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Nels : Histoire d'un mage sans passé : Chapitre 11

Nous étions arrêtés au niveau de la porte de la première enceinte. Tout ce que j'avais observé depuis les collines sur les murailles s'était révélé bien réducteur sur la capacité d'autodéfense de la ville : les balistes et les catapultes à feu étaient accompagnées de canons à poudre, pouvant lancer de lourds boulets à grande distance. Ils avaient fait en sorte que le dénivelé soit un avantage : les ennemis qui dévalaient la pente étaient d'abord accueillis par des projectiles enflammés, qui ont tendance à laisser des sortes de flaques de feu d'une dizaine de mètres de large, puis les balistes embrochaient les plus résistants à la chaleur, tandis que les éclats des projectiles des canons scarifiaient les visages les plus endurcis. Je vis aussi que des arquebusiers montaient la garde sur les remparts et que les hommes qui se situaient sur les plus hautes tours surveillaient les alentours à la longue vue.
J'avais eu à me changer dans la charrette. Je portais toujours ma longue cape noire, mais les artefacts furent mis à l'abri dans un grand coffret de bois, ainsi que mes armes. Je portais désormais des vêtements tout à fait ordinaire, faits d'une toile assez épaisse mais pas inconfortable. Drayde s'adressa à l'un des gardes :
- Dites donc vous savez si la milice engage toujours du monde ?
- Drayde, le grand marchand qui veut ajouter un homme à notre belle milice. Ca fait toujours plaisir d'avoir de nouvelles recrues. D'où viens tu ? me dit il.
Il était grand et bien bâti, une brute. Les armes de la milice étaient assez sobres pour ce qui était de l'esthétisme mais robustes et faites en un acier plutôt brillant. Elles devaient être fort lourdes à manier, tout comme l'épaisse cote de mailles qu'ils portaient. L'armement était aussi composé d'un petit bouclier rond qu'ils portaient au bras gauche sur lequel on voyait les emblèmes que je crus être ceux de la ville : une faucille et un marteau sur fond rouge.
- Je viens du port de Greyport. J'y ai trop travaillé comme porteur, mais je veux un peu plus d'action. Servir dans une grande et belle ville comme Mithland me permettra de me faire un nom plus tard, d'autant plus que la milice est réputée.
- Tu veux donc faire partie de la plus belle milice du pays hein ? Drayde, mène le à la caserne, le grand Capitaine va sûrement vouloir le tester.
- Sinon que puis je t'offrir, beau décurion ? Un bon vin pour toi et tes hommes? Une belle étoffe pour une de tes conquêtes?
Décidément, Drayde faisait tout pour plaire à la milice. Il agissait en bon marchand, amadouait les miliciens pour que mon souvenir s'associe à ceux de cadeaux du marchand. Une tactique fort simple et universelle : un cadeau est toujours apprécié, surtout quand il n'est pas demandé.
Les miliciens nous ont laissé passer sans se poser trop de questions et les deux autres enceintes sont à chaque fois gardées par des décurions : des hommes robustes, pas très fins, qui prenaient leur tache très au sérieux. Le problème était pour moi de savoir si tous les miliciens étaient de la même espèce que ceux qui avaient provoqué le massacre de la forêt. Une fois dans l'enceinte centrale, nous découvrons la ville proprement dite : si Greyport me paraissait bruyante, Mithland était une vraie cacophonie. Un immense bruit, une vraie clameur, un mélange d'odeurs aussi. Nous sommes arrivés en plein jour de marché j'ai l'impression, en fait je ne suis pas habitué à une ville agitée voilà tout. Nous avançons doucement vers les entrepôts de Drayde, ensuite il me faudra aller chez lui afin de rencontrer ma famille, peut être veut il m'attendrir afin que je le mette de mon mieux à l'abri. Qui plus est il semble avoir apprécié l'idée de proposition de mariage pour sa fille. Tout cela est loin de me rassurer mais je n'ai pas vraiment le temps de rêvasser ici. Je ne prends même plus le temps de penser à Naëria tellement le fait de venger les parents d'Uthruil m'obsède.
L'entrepôt de Drayde est grand et situé non loin de l'entrée de la ville. Malgré ses airs de marchand de tapis bougon, Drayde possède un bel entrepôt avec pas mal d'employés qui travaillent pour lui. D'autres convois sont là, à croire que Drayde est vraiment quelqu'un de prospère et de très riche. Il m'emmène dans son bureau, au fond de l'entrepôt, et me dit de l'attendre car nous allons aller chez lui dès qu'il aura payé les autres gardes.

