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Nels : Histoire d'un mage sans passé : Chapitre 08

Nous allions à un bon rythme, car le fait d'atteler quatre chevaux aux charrettes permettait de ne pas trop fatiguer les bêtes et nous permettait de les faire avancer relativement vite. Les chevaux étaient grands et forts, une race docile qui se révèle extrêmement endurante dans des conditions comme celles ci. Les charrettes étaient grandes, faites dans un bois marron qui paraissait à la fois léger et solide, un bien bel ouvrage à mon avis. La partie réservée aux marchandises était recouverte d'une bâche d'un tissu très opaque : ni les chauffeurs ni nous qui étions chargés de la sécurité ne savaient ce que nous transportions. En tout, le compartiment des marchandises devait faire pas loin de six mètres de long, trois de large, et d'une hauteur d'environ deux mètres sous la bâche. Le poste du chauffeur était composé d'un banc, le chauffeur étant placé à droite de celui ci, avec à sa disposition les manettes qui semblaient commander les freins et aussi une pour détacher les chevaux au cas où ils s'emballeraient. Nack semblait habitué aux longs trajets, il faisait avancer ses chevaux sûrement, en prenant attention à ne jamais s'approcher de trop de la charrette devant nous.

Nous avions avancé depuis près d'une heure, quand je vis dans le ciel une nuée de corbeaux qui semblaient repartir. Je reconnus vite l'endroit où la bataille s'était déroulée : le sol était jonché d'armes mais le peuple de Karasu avait de l'expérience pour ce qui est du nettoyage. Il ne restait que les armes des guerriers qui avaient été exterminés. D'une charrette, j'entendis la voix de Drayde, qui dit :
- On stoppe, on peut tout de même pas laisser tout ce désordre en l'état. Allez me ramasser toutes ces épées, ça peut toujours servir. Les chauffeurs restez là où vous êtes, les gars de la sécurité allez y et prenez en autant que vous pouvez.
- Bon! commença à crier l'homme de l'armée de Licht, vous allez tous ramener ça ici près de moi, et on redistribuera. Et grouillez vous si vous voulez pas rester ici.
- J'ai assez d'ans pour ne pas avoir à recevoir d'ordres de ta part Humain, dit un Angus de plus en plus énervé. Et si tu veux qu'on ramasse des armes, trouves en ailleurs. Je pensais qu'un officier de l'armée de Licht saurait faire la différence entre des armes normales et des armes du culte du Sombre. Je sais pas pour vous les gars, mais je trouve pas que Alarkhan soit un compagnon de beuverie trop acceptable.

A entendre celui qui commençait à être appelé par tous pépé Tromblon parler aussi distinctement du culte Sombre, je me dis qu'il ne devait pas être aussi bête que je ne le pensais. Il me rappela ce que me disait sans cesse Basaïn : "l'opinion que tu te fais de l'autre ne doit être motivée que par ce que tu as vu dans ses actes, pas par ce que tu déduis". Je n'étais pas le seul que l'évocation du culte Sombre avait frappé : les autres membres de l'équipe que nous composions avaient immédiatement cessé de ramasser quoi que ce soit et jetaient au loin ce qu'ils avaient déjà trouvé. Un grand cri nous vint de derrière des fourrés :
- Hé le gars de Licht ! Viens voir ça !
- Fais gaffe à la manière dont tu me parles, j'ai été capitaine moi ! Appelle moi capitaine.
- Je crois que les corbeaux en ont oublié au petit déjeuner ce matin, ajoutais je, il y a deux cadavres ici.

En un instant, tout le petit groupe vint voir les cadavres, même Drayde descendit de sa charrette. Le type de Licht commença de dire qu'il lui fallait la dague de l'un d'entre eux. Angus le retint :
- Tu ne comprends toujours pas ? Ces types la ne sont humains que de par leur forme physique mais au dedans d'eux c'est le mal qui les habite. En tant que capitaine de Licht ne sais tu pas que les artefacts des Sombres sont maudits?
- Sale Nain, ôte toi de mon chemin que je me serve une belle part de butin.
- Pauvre idiot, regarde autour de toi, poursuivit Angus de plus en plus érudit, si on compte une épée par type mort, ceux qui ont fait ça se sont fait une quarantaine de Sombres la nuit dernière. Regarde les traces de feu un peu partout, regarde les meurtrissures du sol : c'était pas juste une petite bataille à l'épée ou au couteau, ni même au tromblon. Les types qui sont morts ici étaient des mages et ceux qui ont fait le travail sont des mages encore plus puissants. A ta place, je ne compterai pas trop au butin.

