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Nels : Histoire d'un mage sans passé : Chapitre 09

La nuit était tombée tout à fait désormais. Avec Angus, nous nous étions mis près du feu, car comme il l'avait dit nous avions des choses à nous dire. Ce Nain que je prenais pour un écervelé armé d'un tromblon démesuré me paraissait bien plus sage à présent. Il connaissait qui plus est l'existence de l'Académie, et le rôle des artefacts dans la magie. Il sortit une gourde de l'un des pans de son vêtements et me la tendit :
- Ce n'est pas bon de discuter la gorge sèche. C'est un bon petit remontant, histoire de pas avoir trop froid durant la garde.
J'en bus une gorgée, c'était un liquide brûlant la gorge de par sa force mais tout en étant très goûteux. Il avait raison ce liquide réchauffait bien.
- Tu sais Nels, ce voyage est pour moi une occasion de m'amuser, et de voyager à moindres frais vers Mithland. Cependant, ce groupe de Sombres morts ne présage rien de bon. Ils se rendaient sûrement vers Greyport mais quelqu'un a eu l'intelligence de les stopper.
- Que sais tu du culte Sombre Angus ? Comment as tu pu reconnaître leurs armes ?
- Nous autres les Nains sommes des guerriers avant tout. Nous pouvons aussi être des mages et la tentation de passer au Sombre n'est pas vraie que pour les humains et les Elfes. Moi même en ma jeunesse j'ai failli devenir un Sombre mais je n'ai jamais pu... Ni même envisager de sacrifier quelqu'un. Non pas que je n'aie jamais tué, je suis tout de même un guerrier et j'ai eu l'occasion de vadrouiller sur les champs de bataille.
- Et tu as cessé toute activité magique ?
- La tentation de passer au Sombre est forte en moi tu sais. Je me suis donc procuré un tromblon afin de pouvoir me défendre, même si je sais que face à un Académicien comme toi je n'ai aucune chance.
- Nous ne sommes pas de ceux qui se battent pour le plaisir et dans le but de faire du mal. Lors de ma formation, je fus enseigné dans les arts des cinq couleurs. Regarde.
Je retroussai les manches longues et amples de mon manteau, qui ne laissent pas voir mes mains, afin qu'il voie le jeu de cinq bagues à ma main gauche. Angus sembla impressionné, et me demanda alors :
- Je croyais qu'il n'était pas possible de maîtriser les cinq pouvoirs... Je ne veux pas savoir qui tu es ni ce que tu es mais j'espère pas me retrouver à me battre contre toi fiston. Par contre toi comment se fait il que tu t'intéresses aux Sombres ?
- Lors de ma formation j'ai appris leur alphabet, leurs rites et la nécessité de les combattre.
- C'est toi pour les quarante qu'on a retrouvé pas vrai ?
- J'étais pas seul. On était deux.
- En tout cas il y avait des Nains dans leur convoi, et ça me rend triste, dit il en prenant une large rasade de sa gourde. Vous avez bien fait, il n'y a pas de meilleur Sombre que Sombre mort. Par contre s'ils sont passés par cette forêt, je sais pas ce qu'on risque de trouver. Tout le monde ne demande pas aux corbeaux le service de nettoyage après tout.
- Ca nous arrangerait presque finalement. Plus de voleurs, et ça donne un voyage tranquille jusque Mithland.
- On verra bien, mais je refuserai pas de me servir de mon tromblon, un vrai petit bijou.
- Tu mérites bien le surnom de pépé Tromblon Angus, lui dis je en riant. Par contre qu'est ce que tu fais avec un arc d'Elfe ?
- Je l'ai gagné lors d'un pari, mais il est hors de question que je me serve de ce genre de machins. T'as qu'à sertir une de tes pierres magiques dessus histoire de le rendre utile.

La nuit passa vite grâce à la bonne humeur et au contenu de la gourde d'Angus mais le petit matin nous trouva vaseux. Non seulement le breuvage du Nain m'avait mis les neurones dans un sale état, mais le fait de ne pas avoir dormi et de reprendre la route aussi vite me fatigua extrêmement. Le soleil se leva, ainsi que la plupart des chauffeurs afin que les chevaux soient prêts. Angus me dit :
- Je pense qu'aujourd'hui nous ne rencontrerons personne. Hier nous avons effectué la première des six journées de voyage qui sont normalement nécessaires. Demain nous serons à l'orée de la forêt.
- Tu penses vraiment que nous allons rencontrer des vilains?
- Si on en rencontre, ils ont intérêt à être plus rapides que les balles du tromblon...

