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Blackclaws : Blackclaws - 2

Thäan, ainsi avait-il était prénommé par ses parents le soir de son arrivée au foyer. Il avait un début de chevelure brune et était grand pour son âge, il mesurait plus de 90 centimètres. Tel quel, il aurait put paraître comme n'importe quel bébé, mais deux détails le faisaient sortir de la norme. Il avait les iris arc en ciel et portait des marques de naissance sur les bras en forme de flammes, comme si on lui avait fait un tatouage.
Malgré ces quelques différences et le fait qu'il était apparu au milieu d'une nuit d'été âgé d'à peu près trois mois, il n'était en rien différent des autres bébés. Certaines commères virent cet enfant comme un bon moyen de faire proliférer les ragots et ne s'en privèrent pas, si bien que Keld fut obligé de répondre un peu violemment à ces bêtises. Un jours qu'il s'était levé du mauvais pied, il entendit la femme d'un des taverniers, la mère Denyh, proférer à voix semi haute une quelconque insulte, il lui donna matière à réfléchir en lui jetant un seau d'eau glacée par dessus le comptoir. Magho, le mari et tenancier, n'apprécia guère cette attaque mais ne trouva pas le moyen d'éviter les coups de pieds aux fesses qui l'attendaient s'il tentait ne serait ce la moindre revanche.
A part ces quelques anicroches, le jeune Thäan grandit vite et bien. Il avait deux tuteurs : Lyokham et son forgeron de père. L'un lui apprenait le métier de la forge et l'autre la lecture, l'écriture et lui donnait un début de « formation » à la magie.
Les années passèrent et avant que Keld et sa femme ne s'en rendent compte, le jeune homme soufflait déjà ses quatorze bougies. Ce jour là, le forgeron se rappela l'arrivée de son fils dans la famille ainsi que le paquet qui l'accompagnait. Il n'y avait jamais retouché depuis ce soir là et l'avait presque oublié.
Il partit dans la chambre conjugale et ouvrit discrètement un pan du mur. Il plongea son bras dans les ténèbres et sortit le paquet en question. Il le posa doucement sur le lit et resta planté devant le « cadeau » sans bouger. Quelques minutes passèrent, puis la tentation fut trop grande et il l'ouvrit.
Le parchemin disait maintenant « 4 ans ». Il le laissa de côté et ouvrit le reste. Ce qu'il trouva à l'intérieur le laissa pantois, une simple paire de vieux gants. Une pierre noire trônait au milieu de chaque paume. Elles étaient d'un noir profond, donnant l'impression qu'elles absorbaient la lumière. Soudain les pierres s'éclaircirent un petit peu et virèrent au gris.
- Tu ne viens pas, p'pa ? demanda la voix de son fils
- Hein ? fit-il surpris....Heu, si, j'arrive tout de suite, mon p'tit.
- D'accord. dit Thäan en s'en allant.
Le sang de Keld s'était glacé. Les pierres, redevenues noires, avaient réagi à la présence de l'enfant. Il en aurait mis sa tête à couper. Il referma le paquet et le remis à sa place. Il fallait encore attendre quatre ans avant de connaître le fin mot de cette histoire.
Quelques soient les projets, les attentes ou les envies que l'on a, une année, ca passe vite, ca passe même très vite.
Le forgeron eut l'impression que ces quatre années étaient passées deux fois plus vite qu'a l'ordinaire.
Enfin, ce résigna-t-il en se levant ce matin là, autant profiter de la journée. Ils avaient fêté les dix-huit ans de son fils quelques jours plus tôt et aujourd'hui allait être une journée particulière, il le sentait. Et il ne se trompait pas, il eut à peine le temps de descendre manger un morceau que Lyokham apparu dans l'encadrement de la porte. Vêtu comme à son habitude d'une robe de magicien noire et d'une cape violette.
Grand de deux mètres, il avait les cheveux poivres et sels qui lui donnaient un charme fou aux yeux de Maurina. Il était plutôt bien batti pour un mage et excellait dans le maniement de l'épée courte.
Keld resta immobile quelques secondes.
- Mais qu'est ce que tu attends pour le faire entrer . lui reprocha sa femme
- Oui, pardon mon ami, entre donc . articula-t-il après avoir retrouvé ses esprits. Tu vas bien manger quelque chose... ?
- Oui, pourquoi pas . répondit le mage en s'asseyant à la table.
Maurina lui dressa la table et lui servit une assiette de charcuterie.
- Que nous vaut le plaisir de ta visite ? demanda la femme
- Je viens voir ton mari au sujet d'une vielle histoire.
- Oh . fit Maurina. Bon et bien mange ton assiette et je vous laisserai évoquer vos souvenirs sans vous interrompre.
Le mage mangea avec appétit et engloutit le pâté, les tranches de jambon ainsi que les tranches de saucisse sèche, s'essuya doucement la bouche et regarda son ami droit dans les yeux.
