Autrement... : Partie 7 - Eveil

Cet hôpital était bien plus glacial que les autres. L'endroit était occupé par des malades dont on ne savait quoi faire. Ni réellement une maladie, ni facilement soignable, l'Eveil provoquait chaque année la mort de dizaines de milliers de personnes. Aucun médecin n'avait été capable d'expliquer le fonctionnement de l'Eveil et personne n'avait trouvé de solution pour éviter
l'hécatombe.

Le problème, c'était qu'il y avait plus de morts en instance que de vivants pour les veiller. La maladie de l'Eveil, que l'on appelait simplement « le Mal », n'était pourtant aucunement contagieuse, puisque c'était une mutation des champs d'aura qui entouraient chaque personne mais elle était évitée comme la peste, comme un sombre présage pour l'avenir. Les couloirs blancs étaient vides.

Julian frissonna, regrettant d'être parti en vacances en sachant que son petit frère n'allait pas bien. Le silence régnait, ponctué de quelques gémissements ou de bruits de pas. C'était un lieu de désespoir. Comment ses parents avaient-ils pu laisser Thomas dans un endroit pareil ?

Stéphane avançait en tête, comme s'il savait où il allait. Après quelques couloirs mornes et blancs, éclairés par une lumière crue, ils arrivèrent dans une aile décorée de dessins enfantins.
Une fresque couvrait l'intégralité des murs et du plafond. Ça paraissait tellement incongru dans ce tombeau. Pour une fois ce n'était pas l'environnement qui faisait l'atmosphère mais l'inverse. Julian sentit une vague de tristesse l'envahir.

« Ne perds pas espoir, c'est en partie ta force qui va le faire venir. Ne me laisse pas seul pour ce combat, dit Stéphane en souriant doucement, je n'aurai pas la force de ton coeur pour l'aider. »

Julian réprima son sanglot et avança d'un pas plus sûr, plus pour se convaincre lui-même de son pouvoir que pour prouver sa force à l'Archimage.

Ils s'arrêtèrent devant une porte semblable aux autres dans le couloir, elle portait juste une plaque verte et jaune avec l'inscription « C'est la chambre de » ainsi qu'un papier glissé dans un support plastique où était écrit au feutre rouge « Thomas ».

L'Archimage frappa, comme si quelqu'un pouvait être présent pour lui répondre, puis il poussa la porte. La chambre, étouffante, était obstruée de multiples appareils qui mesuraient tout un tas de choses. Quelques-uns ronronnaient un peu, de façon déplaisante, comme des prédateurs attendant que leurs proies soient à portée de crocs.

Julian ne put se retenir de fondre en larmes quand il vit son frère écrasé par ces terribles démons mécaniques. Il se dirigea vers le lit et lui prit la main. Elle était tellement froide.

Il se tourna vers l'Archimage, qui regardait le vide de ses yeux violets.

- Je crois qu'il y a plusieurs raisons pour que ton frère soit dans cet état. La première c'est l'Eveil en effet. Son corps et son âme sont en train de changer. Il a l'essence d'un elfe. Enfin, je crois.
- Mais on peut faire quelque chose pour lui ?
- Pour ce point du problème, je crains que non. Ce sera forcement douloureux et ce sera forcément traumatisant, malheureusement. Par contre, je crois que ce sont les médicaments qui lui sont administrés qui lui font le plus de mal. Je vais voir s'il y a un médecin de disponible à cette heure.

Julian se laissa tomber dans une chaise près du lit de son frère. La chambre était glaciale, il frissonna. Il sentit quelque chose se briser en lui. Les larmes coulèrent, il ne savait pas trop pourquoi. Peut-être à cause du rythme constant de la machine qui servait à faire respirer son petit frère. Peut-être à cause de sa main froide et livide, sans vie.

Il se mit à prier, ne sachant pas s'il devait croire en Dieu ou le haïr. Il voulait être dans le lit à la place de la seule personne qui comptait réellement pour lui.

« Je ne pense pas que ce soit une bonne idée. »

La voix le fit bondir, son coeur battait la chamade. C'était une voix froide, un peu trop forte et claire pour l'endroit. Il se retourna.

Jordan, Vincent et Nicolas étaient dans la pièce. Julian se demanda comment ils étaient entrés, il aurait forcément entendu la porte. Il les regarda. Il avait devant lui les deux autres archimages de la première université de magie. Il frémit et se demanda s'il devait avoir peur ou remercier le ciel. Nicolas s'approcha de lui et posa sa main sur son épaule.

Le médecin de garde poussa la porte, suivi de Stéphane, il regardait une fiche.

- Je pense que c'est ce médicament qui produit un effet bloquant en saturant son corps. Si le mana ne peut pas passer, il mourra.
- Je comprends, pas vraiment le pourquoi, mais le comment est clair, il va falloir 12 heures pour qu'il évacue les principes actifs.
- Vous croyez vraiment ? coupa Jordan en fixant le corps de Thomas.

