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Nels : Histoire d'un mage sans passé : Chapitre 12

Je m'habillai rapidement, pour ne pas faire attendre la famille de Drayde. Les tuniques étaient faites d'une soie fine très douce et chamarrées de diverses pierres précieuses. Je me rendis compte à ce moment là que je ne prêtais que peu d'attention au luxe. Peu de choses m'impressionnaient, sans doute était ce dû à la période que j'avais passée à l'Académie : peu de gens en effet, même des souverains, pouvaient se permettre de recouvrir leurs murs d'ivoire. Cependant, je m'étais présenté aux gardes des portes de la ville comme un ancien porteur de la ville de Greyport donc il allait falloir simuler un certain émerveillement. Le fait que Drayde soit lié au royaume de Licht de par son mariage m'étonna : sans aucun doute la maison appartenait à la famille de sa femme dont je ne connaissais pas encore le nom. J'ai choisi une tunique noire, couleur que j'affectionne beaucoup, et j'essaie de me rappeler les noms que je connais déjà : Drayde le marchand, Elanor sa fille aînée et Drayde fils. J'ai côtoyé des princes et des rois, des hauts fonctionnaires tout comme des Hauts Elfes donc les protocoles me sont connus. L'Académie m'a donné la possibilité d'apprendre diverses langues, divers modes de vie... sans pour autant savoir lequel était le mien.

Un domestique frappa à ma porte :
- Monsieur m'a demandé de vous guider jusque la grande Salle où le dîner sera servi.
- Fort bien, allons y.
- Si vous voulez vous donner la peine.

Nous descendîmes d'un étage et nous nous retrouvâmes face à une belle porte sculptée sûrement dans un bois d'ébène. Le bois d'ébène est très lourd et très résistant, sa densité en fait un des bois qui ne flotte pas. Le domestique qui me servait de guide frappa, et la porte s'ouvrit tirée par deux autres domestiques. La fameuse grande Salle était en effet assez belle, ornée des mêmes motifs surtout au niveau du plafond. Je reconnus la symbolique de la galaxie de Licht, une des plus lumineuses sous nos cieux. Sans lui vouer un culte, les habitants du royaume de Licht aimaient à contempler cet ensemble d'astres et à le représenter dans leurs travaux d'artisanat. Aux murs, on voyait des sortes de bas reliefs montrant les guerriers de lumière de Licht, leurs oiseaux de proie prêts à s'envoler. La table était dressée avec goût, pour cinq personnes et il ne manquait que moi. Elanor détourna le regard en me voyant entrer, Drayde fils me dévisagea avec insistance alors que Drayde père m'invitait à m'asseoir à sa droite tandis que sa femme s'installait à sa gauche. Les premiers plats commencèrent alors d'être servis et je pris la parole :
- Je vous demande de m'excuser de vous avoir fait attendre mes Dames et mes Seigneurs.
- Votre politesse vous excuse encore plus que le fait que vous ayez supporté mon père une semaine durant le voyage de Greyport, me répondit Elanor.
- Elanor, je sais que tu as peu d'estime pour le vieil homme que je suis mais je te prierai de ne pas le montrer à tous nos invités. Je ne pense pas que je t'envoie étudier chez les meilleurs questeurs de la ville pour que ton expression soit si radicale.
- Drayde, vous ne m'aviez pas dit que votre fille se destinait à la carrière de questeur, dis je.
Le questeur est un personnage primordial dans des villes qui se basent sur un système juridique procédural. Il détient la connaissance de la Loi, et sait l'appliquer. Autant les juges sont des hommes d'expérience, autant les questeurs sont de grand érudits qui se consacrent à l'étude et à l'application des textes.
- Dame Elanor, qu'est ce qui vous a poussé vers la profession de questeur ?
- Le fait, dit sarcastiquement le jeune Drayde, qu'elle préfère la compagnie des livres que celles de la civilisation.
- Veux tu cesser Drayde? dit la mère, je pense que les études de ta soeur sont tout aussi respectables que ta volonté de reprendre le flambeau de ton père.
- Vous vous destinez donc au commerce jeune Drayde ?
- Oui, tout a fait Nels. Tu n'es pas sans savoir que c'est rentable.
- Mon fils je t'en prie, le coupa la mère, tu ne peux te permettre de le tutoyer ainsi. Il es tout de même plus âgé que toi.
- Mère je ne vais pas vous appeler Dame Alana tout de même.
- Dame Alana, je ne suis pas noble et n'ai aucune ascendance. Sachez que je ne suis qu'un humble porteur qui profite de l'hospitalité de votre époux.
- Un roturier en quelque sorte, fit Elanor.
- Un roturier qui a sauvé la vie de ton père jeune noble Elanor, sans lui je ne serais pas là. C'est pour cela Nels que vous pouvez rester autant de temps que vous le voulez.
- Nels, je vous suis très reconnaissante pour ce que vous avez fait, ajouta Dame Alana. Vous pourriez nous raconter cet épisode de bravoure...
- Bien sur Dame Alana, figurez vous que ...

