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Chronique des 5 Royaumes de Lorentis : Chant 02 - Le corps, la lame et l'esprit

La semaine qui suivit fut la pire accumulation de souffrance qu'il eut pu imaginer. Le soir, quand il était libre de faire ce qu'il voulait, il passait simplement le temps allongé sur son lit, à compter ses muscles douloureux et les humiliations de la journée. Ces choses qui lui avaient rendu les quelques heures de soleil un peu plus terribles. Son seul ami était Zéphyr, bien que le jeune homme avait un esprit assez limité, il lui faisait du bien simplement parce qu'il savait se taire au moment où il fallait.

Un soir, alors que la journée d'exercices et de combat l'avait laissé plus groggy et douloureux qu'à l'habitude, alors que le ciel était noir et que la douleur l'empêchait de trouver le sommeil, alors que tous ses jeunes compagnons dormaient et que la plupart des recrues ronflaient, saoulées sur une table de la salle commune, la porte de sa chambre s'ouvrit sans bruit.
Gabriel retient son souffle. Au début de sa semaine d'instruction militaire, un certain nombre de soldats lui avaient fait comprendre qu'il n'était plus un prince mais un simple page comme les autres. Sa nature elfique et la stature qu'il avait héritée de son père et de l'apprentissage du devoir qui serait le sien, avaient irrité les soudards qui considéraient la caserne comme leur royaume. Ils l'avaient battu longuement, comme un certain nombre de nouveaux, pour leur faire comprendre qui commandait, disaient-ils. Il se souvenait encore de la douleur dans chaque muscle de son corps et des coups, portés de façon à ne pas laisser de traces.

«Tiens ! Pose donc cela sur ta langue, ça va faire passer la douleur.»

La voix qui venait de s'adresser à lui était trop chantante pour être celle d'un soudard. Il tenta d'accoutumer sa vision à la noirceur qui régnait dans la chambre. Ce fut les cheveux d'argent qui lui firent comprendre que c'était Myrth qui se trouvait près de son lit. Il lui tendait une petite feuille verte. Gabriel tendit la main et prit la feuille. Il hésita toutefois à faire ce que lui disait le maître.

«Je sais que tu as appris cette semaine à ne faire confiance qu'à très peu de personnes. C'est vrai que l'Elendisth n'est pas très agréable, mais elle va très rapidement détendre tes muscles et faire disparaître les douleurs de tes hématomes.»
Il finit par poser la petite feuille sur sa langue et il la laissa diffuser son étrange parfum aigre-doux. Il eut une légère grimace au début mais il s'y habitua très rapidement.
«Je suis venu chercher ta réponse.», ajouta le maître après un moment.
Gabriel sentit la totalité de son corps se détendre. Le sommeil l'assaillait maintenant.
«J'ai réfléchi si longtemps... », réussit-il à dire alors que ses yeux se fermaient seuls. «Et je ne veux pour rien au monde vivre comme cela pendant le reste de ma vie.»
«Je le savais déjà, et Zéphyr a répondu comme toi.», dit dans un murmure le maître d'armes, «Dors maintenant, nous nous verrons demain.»

Gabriel sombra instantanément dans un sommeil étrange où se mêlaient des rêves qui ne pouvaient pas en être, il lui sembla que c'était des souvenirs qui ne lui appartenaient pas.

Il ouvrit les yeux un peu avant cinq heures. Son corps était souple et la fatigue qui ne l'avait pas quitté depuis le début de son entraînement avait complètement disparu. Il se leva tranquillement et se prépara en prenant son temps. Zéphyr frappa après quelques minutes.

«Je me sens bizarre, ce matin. En fait, je n'ai jamais été aussi bien depuis que je suis arrivé ici.»
«C'est pareil pour moi, je me sens étrangement bien.», confirma Gabriel en forme de bonjour, «Tu as vu Myrth hier soir ?»
«Oui, et toi ?»
«Et bien, oui, et j'ai répondu à sa question.», ajouta Gabriel qui sentait la tension de Zéphyr et qui comprenait maintenant la raison de sa présence dans sa chambre si tôt dans la matinée. «J'ai répondu Oui», finit-il par dire après un temps de réflexion qui n'était en fait qu'une façon de faire monter la tension de son compagnon.