Le bureau de Drayde est décoré avec soin et un certain goût. De beaux tableaux sont aux murs, une sculpture elfe dans un bois d'ébène représentant un aigle est posé sur son bureau. Des fauteuils sont disposés face à ce bureau, je m'y installe : pas inconfortables du tout, moelleux, je sens que je vais m'endormir si je reste là trop longtemps. Je remarque sur un buffet qu'il y a une bouteille de vin et des verres et je me dis que j'ai un peu soif quand même : non pas que je sois un profiteur mais Drayde va sûrement prendre du temps avec ses employés, et je ne vais pas être ivre si je bois un verre avant qu'il n'arrive. Je jette un oeil aux peintures : elles sont belles, représentant soit des forêts soit un port de pêche... mais bien sur il s'agissait du petit port de Greyport. Je compris mieux pourquoi c'était Drayde qui organisait les convois vers Greyport : il était légèrement attaché à cette ville.
Il revint vite, et me regarda, examinant ses peintures, un verre de vin à la main et me dit :
- Heureusement que j'avais oublié de te dire de faire comme chez toi !
- Je m'excuse si je te parais un peu impoli. Je ne savais pas que tu aimais tant Greyport.
- Mes parents ont vécu là bas. Mon père était déjà un grand marchand, et il avait des contrats assez juteux. Lorsqu'il put passer des contrats avec des marchands du Royaume de Licht, il décida que nous nous installerions dans cette ville. Je n'étais pas vieux mais déjà j'avais quelques amis à Greyport, parmi lesquels ce roublard de Althor. Quand j'en ai eu l'âge, je me lançai dans le commerce vers Greyport. Je suis devenu le patron de cette entreprise de commerce, membre respecté de la guilde marchande de Mithland... Et je n'arrive toujours pas à me regarder dans une glace.
- Ta culpabilité est un bon point pour toi mais je tiens à te prévenir : même si je prouve ton innocence, je ne pourrai pas te convaincre que ce ne fut pas ta faute. C'est à toi de le faire.
- Si j'étais seul, j'aurais été les voir. Maintenant que nous sommes seuls dans ce bureau, je vais pouvoir te briefer sur les dangers que tu encours : le fameux Grand capitaine n'est nul autre que celui qui était le chef des arquebusiers à l'époque. Il s'appelle ...
Une jeune femme entra, sans frapper, et le regarda avec des yeux furibonds :
- Père je vous aime, je suis contente de vous voir mais rassurez moi : j'ai entendu que vous étiez dans mon bureau avec mon futur mari ? Et que c'est un futur milicien ?
- Elanor, combien de fois vais je te dire de frapper avant d'entrer ?
- La question n'est plus là Père. Vous m'aviez promis de ne pas choisir un époux pour moi.
- Ma fille je ne peux pas t'expliquer, mais je le fais dans ton intérêt. Laisse moi t'expliquer mais attends je dois parler avec ce monsieur.
- Tiens ce monsieur oui.
A ce moment là elle me dévisagea de haut en bas avec un mépris impressionnant. Je savais bien que l'idée de prétendre à un hypothétique mariage n'était pas la meilleure qui soit. Elle était bien décidée à poursuivre la dispute :
- Et vous le futur milicien, ça vous est égal que je ne vous connaisse même pas ?
- Mademoiselle, je vous conseille de sortir et d'attendre que j'aie fini avec votre père.
- Vous ! Vous n'avez aucun ordre à me donner.
Je la comprenais, elle ne savait rien de l'histoire du passé de son père et serait bouleversée si on le lui annonçait.
- Je vous en pris mademoiselle Elanor, votre père a assez de soucis. Je n'en serai pas un pour vous. Une fois que mes affaires seront terminées, je vous inviterai dans le plus beau restaurant de la ville, et ensuite vous n'entendrez plus parler de moi.
- Vous êtes bien prétentieux tout de même.
- Vous voulez bien nous laisser ?
- Je veux que mon père rentre au plus vite. Ne lui prenez pas de son temps.
A ce moment, Drayde prit la parole :
- Ma fille, va à la maison, et dis aux domestiques que nous avons un invité. Fais préparer une chambre d'amis.
- Tu ne préfères pas que mon futur époux passe la nuit avec moi ? lui demanda t'elle d'un air narquois.
- La chambre d'amis me suffira amplement mademoiselle Elanor, l'assurais je.

