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Contes Spalliens : Chapitre 03 - L'homme le plus puissant du monde

Le même soleil se levait aussi, dans un spectacle tout aussi, voire même plus, féerique, sur une autre capitale. Là encore un empereur salua le spectacle, avec cette fois un coeur beaucoup plus léger. Il faut dire que d'après l'avis de la majorité des politiciens, toutes races confondues, l'Empereur Léoto VI De Wrax était l'homme le plus puissant du monde ; encore qu'il était extraordinairement jeune pour quelqu'un de son rang, le plus jeune empereur régnant que Wrax ait jamais connu. Il avait 16 ans et pourtant avait pris la suite de son père quand celui-ci était mort de la Peste. Cette succession avait par contre fait beaucoup plus de remous que celle de Celadrï, mais Léoto était parfaitement formé aux intrigues de palais et au maniement du langage. Il restait des insatisfaits, comme toujours, mais dans l'ensemble l'Empereur et ses fidèles avaient réussi à faire accepter le nouvel état des faits sans trop de difficulté, mais l'on restait méfiant, car Wrax était énorme et le nombre exact de mouvements et groupes d'intérêts divers inconnus. Dans un monde magique, les moyens de faire passer un meurtre pour un accident sont quasiment illimités, et la mort de l'ancien Empereur restait suspecte.
Cependant, Léoto avait le coeur léger, il avait l'appui du clergé et de la guilde marchande et pouvait compter, il en était sûr, en la complète loyauté de toute la Flotte du Nord-Ouest. Il faut dire que la tâche de l'Empereur de Wrax différait significativement de celle de l'Empereur de Spalle. Wrax était un empire commercial, formé d'une agrégation de villes, territoires et îles, appelés Protectorats, liés par des accords commerciaux et militaires mais tous plus ou moins indépendants, chacun ayant ses propres lois et règlements internes. Ainsi l'empereur dirigeait directement la Flotte du Nord-Ouest et l'île de Wrax elle-même, qui avait à peu près la taille de l'Angleterre ou de la France, et commandait, par l'intermédiaire des trois généraux, les trois autres flottes de Wrax, son influence entourait donc l'ensemble des océans du continent principal. Son rôle était donc principalement un rôle de coordination de la politique étrangère et des actions militaires de Wrax. Il lui suffisait de se montrer brillant stratège pour satisfaire la majorité des groupes de pression.
Pour ce faire, il avait organisé d'importantes manoeuvres d'entraînement, en liaison avec la flotte du Sud-Ouest, commandée par le général gouverneur de Conque, Takira, au large des côtes de Bolidraks et de Ragemat, à proximité de l'île de Conque elle-même. Celles-ci s'étaient très bien passées et l'avenir se promettait sans crise grave, interne du moins.
Pour ce qui est de la vie quotidienne de Léoto, elle était une succession d'entretiens avec des diplomates étrangers, des représentants des Protectorats et des séances de médiation entre différents Protectorats eux-mêmes ou entre Protectorats et Etats étrangers. Ces séances étaient plus ou moins éprouvantes ou intéressantes, en fonction des sujets et des participants.
Aujourd'hui, rien de notable, si ce n'est l'entretien qui figurait dans son emploi du temps quotidien sous la mention 'temps libre', temps qu'il ne manquerait pas de passer dans les jardins du palais, assis sur le vieux banc au pied du marronnier de Léoto II, celui avec le feuillage si dense à ce moment de l'année, sur la petite hauteur exposée au vent qui dominait la grande cité impériale. Là il discuterait longuement avec un interlocuteur dont seul son père et quelques hauts prêtres connaissaient l'existence, Pacohol, l'envoyé de Spalle.
Comme d'habitude Pacohol était là en avance, Wrax était un interlocuteur plus qu'important. Il fut agréablement surpris de voir le jeune Empereur venir à l'heure, de manière aussi naturelle que ce que l'on peut rêver. Les vents aussi étaient là ; Pacohol n'était pas sûr de ce qui arriverait à un éventuel espion, mais il espérait ne jamais subir quelque chose de semblable. Les vents n'étaient pas renommés pour la valeur qu'ils attachaient aux vies individuelles et on les disait quasiment hermétique au concept de douleur physique, sans doute parce qu'eux même n'avaient pas de corps.
La discussion commença tranquillement, il s'agissait surtout de finaliser des accords déjà commencés avec l'ancien Empereur, et ce dernier tenait toujours son fils au courant. De plus Léoto et Pacohol aimaient parler franchement, sans détour, et les deux connaissaient parfaitement la situation, qui n'admettait qu'une seule mesure. Les serments furent échangés selon les formes et les paroles enregistrées par les invisibles témoins, au cas improbable où l'un des partis les oublierait.
Ceci fait, Pacohol repartit, tellement discret que même l'Empereur eut du mal à le remarquer. Il lui restait cependant du 'temps libre', qui du coup se révélât vraiment libre.
Il en profita pour remonter dans sa chambre ; il prit l'escalier, car faire mumuse avec les joyaux de l'empire n'avait été drôle qu'un moment, et puis cela ne faisait guère sérieux. Depuis sa fenêtre, il contempla la cité qui s'étendait à ses pieds, plus grande même que du temps de sa jeunesse, quand il en empruntait les rues, avec ses gardes et sa mère, pour rendre visite aux différentes guildes, familles nobles et institutions.
La ville enflait de plus en plus, depuis l'éperon rocheux au pied du volcan où avait été construit la première ville et où se trouvait maintenant le palais, jusqu'à l'autre bord du grand lac circulaire, pourtant large de plus de 2 km de diamètres. Les quartiers résidentiels remontaient de plus en plus dans la jungle. Le port était de plus en plus encombré de bateaux de toutes origines. On pouvait, paraît-il, acheter de tout à Wrax, c'était sans doute vrai, on pouvait en tout cas tout y commander, si l'on y mettait le prix.
Cela était d'ailleurs son principal problème.
Son père avait bien essayé de contenir les nouveaux arrivants dans un grand nouveau quartier, rationalisé et avec tout ce qui faut, mais ce dernier s'était révélé sous dimensionné. Des bidonvilles avaient donc fleuri à l'entrée de la ville, du côté du Déversoir, et bien malin qui pourrait en donner la population et dire quels trafics s'y opéraient, malgré un contrôle de plus en plus strict des entrées et sorties de marchandises et d'hommes.
Une population de plus de 2 millions d'habitants, les Dieux eux-mêmes avaient-ils imaginé une aussi grande ville ?

Dvorak

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