Il remarqua que le garçon roux était sur le point de laisser éclater sa joie. Il lui plaqua sa main sur la bouche.

«Je ne suis pas sûr que ce soit vraiment une bonne idée de crier cela sur tous les toits. Il serait pas mal que l'on garde cela pour nous, jusqu'au moment où il nous faudra le montrer.» Il fit une pause. «Je ne veux pas que mon père intervienne pour nous faire reprendre l'entraînement de la troupe. Je crois que ça ne peut pas être plus dur et plus frustrant que ce que je viens de vivre cette semaine.»

Zéphyr hocha la tête pour faire comprendre qu'il était calmé. Gabriel lâcha son condisciple.

«D'accord, c'est notre secret.»

Ils sortirent de la chambre et traversèrent la pièce commune. Tout le monde dormait encore et serait certainement réveillé par le hurlement de l'instructeur dans les prochaines minutes. Les deux maîtres d'armes étaient attablés près de la porte, semblant les attendre.

«Votre entraînement commence aujourd'hui.», commença Eltahir «Je ne dis pas que cela va être simple, mais je pense que vous avez déjà fait votre choix. Vous l'avez entendu, n'est-ce pas ? Myrth dit que vous êtes suffisamment près de l'Embrasement pour que vous puissiez nous suivre dans nos combats, comme hier.»

Gabriel et Zéphyr se regardèrent, ne comprenant pas vraiment ce que voulait dire le maître d'armes. Mais ils comprenaient que les deux Elfes sentaient bien des choses qu'il leur était encore impossible de comprendre.

«Ce que je veux vous dire c'est que Myrth va vous apprendre bien des choses, des choses complexes et parfois dangereuses. Toutefois, lorsque l'entraînement aura pris fin, vous serez les plus puissants guerriers que la terre ait porté.» Il avala sa salive. «Vous aurez la fougue de l'humanité et la puissance et le savoir des Elfes. Je ne veux pas vous laisser de faux espoir, tous les Demi-Elfes qui ont tenté de suivre la voie des Takashins sont morts.»
Il y eut un silence. Eltahir semblait attendre quelque chose. Ce fut Gabriel qui rompit le silence.
«Je suis sûr que nous pouvons y arriver tous les deux.», commença-t-il mais il sentit qu'il y avait quelque chose qui ne collait pas dans sa phrase, «Je sais que nous pouvons y arriver ensemble.»

Il regarda les maîtres qui finirent leur petit déjeuner. Eltahir fit signe aux enfants de les rejoindre à la table. Ce qu'ils firent de bon coeur. Myrth releva les yeux.
«J'ai fait chercher Elendir de Landhark hier. Il devrait arriver aujourd'hui.»
Le visage d'Eltahir se crispa un peu.
«Si tôt, crois-tu que c'est une bonne idée ? Il n'aime pas qu'on le dérange pour des raisons futiles.»

Gabriel n'écoutait que d'une oreille distraite. Il n'avait jamais entendu parler de ce personnage et ses pensées allaient bien trop vite pour qu'il prête attention aux discussions des maîtres. A l'autre bout de la caserne, Samalthe tentait de faire passer le terrible mal de tête qui s'attachait à sa personne, certainement les dernières volutes de sa beuverie de la veille. Une personne frappa à la porte. L'instructeur grogna puis se leva pour prendre la direction de celle-ci. Zéphyr colla son coude dans les côtes de Gabriel et lui indiqua du menton le visage de Myrth qui affichait un sourire presque bestial.
Une forme encapuchonnée était visible de la table où ils étaient installés. A l'extérieur, la pluie tombait drue. Une odeur de paille mouillée et de pavé humide entra dans la caserne.

