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Chronique des 5 Royaumes de Lorentis : Chant 03 - L'arène

Le roi Chilberic était installé dans un fauteuil dans les loges d'honneur de la grande arène. Il regardait avec colère les jeunes gens qui se battaient devant lui pour lui prouver leur valeur. Son fils aurait dû se trouver devant lui pour se couvrir de gloire et ainsi pouvoir intégrer les gardes royaux comme commandant en chef. Ça faisait trois ans qu'il avait commencé son entraînement mais d'après le nouveau maître d'armes Salmathe, il avait disparu avec un autre novice lors de leur deuxième semaine d'entraînement. Il n'aurait jamais cru que son fils aurait pu le déshonorer ainsi. Surtout qu'aujourd'hui était un grand jour, le Roi-Dieu de l'île mystique de l'Autre Continent, Tristan d'Opale et sa fille étaient ses invités d'honneur. Il avait d'ailleurs demandé la démission de l'Elfe qu'il croyait son ami. Il ne l'avait pas fait exécuter pour clore sa dette d'honneur, mais il se le reprochait encore.

«Seigneur Chilberic !», l'interpella le roi d'Opale, «Qui sont les deux personnes qui viennent d'entrer dans l'arène, là-bas au fond ?»

Chilberic tourna les yeux vers le point indiqué. Deux garçons se tenaient près de la herse qui fermait l'arène. L'un d'eux portait une tenue blanche et une épée longue et fine, l'autre une tenue verte et une sorte de lance à deux lames. A cette distance, il ne lui fut pas possible de voir leurs visages.

Le principe de ce divertissement qui servait d'épreuve initiatiques aux jeunes guerriers était de leur faire affronter les Peaux Vertes qui avaient été capturées lors des nombreuses battues qui étaient effectuées dans la grande forêt. C'était une épreuve relativement dangereuse dont seuls les meilleurs sortaient indemnes. C'était aussi le moyen de sélectionner efficacement les combattants qui feraient partie de l'armée royale. Il y avait des morts chaque année.

Les deux combattants coururent vers la mêlée et entrèrent dans le combat. Rapidement, ils adoptèrent une technique qui ressemblait plus à de la danse qu'à une technique de combat. C'était pourtant terriblement efficace. Le guerrier à l'épée contra facilement un coup qui aurait dû tuer un novice et sa riposte décapita l'Orc qui venait d'attaquer.

«Ce sont des élèves Takashins.», murmura le roi d'Opale entre ses dents. «Certainement les plus fougueux qu'il me fut donner l'occasion de voir. »

Chilberic tourna les yeux vers le visage du roi d'Opale qui regardait le combat avec attention. C'était un Elfe lui aussi, certainement l'un des plus éminent d'ailleurs. Il devait certainement savoir de quoi il parlait.

Celui qui était vêtu de blanc s'était rapproché suffisamment pour que le Roi puisse voir son visage. Sous les cheveux longs, soigneusement tressés, il eut la surprise de voir le visage de son fils. Ses mouvements étaient d'une incroyable souplesse et d'une efficacité incomparable. Il avait en moins de trente minutes fait plus de dégâts dans les rangs des Peaux Vertes que les vingt autres guerriers en près de deux heures. Les novices, stupéfaits, avaient reculé pour reprendre leur souffle. A deux, ils affrontaient victorieusement une armée d'une quarantaine de créatures plus monstrueuses les unes que les autres.
Il y eut un moment de calme, les deux combattants s'étaient figés, l'un près de l'autre dans une position de garde étrange. La masse des Peaux Vertes avait reflué pour se réorganiser.

«Ils vont se faire démembrer.», s'écria le Roi en se préparant à prendre son arme et à courir à leur aide.

Ce fut la main du roi d'Opale qui l'en empêcha. Autour de plus petit des deux, celui qui portait des vêtements verts, les gravillons qui servaient de sol à l'arène s'élevaient dans les airs comme par enchantement. L'autre avait joint ses mains et semblait prier. Un instant plus tard, un maelström de feu et de pierres s'abattait sur le reste des Goblins qui périrent dans un dernier cri combiné de douleur.

