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Blackclaws : Blackclaws - 3

Et il ne tarda pas à se venger, même si cette «vengeance» était plus de l'orgueil mal placé qu'autre chose. Ainsi, il rassembla les quelques vieillards qui siégeaient au conseil du village et leur fit prendre la décision de bannir, pour un temps limité, le gamin qui l'avait agressé. Cette décision ne fut pas très difficile à imposer, le doyen Deulhafak était le seul à posséder les clés des réserves de grain - clé qu'il avait «empruntée à long terme» au vrai doyen du village avant de le faire passer sous la presse de l'ancien moulin à grain du village qui, aujourd'hui, ne fonctionnait plus.
Quand la décision fut officialisée par les «vieux», il s'empressa de porter la nouvelle au forgeron. Il traversa le village à grand pas, un sourire lui partageant le visage en deux.
Lorsqu'il arriva devant la porte de la maison des Shangarn, il s'arrêta une minute pour reprendre son souffle et effacer le rictus de son visage. Il toqua à la porte et attendit, retenant un rire nerveux.
Ce fut Maurina qui lui ouvrit, les deux hommes de la maison étant derrière, à la forge. Elle l'accueillit avec les honneurs qui étaient dus à son rang de chef du village et lui proposa un verre de vin gris, verre qu'il accepta sans se faire prier.
- Il faut que je vois ton fils et ton mari. fit-il
- Euh... oui, je vais les chercher, répondit Maurina, pressentant un malheur.
Elle ouvrit la porte qui menait à la forge et appela le père et le fils qui, se demandant de quoi il retournait, vinrent dans la cuisine en accélérant le pas. En entrant dans la cuisine, ils virent Deulhafak et s'arrêtèrent net, sentant le coup fourré. Ils avancèrent un peu et se tinrent à bonne distance du doyen.
Celui-ci se leva et tira un parchemin d'une poche de son gilet en cuir et l'ouvrit sur la table. Il toussota un peu et commença à lire à voix haute, un sourire en coin :
- Après délibération du conseil du village, il a été décidé que le jeune Thäan Shangarn serait banni du village pour une durée de deux ans pendant lesquels, il devra, au minimum, trouver refuge dans la forêt de Noireterre qui entoure le village. Il ne sera en aucun cas toléré que le jeune Thäan Shangarn revienne au village avant la fin de du temps imparti. En aucun cas des personnes du village ne devront lui porter secours, sous quelque prétexte que ce soit, sous peine d'être bannies définitivement de Brésolth. Quant à la louve et son petit, ils seront tous les deux tués et étalés sur la place du village.
Deulhafak se tut et replia le parchemin un sourire lui fendant le visage. Les deux parents de Thäan étaient atterrés et ne savaient quoi dire face à la bassesse du moyen employé par le doyen afin de prendre une revanche qui n'en valait pas la peine. Seul le jeune homme restait impassible, ne quittant pas le doyen de ses yeux multicolores.
Après quelques minutes de silence, Thäan s'avança et, en regardant Deulhafak droit dans les yeux, répondit :
- Très bien, vous avez gagné. Je partirai dans trois heures, le temps de me préparer et je quitterai le village. Je resterai dans la forêt mais assez loin pour ne pas sentir la puanteur qui vous caractérise. Cependant, touchez une seule fois à la louve et à son petit pendant ce laps de temps et je vous jure que le peu de chose qu'il vous reste dans votre pantalon servira à nourrir les chiens du voisin avant la fin de la journée.
Le doyen écarquilla les yeux et voulut protester quand une dague vola et se planta entre ses doigts.
- C'est comme ça et pas autrement ! continua le fils du forgeron. Maintenant, quittez cette maison et ne revenez que dans trois heures.
Le doyen se leva et s'en fut. Il n'avait pas quitté son sourire mais ses lèvres tremblaient légèrement. Quand il fut dehors, il revint vers sa maison et s'empressa de se servir un coup à boire, pensant que dans trois heures, il serait débarrassé de ce petit bâtard.
Chez les Shangarn, l'ambiance n'était pas à la fête mais Thäan s'efforçait de remonter le moral de ses parents, en particulier sa mère. Elle avait certes été aventurière quelques années auparavant mais là, il s'agissait de son fils.
En moins d'une demi heure, la nouvelle avait fait le tour du village et on voyait une procession se diriger du côté de la forge, attendant le départ du jeune Shangarn. Pendant ce temps, Thäan préparait ses affaires. Son visage affichait une détermination que son coeur ne ressentait pas, il était même mort de peur à l'idée de passer deux ans dans Noireterre ; mais cela, il ne le montrerait certainement pas, sa mère avait déjà assez de chagrin comme ça.
Quand son sac fut prêt, il descendit à la forge demander à son père de lui prêter une épée et une cotte de mailles. Il entra et vit que son père avait déjà tout préparé.
- Je présume que , même si tu ne l'as pas demandé, tu te demandes ce qu'on a pu fabriquer avec Lyokham la dernière fois, fit son père.