«J'aimerais voir le Maître d'armes, c'est urgent.»
La voix provenant de la silhouette avait elle aussi l'accent chantant qui caractérisait les Elfes.
«Qui le demande ?», grogna l'instructeur dont la voix était vindicative. Sa gueule de bois n'était visiblement pas suffisante pour qu'il puisse ignorer la présence d'un Elfe supplémentaire dans son fief. Il y eut un silence.
«Il m'a fait demander, et je n'ai aucune raison de rendre des comptes à un sous-fifre.»

Gabriel imagina très clairement un sourire semblable à celui de Myrth sur les lèvres de l'Elfe qui se trouvait devant la porte. Samalthe serra les poings et se retint de frapper l'Elfe avant de poser plus de questions.

«Vous ne le verrez pas sans avoir été annoncé comme il se doit.», reprit l'instructeur d'une voix pédante qui cherchait à imiter celle du visiteur.

Myrth regarda Gabriel droit dans les yeux.
«Il s'engage sur une voie dangereuse.», dit-il, «Première leçon, apprends à connaître ton adversaire avant de l'affronter.»

Gabriel entendit distinctement une chanson cristalline provenir du fond de son âme. Un coup de tonnerre traversa la pièce, réveillant les soudards avachis sur les tables. En quelques minutes, la totalité de la caserne était présente, dégingandée, dans la salle principale. L'instructeur, quand à lui, avait appris à voler et avait traversé la totalité de la pièce en un magistral vol plané, pour finir par détruire sous son poids une table près de la porte du bureau d'Eltahir.

«Il est temps de faire les présentations.», dit l'homme en s'approchant du corps allongé de Samalthe, «Je suis Elendir de Landhark, Prince de la forêt d'Alluviel, Maître Eléane des huit éléments.»

Il tourna les talons et se dirigea directement vers la table où étaient installés Gabriel, Zéphyr et les deux maîtres d'armes. Les gardes s'effacèrent sur le chemin du Mage. Les novices riaient sous cape. L'Elfe pris une chaise.

«Vous avez l'habitude de faire accueillir les visiteurs par des bourreaux d'enfants ?», écria-t-il faussement interloqué. Il indiqua du pouce les novices amassés au seuil de la porte du dortoir.
«C'est un instructeur, pas un bourreau... et ce ne sont plus des enfants.», contra Eltahir avec un sourire.
«Les humains sont toujours des enfants. Ils meurent avant même notre puberté.», retourna l'Elfe avec mépris.

Son regard se posa sur Gabriel et celui eut l'impression que l'Elfe voyait en lui.
«Dommage qu'il ne soit que la moitié de nous.», dit-il sans ambage, «Il est prometteur.»
«C'est la raison de ta présence ici», grommela Myrth, «Tu n'as jamais appris à faire des entrées discrètes ?»
«Tu m'as fait me déplacer pour un sang clair ?», s'écria Elendil.
«Je crains que tu te trompes, son sang n'est peut être pas pur, mais c'est le premier Demi-Elfe que je vois qui réagit à l'Embrasement avant la Reconnaissance.», siffla Myrth, «Je croyais que tu avais plus confiance en moi.»

Les yeux métalliques de l'Elfe se posèrent à nouveau sur Gabriel qui dut s'accrocher à la table pour ne pas tomber tellement la musique cristalline devenait entêtante.

«Tu as raison, c'est étonnant.», murmura l'Elfe visiblement intrigué et surpris.
Dans l'intervalle, Eltahir s'était levé et il se dirigeait vers Samalthe. Celui-ci tentait de se relever.
«Je vais vous emprunter ces deux novices pendant quelques temps. Je suppose que ça ne vous pose pas de problème.»
«Pas le moins du monde.», grogna l'instructeur ravalant une réplique cinglante et xénophobe.
«Très bien.»

Eltahir fit signe au groupe attablé de partir avant que les esprits ne s'échauffent un peu trop. Il avait tout de même en charge la bonne marche de la caserne de la capitale, ce qui ne pouvait pas être compatible avec une bagarre autour d'un sentiment de frustration raciale. Surtout que les Humains présents ici n'avaient aucune chance de l'emporter, ensemble ou séparément.