L'intervention de l'Archimage eut pour effet de faire revenir le médecin à la réalité. Il se dirigea vers le lit et retira la perfusion du bras du jeune garçon. Jordan s'adressa à Julian :

- Prends sa main, et ferme les yeux, il va falloir que tu nous aides à le faire revenir parmi nous. Docteur, gardez un oeil sur tous ces appareils, si certaines choses ne vont pas, prévenez-nous en parlant fort et clairement.
- Que comptez-vous faire ? demanda le médecin, un peu paniqué.
- Nous allons tenter un nouveau type de médecine. - il tourna les yeux vers Julian - Je ne peux pas te promettre que ça va fonctionner, mais j'ai bon espoir.

Les mages se placèrent autour du lit. Ce fut Jordan qui commença en tendant les bras au-dessus du corps inerte de l'enfant. L'horloge, au mur, s'arrêta. Les courbes des appareils médicaux se figèrent. Julian paniqua légèrement lorsqu'il comprit que ce n'était pas une simple panne mais bien le temps qui avait stoppé son avance immuable. Il regarda le visage de son frère et vit
qu'il transpirait énormément comme s'il avait énormément de fièvre. Vincent avait tendu les mains à son tour. Quand ce fut le tour de Stéphane, Julian eut beaucoup de mal à se retenir de crier. Il voyait le corps de son frère changer à vue d'oeil, il était le même mais son visage s'allongeait légèrement. Il grandissait aussi. Des bruits suspects provenaient de ses articulations.

Julian sombra dans une sorte de transe, il y retrouva Vincent qui l'attendait auprès de son frère. Il y avait une sorte de feu de camp dans une étrange clairière onirique.

- On est où ? demanda-t-il surpris.
- Dans ton esprit, répondit Vincent.

Il resta un moment interdit devant la réponse, puis s'approcha de son frère qui semblait avoir froid. C'était un peu logique d'avoir froid en pyjama sous un ciel étoilé comme celui qu'il voyait à travers le couvert forestier étrange qui les surplombait. Il serra son frère contre lui.

- J'ai peur, dit le garçon.
- Moi aussi, petit frère, répondit Julian.
- Il s'est passé une chose étrange, Julian, et cette chose t'a permis de venir ici sans mon aide.
- Comment ça, ce n'est pas vous qui...
- Je crois que nos pouvoirs combinés ont provoqué ton éveil. Tu es dans le même état que ton frère, maintenant. La différence entre toi et lui c'est que tu n'as pas subi le traitement qu'ils lui avaient administré.
- Je ne comprends pas, je suis...
- Tu es tombé dans le coma, toi aussi. Dans quelques minutes, le soleil se lèvera sur les contrées du rêve, cela voudra dire que vous aurez un choix à faire. Vous pourrez décider de rester ici un peu plus ou de revenir vers le monde des vivants. Le souci est que ton petit frère ne pourra rentrer seul, il a été trop longtemps dans ce monde, je devrais donc lui fournir l'énergie pour passer le voile. Si vous restez encore une nuit ici, je ne suis pas certain qu'il pourra revenir, même avec mon pouvoir pour l'aider.
- Ne vous en faites pas, nous rentrons ensemble, maintenant.
- J'ai encore à vous dire que ce ne sera pas sans souffrance, vos corps ont subi la transformation de l'Eveil et ils seront douloureux pendant plusieurs jours.
- A-t-on le choix ?
- Vous pouvez choisir de ne jamais revenir, dit simplement Vincent.

Julian aida Thomas à se relever et le soutint pour qu'il fasse quelques pas.

- Pouvons-nous y aller maintenant ?
- Bien sûr, sourit Vincent.

Julian s'éveilla dans un lit d'hôpital, et se reprocha instantanément sa témérité. Il ne put que pousser un gémissement tellement son corps était douloureux, tous ses muscles et ses os semblaient vouloir éclater. Il entendit un sanglot dans le lit près de lui. Il tourna la tête.
Son frère le regardait. Il avait certainement aussi mal que lui, mais il était vivant.

Sur la chaise, près de son lit, il y avait le jeune garçon qu'il avait vu avec les Archimages, il dormait dans une position assez inconfortable.

Julian regarda sa main. Elle ne lui paraissait pas différente, peut-être un peu plus fine. Il tenta de se rappeler le visage de son frère avant la transformation, il n'y réussit pas vraiment.
Il avait changé, c'était clair, mais c'était aussi très subtil, c'était son essence qui s'était modifiée, pas son corps uniquement.

« Vous êtes réveillés ? dit Nicolas. Je vais prévenir les archimages. »

Pour toute réponse Julian sourit et réprima un gémissement quand il tenta de changer de position.