- Euh..., hésita le jeune homme. Oui, c'est vrai que ça avait éveillé ma curiosité mais je pensais que c'était une commande spéciale pour Lyokham, je n'ai donc pas ressenti le besoin de demander ce que c'était.
- Eh bien en fait, c'était une commande spéciale en effet, mais pour toi.
- Pour moi ? demanda le jeune homme interloqué.
- Il faut que je t'avoue quelque chose... fit-il. Ta mère et moi ne t'avons jamais caché que tu n'étais pas notre fils de sang, mais nous avons fait notre possible pour t'éduquer comme je l'aurais fait si ta mère avait pu avoir un enfant. Cependant, nous avons occulté une partie de ton arrivée ici.
Thäan s'était assis sur un tabouret. Il regardait son père attentivement, absorbant chacune de ses paroles. Même si ses parents lui avaient tenu tête pendant longtemps, il s'était douté assez tôt qu'il n'était pas leur vrai fils. L'originalité de ses yeux et de ses avant bras, sa faculté à apprendre certains sorts et sa force qui au fil des ans avait grandi trop vite : il était maintenant capable de battre le fer avec autant de force que son père.
Quand Keld eut fini son récit, le jeune resta un moment immobile, analysant les dernières phrases de son «père». Il avait les yeux dans le vague et ne bougeait pas d'un iota. Un cognement à la porte donnant sur le village le fit sursauter.
La porte s'ouvrit et une jeune fille brune entra timidement. Elle portait une robe verte foncée et un bandeau plus foncé lui retenait ses cheveux aile de corbeau. Elle s'avança encore un peu et rougit légèrement en arrivant près de Thäan. Ils avaient grandi ensemble au village et les liens du coeur n'avaient pas besoin de beaucoup plus pour s'entremêler.
Thäan, du haut de son mètre soixante quinze, la regardait, étonné. Il ne s'attendait pas à cette visite. S'il avait eu la force et l'habileté à la naissance, il restait cependant un peu long à la détente parfois.
Ils restèrent là sans rien dire pendant quelques minutes. Ce fut Keld qui rompit le silence :
- Excuse moi Naoï, mais j'ai besoin de parler encore à mon fils, passe par la petite porte derrière moi et rejoins Maurina. Je n'en ai pas pour très longtemps.
La jeune fille ne bougea pas tout de suite mais, regardant Keld et Thäan tour à tour, elle les dépassa et passa la porte désignée par le forgeron.
Quand la porte fut refermée, il ouvrit un tiroir de l'établi et en sortit un paquet de tissus, qu'il déposa sur la table. Il ouvrit les pans de tissu et en sortit deux gants faits de cuir et sertis d'une pierre blanche au milieu de la paume de chaque main.
- Mets les et ne les quitte jamais, Lyokham t'as réservé quelques surprises lui aussi.
- Oh, donc toi aussi tu m'en réserves... dit le jeune, contenant mal son excitation devant ce magnifique cadeau.
- Mmmh, ça se pourrait... répondit le forgeron un petit sourire aux lèvres. Qu'as-tu fait de la louve ? demanda-t-il à son tour.
- Je lui ai fabriqué un petit abri loin de cet imbécile qui nous sert de doyen, répondit Thäan en enfilant les gants.
Lorsqu'il les eu passés tous les deux, il sentit un picotement sur ses avant-bras. Les marques en forme de flammes s'irradièrent d'une lumière dorée et commencèrent à bouger telles de vraies flammes.
Les membres lui brûlaient maintenant. La douleur se faisait de plus en plus forte, si bien qu'il serra les poings et tomba à genoux. La lumière produite par les flammes s'intensifia jusqu'à devenir éblouissante. Le père et le fils fermèrent les yeux face à cette lumière.
La douleur s'estompa aussi vite qu'elle était montée. Thäan ouvrit les yeux et resta bouche bée. Les gants s'étaient rallongés d'une vingtaine de centimètres et formait maintenant des bracelets en cuir lui recouvrant la quasi-totalité des avant-bras.
Il remua doucement les bras, jugeant de leur poids. Celui-ci n'avait absolument pas changé.
Il regarda son père et vit qu'il avait saisi un épée à deux mains
- Pares, lui dit-il en lançant l'épée de toutes ses forces.
Thäan ,qui ne comprit pas tout de suite, leva le bras droit instinctivement. Il ne comprit qu'au dernier moment et ferma les yeux, attendant le choc. Il ne bougea pas d'un iota mais sentit une petite secousse au milieu de l'avant-bras en même temps que le bruit d'un morceau de métal qui tombait par terre. Il rouvrit ses yeux arc-en-ciel et vit l'épée que tenait son père partagée en deux. Il regarda le gant et ne vit aucune trace, pas même une éraflure.
- C'est une des multiples possibilités de ces armes, car ce sont des armes et pas des protections. Lyokham y a mis sont grain de sel en commençant par créer le métal dont est enduit la quasi totalité des gants. Le cuir ne sert qu'à faire joli, mais il a été créée magiquement. Ton exil forcé est le meilleur moyen pour les apprivoiser, pour te faire accepter. Quand tu sauras les maîtriser, tu seras quasiment invincible.
