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Nels : Histoire d'un mage sans passé : Chapitre 18

Le rythme de la marche était rapide, nous allions vers le nord ouest, et une fois que nous sortîmes de la ville les chemins abrupts reprirent leur droit. Nous serpentions donc encore une fois vers des hauteurs de hautes montagnes en forme de pain de sucre qui dominaient avec majesté le paysage environnant. En contrebas, la ville s'animait avec de petites taches de couleur qui bougeaient dans tous les sens, nous avions encore pris pas mal d'altitude en très peu de temps. Le Quechua semblait habitué à l'effort de la marche ainsi que tous les hommes avec nous qui allaient d'un bon pas, d'un pas bien alerte et sûrs d'eux malgré la pente impressionnante. D'un coup, nous nous retrouvâmes sur un chemin qui se dirigeait droit vers une falaise, ne voulant pas mettre en doute la capacité de nos guides à nous diriger, je continuai de marcher mais je demandai tout de même au Quechua :
- Excusez moi Quechua, mais le chemin s'en va vers la falaise là non ?
- Tout à fait mais ne vous inquiétez pas, on vous apprendra à voler.

Pas tout à fait rassuré par la réponse enjouée du Quechua, je continuai d'avancer. Nous étions enfin à la falaise, et les hommes qui menaient les Llamas firent faire un virage serré aux bêtes. Je n'en crus pas mes yeux : le chemin avait été creusé dans la paroi, une sorte de rainure à travers la roche dure, un peu comme un tunnel qui allait droit à travers la paroi. J'avançais au plus près de celle ci de peur de tomber dans le vide immense qui était sous nous. Ce tunnel ouvert sur le côté était long d'au moins cent mètres et parfaitement plat, les ouvriers ont dû prendre des années à le réaliser. Les Llamas avançaient docilement, ne prêtant pas attention au grand vide et avançant selon les ordres des guides. Après le tunnel, nous étions dans une sorte de vallée encaissée, plate, entre deux grandes crêtes montagneuses. La vallée était sombre, et il n'y avait pas énormément de végétation dessus : sans doute les conséquences de l'altitude et du froid sans compter que le soleil de ne devait pas souvent l'inonder de ses rayons. Le Quechua se décida à un arrêt pour se reposer et manger quelque peu. Il me semblait fatigué mais nettement moins que moi, l'altitude me pesait et je manquais un peu d'air. La commissure des lèvres des hommes qui m'entouraient était d'un vert foncé et je me demandais pourquoi ils semblaient mâchouiller quelque chose en permanence. Le Quechua lui aussi mâchouillait quelque chose, mais je n'y prêtais pas garde outre mesure. Nous mangeâmes de la viande séchée, des papas séchées, des sortes d'épis, comme pour le blé, mais de maïs réchauffés au dessus d'un feu pour nous réchauffer. Je demandai alors :
- Quechua, comment se fait il que vous soyez tous si en forme? C'est moi qui suis particulièrement faible ?
- Seigneur sachez que nous avons un secret que je vous confierai au moment de partir. Reposez vous quelque peu, nous avons encore une longue marche avant d'arriver à Sacsayhuaman.
- Est ce que Sacsayhuaman est encore plus haut?
- Ce n'est pas tant une question d'altitude que de distance. Nous devons traverser encore quelques petites vallées comme celle ci. Les passages seront un peu moins périlleux ne vous inquiétez pas.
- Nous prenons beaucoup d'altitude à chaque fois que nous avançons... Je me demande à quelle altitude est Sacsayhuaman.
- D'après ce que je me souviens de mes cours, il y a environ 1500 mètres de plus à Sacsayhuaman. Le Vieil Oiseau est à 2000 mètres plus haut lui.
- Et Pallka est à quelle altitude?
- A 2000 mètres d'altitude déjà.

Je restai pensif. Pallka m'avait semblé haute comme ville, et on grimpait désormais vers Sacsayhuaman. Cette dernière ville était plus une garnison militaire, je verrai certainement les méthodes du Royaume pour l'entraînement des armées.
La marche reprenait, et le Quechua s'approcha de moi, avec un petit sac en toile à la main d'où il tira des feuilles d'un vert foncé. Il me les donna et en prit lui aussi, formant une petite boule entre ses doigts et la mettant dans sa bouche, il se mit alors à les mâcher lentement :
- Allez y, faites comme moi. C'est ça notre secret : le jus de la feuille de coca.
Je mis dans ma bouche les feuilles : elles avaient un goût très amer, qui me fit grimacer au début. La marche reprit et moi je marchais en mâchonnant mes feuilles mais peu à peu je sentais moins la douleur de mes jambes due à la fatigue, et je respirais même plus facilement. La pente reprit juste après la vallée encaissée et nous continuâmes à marcher en prenant de l'altitude, l'air se faisant par la même occasion de plus en plus froid. Le poncho, la sorte de couverture que m'avait fourni le Quechua, m'était en effet bien utile : sans être aussi lourde que je ne le pensais, elle protège admirablement du froid ambiant. Le reste de la marche se fit à un rythme plus rapide, je n'étais pas très fatigué et je me rendis compte que j'avais quelque peu ralenti l'expédition durant la matinée. La feuille de coca est un remontant extraordinaire pour pouvoir faire de longs efforts. Au bout de quelques temps, nous commencions à descendre, selon une pente très douce. Nous faisions le tour d'un de ces fameux pains de sucre, immense formation rocheuse qui surplombait la petite vallée d'où nous venions, et là je vis une grande muraille, immense, formant une sorte de haie de pointes venant vers nous plutôt qu'une grande muraille bien lisse. Nous nous en approchions et le Quechua me dit :
- Nous voici à la citadelle de Sacsayhuaman.