Ils marchèrent un moment dans les rues encore endormies de la capitale. L'aube mettrait encore plusieurs heures avant d'atteindre l'intérieur des remparts. Le vent était déjà violent pour l'époque. Il piquait comme des épines la moindre parcelle de peau qui avait le malheur de dépasser. Le ciel était lourd comme un couvercle. Gabriel pensa que dans quelques semaines, quelques jours à peine, il serait insupportable de passer la porte d'une maison à cause des épines de glace qui tomberaient du ciel toute la journée.
Ce serait bientôt l'hiver, la saison de la mort. Lui, il espérait une nouvelle vie. Mais les paroles d'Eltahir résonnaient encore par moment dans sa tête. Aucun Demi-Elfe n'avait survécu à l'apprentissage qu'il allait mener. Il se demanda quelle pouvait en être la raison, ça ne l'inquiétait que par instants, comme si c'était quelque chose qu'il devrait affronter dans longtemps... Et surtout, qu'à ce moment là, il serait parfaitement prêt.

Finalement, ils arrivèrent devant une tannerie et ils entrèrent. Eltahir se dirigea vers le comptoir.

«Orson, je viens chercher ma commande.», cria-t-il pour se faire entendre de l'arrière-salle.
«J'arrive, mon Seigneur.», répliqua le tanneur.

L'homme aussi haut que large passa la porte en s'essuyant les mains sur son tablier. Il regarda l'assemblée et sourit brièvement.
«Je suppose que les produits que vous m'avez commandés sont pour les jeunes gens.»

La question sembla tellement stupide à Eltahir qu'il ne répondit pas. Il poussa juste doucement Gabriel et Zéphyr vers l'avant. Les deux novices se demandèrent quelques secondes ce qu'ils devaient faire, puis il comprirent lorsque le tanneur sortit deux paquets de vêtements chauds de sous le comptoir.

«Dois-je les facturer à la caserne comme à mon habitude ?», demanda-t-il pendant que les enfants se changeaient.
«Non,» dit Eltahir, «je vais te payer maintenant.»

Ce qu'il fit promptement en sortant une pochette de toile de sous son propre manteau de cuir. Visiblement, la décision était déjà prévue depuis longtemps pour que le tanneur puisse faire un travail aussi soigné. Gabriel se regarda dans l'espèce de morceau de métal poli qui servait de miroir et qui était adossé au mur dans un coin de la salle. Il portait maintenant un pantalon de cuir assez près du corps, qui devait être prévu pour suivre les mouvements. Une paire de botte montait jusqu'à la moitié de ses jambes. Il avait gardé sa chemise de toile mais elle était maintenant cachée par une armure de cuir à sa taille. Le tanneur lui tendit une cape doublée de fourrure qu'il garda à la main.

«C'est mieux, vous êtes donc près pour une petite ballade.», sourit doucement Myrth.
Il avait jusque là été très froid, mais maintenant son attitude paraissait changée comme s'ils étaient des personnes différentes.
«J'ai quelques affaires à régler, je vous rejoindrai après.», dit Eltahir au moment où ils s'apprêtaient à sortir à pied de la ville.
«Très bien.», répondit simplement Myrth.

Elendil n'avait pas ouvert la bouche depuis qu'ils avaient quitté la caserne, Gabriel se sentait observé, comme si le mage voulait être sûr que le déplacement en valait la chandelle.

A l'extérieur de l'enceinte, un chariot les attendait. Myrth fit signe à Gabriel et à Zéphyr de monter à l'arrière du véhicule et les deux novices ne posèrent aucune question. Ils s'installèrent sur le banc de bois qui se trouvait derrière celui du chauffeur. Ce fut Myrth qui prit les rênes et Elendil s'installa en tailleur au milieu du plateau, en face des deux enfants.