Celui-ci les ferma deux secondes et se leva, imité par l'érudit.
- Je t'attend à la forge . dit-il
- J'arrive . baragouina le forgeron.
Il revint dans la chambre qu'il avait quitté quelques instants plus tôt, ouvrit la trappe et récupéra le paquetage. Il sortit sans s'arrêter et passa dans la forge.
- L'as tu déjà ouvert ? demanda le mage.
- Oui, il y a quatre ans
- Et ?
- Et rien du tout, ce ne sont que de vulgaires gants usagés . fit le forgeron.
- En es-tu sûr ? le regard du magicien se faisait de plus en plus pétillant.
- Tiens, t'as qu'à jeter un coup d'oeil. répondit-il en ouvrant le paquet.
Ce qu'il vit le laissa bouche bée ; les gants étaient comme neufs, comme si on venait de les acheter
- Mais, que... balbutia Keld
- Ouvre le parchemin . fit la voix du mage
Keld s'exécuta et compris encore moins, il y avait maintenant un dessin, ou plutôt un plan.
Un plan pensa Keld, mais un plan pour quoi.
Il regarda son ami et jeta l'éponge.
- Que dois-je faire ?
- La question n'est pas la bonne, il faut demander « que devons-nous faire ? »
- Arrête d'éluder mes questions s'il te plaît.
- Bon, très bien. le mage soupira. On va fabriquer une arme à ton fils.
- Tous les deux
- Oui
- Très bien, puisque tu as l'air d'être plus au courant que moi, montre moi.
Lyokham ouvrit le plan et commença les explications. Au fur et mesure que son ami avançait, Keld semblait voir « l'arme » prendre forme. Le sorcier lui apprit aussi qu'il était surtout présent pour insuffler la magie nécessaire à la réalisation de cette arme.
Les deux compères ne se quittèrent plus pendant une semaine et ne virent pas plus Thäan et Maurina que la lumière du soleil. Il était interdit à toute personne de rentrer dans la forge durant toute la fabrication de l'objet. Les villageois étaient inquiets de voir de la fumée multicolore sortir de la cheminée, mais ne préférèrent pas en parler, de peur de courroucer le vieux forgeron, ou pire, le magicien.
Il leur fallut une semaine et dix heures pour parvenir à leurs fins, mangeant ce que le magicien faisait apparaître et dormant peu. Quand Keld posa enfin son marteau, ils étaient tellement fatigués, qu'ils dormirent dans la forge, à même le sol.
Après avoir un peu récupéré, ils sortirent de l'atelier et se rendirent dans la cuisine de Maurina, qui , en les voyant, leur ordonna de partir à la fontaine se laver. Ils se passèrent de l'eau sur la figure et sur le torse et Lyokham s'occupait de laver leurs vêtements d'un sortilège. Ils revinrent dans la chaumière et s'attablèrent. Maurina en avait profité pour mettre la table et leur servir un bon pot-au-feu.
Alors qu'ils se régalaient, Thäan entra dans la pièce.
- Bonjour, p'pa. Salut Lyo. fit-il dans un sourire
- Bonjour Thäan . répondit le mage
- Bonjour fils. Tu as passé une bonne semaine ?
- Oui ! répondit-il. En tout cas, meilleure que toi apparemment.
Il partit en riant. Les deux hommes se regardèrent . Lyokham fit non de la tête.

En sortant de la chaumière, il se dirigea vers l'orée de la forêt où ses copains et lui se retrouvaient après le déjeuné. Ils avaient pris pour habitude de désigner un conteur et d'inventer une histoire à laquelle ils participeraient pendant leur temps libre. Alors que chacun avait son rôle, un mouvement dans un fourré attira le regard de Thäan. Il s'avança lentement et le contourna. Il trouva là une louve et son petit. Il regarda de plus près et vit que la louve était blessée au ventre. Le louveteau, lui, restait à coté de sa mère, lui léchant le museau.
Un cri le fit sursauter. C'était Mallhy qui venait de voir la louve allongée sur le sol. L'entendant crier, certains s'approchèrent et, voyant l'animal, se rendirent quérir le doyen Deulhafak. Il n'avait rien d'un vieux bonhomme, mais c'était le fils de l'ancien chef, il avait donc hérité du poste de son père. Mais il n'avait hérité que de ça, la majesté la beauté et le charisme de feu Delaklass s'était perdu en route. Petit, gros et gras étaient les termes qui allaient le mieux à Deulhafak. Le crâne rasé, des petit yeux porcins et une petite balafre sur la joue, il passait plus de temps sous les tables des tavernes qu'à son poste de chef.
Celui-ci arriva immédiatement et, marchant aussi vite que son ventre proéminent le lui permettait, il saisit la hache d'un bûcheron. Il soufflait comme un boeuf et son visage virait au rouge violacé. Il faisait chaud et l'abus de vin gris ne l'arrangeait guère.