Nous nous dirigions vers une des portes de la muraille monumentale. Je voulus voir la conception de la muraille de plus près, car je ne voyais pas les jointures des blocs. En m'approchant je compris pourquoi : la taille de ceux ci dépassait l'entendement, tandis qu'ils semblaient être posés les uns à côté des autres sans mortier pour les tenir. Le Quechua qui m'avait vu faire me dit :
- Sortez votre épée et essayez de la faire passer entre deux des blocs.

J'essayai effectivement, et ça me fut impossible. Malgré le fait qu'il n'y ait pas de mortier pour les tenir ensemble, le peuple des Hauteurs avait réalisé une muraille des plus solides, avec des blocs de pierre devant peser des dizaines de tonnes. Je me dirigeai vers la porte: je n'étais pas là pour admirer le paysage, ni les prouesses architecturales de l'empire de l'Inca. L'équipe de garde nous accueillit avec empressement en voyant le Quechua :
- Quechua, bienvenue à la garnison.
- Hommes de Garde il nous faut voir les Grands Généraux.
- Quechua, l'autre homme vêtu du poncho officiel n'est pas Quechua.
- Laissez moi me présenter, messieurs, dis je en enlevant le poncho, je ne cherchais pas à usurper l'identité d'un Quechua mais à me protéger du froid. Mon nom est Nels, et je suis Grand Maître de l'Académie. Je voudrais pouvoir parler aux Grands Généraux.

Nous entrâmes dans la fameuse citadelle, et je vis plusieurs corps d'armée à l'entraînement. Des lanciers s'entraînaient au combat rapproché entre eux, des archers au tir, des hommes armés de machettes faisaient leurs armes en taillant des pieux. Ce n'était pas loin de cinquante hommes que je voyais là se préparer au combat. Contrairement à la ville de Pallka, la citadelle de Sacsayhuaman était composée de bâtiments en pierre, plus solides, tandis que les toits en chaume n'étaient pas ornés d'or. Pourtant une agitation bien plus grande semblait avoir lieu ici. Le Quechua interrogea un des gardes en sa langue et il sembla se réjouir :
- Je ne sais par quel heureux hasard vous avez de la chance, Seigneur. Les trois Grands Généraux se sont réunis ici pour je ne sais quelle raison et vous pourrez les rencontrer au même temps.
- Je les verrai et ensuite il me faudra aussi voir l'Inca. Qu'ils soient prévenus que je veux les voir tout de suite.

Je vis des gardes se disperser en courant à la suite de la demande du Quechua. Nous mangerions sûrement ensemble afin de pouvoir faire la mise au point sur le champ. Je fus conduit vers un fort assez grand qui s'élevait en tour. Une sonnerie de cor fut lancée : l'heure de la fin des entraînements de la journée et du début des gardes de nuit avait sonné. Le Quechua de Pallka me dit :
- Notre Empire a pu survivre et perdurer grâce à sa discipline et au bon entraînement de ses troupes pour qu'elles combattent les Trolls, les Orcs ainsi que les Gobelins. Ces bestioles se cachent dans les grottes des montagnes et n'hésitent pas à nous attaquer.
- Je vois, mais qui sont ces trois Grands Généraux que je vais rencontrer ?
- Ce sont des hommes sages, ceux qui dirigent à eux trois la grande armée de l'Inca. Ils seront sans doute d'une aide fort utile si une grande guerre doit éclater. Et avec les pratiques du Sombre, nul doute que cela arrivera si les peurs de l'Académie se réalisent.