La soirée se révéla être longue. Il me fallut toute l'aide du marchand expérimenté qu'était Drayde pour broder de toutes pièces une histoire de guivres à piquants affamées et de courses poursuites à travers les sentiers de la forêt, de lutte acharnée et de ma prétendue victoire à l'épée contre l'un de ces monstres. Quand je sentis les subterfuges m'échapper, je demandai la permission de me retirer car je comptais me rendre à la caserne le plus vite possible le lendemain, afin de passer les épreuves de recrutement.

Le lendemain matin, je pris un petit déjeuner rapide seul avec Drayde dans un salon. Il savait que de ma prestation dépendait son avenir, et ça semblait lui faire peur. Il m'avait préparé une lettre de recommandation, car il ne voulait pas venir à la caserne. Vahirn ne perdait pas une occasion de lui rappeler ses menaces quand il le voyait et Drayde ne tenait pas trop à heurter la susceptibilité du Grand Capitaine. Il demanda à ce qu'on m'y emmène dans un de ses cabriolets, tandis que lui irait régler des questions administratives. Le problème de Drayde était désormais de pouvoir vivre en ignorant ma vraie identité. Nul doute que je n'aurais plus à vivre chez lui et que j'aie à vivre à la caserne or je ne pourrai pas protéger aussi bien sa famille entouré de tous ces soldats. Le subterfuge de mariage avec Elanor était fort bien choisi : quoi de plus normal alors que je passe tout mon temps libre chez eux ? De toutes les manières, ce n'était plus là la question : il fallait que je sois brillant pour me faire remarquer durant les épreuves d'admission. Je lui dis au revoir, car je ne le reverrai sûrement pas avant quelques jours puis je me rendis vers les carrosses dont il disposait afin de me faire conduire à la caserne.

J'étais vêtu d'un tissu assez chaud, bien épais, de couleur brune sombre. Des vêtements assez rustiques, qui me donnaient un air paysan débarqué de son village. Nous arrivâmes au devant de la caserne, un fortin dont les murailles étaient faites de la même manière que les murailles principales de la ville. Il y avait même des meurtrières, sûrement au cas où un soulèvement populaire devenait trop violent. Le chauffeur me laissa à la porte, tandis que je demandai aux gardes en faction où se situait le bureau de recrutement. Il fallait se rendre au fond de la première cour : une longue file d'hommes attendaient. Il y en avait une bonne vingtaine, je devais m'armer de patience. Un décurion prenait les noms, et la ville de provenance des hommes qui se présentaient. L'un d'entre eux commença à dire :
- Combien de temps cela va t'il durer ? Je ne pensais pas devoir attendre autant pour être à la milice.
- Apprends un peu la patience, et cesse de geindre comme une vieille femme, dit le décurion. Tu auras tout le temps de t'amuser au cours des épreuves, si tu y survis, ajouta t'il en souriant assez bizarrement.
Au bout de quelques instants, une fois que tous les noms furent collectés, un autre décurion nous demanda de le suivre. Nous traversâmes encore des portes vers une cour un peu plus grande que la première, où des armes étaient rangées sur des râteliers. Il y avait là des épées, des haches, des lances, des machettes, sorte de hache à longue lame très large. Un homme nous attendait, harnaché d'une armure lourde de combat avec sur sa poitrine le sigle : une faucille et un marteau noirs sur fond rouge. Il nous lança :
- Vous tous prenez des armes. Le Grand Capitaine va vous faire l'honneur d'assister à votre recrutement.
C'est parfait, pensais je. Quitte à se faire remarquer, autant le faire devant le patron lui même. Je vis enfin le Grand Capitaine : un homme grand, large d'épaules sans pour autant en être monstrueusement musclé. Il avait les cheveux noirs, mais la blancheur de sa peau faisait un contraste terrible. Ses yeux noirs lui donnaient un regard très pénétrant. Il prit la parole, d'une voix grave :
- Messieurs, vous allez nous montrer de quoi vous êtes capables une arme à la main. La Milice se doit d'être la garante de l'Ordre et de la Loi. Si la ville est menacée nous serons en première ligne. Aucune tolérance pour les faibles : c'est pourquoi le centurion qui est ici présent va vous observer. C'est lui qui décidera si vous êtes engagés. Comme toute armée qui se respecte nous disposons d'une élite, c'est dans ce but que je suis là. Bonne chance messieurs.