Elle sortit. Elle était jeune, belle, assez grande brune les yeux verts. Loin d'être déplaisant, son bagou lui donnait un charme supplémentaire, et la réaction de fierté qu'elle eut en me voyant eut tendance à me faire plaisir. La grâce avec laquelle elle maniait le sarcasme envers son père me dit sourire assez bêtement une fois qu'elle sortit de la pièce. Drayde était resté coi suite à la réaction de sa fille :
- Elle me rappelle sa mère de plus en plus, quand je l'ai connue il y a des années, me dit il. Nous étions jeunes à l'époque et je l'aime toujours. D'ailleurs tu vas connaître ma femme ce soir.
- Je suis enchanté d'avoir la possibilité de connaître ta famille Drayde, mais j'aurai beaucoup à faire pour les défendre. Si tu pouvais me simplifier la tache et me dire qui est le Grand capitaine, j'en serai soulagé.
- Le Grand capitaine s'appelle Vahirn. Pas mal de gens disent qu'il était de Licht, c'est ce qui m'avait fait choisir Giordano pour chef de ma garde personnelle. Il est fort à l'escrime et il a une très grande force physique. Il a su imposer le respect parmi les autres miliciens et beaucoup sont prêts à donner leur vie pour lui.
- Je ne sais pas comment je pourrais les attirer dans un piège afin de découvrir ce qu'ils trament vraiment. Il va falloir que je fasse semblant d'être l'un d'entre eux, dans tous les sens du terme.
- Je pense que nous devrions partir pour mon logis : tu y seras plus à l'aise et cette discussion dans mon bureau n'est pas sure à mon goût. Allons chez moi.