Une fois à l'intérieur du fort, nous pûmes enlever nos ponchos et nous mettre quelque peu plus à l'aise. De la chicha fut servie, pour nous rafraîchir quelque peu, et ce fut fort agréable de prendre ainsi quelque repos. J'avais la mâchoire quelque peu engourdie de par la mastication une grande partie de la journée des feuilles de coca mais ce stimulant nous avait permis d'arriver à bon port en un minimum de temps. Je vis que des domestiques préparaient une pièce sûrement pour le dîner, vu qu'il serait officiel et légèrement pompeux. On me demanda de passer dans un salon où m'attendaient les Grands Généraux réunis. Lorsque j'entrai, je fus annoncé : Nels, Grand Maître de l'Académie. Une fois à l'intérieur, les trois hommes se présentèrent : Quizquiz le commandant des forces du nord, Ruminahui commandant du sud ouest et Chalcuchimac commandant des forces du sud est. Le dîner fut servi, et les hommes invitèrent aussi le Quechua de Pallka à s'asseoir avec nous. Quizquiz demanda :
- Je ne voudrais pas paraître incorrect avec vous Seigneur, mais pourquoi voulez vous voir l'Inca avec tant d'insistance ?
- La situation est grave, très grave même. Vous, Grands Généraux savez aussi bien que moi le danger potentiel que peut avoir un seul Sombre n'est ce pas ?
- Par Pachamama, dit Quizquiz, que ces maudits meurent tous...
- Quizquiz, si nous n'avons pas un débat calme nous n'en tirerons rien de bon, dit Chaculchimac, Seigneur, nous savons cela. Je ne pense pas que vous veniez du sud depuis si longtemps juste pour cela non?
- En effet. Nous avons de fortes raisons de penser que quelqu'un veut reformer une armée Sombre et qu'il se fait appeler Alarkhan. Il se pourrait même que ce soit Alarkhan lui même.
- Alarkhan lui même?, s'interrogea Ruminahui, vous voulez parler de quel Alarkhan? Pas de celui qui est mort depuis des années...
- Les Sombres se sont hélas réclamés de lui. J'étais à Mithland, et c'est là bas que nous avons trouvé des documents récents demandant des rapports et des preuves comme quoi les sacrifices continuent.
- Dans mon secteur, dit Quizquiz, nos patrouilles ont eu beaucoup à faire pour chasser des groupes d'Orcs qui semblent commencer à se former. Nous pensions à des hordes mais ces nouvelles n'annoncent rien de bon. Il va falloir se préparer à la guerre de nouveau.
- Avez vous eu des désertions ces derniers temps ? Des départs précipités ou alors ...
- Notre peuple est loyal et sait les dangers du Sombre Seigneur, dit Chacuchimac. Beaucoup savent que les Orcs et autres créatures sont néfastes et que les Sombres les utiliseront pour nous attaquer. Certains des soldats présents dans la citadelle sont des enfants de disparus lors d'attaques de bas villages... Je pense que leur volonté de vengeance ne leur permettrait pas d'entrer dans les rangs du Sombre.
- Je m'en réjouis.
- Et que compte faire l'Académie ?, demanda fougueusement Ruminahui, dès que vous le voudrez, je réunis mes hommes et nous attaquerons les Sombres.
- L'Académie n'a pas à décréter une situation comme celle là Général. Je suis venu convoquer l'Inca au Grand Conseil de l'Académie qui aura lieu dans deux mois et demi environ. En attendant, il s'agira d'être vigilants afin de ne pas laisser aux Sombres prendre trop d'influence.
- Le fait que l'Académie pense au Royaume des Hauteurs nous honore, dit Chalcuchimac. Nous irons avec vous vers le Matchu Pitchiu pour nous entretenir avec l'Inca et prendre des mesures. Vous, Quechua de Pallka, vous retournerez à votre ville avec un de mes bataillons d'élite.
- Bien Général.

Le reste du dîner fut une sorte de bulletin d'information pour les Grands Généraux qui non contents de s'échanger des informations sur leurs divers corps d'armée, me demandèrent des nouvelles des autres Royaumes. Ils furent inquiets de voir que le Royaume de Licht avait eu des problèmes avec la corruption du Sombre. Ils étaient impatients de pouvoir emmener leurs armées à la bataille, de pouvoir venger tous les problèmes et les meurtres accomplis par les forces sombres et les bêtes qu'ils entraînaient à cet effet.

On me conduisit à ma chambre, on y avait déjà porté mes bagages. Un brasero fut installé là pour que je puisse me réchauffer quelque peu. Ma quête se passait on ne peut mieux, les gradés que je rencontrais étaient très coopératifs, cependant j'avais le coeur serré. Je ne pus m'empêcher de penser à Naëria, qui aurait peut être plus de difficultés à convaincre. D'après ce que m'avait dit Zohrskt, les Elfes de Lelanide étaient comparables aux gens de Licht : d'une prétention incroyable et butés. Le fait que Naëria soit Elfe les aiderait peut être à comprendre que le Grand Conseil auquel des Humains participeraient ne serait pas "inutile" ni "futile", termes avec lesquels ils caractérisent les activités humaines. N'empêche que Zohrskt m'a dit être étonné de l'attitude de Naëria avec moi juste avant de se rendre à Lelanide au vu des liens qu'elle y avait. Il fut ensuite assez évasif, et nous parlâmes plus de stratégie militaire que d'autre chose.

