banniere

Retour

Nels : Histoire d'un mage sans passé : Chapitre 10

Elle pleurait, triste, et amère. J'essayais de la comprendre, de voir et de sentir sa détresse mais quand on n'a pas de passé que peut on comprendre à la difficulté de la vie des autres ? Que pouvais je lui dire afin de la consoler alors que moi même je ne savais rien de la douleur qu'elle endurait ? J'étais néanmoins décidé à régler toutes ces questions qui restaient en suspens après les révélations de Drayde : quel intérêt avait l'armée de Mithland de cacher celui qui avait donné ordre de tirer ? Pourquoi ne voulait on pas punir ces soldats qui avaient eu une conduite déplacée avec les Elfes ? Pourquoi autant de soldats pour un convoi qui ne traversait aucune difficulté particulière à l'époque ?
Je me décidai à parler avec l'Elfe qui cessait de pleurer et qui séchait ses larmes :
- J'ai quelques questions à vous poser...
- Et qu'est ce qui vous dit que j'ai envie de répondre ? De quoi vous mêlez vous ? Ce marchand ne mérite que la mort.
- Je ne trouve pas ce genre de discours très plausible pour une Elfe, plus particulièrement une mage du Vert. De plus vos pouvoirs ne sont pas négligeables. Puis je au moins pour commencer savoir votre nom ?
- Mon nom est ...
Un autre Elfe nous avait rejoint à grande vitesse. Il lui ressemblait de par la couleur des cheveux mais avait les yeux bleus. Il se mit entre moi et la mage, estimant sans doute qu'il fallait qu'il la protège de moi. Il dégaina l'épée longue et fine caractéristique des Elfes, la pointa sur moi d'un air menaçant et dit :
- Sale Humain, c'est toi qui nous a empêché de rendre justice à ce marchand. Repens toi de tes fautes et meurs...
L'avantage d'avoir suivi les cours de Naëria, c'est d'avoir l'art et la manière de se déplacer sur les branches des arbres et ce, de manière rapide. Après avoir prononcé sa sentence, l'Elfe se rua sur moi, épée au poing, afin de me faire expier mes fautes. D'un bond, je me retrouvai sur une branche voisine :
- Je ne savais pas que les Elfes suivaient le mode d'emploi humain de l'épée : d'abord on tranche et après on pose des questions, lui criais je.
- Qui es tu pour nous juger ? Tu n'es que leur complice, continuait de dire le forcené.
- Arrête, laisse le, tu vois pas que c'est un mage de l'Académie bien plus puissant que moi ? S'il était si méchant nous serions déjà morts, lui dit la magicienne dans un accès de bon sens.
- Uthruil tais toi, dit le joyeux drille qui sautait de branche en branche à ma poursuite. Tu n'as rien à me dire.
- Ilafel, je ne veux pas te perdre, tu es le seul de la famille qui n'ait pas été tué. Mon frère je t'en supplie ne te fais pas tuer.
Le fait que sa soeur soit si soucieuse l'arrêta net : il semblait aussi amer qu'elle, voire même plus. Une fois sa colère passée, il commença de me raconter ce qui s'était passé : il me confirma que c'était bien des soldats qui avaient tiré sur les Elfes, suite au fait que les males avaient refusé de laisser les Hommes abuser des femelles. Ce qui était choquant c'est la violence inouïe avec laquelle les soldats se sont acharnés à en tuer le plus possible et c'était le chef des soldats lui même qui s'occupait d'achever les blessés sans aucune pitié. Ilafel était loin du point où les Elfes avaient l'habitude de rencontrer Drayde, il se méfiait selon ce qu'il me racontait. Le marchand, selon les Elfes, était complètement au courant et ce n'était que pure hypocrisie qu'il revint la nuit même pour apporter des ustensiles médicaux. Je ne pus m'empêcher de dire :
- Avant de poser des questions je me présente : je suis Nels, mage de l'Académie. Je voudrais savoir si vous, Uthruil, avez assisté à ces massacres.
- Je ne m'en souviens plus. Je suis encore jeune, même par rapport aux Humains vous savez. Je me rappelle que ces Humains avaient pris à parti ma mère, que mon père avait menacé de son épée un des Hommes qui voulaient violenter ma mère et que leur chef s'est alors exclamé "Qu'est ce que je vous avais dit, maintenant on peut tirer !". Ce qui a suivi est trop atroce dans ma mémoire, ajouta t'elle en éclatant en sanglots.
- Tout ça est de la faute de ce marchand ! Et toi Nels, tu l'as défendu... ma soeur m'a dit que les gens de l'Académie sont des gens justes et toi tu nous empêches de nous venger. Si j'avais été là à ce moment précis... bien peu auraient pu réchapper chez les humains.
- Vous savez qui était le chef de ces soldats ?, ne pus je m'empêcher de demander. Uthruil, essayez de vous souvenir d'un nom au moins...
- Je vous en supplie ne me demandez pas de me souvenir. Je voudrais tellement oublier mon passé...
Bizarrement à ce moment là je me sentis chanceux : qui sait par quelles épreuves j'étais passé avant de perdre la mémoire, ni quelles épreuves j'avais pu imposer. Je ne savais pas que répondre à ces deux Elfes qui débordaient de rage depuis des années, Uthruil qui avait vu ses parents et un nombre considérable d'êtres aimés mourir sous ses yeux n'étant qu'une enfant. J'abordai sa capacité pour le Vert à ce moment là, car Ilafel annonça qu'il devait nous laisser, car la forêt ne se surveille pas seule. La nuit allait bientôt tomber, et comme j'avais laissé Drayde et les autres au campement provisoire, je me suis dit qu'il serait de bon goût de continuer un peu à connaître dame Uthruil. Elle était très séduisante malgré la tristesse qui l'envahissait : une fois que ses parents seraient vengés rien ne l'empêcherait d'être heureuse. Je demandai :
- Qui vous a appris à maîtriser le Vert aussi brillamment ? Sachez que vous êtes une magicienne remarquable, parmi les plus puissantes que je n'aie jamais rencontré.
- Quand l'attaque a eu lieu, mon père me confia à un Humain qui était avec nous, pour apprendre avec mon père l'art du Vert. Il s'appelait Verden je crois ...
- Vraiment ? Il fut mon maître à l'Académie.
- Je ne savais pas qu'il avait le privilège d'enseigner là bas. Il me sauva la vie, c'est pour ça que je ne suis pas aussi virulente envers les Humains que certains Elfes. Il a beaucoup insisté sur le fait de pouvoir ressentir les flux de la nature, afin de les maîtriser. Il m'a appris à activer les émeraudes aussi, art que mon père lui avait appris. Je pense que ce don chez moi me vient de mon père d'ailleurs.
- Ilafel est il aussi brillant que vous ?
- Il considère la magie comme une perte de temps bien qu'il ait un fort potentiel. Lors de son enfance il fut intéressé par le Noir mais notre père eut peur qu'il ne tombe dans le piège du Sombre.
- Vous pensez que votre frère aurait été capable d'entrer dans les rangs des Sombres ?
- Ne croyez pas qu'il a toujours été aussi violent qu'il ne l'a été avec vous aujourd'hui. Il est d'une grande douceur et ne cherchait qu'à me protéger.
- Bon, avant d'aller rejoindre mes camarades j'ai une faveur à vous demander : il faut que vous patientiez pour votre vengeance. En allant à Mithland, je pourrai aisément avoir de nouvelles informations au sujet de ces soldats qui étaient avec Drayde ce jour là. Essayez aussi de comprendre Drayde : il tremble aussi pour sa famille et je doute qu'il puisse faire un autre métier que marchand.
- Je vous laisse du temps mais n'abusez pas de ma patience.

