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Nels : Histoire d'un mage sans passé : Chapitre 21

Le vent souffle sur mon visage, l'odeur de la mer m'emplit les narines et au dessus de moi volent des mouettes à la recherche de leur pitance. La traversée était bien entamée et nous nous dirigions vers l'Académie assez vite, surtout pour une petite barque de la sorte. Je n'avais pas le choix, une force implacable me poussait à revenir en ce lieu pour lequel je n'avais néanmoins aucune affection particulière. Le principal problème pour moi désormais n'était plus la préparation du fameux Grand Conseil malgré le fait que je savais son importance capitale mais il s'agissait pour moi de savoir quel était cette angoisse que je ressentais au fond de ma poitrine.
Nous avions atteint le petit quai en moins de temps qu'il ne me fallait pour continuer de réfléchir un peu à tous les événements qui m'étaient arrivés en dehors de l'Académie. J'avais senti la présence de Basaïn qui m'attendait sûrement et je fus assez ravi de savoir que je pourrai lui parler au plus tôt. Une fois que nous nous vîmes, nous nous donnâmes l'accolade : j'étais très content de le voir et je ne savais pas pour quelle raison. Il était tout excité et m'entraîna directement vers son cabinet de travail. Il me demanda des m'asseoir et nous fit servir du vin doré. Une fois que nous fûmes seuls dans le cabinet, il me fit un long rapport :
L'Académie avait réactivé tout son réseau d'informateurs afin de déterminer quelles seraient les forces en présence au Grand Conseil. Les plus grandes sociétés secrètes semblaient avoir répondu favorablement à ces invitations, ainsi que les Royaumes visités. Lelanide, les Hauteurs, Hirmeth, Licht et bien d'autres Royaumes plus petits avaient donné leur accord pour ce qui était du Conseil où une ligne de conduite allait être adoptée.
- Pour ce qui est de cette ligne de conduite Basaïn, dis je, j'imagine que nous allons guerroyer ?
- Je te sens un peu sarcastique dans ta remarque. Tu n'as pas beaucoup prêté attention à ce que je t'ai expliqué mon ami.
- J'ai un pressentiment tel que je n'ai même pas pris le temps de repasser à Mithland pour remercier encore une fois Drayde. Je suis venu le plus vite possible et je ne sais même pas pourquoi.
- Tu ressens aussi l'Ombre qui pèse sur ce monde, nous nous ressemblons en ce sens.
- Je ne sais même pas pourquoi nous nous ressemblerions, comme vous dites. Je maîtrise les cinq couleurs, j'ai vaincu plus de Sombres que certains mages en toute une vie et pourtant j'ai un sentiment d'insatisfaction : pourquoi je dois risquer ma vie pour sauver un monde dont je ne me souviens même pas, pour des gens qui ignorent jusqu'à mon existence ?
- Parce que tu es humain et que tu as oublié le côté animal de chaque humain. L'animal agit pour se sauver lui même, par instinct. Pour pouvoir se reproduire de nouveau, la lionne laisse aux mâles le soin de tuer ses lionceaux, mais l'humain lui est capable de sacrifier sa vie afin de sauver son prochain. En tant que mage, cette responsabilité en est accrue.
- Peut être, mais je commence d'être fatigué.
- Profite de ton arrivée en avance par rapport au Grand Conseil pour bien te reposer. Tu verras que l'assemblée que nous allons réunir est aussi fatigante qu'un combat. Je te conduis dans tes appartements de Grand Maître, tu t'y détendras bien, crois en mon expérience.
- Je crois bien que j'ai besoin de repos, mon vieil ami.

Je passais toute la nuit dans ces appartements avec la poitrine oppressée, les cris que j'avais déjà entendu dans mes cauchemars ayant suivis la tempête élémentaire continuaient de me hanter et pire encore, ce son atroce me semblait de plus en plus familier. Le passé semblait vouloir se manifester à moi et il le faisait de la pire des manières en ne me laissant aucun répit. La terrible douleur que j'avais ressentie la première fois que je me réveillai dans l'Académie revint et ne me quitta pas de toute la nuit. Le petit matin me trouva vaseux et fatigué. Basaïn entra dans ma chambre et me regardait fixement d'un air inquiet :
- Je pense que tu es fatigué parce que nous t'avons donné trop de travail. J'essaierai de t'épargner quelque peu lors du Grand Conseil.
- Je pensais que je serai nécessaire, tout du moins pour servir d'interlocuteur au roi des Hauteurs...
- Oui en effet. Il faut que tu saches que nous allons sûrement entrer dans une guerre des plus totales contre le Sombre. D'après ce que certains de nos indicateurs nous ont envoyé comme rapports, la confrérie des Sombres se terre à nouveau dans les marécages de la Malédiction.