J'admirais son enthousiasme après une nuit sans sommeil. J'étais encore sous le coup de la fatigue de la bataille contre les Sombres et dans une humeur massacrante, ce qui n'arrangeait rien. Nous prîmes un petit déjeuner très rapide, trop rapide à mon goût. Il ne s'était pas écoulé une heure depuis le lever du soleil que toute la caravane s'était mise en route vers Mithland. Je me félicitais de la petite mise que j'avais fait à Giordano : je n'eus pas à supporter ses ordres ridicules pour ce qui était d'une stratégie à suivre en cas d'attaque. Je commençais à ne plus le supporter, alors je me mis à coté de Nack sur la charrette de queue :
- Dis donc Nels, t'as l'air tout fatigué. Tu devrais dormir, on va encore crapahuter dans la plaine toute la journée. Balance ton grand capuchon sur ton visage comme ça ton cher capitaine ne te dira rien.
- Mon cher Nack, même s'il me voyait dormir je pense qu'il dirait rien. En tout cas, je te remercie d'avoir cuisiné hier.
- C'est plutôt à nous de vous remercier, toi et le Nain. Je pense pas qu'on serait aussi en forme sans vous autres. Le patron est d'une radinerie terrible mais ce coup ci il a fait fort, la ration prévue ne conviendrait même pas à un gosse.
- Hélas, ce genre de bonhomme ne se fait pas riche en étant philanthrope. Bon on parlera psychologie des marchands plus tard si tu permets, je manque d'un peu de sommeil.
- Je te réveille en cas de danger... Même si je pense que notre cher capitaine hurlera suffisamment fort pour ça, rit il joyeusement.

Je passai mon temps à dormir ce matin là. Encore une fois, un Drayde excité nous ordonna de forcer la marche jusqu'au soir pour ne pas perdre de temps. Ayant un peu récupéré mes esprits, en début de l'après midi je commençai d'émerger de mon sommeil et vis au loin la lisière de la forêt, une ligne sombre à l'horizon qui augurait un peu l'ambiance des prochains jours : il nous faudrait deux jours pour traverser la forêt, tandis que les deux derniers jours de voyage se faisaient encore en plaine, en descente, afin d'aller vers la vallée encaissée où se situait Mithland. J'entendis au loin Drayde qui cria :
- On dort à la lisière de la forêt ce soir, comme ça vous commencez à vous habituer aux bruits de la nature.
- Alors ceux qui ont trop peur peuvent faire demi tour, renchérit un Giordano de Licht très en forme, je ne suis pas là pour surveiller ceux qui se font dessus.

Le camp fut établi comme précédemment, Angus ralluma un grand feu, et avec mon nouvel arc, je m'en allai chasser. Angus ne vint pas avec moi, il était aussi fatigué sans doute à cause de la nuit de garde. Je n'osai pas m'aventurer de nuit dans la forêt, non pas que j'avais peur mais je ne voulais pas faire de mauvaises rencontres qui me forceraient à me battre maintenant. J'attrapais quelques lapins, je me suis dit qu'une fois dans le forêt nous trouverions de quoi manger. Cette soirée n'a pas laissé un souvenir impérissable dans mon esprit. Je n'avais qu'une envie : prendre du repos, afin de pouvoir protéger tout ce petit monde le lendemain.

Le petit matin, la forêt est devant nous, tous préparatifs ont été faits. Giordano ordonne à tout le monde de sortir son épée : la sienne est d'une grande banalité, elle ne vient même pas de Licht. Les autres aussi sortent leurs armes, tandis que Angus prépare son tromblon minutieusement. Je n'ai aucune envie de montrer mon épée, si ma dague, ni aucune de mes armes. Je ne prends que mon arc, afin de paraître armé aux yeux de mes collègues de la sécurité.
- En avant ! crie Drayde, qui a du mal à cacher sa peur de devoir encore perdre ses marchandises.

La matinée se passa sans aucune histoire, mais je pense que certains des gardes ont regretté le fait d'être là. La forêt est profonde, sombre, regorgeant de sons, d'odeurs nouvelles pour moi, toute une série de nouvelles sensations me parcourt. Nous avions déjà parlé avec Naëria de la forêt et de ses merveilles, de la majesté de la nature dans toute sa splendeur au sein des forêts. Il faut se dire que Naëria en tant qu'habitante de la forêt était un bel exemple de la beauté de la nature. Comme à chaque fois que je pense à Naëria, je suis dans une profonde rêverie. Nous avons parcouru déjà quelques kilomètres à un rythme réduit quand j'entendis un drôle de bruit. Je préparai alors une flèche afin de pouvoir tirer le plus vite possible. Une odeur terrible m'arriva aux narines, une odeur qui me rappelait vaguement quelque chose mais Angus fut beaucoup plus rapide que moi a ce jeu :
- Ca, c'est l'odeur d'une guivre à piquants les enfants. Faites accélérer les charrettes le plus vite possible cette cochonnerie va pas nous faire de cadeaux.