Je descendis de la haute branche où nous nous trouvions, assez inquiet. Le fait que les Elfes en veulent à ce point aux Humains ne présageait rien de bon d'ailleurs le fait qu'ils se soient contentés de n'attaquer Drayde qu'en lui volant des marchandises me laissait de plus en plus perplexe. Ils n'avaient pas l'intention de tuer mais la détermination d'Ilafel de me passer son épée à travers le corps m'amena à la conclusion que si cette affaire ne se réglait pas au plus vite, les deux courants de pensée, ceux qui voulaient tuer et les moins radicaux risquaient de s'affronter.
Une fois de retour au camp, je vis que mes camarades s'étaient contentés des rations dont ils disposaient. Angus enrageait à ce sujet, traitant les autres de trouillards et vociférant littéralement sur Giordano, notre fameux capitaine. Drayde était plus loin, pensif, complètement démoralisé et effrayé. J'allais le voir :
- Je pense que pour cette fois ci tu es sauvé Drayde
- Je ne serai jamais sauvé, je leur ai fait du mal. Si ça n'impliquait que moi je ne me poserais pas de questions mais ma famille serait tuée par ces soldats si je révèle ce qui s'est passé ce jour là.
- Je ne te demande pas de révéler quoi que ce soit Drayde. Tu en as assez fait. Je veux que tu me présentes aux gens de la milice de Mithland, j'essaierai d'enquêter de l'intérieur.
- Je pense que tu seras pris rapidement. Par contre petit conseil, ils aiment pas trop les mages dans ce coin là. Il faudra que tu ne te serves que d'armes conventionnelles et non pas ces armes magiques. J'ai une idée : je vais te faire passer pour un futur membre de ma famille. Qui sait, si une fois que je t'aurai présenté ma fille ça ne te dit pas.
- Je ne peux pas prévoir l'avenir, dis je en riant. Pour le moment le but sera d'entrer dans la milice. Si je prouve la culpabilité de ces Hommes, il faudra faire attention : qui sait qui est l'ordonnateur de ce massacre ?
- Je ne sais pas... mais il faut que tu le découvres et que je n'en sois pas mis au courant.
- Bien, il en sera ainsi. Il me faudra donc de nouvelles armes.
- Toute la logistique laisse la moi. Occupe toi de te préparer au recrutement. Demain nous prenons la route.

