Autrement... : Partie 8 - Mise au point

Jordan était installé dans un des fauteuils de jardin de la résidence de vacances en Auvergne. Il tentait de reprendre ses esprits. Depuis quelques jours, tout allait mal. Ils avaient sauvé les deux enfants, mais il était pessimiste concernant la réaction des parents. Edouard revint avec une tasse de thé.

- Alors, ils vont bien ?
- Oui, le petit frère, Thomas s'est réveillé, et Julian pourra revenir très vite ici pour finir ses vacances.
- Tu crois que c'est bien prudent ?
- Je crois que c'est le mieux pour lui. Il va falloir mettre les choses au point avec ses parents avant toute autre chose.
- Tu penses que ça se passera mal ?
- Je le crains, ils ne sont pas venus visiter Thomas depuis le début de sa "maladie". C'est assez étrange pour des parents aimants, tu ne crois pas ?

Il y eut un silence, comme si la discussion avait déjà eu lieu des dizaines de fois avant celle-ci, c'était presque la vérité d'ailleurs. Les convictions d'Edouard concernant l'avenir n'était pas celles de Jordan et ces discussions étaient finalement stériles.
Edouard regarda Jordan d'une façon plus intense.

- Quel est le problème ?
- Je viens de me mettre Mercurey à dos, et il va finir par déclencher une guerre civile, j'en suis presque sûr.

Nouveau silence.

- Tu n'as pas eu de...
- De vision tu veux dire ? C'est bien ce qui me dérange, je ne sais pas ce que je dois faire pour éviter le pire.
- Peut-être simplement faire ce que tu as à faire sans te soucier d'une hypothétique agression.
- Je crois que je m'en voudrais si je faisais cela. Simplement dans le cas où il se passait réellement quelque chose de terrible.
- Je te comprends, mais tu fais peur à Nicolas. Ce garçon mérite plus d'attention que tes suppositions. Il a besoin d'un ami, de quelqu'un pour le guider et d'un peu de soutien.

Cette dernière remarque fit comprendre à Jordan qu'il avait négligé son apprenti depuis trop longtemps. Il avait fait un pacte avec lui-même, un pacte qui indiquait qu'il rendrait le sourire au jeune garçon mais aussi qu'il en ferait un mage d'une puissance inégalée pour prouver qu'il n'était pas un monstre. Avant tout, il devait le faire devenir un humain dans sa propre tête.

- Je crois que j'ai compris le message, Edouard.
- Et tu penses vraiment que Mercurey serait suffisamment stupide pour déclencher une guerre ?
- Je ne pense ni qu'il est stupide, ni qu'il pourrait avoir d'autre conscience que celle de ses propres intérêts. Ce qu'il veut, c'est le pouvoir, un pouvoir grandissant en utilisant ses propres capacités magiques mais aussi celles des mages qui le suivent. Heureusement le conseil s'est retourné contre lui, mais il a encore beaucoup trop de partisans.

Ils se retournèrent tous les deux au moment où Tim, Kevin, Nathan et Nicolas passèrent en courant les uns après les autres en riant aux éclats.

- Voilà ce que je ne veux pas perdre, Edouard, dit-il en indiquant les enfants. Tu sais ce que c'est qu'une guerre, tu es historien. Tu es comme moi, tu veux absolument l'éviter. Ce que je veux que tu saches, c'est qu'il y aura beaucoup de dégâts et beaucoup de morts. Ca, je l'ai vu. Je ne veux pas que ça arrive. Ce serait une guerre civile, un génocide, la pire des choses. Je baisserais les bras si les lignes du temps disaient que c'est inévitable, mais ce n'est pas le cas. Il faut que je trouve l'option qui permettra aux Norms et aux Eveillés de ne pas s'affronter. J'en ai le pouvoir.
- Tu ne dois pas forcément prendre tout ce que tu vois pour toi, je suis sûr qu'il y a d'autres mages pour combattre ce problème.
- C'est trop tard pour me retirer, Edouard, je suis Président du Conseil des Mages depuis hier.

Edouard resta bouche bée à l'annonce de cette nouvelle.

- Tu vas trop loin, tu ne peux pas prendre l'ensemble des décisions, l'ensemble des obligations et des responsabilités sur ton dos. L'Université est une priorité.
- Non, cria Jordan, l'Université n'est pas importante, c'est la vie des personnes qui vont tomber dans une guerre stupide qui est importante, Edouard. Comprends donc ce que j'ai vu chez Nicolas. J'ai vu son père qui le tabassait. Tu peux me dire que ce type de choses arrive chez les Norms aussi, mais je ne veux pas croire qu'une famille normale arrive à faire croire à leurs gamins qu'ils sont des monstres. J'ai aussi entendu les parents de Thomas et de Julian se demander ce qu'ils devaient faire avec deux elfes dans leur famille. Tu te rends compte de ce que cela signifie ?

Jordan serra les poings, cherchant à se calmer. Il se sentait aussi en marge de la réalité comme si les affronts qu'on faisait aux autres lui étaient aussi adressés. Il se posa finalement sur sa chaise.

- Je ne veux pas rester statique alors que maintenant j'ai le pouvoir de changer les choses. Je sais que j'ai des responsabilités mais qu'il faut aussi que je me fixe des limites.
- Je crois que c'est une obligation, mais je comprends ton sentiment. Tu ne peux toutefois pas aider seul le monde entier.

Ils se regardèrent et décidèrent tacitement de changer de discussion.