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Contes Spalliens : Chapitre 01 - Suicidal Tendancies

La patrouille était partie de Knôll au petit jour, répondant ainsi rapidement à la demande d'aide reçue la veille. Un village proche de la forêt de Niw avait été attaqué par une dizaine d'Ogres, ce n'était pas rien, songeait Charles, mais cela ne suffisait pas à justifier l'envoi d'une troupe, même réduite. D'ailleurs il savait que la milice locale avait repoussé l'assaut sans trop de mal. Le problème devait donc être autre qu'un manque de bras.
Frédéric et Georges eux étaient heureux que la patrouille semble sans grand danger, et Eric obéissait aux ordres, comme toujours, même s'il continuait de penser qu'il serait plus utile plus au Nord, près des lignes de front, voire à Ris même. Une pensée que peu de monde partageait, surtout qu'Eric parlait en connaissance de cause, il avait déjà effectué son séjour d'une semaine là-bas. Frédéric aussi, et lui était heureux d'en être sorti intact ; Georges redoutait ce moment, mais comme tout le monde il s'acquitterait de son devoir.
Charles pensait un peu comme Eric, même si lui n'allait pas jusqu'à regretter Ris, de plus il était conscient que Spalle avait besoin d'hommes de qualité sur tout le territoire, et connaissait nombre d'histoire de Chevaliers qui avaient acquis leur rang loin des lignes de front, et Charles comptait bien arriver au moins jusqu'à ce niveau. Bien que de faible taille (un petit 2m), il s'en savait les capacités, car il était fort bien bâti, endurant, même selon les normes spalliennes , et surtout il était suffisamment instruit.
Il pensait d'ailleurs que leur rôle actuel était plus d'escorter Alren vers le village que de combattre une éventuelle présence ogre dans les environs.
Il en avait parlé avec l'Intermédiaire Impérial, Henri, et celui-ci était du même avis. Ce dernier avait rejoint leur petit groupe il y a quelques jours, après la mort de leur ancien Intermédiaire lors de l'escarmouche contre les Grouilleux géants (ce n'était pas tout à fait ça, mais il n'avait pas trouvé de meilleur terme) et s'était rapidement intégré. Au fond d'eux, tous les intermédiaires ont les mêmes valeurs, celles du Primus Imperator.
Quant à Alren lui-même, Charles ne savait pas vraiment comment entamer la conversation. Il avait déjà vu des Elfes bien sûr et avait déjà combattu aux côtés des Feriors, mais c'était juste de brèves rencontres pendant lesquelles les paroles étaient évidentes (baisse-toi, attention derrière, visez la tâche jaune sur le dessus de la carapace, ...). De plus, pour la mission, Alren avait été placé sous les ordres de Charles, et cela ne semblait guère lui plaire, les Elfes Noirs réagissent souvent comme ça, particulièrement quand il est évident que l'Humain a moins d'expérience que l'Elfe.