Gabriel avait les oreilles qui tintaient. Il n'avait encore jamais utilisé les pouvoirs des huit éléments dans le cadre d'un combat et il se sentait vidé. Il regarda autour de lui et vit que toute la foule massée dans l'arène s'était levée pour les acclamer. Il fixa les yeux sur son père. Le visage du souverain exprimait une grande fierté, mais il y avait aussi de la peur, que seuls les sens de Gabriel pouvaient percevoir.

«On a réussi !» lui murmura Zéphyr à l'oreille. «On est les meilleurs.»

«Tu en doutais ?», répondit Gabriel, «À coté de l'épreuve de la Renaissance, c'était une partie de plaisir.»

Il sentit son compagnon réprimer un frisson. Il en faisait lui-même encore des cauchemars. Le Roi leur fit signe de monter sur l'estrade. Ils se dirigèrent vers l'endroit indiqué.

«Peuple d'Astius,», hurla le Roi pour se faire entendre sous les hourras qui provenaient de la foule, « Le tournoi d'aujourd'hui a été remporté haut la main par deux vaillants guerriers. Qu'il me soit permis de connaître leurs noms.»

Gabriel trouvait cette cérémonie terriblement démodée, et passablement barbare. Il laissa discrètement passer Zéphyr devant lui.

«Je suis Zéphyr, étudiant du Roché de Takas.», répondit Zéphyr.

La foule éclata en un hourra qui fit trembler les murs de l'arène. Le roi fit taire la foule d'un geste.

«Je suis Gabriel d'Astius, Elu de la maîtresse Takas.»

Il y eut un moment de silence, le temps que la foule comprenne que le deuxième guerrier était en fait leur Prince. Il y eut ensuite un grondement comme jamais Gabriel n'en avait entendu. Ce grondement de liesse semblait près à faire tomber les murs de la vieille arène.
Le reste de la journée fut floue dans l'esprit de Gabriel. Les choses semblaient se passer en accéléré pour finir avant qu'elles n'aient réellement débutées. La seule chose dont il fut conscient c'était les yeux verts d'une jeune Elfe. Il ne parvient pas à fixer les traits de son visage dans son esprit mais il sentit son coeur faire un bon quand les yeux si différents de ceux de la foule se posaient sur lui.

Ils se retrouvèrent dans le palais alors que la nuit descendait sur la ville. Eltahir et Myrth les avaient rejoint. Elendil avait repris la route en direction de la forêt d'Alluviel en leur souhaitant bonne chance, le matin même.

«Je vous dois des excuses, maître Eltahir.», disait le Roi, «Je pensais que mon fils m'avait déshonoré en fuyant ses responsabilités et je vous en tenais pour responsable. Je comprends maintenant que vous avez fait de votre mieux pour lui offrir la grandeur qu'il devait atteindre dans l'art de la guerre.»
«Vous n'avez pas à vous excuser, votre majesté.», répondit Eltahir, « J'aurais dû vous faire part de ce que je lui proposais. Cela m'était toutefois interdit.»

Le roi d'Opale l'observait de ses yeux fendus depuis qu'ils étaient arrivés dans la salle du conseil. Gabriel ne parvenait pas à soutenir son regard, il semblait d'ailleurs que personne d'autre n'en était capable. Sa fille, dont Gabriel ignorait encore le nom, avait aussi ce pouvoir étrange de pouvoir lire dans les âmes. A chaque fois que les yeux de la princesse croisaient les siens, il ne pouvait s'empêcher de rougir, comme un petit garçon pris en faute. A chaque fois, il remarquait un petit sourire sur le visage lisse et délicat. Comme si elle savait parfaitement qu'elle avait ce pouvoir et en abusait.

«Ils ont tout deux réussi l'épreuve de Takas. Vous pouvez être fier de votre fils, mon seigneur, il est le premier Demi-Elfe à sortir vivant de ce test.» disait Myrth.