Les charrettes se lancèrent dans un sprint rapide, sans pour autant mettre les chevaux au maximum de leurs capacités. S'il fallait fuir en abandonnant les charrettes, il faudrait qu'il leur reste assez d'énergie pour que nous puissions les monter. Drayde semblait complètement paniqué et il avait de quoi : une guivre à piquants est une bête horrible, une sorte de serpent géant recouvert de longues piques solides et tranchantes. D'une longueur moyenne de 15 mètres, et avec la possibilité de lever la tête jusque trois a quatre mètres de haut quand elles se redressent comme des cobras, il était assez difficile de ne pas avoir peur. Si la bestiole en question avait faim, nous lui servirions peut être d'amuse gueule : les guivres à piquants ont un appétit vorace. Je défis mon manteau et le laissai sur le banc à coté de Nack qui était devenu blême. J'étais fort concentré afin d'anéantir la guivre à l'aide de sorts Noirs, le médaillon de mon pectoral et ma bague semblaient absorber la lumière autour d'eux. Angus regardait de l'autre coté, et il s'écria :
- Il y à une autre guivre qui s'approche... Nels, ces guivres sont sous le contrôle de quelqu'un, une guivre à piquants cohabite rarement en société comme ça.
Je me concentrai et sentis le flux Vert qui venait de... de droit devant nous. Nous avions donc une sorte de comité d'accueil un peu plus loin qui attendaient que leurs animaux domestiques démesurés aient fini, un peu comme on attend un chien qui fait ses besoins contre un arbre. Je dégainais mon épée, et sautai hors de la charrette. Si je réussissais soit à raisonner le mage qui contrôlait les guivres soit à le vaincre, nous sortirions de cette première mésaventure. Drayde me vit commencer de partir, et il se mit à crier :
- Lâche, ne vois tu pas que nous sommes attaqués ?
- Ferme la Drayde. Je vais régler le problème et je reviens.

Sitôt dit, sitôt fait, grâce à la technique des ombres j'avais déjà distancé les charrettes. Le flux se faisait de plus en plus intense au fur et à mesure que je courais le long de la route. Je stoppai, deux Elfes armés de longues épées étaient là. Je ne comptais pas lâcher mon épée, et ils semblaient pourtant décidés à en découdre avec moi. Je me décidai à leur demander :
- Pourquoi ne pas vous battre directement, lâches, plutôt que d'envoyer des guivres ?
- Humain, ne te mêle pas de notre vengeance. Nous ne voulons pas te faire de mal. Fuis tant qu'il en est encore temps.
- De quoi allez vous vous venger ?
- Du marchand perfide.
- Comment?
- Il a envoyé les hommes d'armée parce que nous prenions le droit de passage de la forêt.
- Bande d'abrutis, il ne sait même pas se battre alors dites au mage qui est avec vous de cesser de contrôler les guivres.

Pendant la discussion, je n'avais pas vu qu'une autre guivre n'était pas loin. Celle ci m'ayant vu, elle se dirigeait désormais droit vers moi, et pas simplement pour mieux entendre ce qui se disait. Au moment où elle redressa sa tête afin de me happer plus facilement, j'entendis une terrible explosion, je vis une grosse flamme jaillir d'un peu plus loin sur la route, et je pus entendre un cri assez particulier :
- Sale bestiole d'Elfe et de leurs animaux maudits. Je m'en vais vous faire griller tout ca moi.
- Pépé Tromblon fais gaffe, lui criais je.
- Pas de problème.
Avec une dextérité extraordinaire, son tromblon était déjà prêt à servir, il tira de nouveau sur la guivre qui avait essayé de m'attaquer. Il l'avait déjà mise à mal avec son premier assaut, le second fut plus que dévastateur. Il acheva d'ailleurs la guivre avec ce coup ci : ses deux tirs avaient littéralement coupé en deux le serpent géant. C'est à ce moment là que j'entendis une autre voix, nettement moins rude :
- Non ! Cessez de tuer les animaux de la forêt.
- Si vous ne cessez le contrôle des guivres et ne laissez le convoi en paix, je vous promets une vague mortelle Noire au hasard dans la forêt, lui dis je très énervé.
- Cessez pour l'amour de la nature. Un mage du Vert ne peut être aussi cruel avec la Nature elle même.
- Cessez pour l'amour de la vie d'innocents.
- Bon, les guivres vont repartir.
Le flux vert s'estompa, et j'entendis les guivres repartir avec de grands cris.