Au bout d'une heure de chevauchée, Charles se résolut à demander plus de précision à Alren ; si la discussion restait professionnelle, celui-ci serait sûrement plus abordable :
«- Je vous ai vu parler avec les techniciens de la garnison avant notre départ, avez-vous plus de renseignement que nous sur l'attaque ?
- Vous vouvoyez les subordonnés ? Vous devriez perdre cette habitude si vous voulez vous faire respecter.» répondit Alren sans quitter la route des yeux ; ça commence mal, songea Charles.
«Pour revenir à votre question, oui, ils m'ont donné plus de détails. Apparemment un vétéran qui a combattu les Ogres a trouvé leur comportement plus qu'étrange, si c'est ce que je pense, il aurait mérité de rester dans l'armée car beaucoup n'aurait rien vu.
- Et qu'a t'il remarqué ?
- Je vous le dirai une fois au village, quand j'aurai pu m'entretenir avec lui et vérifier les corps des ogres.
- S'ils ne les ont pas brûlés.
- Effectivement.», le ton signifiait clairement que la discussion était finie et il ralentit son cheval de manière à laisser Charles seul en tête.
«- Plutôt sec le mago, j'en ai connu de beaucoup plus sympathiques.» C'était Frédéric qui, second dans l'ordre de marche, avait tout entendu. «En tout cas, j'espère qu'il s'agit d'un problème que l'on peut régler à l'épée, par Guerre ce sont les plus simples. Les autres, je les laisse aux mages et aux techniciens.
- Si tu pouvais avoir raison, mais souvent les problèmes nécessitent l'intervention d'une épée et d'un cerveau pour la guider.
- Hum, ouais c'est sûr. J'espère que le cerveau qu'ils nous ont refilé marche convenablement.
- Quel cerveau ?» demanda Eric, qui venait participer à la discussion, Charles lui fit le signe des Elfes. «Ah, oui d'accord. Au fait, les Ogres, c'était que des mâles adultes ou il y avait aussi des jeunes et des femelles ?
- C'était que des adultes, 6 mâles et 5 femelles.
- Je crois que je vois où est le problème.» songeât Charles à voix haute.
«- Et c'est ?
- Nous sommes en fin d'été, la nourriture ne manque pas, et normalement seuls les mâles participent aux actions de guerre. Pas chasse, pas guerre. Aucune raison normale d'attaque.
- Hum, je ne suis qu'à moitié convaincu, peut être qu'ils avaient besoin de viande humaine pour un rituel quelconque.
- Charger un village de front, en plein jour. Même pour les Ogres, c'est une technique de chasse plutôt suicidaire !». Et ils retournèrent à leurs places, ruminant les nouvelles données, ruminant surtout le dernier mot.

Ils arrivèrent au village peu avant midi, celui-ci se situait à l'écart des routes et en bout des terres cultivées. Il était relativement récent (moins de deux cents ans) et donc reprenait l'habituel schéma en croix, avec quatre portes fortifiées et un mur de 3,5 m tout du long. Il comprenait 200 habitants environ, dont 50 hommes et femmes dans la milice d'autodéfense, tous habitués au Feu, les Ogres n'avaient vraiment aucune chance.
Heureusement pour Alren, les corps n'avaient pas été brûlés mais étaient, selon l'habitude, exposés à l'entrée faisant face à l'attaque, c'est dire la forêt. Il entrepris tout de suite de se faire narrer l'attaque par les miliciens.
«- Donc on était le matin, on n'avait pas encore pris nos outils pour aller à la moisson, et là, dès qu'on a ouvert la porte, ils ont surgi pour se ruer vers elle. Nous, on a pris nos épées et nos piques et on a couru se mettre en position derrière la herse, que les gars qui avaient ouvert la porte ont tout de suite baissée. Mais au lieu de ralentir, ils ont continué et les 5 premiers se sont littéralement jetés sur la herse *, je crois qu'ils sont morts sur le coup. Enfin toujours est-il que la herse n'a pas tenu le coup, alors on a levé nos piques, brandi nos épées et on a taillé les autres.
- Et qui a eu l'idée d'aller chercher de l'aide à Knôll ?
- C'est moi, seigneur Ferior, au début j'ai pensé comme tout le monde que les premiers ne pensaient pas mourir à l'impact, et qu'ils pensaient nous battre une fois au corps à corps, qu'ils n'avaient jamais combattu d'Humains. Mais quand j'y ai repensé, ça m'a paru ridicule, on rentre pas dans une herse comme ça, comme un Troll, même si on est très bête. En plus, j'ai trouvé que les 6 autres se sont comportés bizarrement, le combat a duré trop peu de temps pour moi, on a à peine eu deux blessés.
- Vous voulez dire qu'ils se sont battus comme des Gobelins ?» C'était Georges, qui apparemment ne supportait pas qu'Alren mène toute la discussion, il reçut un regard assez sombre pour le faire taire, ce qui veut en dire long car Alren avait encore ses lunettes de soleil.
«- Non, c'est plutôt qu'au dernier moment ils ont tendu le cou pour qu'on leur coupe.
- Vraiment étrange, vous êtes sûr de ça ?
- Ben, maintenant oui, on en a parlé et tout le monde est d'accord.
- Ils n'ont rien de spécial sur eux, un trou au niveau du crâne, quelque chose collé dans le dos ?
- Non, rien de tout cela, on a regardé quand on les a suspendus.
- Bon, merci. Je vais quand même examiner les corps avec l'aide de l'Intermédiaire.
- Désirez-vous de l'aide, Ferior ?
- Non, ça ira. »