Drayde fit demander sa voiture, et un beau cabriolet arriva. Les chevaux qui y étaient attelés étaient plus fins que ceux qui tiraient les charrettes de transport, et blancs comme la neige. Je ne prêtai pas trop attention au trajet : je me demandais comment faire avouer à Vahrin ses crimes, afin de pouvoir le faire juger facilement. Le cabriolet allait relativement vite dans de grandes rues bien entretenues. Drayde ne disait pas un mot : si Elanor était si ressemblante à sa mère, il devait être entrain de se préparer psychologiquement. Les palais devant lesquels nous passions étaient à l'image de la ville : de hautes murailles et de belles portes d'entrée afin de ne pas voir ce qui se passait à l'intérieur des propriétés. Le cabriolet s'arrêta devant l'une de ces portes, un des gardes nous ouvrit : nous pénétrâmes dans une cour assez belle, ornée de fleurs de toutes sortes. Plusieurs domestiques attendaient sur les quelques marches devant la porte d'entrée qui était un bel ouvrage de bois sculpté. La maison de Drayde était un hôtel particulier de style assez ancien, avec de grandes fenêtres aux montants très sculptés. On reconnaissait certains thèmes que je savais être chers aux gens de Licht : les astres et les oiseaux de proie. Dans le comité d'accueil, je reconnus mademoiselle Elanor, toute de blanc vêtue, ses cheveux tressés et un beau collier de perles autour du cou. Elle avait d'indéniables charmes tout de même mais je devais me concentrer de toutes mes forces sur mon nouvel objectif : faire en sorte que Vahirn se trahisse.
Drayde me fit entrer chez lui en grande cérémonie, au vu de tous ses domestiques présents. Il me présenta un jeune homme, qui ressemblait beaucoup à son père. Lorsqu'il se mit à parler, toutes les mimiques me donnaient l'impression de voir un second Drayde devant moi :
- Alors c'est vous le fou qui comptez épouser ma soeur ?
- Drayde ! cria Elanor, de quoi tu te mèles ?
- Jeune Drayde, je ne viens que pour entrer à la milice de Mithland pour le moment. Je n'ai que peu de projets.
- Je me disais bien que vous ne pouviez être aussi fou.
- Drayde je vais te tuer!
Comme dans toutes les familles, le frère et la soeur ne pouvaient se voir. Comme dans toutes les familles, il fallait toujours qu'un des parents calme le jeu jusqu'à la prochaine dispute. Je me demandais si j'avais moi aussi une famille, un foyer, des parents pour me gronder. Généralement je devenais triste dans des moments comme ceux là, à me ressasser de mauvaises pensées et des souvenirs hypothétiques. C'est à ce moment là que je vis la maîtresse de maison : en effet Elanor ressemblait à sa mère. Nous étions encore dans l'entrée, j'attendais que Drayde père ait fini de calmer ses trublions et cette femme m'aborda :
- Vous paraissez si triste en voyant mes enfants... Qui sait si cela ne vous rappelle pas une famille un peu trop lointaine ?
- Vous savez madame, dis je en m'inclinant, je n'ai plus de famille depuis quelque temps déjà. C'est une situation qui pousse à l'affection devant une si belle famille.
- Votre nom est Nels m'a ton dit ? Je ne sais ce que vous a dit Drayde mon époux mais sachez que malgré que le fait de marier ma fille ne me rebute pas, il faudrait que...
- Permettez que je rectifie le tir madame : je ne viens ici que pour entrer dans la milice. Votre époux m'a proposé le logis pour quelque temps, le temps que je me fasse une position.
- La milice, soupira t'elle, comptez vous chercher la gloire dans la violence ? Je sais que cette institution est nécessaire. Après tout, dans mon royaume natal de Licht, l'armée est très bien considérée aussi.
- Je ne savais pas que vous étiez de Licht...
Drayde nous avait rejoint. Il semblait soucieux mais tout à fait heureux d'avoir retrouvé sa famille en bonne santé. Il claironna :
- Mon amour, je ne sais pas pour vous mais je pense que Nels a bien mérité le droit au dîner. Avant, je vais lui montrer ses appartements. Je vous rejoins à table.

Nous montâmes un bel escalier, toujours orné des mêmes motifs. Drayde et son épouse semblaient beaucoup s'aimer, à la manière dont ils se regardaient, dont ils s'écoutaient... un vrai conte de fées. Il n'y avait qu'une ombre : la terrible menace de la milice qui ne les lâcherait sûrement pas.
Une fois dans mes appartements, je me rendis compte qu'on ne s'était pas moqué de moi : une belle pièce ornée de beaux meubles. Une fois que les domestiques ont posé le lourd coffre contenant mes artefacts dans ma chambre, Drayde leur fait signe de sortir. Il me dit :
- Tu as des vêtements sous ta cape je le sais qui ne conviendront peut être pas au dîner. Je ne suis pas un grand amateur de protocole mais ma femme a toujours été habituée ainsi, et c'est la moindre des choses pour moi de lui faire ce plaisir.

Il ouvrit une des armoires et me montra de belles tuniques, un peu comme celles que portait Althor la première fois que je le rencontrai. Il me dit de la mettre et de me dépêcher : le dîner allait être servi. Ainsi donc il me fallait faire mon entrée en société pour mieux la protéger.

Nels

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