Vahirn avait un visage froid, on reconnaissait l'homme qui avait bataillé en lui. Comment cet homme pouvait parler d'Ordre alors qu'il avait massacré des Elfes sans défense dans la forêt voisine, avec des arquebuses qui plus est. Les autres voyaient un glorieux capitaine, un meneur d'hommes tandis que je ne voyais qu'un monstre immonde : c'est incroyable comme la vérité peut surpasser l'opinion faite par la simple vue d'un individu. Le centurion en armure nous avait fait mettre en rang dos à un mur, et chacun notre tour nous avons pris nos armes. Je me décidai non pas à prendre une épée mais un jeu de deux machettes, une à chaque main, car je craignais que nous n'ayons à nous battre tous à la fois. Je vis venir le décurion qui avait noté nos noms avec une urne, il salua le centurion et commença le tirage au sort. Nous allions nous battre deux par deux. Le centurion précisa :
- On vous demande de nous montrer que vous savez vous battre, pas que vous êtes des tueurs. La situation est la suivante : chacun d'entre vous doit essayer d'arrêter son adversaire sans le tuer ni trop l'amocher c'est bien compris ? Celui qui en tue un délibérément aura affaire à moi, et je ne rigole pas avec la discipline bande de fillettes.

Deux hommes furent d'abord tirés au sort, tous deux armés d'épées. Ils étaient un peu lents, même pour des Humains mais étaient forts et solides. Le combat s'arrêta car l'un des deux désarma l'autre, puis le menaçant de son épée put l'arrêter. De la vingtaine que nous étions, cinq seulement allaient être pris, tout du moins tel était le quota de départ. Deux autres combats eurent lieu, un homme armé d'une hache cassa le poignet de son adversaire, un épéiste assomma du plat de sa lame le sien : des combattants tout en finesse me dis je assez amusé. Vahirn ne s'amusait pas du tout, il décortiquait avec attention chaque geste, chaque posture de combat, même celle qui paraissait la plus insignifiante. La moindre erreur de placement, ne fut ce que de quelques centimètres, lors d'un combat face à un maître expérimenté pouvait coûter la vie. Vint mon tour :
- Nels avec les deux machettes, tu affrontes Baït avec son épée.
Le dit Baït était contrairement à Vahirn un vrai molosse, une brute épaisse. C'était lui qui d'ailleurs se plaignait de la lenteur de la procédure. Il me regarda et me dit :
- T'as de la chance je vais juste t'amocher juste un petit peu. Si seulement je pouvais te tuer, on retrouverai plein de petits morceaux de toi ...
Nous étions en position pour nous battre, il se jeta sur moi et abattit son épée de haut en bas. Il a dû être surpris quand il vit que je n'étais déjà plus en face de lui. Je voulais m'amuser un peu avec ses nerfs donc son mouvement latéral pour me trancher en deux n'eut que l'effet de me mettre face à son dos. J'en profitai pour décocher un violent coup de pied dans son postérieur, ce qui le fit tomber en avant, lui mettant ma machette à la gorge :
- Au nom de la Milice, je t'arrête.
Le centurion me regarda, et annonça :
- Vainqueur par coup de pied, Nels.
Le dénommé Baït ne l'entendait pas de cette oreille. Il se releva, et chargea de nouveau, heureusement je le vis à temps pour l'éviter. Vahirn n'apprécia pas :
- Je croyais que tu avais perdu. Je ne pense pas que tu mérites la Milice.
- Tu te crois grand le capitaine ? Alors bats toi contre moi !
Vahirn dégaina son épée, une belle épée noire sûrement en vulcanium, le même métal que la mienne.
- Je te fais l'honneur de t'accorder le duel.
Je pense que ce furent les dernières paroles qu'entendit Baït de sa vie. Vahirn lui avait tranché le cou, et un flot de sang coulait dans la cour. Il était rapide, très rapide et avait feinté de partir sur la droite avec le fourreau de l'épée, mais avait frappé avec la pointe de celle ci juste à la gorge. Net, précis et sans bavure. Il se retourna vers moi et me dit :
- J'aurais peut être dû te laisser faire, je pense que tu en as les capacités.
- Merci, mais je me réjouis que l'honneur de la Milice ait été lavé par le Capitaine lui même.
- Tu auras l'occasion de le faire aussi.
- J'y compte bien.

A partir de ce jour là j'entrai dans la milice de Mithland, je reçus ma tenue, ma cuirasse et la lourde épée. Je participai aux entraînements, on me confia des patrouilles, je défis une tentative de vol sur un convoi de marchands... Je fus vite nommé décurion. Cela faisait à peu près cinq semaines et je n'avais toujours aucune preuve de la culpabilité des hommes de la milice. Vahirn m'observait de loin, parlant souvent avec ses lieutenants les plus proches, et mon ardeur à la tache aidait à me faire une bonne réputation.
Je discutais lors d'une patrouille de nuit avec une autre décurion, posté à l'une des six tours par laquelle ma patrouille passait :
- Tu sais Nels, je pensais que t'allais bientôt passer dans le groupe d'élite.
- Je fais mon possible...
- Ben ouais, d'autant plus que ce soir ils ont leur réunion.
- Ah ? C'est quoi cette réunion ?
- Ils sont en dehors de la deuxième enceinte, dans le fort de l'élite... Ils ont tout un rituel, avec un gros repas..
- Je verrai bien quand je serai dans l'élite.

Décidément j'aurais dû deviner. Des réunions de nuit, des rituels, en plus de massacres d'Elfes... va y'avoir du sport non ?

Nels

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