Le chemin, près des portes de la ville, avait été refait très dernièrement, mais, après quelques mètres dans la direction des «Marches du Géant» et vers la grande forêt, il se détériora rapidement. Les deux novices furent secoués violemment plusieurs fois. Toutefois, le mage ne bougeait pas le moins du monde, les yeux presque brillants fixés sur eux. Rapidement, Gabriel frémit lorsqu'il croisait le regard d'Elendil comme s'il entrait en lui si facilement qu'aucun de ses petits secrets ne pouvait plus être caché à ce regard magique. Dans un mouvement involontaire, lors d'un chaos un peu plus violent que les autres, Gabriel toucha la main de Zéphyr et remarqua qu'il tremblait.
La peur l'assaillit. Ils étaient tous deux à la merci de cet Elfe magicien. Ils ne pouvaient rien lui cacher et n'avaient plus aucun jardin secret. C'était terrifiant.

«Tu te trompes, jeune homme.», coupa Elendil, «Je ne me permettrais pas d'entrer dans tes pensées les plus secrètes. Je risquerais de te blesser et, bien que je n'aime pas particulièrement les Humains, je ne suis pas un bourreau.»
Il laissa un planer un silence.
«Je vous ai peut être paru un peu froid, mais je devais être sûr que j'avais une raison de rester. Et, je suis sûr maintenant que ce que je vais vous enseigner ne sera pas perdu dans des cerveaux trop étroits... ou dans des coeurs trop durs.»
Comme Myrth l'avait fait avant lui, Elendil sembla changer de personnalité. Les deux novices se regardèrent, se renvoyant leur propre incompréhension.
«Tout sera expliqué, à un moment ou à un autre.», sourit Elendil.

Le soleil s'était levé, grisâtre et froid, désespérant. Il devait avoir parcouru deux ou trois miles lorsque la pluie glaciale et pénétrante de la région se mit à tomber. Pour la première fois, ils apprécièrent leurs capes fourrées.

«Nous serons à destination dans environ vingt minutes.», précisa Myrth.

Le ciel devenait de plus en plus noir au dessus de leurs têtes. Le voyage était déjà une terrible épreuve. Le vent était devenu cinglant et glacial. Ces signes présageaient l'arrivée prochaine du blizzard et il ne ferait certainement pas bon être dehors à la nuit tombée. Quelques minutes plus tard, ils entrèrent dans la forêt. C'était un lieu que les voyageurs évitaient avec attention. C'était un endroit sombre, froid et dangereux, en partie à cause de la présence de plusieurs tribus de Peaux Vertes. Ces créatures étaient la plus grande plaie de la région. Ils pillaient et tuaient les voyageurs jusque sur les chemins de commerce qui traversaient la forêt. Beaucoup de caravanes préféraient faire plusieurs dizaines de miles en supplément plutôt que de louer les services de mercenaires pour les protéger de ces attaques car il subsistait toujours un risque.

Gabriel sentit une petite pointe de peur monter en lui lorsqu'ils passèrent l'orée. Les arbres auraient certainement pu être accueillants si il ne revoyait le cadavre de l'un des gardes du palais que son père avait envoyé pour lui chercher un remède lorsqu'il était tombé terriblement malade dans sa petite enfance. On lui avait raconté que l'homme avait fait son devoir en rapportant le remède mais qu'il avait donné sa vie pour celle de son prince. Il avait été attaqué par des Peaux Vertes, ce qui donna lieu à des représailles violentes de la part de l'armée des Gardes avec les encouragements du roi. Chilberic était certainement un roi un peu froid, mais il était juste et la mort d'un de ses gens ne pouvait pas rester impunie. Il se rappela finalement qu'il voyageait avec des maîtres d'armes.

Autour d'eux la forêt offrait un spectacle à glacer le sang. Certainement parce que l'hiver rude de la région approchait, les arbres ressemblaient à des squelettes en attente de résurrection. Leurs branches pointaient, nues et grisâtres vers le ciel noir. Bientôt elles seraient blanchies par la neige qui tomberait drue.