Le roi Chilberic venait de tourner son regard vers son fils, et semblait plus fier que n'importe quel père. Gabriel n'avait jamais perçu ce type de regard sur le visage de son père. Il ne savait pas encore si ça lui faisait plaisir ou si ça le chagrinait. Etrangement, il aurait aimé que son père soit fier de lui pour ce qu'il était et non pour ce qu'il arrivait à réaliser sous la contrainte. Gabriel s'approcha. Sur le point de dire sa façon de penser à son père, il sentit une profonde douleur dans sa poitrine. Par instinct, il se retourna pour fixer Zéphyr dans les yeux. Son ami était figé, le regard vide, la main sur le coeur.

«Papa.», murmura-t-il.
Le roi les regarda l'un après l'autre, sans comprendre.
«Père, où est le seigneur d'Olog, je ne l'ai pas vu dans l'arène, cet après-midi ?», dit Gabriel d'une voix grave.
«Je l'ai envoyé sur le front de l'Est, près des marches de la Malvoix.», répondit le roi.
Gabriel se dirigea vers son ami. La sensation de perte qui vibrait maintenant dans sa poitrine ne pouvait vouloir dire qu'une seule chose.
«Je suis désolé, Zéphyr.»
Gabriel serra son ami contre lui.
«J'aurais tant voulu qu'il voit cela.», prononça difficilement Zéphyr en tentant de ravaler ses larmes.

Une voix traversa l'esprit de Gabriel :

«Tu peux lui offrir cela.»

C'était une voix féminine d'une puissance et d'une présence qui dépassait tout ce que l'on pouvait imaginer. Gabriel n'osa pas répondre. Il ferma les yeux. Autour de lui, le monde changea. Il entendit le tic-tac d'une horloge dont les aiguilles tournent à l'envers. Lorsque le flou de l'espace qui les entourait fut dissipé, le vent froid de l'Est les frappa en plein visage. Deux armées se faisait face. L'une portait les insignes d'Astius et l'autre l'emblème de Malvoix.

«Elle m'a dit que nous n'avions pas le droit de le sauver. Mais que tu pouvais lui prouver que tu étais devenu un puissant seigneur de guerre.», dit-il doucement en desserrant son étreinte, «Je suis désolé.»
«J'ai entendu sa voix moi aussi, je sais ce qu'il me reste à faire... avec ton aide, si tu veux bien.»

Le regard de Zéphyr ébranla Gabriel bien plus que toutes les confessions qu'ils s'étaient faites pendant leur entraînement.

«Tu es devenu mon frère et je ne laisse pas un frère lorsqu'il doit combattre.»

Leurs armes étaient déjà présentes plantées dans le sol comme des mats d'étendard qui prouvaient leurs victoires sur la bataille prochaine. Ils les saisirent et partir vers le camp d'Astius. A l'horizon, le soleil se levait doucement. Lorsqu'ils arrivèrent près des rangs, les soldats étaient très tendus, prêts à l'assaut. Ils ne portèrent pas attention sur les deux jeunes gens qui venaient de les rejoindre. Gabriel fit un tour d'horizon et se prit à se demander lesquels étaient des morts en instance. Il comprit pour la première fois la chanson de Takas. Elle pleurait la vie de ceux qui tomberont sous ses coups. Il resta un instant sans voix, pensant qu'il ne pourrait plus tuer après cela.
Une fois de plus, la voix résonna dans sa tête :

«C'est leur destin. L'Elu est le seul dont le destin n'est pas inscrit dans la chanson de Takas. Il est le seul à pouvoir changer un monde qui se dirige vers son agonie.»

Gabriel ne comprit pas vraiment ce que signifiait ce message, mais son bras ne tremblait plus. Il était prêt pour le combat. C'était aussi son destin. La pluie commença à tomber en gouttelettes froides et piquantes, se mêlant aux larmes de Gabriel.
Quelques instants plus tard, ou une éternité dans le passé ou dans le futur, la bataille fit rage autour d'eux. Ils dansaient comme ils avaient appris à le faire, d'une danse gracieuse et mortelle. Rapidement, les ennemis se dispersèrent pour ne pas subir l'affront de succomber sous les coups de deux adolescents Demi-Elfes ou peut être pour fuir la peur qui les étreignait devant la puissance des danseurs de Takas. Gabriel s'arrêta un instant pour reprendre son souffle. Il se débarrassa des restes en lambeaux de ses pourpoints blancs. La plupart des taches rouges qui maculaient son pantalon provenaient d'un sang qui ne lui appartenait pas. Un flash brisa son moment de repos. Zéphyr s'était approché de son père et se préparait à contrer un coup qui lui était destiné. Gabriel hurla.