La nuit me permit de me reposer, la journée allant être consacrée à la visite de la garnison et au passage en revue des forces de l'empire Inca : j'avais vu la stratégie des Sombres à l'oeuvre et je pourrais donner quelques conseils aux Généraux. J'expliquais le danger des drains de vie à un groupe de lanciers quand j'entendis des cris d'alerte. Quizquiz était avec moi à ce moment là il m'enjoignit de le suivre pour que nous voyions de quoi il s'agissait. Une fois arrivés à la muraille, les guetteurs nous dirent que des Trolls étaient là et avaient une attitude menaçante. Quizquiz eut un énorme sourire. Sortant de dessous son poncho deux longues machettes, il me dit :
- Montrons un peu à nos recrues ce que sont capables de faire leurs supérieurs.
Nous sortîmes de la citadelle, des hommes s'étant massés sur les remparts pour nous voir combattre. Les Trolls étaient au nombre de trois, et ils semblaient armés eux aussi, de lourdes masses à première vue. Nous nous avancions quand ils nous virent, et leur réaction si prévisible fut immédiate : ils foncèrent. Quizquiz et moi courûmes chacun d'un côté et ils se séparèrent : un pour lui, mais deux pour moi. Je n'avais même pas sorti mon épée à ce moment là et ces deux monstres s'approchaient de plus en plus. Je ne savais pas si je devais ou pas utiliser mes sorts offensifs contre eux, juste pour montrer la puissance de l'Académie et je me décidai d'en finir à l'épée le plus vite possible. Je pris mon épée avec son fourreau dans ma main gauche, tenant la poignée de la main droite et au moment où le plus rapide des deux Trolls était à ma portée, je sortis brutalement mon épée de son fourreau en un mouvement circulaire qui emporta le bras du Troll qui tenait la massue. Etant déséquilibré par cette perte soudaine, et sous l'effet de la douleur, il tomba au sol. Le deuxième arriva vite aussi et j'évitai sa massue qui s'écrasa lourdement sur le sol. J'avais sauté sur le coté et je fus surpris de la vitesse de réaction de mon deuxième adversaire : il avait saisi la massue de son compagnon et s'avançait en faisant tournoyer ses bras. Je sortis un de mes couteaux de jet, et me dis que finalement montrer un peu de Magie ne serait pas mal. Ma bague Rouge étant incandescente, je lançai un couteau en direction du visage de l'animal : une fois atteint, un véritable torrent d'éclairs le carbonisa. J'achevai le deuxième qui s'étant relevé et pus voir le style de Quizquiz : il se déplaçait très vite latéralement, évitant tous les coups du Troll et l'entaillant à chaque fois légèrement. La peau du monstre ressemblait de plus en plus à une dentelle mal travaillée, quand tout d'un coup il ne bougea plus : Quizquiz l'avait tué de fatigue.

En entrant dans la ville je vis les deux autres Grands Généraux qui nous regardaient un peu comme des adultes qui vont réprimander leurs enfants. Quizquiz me chuchota rapidement qu'ils étaient surtout jaloux de lui car ils avaient envie de voir combattre un Grand Maître en réel. Ruminahui et Chalcuchimac se mirent à rire et félicitèrent d'abord leur camarade avant de se tourner vers moi :
- Ainsi donc vous êtes vraiment aussi puissant qu'on le dit..., dit Rumunahui.
- Oui, vous avez pu le constater.
La discussion était enjouée et dura jusqu'au dîner. Comme lors de ma deuxième soirée à Pallka, je me couchai tôt pour pouvoir reprendre la route vers la capitale de l'Empire.

Le lendemain matin, mêmes circonstances que pour le départ de Pallka, sauf que je dispose moi aussi d'un petit sachet avec des feuilles de coca dedans : juste pour ne pas ralentir l'allure du groupe.

La journée de marche se passe sans encombres, je suis resté silencieux tandis que les trois Généraux qui m'accompagnent vers l'Inca semblent comparer leurs diverses tactiques et ne cessent de plaisanter. D'après ce que j'avais compris, l'Inca me recevrait au plus vite et les Sages de l'Empire, ses conseillers, seraient là aussi. Autant bien réfléchir à ce que je dirais. Nous avons fait une pause, nous avons mangé quelque peu, et la journée était avancée quand j'entendis dire derrière moi :
- Huayna Picchu, Huayna Picchu nous arrivons.
L'homme pointait du doigt un immense pain de sucre, majestueux... Nous semblions être bientôt arrivés.

Nels

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