Le chariot emprunta un petit chemin qui paraissaît sur la droite de la route principale. Il se dirigeait vers le coeur de la forêt alors que la route longeait la lisière à l'extrême droite. Après quelques secondes, une petite cabane se dessina, le dos collé à la surface d'une falaise impressionnante. Ils mirent bien plus longtemps que Gabriel ne le pensait pour atteindre la maison et elle ne lui parut plus si petite que cela lorsqu'ils furent plus proche.

«Nous y voilà !», s'écria Myrth d'un ton qui parut déplacé dans l'étrange silence de l'endroit, «On va y passer un petit moment. Eltahir s'est chargé de nous couvrir pour que vos pères n'apprennent pas trop vite que vous n'êtes plus à la caserne pour vous faire malmener.»
«Il ne devrait pas tarder d'ailleurs.», ajouta sobrement Elendil, «Il est déjà sur la route.»
«Nous allons donc passer aux explications.», reprit Myrth sur le même ton, «Je suppose que vous attendiez cela avec impatience.»

Sans leurs laisser le temps d'avoir une opinion, il continua.

«Vous allez avoir trois professeurs. Pas des instructeurs militaires, hein, des professeurs. Nous parlons d'arts, pas de mise en forme corporelle pour une boucherie.» Il reprit sa respiration. «Je serai votre professeur de combat armé, Eltahir vous enseignera le contrôle corporel et Elendil, ici présent, vous enseignera l'art de la magie. Lorsque vous serez prêts, il y aura une épreuve qui déterminera si vous êtes capables de devenir des Takashins. Toutefois, cette épreuve est sans retour pour les personnes qui ne sont pas dignes de l'honneur de ce nom. Et dans ce cas, la Déesse Takas reprend les pouvoirs qui leur a été conféré par l'enseignement, et c'est mortel.»
«Myrth parle beaucoup, et dit beaucoup d'absurdités, en réalité, la Déesse n'y est pour rien et très peu de Takashins l'ont vu de leurs propres yeux.», coupa Elendil.
«La seule différence qu'il y a entre les Humains et les Elfes c'est la durée de vie.», reprit Myrth sans se soucier de la réflexion de son ami, «Chez les Elfes, l'enseignement dure près de 200 ans, il faudra donc que vous fassiez plus vite et vous ne serez pas aussi au point que les guerriers Elfes.»
«C'est pour cela que la mortalité des Humains et des Demi-Elfes concernant la Reconnaissance est presque de cent pour cent, et que les autres ne valent guère mieux.», finit Elendil. Il sembla à Gabriel qu'il allait dire quelque chose mais il revint sur sa décision.
«C'est normalement Eltahir qui doit commencer l'enseignement parce que c'est lui qui vous a choisi comme aspirants.», indiqua Myrth, «Nous allons donc l'attendre. Et ça va vous permettre de prendre vos quartiers.»

Il fit un signe discret de la main qui signifiait qu'ils devaient le suivre et entra dans la maison. A l'intérieur, une douce chaleur régnait. Les foyers étaient allumés et une douce odeur de bois vert flottait dans l'air.

«C'est une demeure Elfe. La maison est vivante et sait ce dont nous avons besoin pour survivre.», présenta Myrth, «Il faut donc la traiter comme un être vivant, avec respect.»

Gabriel sentit instantanément que la maison vibrait d'une forme d'énergie qu'il percevait sans savoir l'expliquer. Il jeta un coup d'oeil à Zéphyr qui lui sourit, visiblement très à son aise dans les lieux. Gabriel se demanda s'il avait senti la même chose que lui. C'était vrai qu'il se sentait nettement mieux dans cette demeure qu'à ciel ouvert. Elle lui sembla protectrice.

Ils suivirent Myrth à l'étage. Il poussa une porte sur une grande pièce comportant deux lits. A vue d'oeil, même la chambre de Gabriel au palais était plus petite.

