au moins pour aller de l'autre côté de la mer.

Gabriel sourit au regard enfantin que lui jetait son compagnon d'arme. Il se demanda un bref instant s'il devait imposer ça à son ami. Puis, il finit par décider qu'il était trop tard pour reculer et que Zéphyr était une partie de lui.

- Maintenant, je crois qu'il est temps de prendre nos destins en main. Commence donc par faire la paix avec ton frère.
Zéphyr finit par faire un pas en avant vers le lit de camp. Il s'installa près de son frère et le prit dans ses bras.
- Sois le bienvenu, dit-il simplement.

Nehwon

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