Je me retournai, littéralement prêt à tuer n'importe qui tellement j'étais en colère. C'est là que je me suis rendu compte pourquoi la voix qui m'avait demandé de cesser me paraissait si douce. J'avais devant moi une Elfe, une épée au coté, des cheveux d'une couleur grise presque bleutée, des yeux sombres profonds : les Elfes sont décidément une race où la beauté est de rigueur pour les dames. Son visage semblait très triste, sûrement car elle n'avait pu finir son attaque. J'entendis alors les charrettes arriver, avec un Giordano complètement hystérique, dans une crise de nerfs totale réclamant :
- Sacrifiez vous pour votre capitaine, allez les gars et vous aurez une belle récompense.
Le temps de jeter un coup d'oeil à Giordano, je vis les Elfes partir en courant dans les profondeurs de la forêt, tandis que la magicienne grimpa avec légèreté sur une haute branche. Elle semblait m'observer, se demandant sans doute comment le Noir et le Vert pouvaient coexister dans mes domaines de compétence. Drayde me dit :
- Félicitations Nels de t'être débarrassé de la guivre.
- Drayde au cas où tu as de mauvais yeux cette guivre a été tuée par un tromblon. Il faut féliciter Angus pour son aide. Angus mon ami je te dois la vie.
- Tu sais bien que tu t'en serais sorti seul Nels le mage, dit Angus, et que mon aide n'a été que peu de choses. J'ai adoré comment tu as fermé le clapet de cette Elfe. Ces choses là sont dangereuses. Faut pas faire confiance.

Je laissai Angus à ses élucubrations de Nain sur les Elfes, et je vis que la magicienne continuait de rester là, bien cachée pour des yeux humains normaux mais pas pour quelqu'un qui savait interpréter les flux de mana. J'allais voir Drayde, le pris à part, et lui demandai :
- Qu'avez vous fait dans cette forêt ? Comment avez vous fait pour les mettre autant en colère ?
- De quoi parles tu ? Qui es tu pour me demander des comptes, hein ?
- Marchand ne pousse pas ma patience ou tu découvriras que moi aussi je sais utiliser tout ce qui se trouve dans une forêt. Alors soit tu me dis ce que tu leur as fait, soit je te force à me le dire.
- Ah oui ? Tu crois que tu me fais peur ?
Il ne s'était pas encore rendu compte de l'hyper activité de la végétation tout autour de lui. Au moment où il essaya de me repousser pour s'en aller ailleurs, il se rendit compte qu'il était entouré de ronces dont les épines étaient pour le moment d'une taille modérée. Quand de longues branches commencèrent à s'élever autour de lui, et que les épines de ces branches commencèrent à devenir impressionnantes, il sembla recouvrer un peu la mémoire :
- D'accord, d'accord. Avant, quand j'ai commencé à être un marchand, il fallait contourner la forêt. Une fois je passai par là, et me rendis compte que nous gagnions plus de trois jours. Lorsque je les rencontrai la première fois, je leur proposai un droit de passage. Nous tombâmes d'accord assez facilement, je leur donnais de l'or ou d'autres métaux et je pouvais passer par là. Un jour j'ai travaillé pour l'armée de Mithland. Je devais transporter des arquebuses pour leurs nouvelles milices. Quand les soldats ont vu les dames Elfes, ils ont voulu s'amuser mais les males ont pas aimé. Alors les soldats ont sorti leurs arquebuses, et ont tiré et tiré encore. C'était un massacre... Quand je venais, même les jeunes venaient me voir, j'aimais tout le monde, mais les soldats ont tiré partout. Je ne peux rien faire sinon les militaires vont tuer ma famille... Et les Elfes croient que j'ai fait exprès...
J'entendis le petit sifflement caractéristique d'un couteau, et eus à peine le temps de le devier avec mon épée. Il était orné d'émeraudes, je savais d'où il venait. Je dis à Drayde :
- Monte le camp ici, et si les Elfes viennent, donne leur tout ce qu'ils voudront.
- Sauve nous et explique leur par pitié..
J'étais énervé de l'attitude de Drayde mais les larmes qui coulaient de son visage quand il me parla dénotaient sa sincérité. Je me mis donc à poursuivre la magicienne qui avait lancé ce couteau, et la vis enfin, sur une branche très fine a la cime des arbres.

- Ce marchand ment, il ment, il a tout organisé..
- Ne voyez vous pas qu'il regrette et qu'il n'a pas de choix ?

Elle se retourna, des larmes coulaient de ses beaux yeux obscurs :
- Vous croyez que j'ai le choix, moi ?

Nels

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