«Voici vos quartiers, jeunes hommes ; je vous attends dans dix minutes en bas.»
Il ressortit de la pièce et ferma la porte derrière lui.
«C'est dingue, non ?», s'exclama Zéphyr.
«De quoi parles-tu ?», demanda Gabriel qui regardait, un peu dans le vague les murs de bois autour de lui.
«Eh bien, je veux dire, on va avoir trois professeurs pour nous tout seul.», dit-il extasié, «On va avoir une belle chambre et ...»
Gabriel comprit qu'il avait tellement de choses à ajouter à sa liste qu'il ne savait pas par où commencer.
«J'ai déjà eu tout cela, tu sais.», coupa Gabriel, «Je ne suis pas sûr que ce soit le plus important. Je ne sais pas si tu as remarqué, mais on est là pour travailler. Ça va être long, éprouvant et difficile, et si on ne fait pas l'affaire, c'est la mort.»
Zéphyr se laissa tomber sur un lit.
«Tu as raison, je n'y avais pas pensé.», dit-il l'air plus sombre.
Son visage s'illumina à nouveau.
«Je peux prendre ce lit-là ?»
Gabriel sourit, et sortit de sa mélancolie par la réaction de son compagnon.
«Si tu veux, mais tu me laisses l'uniforme blanc. », dit-il en indiquant les deux paquets de linge propre posés sur le buffet.
«Marché conclu, j'ai toujours préféré le vert, personnellement.»

Dix minutes après leur arrivée, ils étaient prêts. Ils étaient maintenant vêtus de leurs nouveaux vêtements, bien plus souples et plus fins que leurs armures de cuir. L'ambiance de la maison avait fait disparaître toutes les appréhensions qui avaient pu germer pour la suite des événements. Ils se préparèrent à affronter avec courage leur première journée d'entraînement. Ils descendirent l'escalier au moment où la porte s'ouvrait sur la silhouette d'Eltahir encore couvert de la neige qui tombait à gros flocons à l'extérieur. Il les regarda d'abord interloqué puis ravi et un sourire se dessina sur ses lèvres.

«Elendir, Myrth...», appela-t-il, «Vous me devez deux cent pièces d'or chacun.»
Les deux autres maîtres d'armes arrivèrent dans la pièce. Leurs yeux s'écarquillèrent et ils sourirent.
«On aimerait comprendre.», balbutia Zéphyr, ne sachant trop comment ne pas offenser les maîtres, «On a fait quelque chose de mal ?»
«Nous avions juste parié sur vos affinités.», répondit Elendil, «Myrth avait suggéré que ce serait feu et air, j'avais pronostiqué que ce serait air et eau et Eltahir avait dit qu'il serait impossible de prévoir parce que l'un d'entre vous serait un Eléane et c'est bien le cas.»
«Je ne comprends pas, on a fait la répartition au hasard, Zéphyr a choisi le lit et moi la couleur des vêtements.»
«Et tu crois que c'est une coïncidence ?», demanda Elendil avec un sourire narquois.

Il y eut un moment de silence. Gabriel regarda Zéphyr.
«Passe-moi un de tes gants.», dit-il rapidement.
«Heu, oui, pourquoi ?», répondit Zéphyr en obtempérant.
«Je veux en avoir le coeur net.»
Gabriel mit le gant qui changea instantanément de couleur pour prendre la teinte blanche la plus pure. «Magique.» ajouta-t-il entre ses dents.
«Tu t'attendais à quoi ?» demanda Myrth avec le même sourire sur les lèvres.
«Je ne sais pas.» avoua Gabriel, un peu honteux.
«C'est une preuve de plus, s'il en fallait, que j'ai bien fait de rester.», termina Elendil.

Eltahir retira son manteau humide et se dirigea vers le fond de la maison. Il y avait là une porte aux formes complexes et aux nombreuses runes. Il poussa sans effort les énormes battants et descendit les escaliers qui se trouvaient derrière. Gabriel et Zéphyr ne bougèrent pas attendant qu'on leur indique la marche à suivre pour la suite des évènements.

«Il vous attend, votre premier cours va débuter.», dit Myrth, «Suivez le et que la Déesse vous protège.»

Nehwon

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