Je passai derrière une cloison pour m'habiller, tout en continuant de parler avec Basaïn :
- Moi qui croyais que personne n'osait habiter là...
- Sans doute que le principal risque de cette contrée est de trouver nez à nez avec une horde de Trolls qui se seraient levés du pied gauche.
- Sans doute, mais excusez moi de mon manque de connaissances géographiques, quelle taille ont effectivement ces territoires disponibles?
- Ils sont suffisamment grands pour contenir une armée redoutable.

Nous étions sortis de mes appartements et nous allions pour prendre un petit déjeuner en compagnie de Bardéak, qui voulait aussi me voir. Nous arrivâmes dans un des petits salons qui servaient de salles à manger privées pour les Grands Maîtres et je vis mon vieux Maître déjà attablé et entamant avec un enthousiasme grandissant son repas. Il ne se leva même pas en nous voyant et s'exclama :
- Mais dites donc ne serait ce pas mon ancien élève que voilà après avoir crapahuté un peu partout ?
- Heureux de te voir aussi Bardéak, lui dis je.
- Ca, je me demande... Tous les élèves disent ici que je suis fou, mais maintenant ils ont encore plus peur parce que je leur ai annoncé que tu dispenserai quelques cours qui feront encore plus mal à leurs pauvres muscles que les miens.
- Je ne suis pas aussi sadique mon ami. Par contre je suis surpris qu'à peine arrivé on me donne déjà du travail.
- Nels, me dit Basaïn, nous voudrions former nos élèves actuels le plus vite possible, et ce ne sera possible qu'avec l'aide de tous les Grands Maîtres.
- Même s'il en manquera un, n'est ce pas ?, ajouta Bardéak d'un air à la fois coléreux et ironique...
- Oui, même dans ce cas là, lui répondit sèchement Basaïn.
- Je ne veux pas savoir ce qui se passe pour le moment, indiquez moi les élèves et ce que je dois leur montrer, ajoutais je. Je ne voudrais pas passer pour un rustre, mais je suis impatient de pouvoir travailler un peu.
- Evidemment qu'il faut que tu travailles mon cher, dit Bardéak en faisant l'effort de se calmer. Voilà ce que je te propose : tu vas m'aider tout d'abord dans les cours d'escrime que je donne afin que tu voies un peu leur niveau. Ensuite je te laisserai une classe à temps plein, quand tu sauras mener les troupes mon cher ami.
- Quel est le Maître manquant mes chers amis ?
- Tu le sauras bien assez tôt, en attendant nous avons besoin de toi pour des affaires bien plus urgentes, me répondit Basaïn.

Une fois que nous finîmes de manger, nous nous rendîmes moi et Bardéak dans une des salles de cours d'entraînement, une classe d'environ trente élèves qui inclinèrent la tête bien vite lorsqu'ils nous virent arriver tous deux :
- Mes petits, annonça un Bardéak radieux, je vous annonce que votre classe de médiocres m'épuise tellement que nous allons vous enseigner à deux. Voici le Grand Maître Nels qui va tout d'abord assister au cours, et qui prendra sûrement le relai à partir d'un certain moment. Profitez donc bien des derniers instants de volupté que seront vos dernières heures d'entraînement avec moi car ce charmant jeune homme vous fera connaître les affres de la souffrance.
- Messieurs les élèves, dis je, je ne serai pas là pour accepter vos défaillances, mais pour vous pousser à dépasser vos limites. Cependant ne vous attendez pas à ce que soit facile.
- Mon cher Maître, me demanda Bardéak, quel entraînement proposez vous pour aujourd'hui ?
- Que toute la classe me suive, nous allons sur la plage. Emmenez vos épées d'entraînement, celles en métal.
Il fallait les voir grimacer à l'idée de devoir emporter les épées les plus lourdes pour cet entraînement, mais ils ne s'étaient pas encore rendus compte de leur douleur alors qu'ils allaient s'entraîner sur du sable : courir, marcher, sauter ou n'importe quel mouvement devenait alors bien plus difficile il leur faudrait user non seulement de leur force physique mais aussi de toute leur ruse et de leur maîtrise du mana afin d'être efficaces.