J'allai me coucher en repensant à la fois à Drayde et à Uthruil. Les deux ont été complètement affectés par cet événement. Je me devais de régler le cas au plus vite et sans attendre. Il nous restait encore de la route pour atteindre Mithland et je me demandais si nous aurions encore beaucoup de problèmes. Il se pourrait que d'autres voleurs soient tentés de profiter de la mauvaise réputation des Elfes envers les cargaisons de Drayde afin de nous attaquer incognito. Je ne posai plus de question et dormis jusqu'au petit matin.

Les deux jours suivants furent très peu fournis en événements : nous avançâmes le plus vite possible et Drayde préparait son subterfuge pour m'introduire auprès des responsables de la milice. Nous avions quitté la forêt et je vis au loin Uthruil qui me faisait signe, avec un sourire léger aux lèvres, ce qui dénotait que sans avoir commencé, mon enquête avait déjà quelques effets. La dernière partie du voyage ressemblait à la première : une longue plaine puis nous nous aperçûmes les collines. Nack qui avait retrouvé des couleurs et une langue depuis l'épisode des guivres à piquants m'expliqua :
-Là bas ce sont les collines. La route y monte, puis nous descendons dans la vallée de Mithland. Le niveau de la ville est plus bas que cette plaine.
-C'est pas bien malin de s'installer dans une vallée encaissée assez facile à entourer avec une forte armée.
-T'as pas encore vu les fortifications, ni le niveau de leur armée. Ainsi on dit qu'en fait tu vas aller épouser la fille du patron, hein ?
Les subterfuges de Drayde allaient être testés au sein de l'équipe du convoi. Si l'un d'entre eux m'identifiait comme étant un mage qui vient là pour résoudre le mystère entourant le massacre des Elfes dans la forêt, la milice aurait tôt fait de poser des questions à Drayde et de molester par la même occasion sa famille. Or j'avais promis d'une part que je trouverai les coupables et d'autre part que la vie de la famille de Drayde ne serait pas bouleversée. Ca en faisait des paramètres à prendre en compte dans les prochains jours.

Lors du jour suivant après un voyage sans aucun événement digne de ce nom, nous étions au sommet des collines. Les fortifications de Mithland étaient en vue et elles étaient impressionnantes : il ne s'agissait pas d'un simple mur d'enceinte mais de trois enceintes imbriquées, et relativement éloignées les unes des autres. De loin je voyais de grandes balistes déjà chargées et prêtes à tirer leurs flèches surdimensionnées dès que le besoin s'en ferait sentir, ainsi que des catapultes à feu qui balancent à grande distance des projectiles creux emplis de poix enflammée. Les dégâts sur une armée adverse peuvent être redoutables. Les tours étaient vastes de manière à contenir des dizaines d'arquebusiers : mieux valait ne pas se retrouver en contrebas des murailles avec de mauvaises intentions. En observant les remparts, je vis aussi des meurtrières, des sortes de tuyaux sûrement pour pouvoir asperger d'huile bouillante les ennemis.

Nous arrivions vers Mithland, ville bien plus grande que Greyport, et qui n'aurait pas eu de mal à déjouer quant à elle les plans de la quarantaine de Sombres qui voulaient aller massacrer la population de Greyport. C'était la ville où je devais à tout prix trouver les coupables de la tuerie de la forêt, afin d'en préserver la paix. Toute une aventure, n'est ce pas ?

Nels

Précédent - Suivant