Keld resta muet quelques secondes et regarda attentivement son fils.
- En contrepartie, jamais tu ne devras t'en départir plus de vingt quatre heures, sous peine de devoir tout recommencer à zéro... et par zéro, j'entends devoir la forger à nouveau.
Thäan les ausculta sous toutes les coutures et vit quelque chose qui éveilla encore plus sa curiosité.
- Dis, il me semble qu'il y a comme des petites glissières sur le haut des gants, juste après les bandes de métal... Au fait, c'est quoi comme métal ? Ca ne ressemble à rien que je ne connaisse.
- Oui, c'est bien une sorte de glissière mais tu en comprendras le but plus tard. Et quant au nom du métal, nous avons décidé de l'appeler «mantiumada».
- Du mantiumada... pas mal comme nom.
- Bon, je pense qu'il va pas falloir trop tarder, ta mère risque de me tirer les oreilles... Et puis, n'oublions pas la charmante visiteuse de tout à l'heure.
Le souvenir de Naoï lui fit venir le rouge aux joues. Il emboîta le pas à son père, se dirigeant vers la maison. Keld ouvrit la porte et tomba sur Naoï et Maurina en grande discussion. Thäan entra à son tour et ferma la porte. Il se retourna et tomba nez à nez avec Lyokham qui venait de se téléporter dans la demeure des Shangarn.
Naoï et Maurina avaient poussé un petit cri et Keld un grognement lorsque le magicien était apparu au milieu de la cuisine.
- Bonjour les amis ! s'exclama-t-il avec un grand sourire. Je viens d'apprendre pour ton bannissement Thäan, alors je viens t'apporter un petit ...
Ils s'arrêta brusquement et vit que le jeune homme portait les deux bracelets.
- Oh, mais je vois que l'on t'a déjà habillé, fit il avec un clin d'oeil. Je crois que je peux avouer que tu portes la meilleure oeuvre qu'aient pu réaliser ton forgeron de père et moi même. Mais je m'égare, voilà mon cadeau.
Il planta sa main dans sa robe et en sortit deux petits médaillons en forme d'étoile polaire. Il en donna un aux parents du jeune homme et un à celui ci.
- Ceci va se révéler très pratique pendant ces deux ans : c'est un sort de clairvision adapté à ma façon. Mets l'étoile au centre de la paume de ta main et ferme le poing. Toi Keld, pose la sur la table
Les deux s'exécutèrent. Thäan ferma la main et fit un pas en arrière. Devant lui venait d'apparaître un sphère blanche d'une trentaine de centimètres. Sur la table, l'étoile brillait elle aussi d'un blanc laiteux. Au-dessus de celle ci se forma une seconde boule blanche qui s'éleva à quelques centimètres au-dessus de la table.
La blancheur s'évanouit en même temps des deux boules et laissa à la place une image de la salle où ils se trouvaient sous deux angles différents : celle de Thäan montrait toutes les personnes de la salle, lui compris et celle au-dessus de la table laissait juste apparaître le visage du jeune homme.
On entendit tambouriner à la porte de la maison. La voix du doyen résonna derrière la porte en chêne. Thäan ferma rapidement son médaillon et le mit autour du cou. Le temps avait filé plus vite que prévu. Il regarda Naoï dans les yeux et s'avança vers elle.
Il avait fait à peine deux pas que la porte s'ouvrit brusquement. Trois gardes, habillés aux couleurs du village, le bleu nuit, entrèrent suivis de près par Deulhafak qui ne cachait en rien son plaisir. Les gardes s'arrêtèrent juste après l'entrée et laissèrent le champ libre au doyen. Celui ci avança dans la pièce, un sourire faisant le tour de son visage bouffi par l'alcool.
- C'est l'heure, fit-il.
- Oui, j'arrive, répondit le jeune homme.
Il continua son mouvement jusqu'à Naoï et l'embrassa sans outre mesure. La jeune fille fut surprise mais finit par l'enlacer à son tour. La plus grosse surprise fut pour sa mère, Maurina en resta muette pendant quelques instants.
Quand ils se séparèrent, les deux jeunes gens étaient aussi rouges qu'une botte de piments du père Enhfeeu. Thäan prit son père et sa mère dans ses bras et prit celui de Lyokham, en le regardant dans les yeux sans ciller.
Apres quelques secondes passées dans cette position sans bouger, Thäan prit le sac préparé à la va vite et sortit. Il allait quitter le village quand il revint sur ses pas pour voir son père, lui chuchotant a l'oreille :
- Si tu me cherches, je serai dans la vieille cabane de grand père, la cabane Duuhpaisheur.
Quelques habitants s'étaient réunis devant la sortit Est du village et attendaient le jeune homme. Celui ci était suivi de près par le doyen toujours souriant de ses chicots noircissants. Thäan fut happé par une petite foule mais fut très vite libéré par des gardes hauts en couleurs, mais la caboche pleine de vide.
Il laissait derrière lui une bonne partie de sa vie. Jusqu'à maintenant, il avait presque toujours tout eu sous le coude, alors qu'à partir de cet après midi, il allait devoir tout faire tout seul.

Drizzt

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