«Non, Zéphyr, tu ne dois pas...»

La lame de l'ennemi fut bloquée par la lance à double lame. Le seigneur d'Olog baissa les yeux sur le jeune page qui le protégeait de son arme étrange. Zéphyr tourna les yeux vers son père qui paru enfin le reconnaître.
«Mon fils ?»
Zéphyr n'en écouta pas plus. Il s'esquiva et se retrouva dos-à-dos avec Gabriel.
«Tu ne devais pas le sauver.», dit doucement Gabriel.

Ils battirent du mieux qu'ils purent, mais la bataille semblait perdue, les forces ennemies étaient formidablement puissantes par rapport aux armées d'Astius. Le seigneur d'Olog regardait les deux adolescents faire plus de dégâts que ses propres seigneurs de guerre, aguerris et expérimentés. Il regarda la bataille et se fit rapidement une idée de la colossale puissance de l'ennemi. Il fit un geste à destination d'un de ses pages. Felys devait avoir 10 ans, petit, rapide et souple, il s'approcha.

«Ce n'est pas le seigneur Nol qui se trouve en face de nous, cette armée n'est pas celle des marches de l'Est. Malvoix a rompu le serment de la guerre, il a engagé des mercenaires. Préviens le Roi Chilberic.»
«Bien mon prince.», dit le page.

Il regarda une dernière fois son seigneur et s'en fut au plus vite à travers le rang des guerriers des Marches du Nord.

«Maintenant, il est l'heure de mourir.», dit le seigneur d'Olog à son second.
«Je vous suivrai sur les terres du Khanne.», répondit celui-ci.
«Non, j'ai une mission pour toi.», coupa le seigneur, «Retourne à Astius, et dit à mon fils que je suis fier de lui et que je l'attends dans l'autre monde, sur les rives de sang.»
«Bien, mon seigneur.», murmura le lieutenant, hésitant.
«ALLEZ !», hurla le seigneur de guerre en se jetant dans la mêlée.

Gabriel vit une longue percée s'ouvrir dans les rangs ennemis dans leur direction.

«Zéphyr, ton père vient vers nous.»

Ce fut le moment que choisi une flèche pour fendre l'air avec un sifflement. Elle se ficha profondément dans la gorge du seigneur, le désarçonnant. Il tomba dans la boue. Gabriel ressentit une vague de tristesse violente le traverser. Il sut instantanément que ce sentiment ne lui appartenait pas, c'était le cri de douleur de l'âme de son frère. Rapidement, il ne put plus faire la différence entre la douleur de son corps et celle de son esprit. La lave du mana glissa dans ses veines à une vitesse fulgurante, l'énergie de la magie se glissait maintenant en lui et alimentait sa chanson en syllabes de haine et de colère. Ce qui suivit fut un chaos d'émotions et d'images sans réalité. Lorsqu'il ouvrit les yeux, la douleur de son coeur s'était estompée, il tenait Zéphyr dans ses bras. Il était couvert de sang et ils étaient à genoux dans la salle du trône d'Astius. Le Roi Chilberic les regardait avec un regard où se mêlait la peur et le respect presque religieux.

«Qu'est-ce que cela signifie ?», fini-t-il par dire.
«Le temps n'est pas une ligne droite.», répondit le Roi d'Opale, «Le pouvoir de la Déesse de la Guerre leur a offert leur première initiation à la guerre réelle. Il revient d'un conflit qui a déjà eut lieu.»

La jeune princesse d'Opale s'était précipitée vers le deux garçons et une lueur bleue entourait ses mains, cicatrisant instantanément les estafilades plus ou moins profondes qui couvraient leurs corps. Une fois de plus, elle tourna son regard vert vers celui de Gabriel.

«Je peux soulager votre corps et le sien, mais vous êtes le seul à pouvoir alléger son âme.», murmura-t-elle à son oreille lorsqu'elle eut fini.

Nehwon

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