Charles s'entretint un peu avec Alren et Henri, puis décida de partir avec Frédéric, Eric et le milicien du village chargé de la surveillance de la forêt à la recherche de signes des Ogres, et d'éventuels autres membres du groupe d'Ogres, en particulier des jeunes (ben oui, les Ogres ça se reproduit). Georges resterait ici, pour la sécurité du village (en réalité plutôt pour sa propre sécurité ; contrairement à Charles, lui était vraiment mal bâti pour faire carrière dans l'armée).
Le guide renseigna tout de suite les cavaliers sur la structure de la forêt. Les abords des champs étaient très parcourus pour la chasse et la collecte d'herbes et de racines, aussi était-il inutile d'y chercher des traces, mieux valait s'enfoncer de suite dans les fondrières sans chemin, les Ogres ne sont pas vraiment communs dans la région, et ne pouvant venir des régions cultivées, ils venaient forcément des profondeurs de la forêt, là où, loin des Hommes, ils pouvaient survivre. Charles acquiesça, mais s'enquit quand même d'éventuels dangers à trop s'enfoncer dans les zones inviolées, il se méfiait des Fées. Le milicien lui répondit, qu'aux dernières nouvelles, le bois en était exempt, sinon lui non plus ne si enfoncerait pas ; d'ailleurs s'il y en avait, le comportement des Ogres ne serait plus aussi mystérieux.
Au bout de deux heures, Eric repéra une série de grosses branches, semblables aux massues utilisées par les Ogres, celles-ci étaient dans une petite clairière, par ailleurs piétinées, mais pas trop. Une rapide inspection poussa Charles à penser que les Ogres s'étaient choisi des armes avant de passer à l'attaque.
«- Mais pourquoi auraient-ils choisi des armes, s'ils avaient l'intention de ne pas s'en servir ? Et puis surtout, ils ne sont pas sensés en avoir toujours une ou deux en réserve au cas où ? Ils ne s'arment pas la veille d'un affrontement !
- Bonne remarque, Frédéric ! Fouillez la zone, il y a peut être d'autres indices.»
Ils partirent chacun le long d'une piste différente. Eric progressait vers le haut d'une petite butte qui laissait deviner un vallon par derrière, aussi prépara-t-il son heaume, sa lance et son bouclier pour une éventuelle charge, et vérifia rapidement la solidité de ses étriers. Aussi ne put-il réprimer un sourire quand, arrivé en haut, il vit deux Ogres adolescents l'attaquer depuis le bord de l'eau. Tandis qu'il abaissait sa lance et chargeait l'Ogre de droite, de manière à présenter son bouclier à celui de gauche, il cria un bon coup pour prévenir les autres : «Pour l'Impératrice !!».
Comme prévu, le premier Ogre fut tué sur le coup, sans avoir le temps d'abattre sa massue. Eric lâcha sa lance et prit son épée pour recevoir le petit copain ; bizarrement celui-ci avait marqué un temps d'arrêt avant d'attaquer Eric, le temps qu'il dégaine son épée, mais pris dans l'action ce dernier n'avait rien remarqué. L'épée était levée et s'apprêtait à fendre le crâne du malchanceux quand retendit le cri de Charles : «Retiens ton coup !!!».

* : note sur les herses spalliennes : celles qui équipent les petits villages sont en bois avec des pointes en fer dirigées vers l'extérieur, un animal (ou ici, un Ogre), qui essaye de la défoncer sans outil approprié s'empale sur 25 cm de bon acier nain. Les gardes des portes ont d'ailleurs pris l'habitude d'abattre les herses au dernier moment en cas de charge afin de profiter de ceci, ça n'a pas été le cas avec les Ogres, les portiers n'avaient pas envie de reconstruire la herse et le comité d'accueil présent derrière était plus que suffisant.

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