A la fin de l'entraînement, tous les élèves étaient au sol, épuisés par l'effort violent que je leur avais demandé. Pourtant ce n'était pas encore fini :
- Mettez vous tous en garde, élèves !
Ils se levèrent, certains d'entre eux chancelants, et ils furent encore plus ravis d'entendre leur mission :
- Vous avez eu un rapport interne comme quoi deux Sombres prévoient d'attaquer l'Académie. C'est peu probable mais possible. Vous devrez les retenir. Moi et Bardéak serons vos cibles, nous arriverons d'ici minimum... trois minutes. En place messieurs, et ne vous faites pas tuer. J'oubliais : tous pouvoirs autorisés.

Il s'avéra qu'ils furent défaits en quelques minutes à peine, alors qu'ils ne virent pas la marée remonter dangereusement et une grande ombre qui se profila bien plus vite que la normale. Le moment où je fus le plus en danger fut quand un sort de foudre me manqua d'environ un mètre...
- Je ne vais pas vous cacher élèves, commençais je de les sermonner, que je suis fort déçu par votre attitude. Vous manquez singulièrement de technique et de maîtrise. On ne doit jamais oublier au combat qu'il faut veiller sur les alliés que l'on a avec soi, ce sera la leçon du jour. Dans un mois tout au plus à lieu le Grand Conseil : d'ici là vous devrez être forts si vous voulez être utiles à l'Académie de l'Ile.
- Bien Maître ! répondirent ils à l'unisson.

Le mois qui nous séparait du Conseil passa vite entre les dizaines d'entraînements que je fis subir aux élèves, comme par exemple les réveiller de nuit pour qu'ils assurent la sécurité de l'Académie. De quelques minutes de résistance aux assauts ils en venaient à réussir à défendre durablement, voire à nous repousser complètement quand nous n'étions que deux. Avec le retour de Zorhskt, nous avions institué des assauts durant lesquels tous les élèves présents devaient pouvoir repousser tous les grands Maîtres disponibles, même Basaïn put dégainer son épée et se lancer dans des duels des plus qu'étonnants d'autant plus qu'il était d'une redoutable adresse pour son âge avancé. Seule Naëria manquait à l'appel mais Bardéak et Basaïn éludaient toutes mes questions en rapport à ce sujet, me disant que des liens la retenaient là bas dans le cadre de la coopération de Lelanide avec l'Académie et que ce poste d'ambassadeur était rêvé pour elle, qu'elle ne s'en plaignait pas contrairement à ce que j'aurais pu en penser. Ce qui s'était passé dans la maison de Drayde n'était connu en théorie que de Zohrskt mais ce dernier en informa Basaïn qui sembla en être furieux. Verden continuait d'assurer tous les cours de Vert et de soigner le plus rapidement possible les blessés des entraînements qui avaient lieu jusqu'à plusieurs fois par jour selon les classes, puis participa lui aussi aux entraînements pour montrer un peu "aux collègues que le médecin sait non seulement se servir du scalpel mais aussi de son sabre", comme il le disait si bien.