Tout le monde s'écartait de son passage et prenait sa progéniture par le bras, les emmenant un peu plus loin. Keld , sa femme et Lyokham, interpellés par les cris, étaient sorti de la chaumière et s'avançaient pour voir de quoi il retournait.
Voyant la louve, Maurina voulut aller chercher son fils, mais le mage l'en empêcha, lui intimant de resta là et de regarder. Un début de sourire commençait a apparaître sur son visage. Ils assistèrent aussi à l'arrivée du doyen et ne purent réprimer un petit rire.
Thäan, lui, n'avait pas bougé d'un iota. Il restait là, absorbé par l'agonie de l'animal. elle avait une robe noire comme la nuit à l'exception de trois taches blanches au niveau du cou. A la grande surprise de tous, lorsqu'il bougea ce fut pour s'approcher de la louve. Il entendit les gens derrière lui qui murmuraient, il ne comprenait rien à ce qu'ils disaient et s'en moquait complètement
Il s'accroupit à coté de la louve et la prit dans ses bras. Elle était assez lourde, mais son emploi à la forge en avait fait un des enfants le plus fort du village. Le louveteau, voyant sa mère emportée par un humain, grogna et lui mordit les mollets.
Le jeune homme grimaça mais ne lâcha pas la mère du petit. Il se retourna et vit le doyen à quelques mètres de lui.
- Pose cet animal immédiatement ! ordonna-t-il rougeoyant .
- Non . répondit le fils du forgeron
- Comment ? fit Deulhafak interloqué. Il faut l'abattre tout de suite, sinon, c'est elle qui nous tuera.
- Oui, bien sûr, à elle toute seule, elle va décimer le village. Rétorqua le jeune homme. Si elle s'est autant approchée du village, c'est qu'elle veut être soignée.
- Qu'est ce que tu racontes ? rugit le doyen. Comme si elle était douée de pensée.
- En tout cas, plus que vous. fit Thäan
- Poses-la immédiatement. grogna le doyen.
- Si vous n'avez pas encore compris, débouchez vous les oreilles . fit-il d'un ton sec. Laissez moi passer, elle perd beaucoup de sang . continua-t-il en faisant un mouvement en direction du gros.
La main du doyen s'abattit sur la joue de Thäan qui, sous le choc, faillit laisser tomber la souffrante mais réussit à tenir bon sur ses jambes, sans la lâcher. Il resta immobile quelques secondes, posa délicatement l'animal à terre un peu en arrière et se redressa de tout son long. Il fixa l'ivrogne qui leur servait de doyen et avança. Il avait sur la joue une marque qui virait au rose. Il continuait a fixer Deulhafak quand soudain celui ci relança sa main. Thäan la vit venir, para le coup et prit le membre du doyen au niveau du poignet et le tourna vers l'intérieur, lui faisant une clé de bras. La douleur fut telle que Deulhafak se plia en deux et mit un genou à terre. Il leva la tête et son visage se décomposa. Au fur et à mesure que Thäan s'énervait, ses yeux changeaient de couleurs.
Les iris semblaient tourner sur eux même avec pour axe la pupille, d'un rouge orangé flamboyant. Deulhafak émit un couinement et serra les dents. Le jeune homme tournait un peu plus la main au fur et a mesure qu'il approchait.
- Que vous le vouliez ou non, je ferai soigner ce pauvre animal .murmura-t-il .
Il lâcha sa prise et revint vers la louve. Derrière lui commençaient à monter des petits rires tandis que le doyen Deulhafak tenait son bras comme pour éviter qu'il ne tombe. Quand il eut repris l'animal, il se retourna et constata que le pantalon du doyen avait une petite tache foncée au niveau de l'entrejambe. Thäan secoua la tête et s'en alla vers ses parents et leur ami.
Il regarda ses parents et au bout de quelques secondes demanda :
- Où puis-je la mettre ?
- Mets la sur la table de la forge, je vais l'examiner .répondit Lyokham
Il poussa la porte du pied, traversa la forge et la posa sur la table à coté du mur ouest. S'approchant, Lyokham sortit de sa robe une grosse fiole bleue qu'il déboucha. Il en versa un petit peu sur la plaie et en fit boire à l'animal qui avala une bonne gorgée de liquide bleu. Voyant l'animal remuer doucement la queue, les deux hommes sourirent, bientôt rejoints par Keld et Maurina. Ces derniers avaient préféré fermer la porte plutôt que d'entendre les villageois se moquer du doyen Deulhafak. Lentement, Thäan approcha sa main de la gueule de la louve et lui caressa la tête.
Dehors, certains se moquaient encore du doyen tourné en ridicule par un gamin de 18 ans. Il fulminait toujours et ruminait déjà une revanche.
Ce petit bâtard ne l'emporterait pas au paradis.

Drizzt

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