Les jours du Grand Conseil étaient proches, et mes pressentiments revinrent alors que pendant toutes les séances d'entraînement j'avais pu le surmonter. Il y avait quelque chose de bizarre autour de moi et je ne me sentais pas à l'aise quand nous nous retrouvions entre Grands Maîtres, il me manquait quelque chose. D'ailleurs, un jour, Basaïn me demanda qu'il n'y ait pas d'entraînement de la journée : nous avions des affaires à régler car les convois des principaux Princes et Rois qui venaient vers l'Ile étaient proches. Nous allions nous retrouver à bien plus que d'habitude sur l'Ile et nous aurions besoin d'un endroit pour nous réunir en secret afin de préparer les réunions entre Grands Maîtres. Ils me conduirent dans un couloir qui menait à un escalier en colimaçon qui descendait dans un gouffre naturel. Cependant, plutôt que d'emprunter l'escalier, je vis Bardéak sauter dans le vide en me criant de le suivre et de faire attention à la marche. Je n'eus d'autre choix que de sauter à mon tour, pour mieux me rendre compte que, quelque soit le mana, il suffisait d'en appeler en quantités suffisantes pour flotter. Cette quantité n'était pas négligeable ce qui me laissa penser que seules quelques personnes pouvaient tenter sans risque l'exercice. Nous arrivâmes dans un couloir qui semblait être creusé sous la mer, avant d'arriver sous un dôme de verre qui ne laissait aucun doute : nous étions bien sous la mer. La porte d'entrée du dôme se referma avec un drôle de bruit, et je sentis que le couloir nous y menant s'inonda complètement :
- Si quelqu'un a pu nous suivre, je lui décerne la médaille d'or, dit Bardéak. Maintenant nous pouvons parler.
- Bien, dit Basaïn, nous sommes réunis pour faire le point sur les prochains jours. Nels, Bardéak, Zohrskt vous êtes tous les trois des interlocuteurs privilégiés de Grands Royaumes, vous serez donc amenés à faire en sorte d'adoucir si je peux dire les débats pour eux, en particulier l'opposition entre Capac et les membres du directoire de Licht.
- Pour ce qui est de Lelanide que fera t'on?, demandais je. S'ils sont aussi obtus que les directeurs, nous aurons des débats plus qu'enflammés.
- Ce ne sera pas là le plus grand problème. Ce qui compte c'est tout d'abord de faire accepter l'idée que nous devons constituer une grande armée. C'est à partir de ce moment là que tous nos problèmes vont commencer : qui en prendra le commandement, combien d'hommes faudra t'il fournir, et d'autres questions qui seront même parfois stupides.
- Hirmeth, ajouta Bardéak, bien qu'étant totalement disposé à la collaboration avec nous est très réticent à envoyer des hommes se battre. Il voudra sans doute n'envoyer que les volontaires à la bataille, et je ne pense pas que nous puissions lui faire changer d'avis.
- En ce cas Bardéak, dit Verden, je pense suffisamment connaître le peuple d'Hirmeth pour dire qu'il y aura beaucoup de volontaires, n'est ce pas ?
- En effet.
- Pour ce qui est de ma propre patrie, dit Zohrskt, les membres des corps d'armée sont tous en entraînement intensif. Les massacres qui ont eu lieu lors de la fuite des Sombres ont fait peur à chaque petit village et nous ne savons pas ce qui nous attend désormais.
- Basaïn, demandais-je, qu'allons nous devoir affronter ? D'après ce que j'ai pu lire comme rapports ce ne sont pas moins de cinq cents Orcs qui ont été tués un peu partout sur les Royaumes et sans compter les Trolls, les Gobelins et autres assimilés.
- Si nous nous fions à divers rapports, et si nous lisons les annales de la dernière grande bataille contre le Sombre, nous ne pouvons qu'être pessimistes.

La discussion dura des heures et des heures. Nous étions tous fatigués quand nous remontâmes et ce fut par le même moyen : l'accumulation de mana. Je n'avais toujours pas compris le système alors j'interrogeai Basaïn. Le sol de la cavité dans laquelle nous nous élancions était recouvert d'une pierre contenant des cristaux qui ont pour particularité lorsqu'ils sont irradiés de mana de créer un champ gravitationnel. Le fait que nous sautions éloignés les uns les autres et que nous devions projeter le mana vers le bas indique que c'est une réaction qui agit un peu comme un rebond.
Après cette nouvelle découverte pour moi, Basaïn me demanda de bien me reposer, car le temps du Conseil était venu, et j'allais avoir pas mal de surprises. Il me demanda de travailler ma maîtrise de moi, afin de ne pas entrer dans un état de rage trop puissant, ce qui m'étonna fortement. Peut être allait falloir que je fasse mes preuves devant les plus sceptiques des assistants, et ceux ci ne manqueraient aucune occasion de me provoquer, me prévenait mon vieux Maître, alors il fallait que je profite du temps qu'il me restait pour travailler sur moi même. A défaut du passé, se plonger dans ce qui serait mon avenir était de plus en plus excitant pour moi, malgré mes pressentiments inexplicables.

Nels

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