Je ne voulais pas trop m'en mêler, je savais fort bien ce qui s'était passé ici. Je me demandais pourquoi ce cadavre n'avait pas été attaqué, mais je me rappelai ensuite de l'homme que j'avais tué à l'aide des ronces. Les ronces que j'avais choisies poussent vite, beaucoup plus vite à l'aide du pouvoir du Vert, mais sont venimeuses. Décidément ces corbeaux ont une intelligence terrible. Je me demandais comment se faisait il que Angus soit si érudit, bien plus que ce prétendu capitaine de Licht. Je ne faisais pas confiance à cet homme, bien trop arrogant et sur de lui, il pourrait nous faire courir des risques trop importants en cas de bataille. Il allait donc falloir en cas d'attaque que je réussisse à frapper l'adversaire fort afin de pouvoir l'affaiblir. J'allais vers Drayde et lui proposai :
- Malgré la couleur de mes vêtements je n'aime pas rester là où les Sombres sont. Je pense que pour la sécurité on devrait reprendre la route au plus vite.
- Bonne idée Nels, on dirait presque quelqu'un d'intelligent. Chacun à sa charrue. Le gars de Licht là, oui, c'est quoi ton nom ?
- Giordano de Licht, capitaine de l'armée royale.
- Monte avec moi, comme ça j'aurai le capitaine de ma garde pour m'assister. On y va, la route est encore longue. Pas de pause déjeuner, avec vos bêtises, j'ai déjà perdu assez de temps.

D'un air maussade, les membres de la garde s'en allèrent chacun à son poste. Nack eut une réaction un peu plus vive tout d'un coup :
- Et voilà, y'en a qui partent faire les bourriques dans le pré à la chasse au couteau et pour la peine on prendra même pas le temps de bouffer ce midi... C'est pas tout ça mais le grand air ça me creuse.
- Le voyage est si long que ça ?
- Tu sais pas que ce voyage va durer au minimum une semaine ? Et encore, faut qu'on se dépêche parce que à ce rythme là, si vous vous tortillez tous de l'arrière train pour n'importe quel bout de métal, on en a pour deux ans minimum.
- Et ces histoires de voleurs ?
- Tu sais quoi ? Ben si le patron n'était pas un si fieffé radin on n'en serait pas là. Les gars qui nous volent, à chaque fois c'est la même chose : ils nous disent de pas bouger mais y'a toujours le Drayde pour sonner la charge. Comme il prend toujours des incapables pour gardes, ils se font massacrer. Le joli capitaine blond de Licht là, il va se prendre quelques coups de lame c'est moi qui te le dis.
- On va s'arrêter à quelle heure ?
- Vu qu'on est encore dans la plaine, on peut continuer d'aller bon train jusque près d'une demi heure après le coucher du soleil. Par contre quand on va traverser cette maudite forêt, le temps de route se réduira. Pour le moment, on risque pas d'être attaqués.

C'était la première fois dans la journée qu'il parlait autant. Nous avancions plus vite désormais, et les chevaux semblaient avoir trouvé une sorte de rythme d'ensemble. Le paysage un peu vallonné était fort agréable à regarder, avec tout ce beau soleil qui illuminait les vallons de ses rayons. La plaine lumineuse est un terrain très favorable à la pratique du Blanc, couleur dont Licht était un vrai bastion. Ce royaume d'où venait Zohrskt était connu pour la vertu de ses chevaliers, pour la droiture de ses dirigeants : autant de raisons qui me poussaient à me méfier de ce Giordano. La vantardise de ce dernier, son manque de culture et la manière dont il traitait Angus ne me plaisait pas. Zohrkst m'avait appris que dans son pays tout homme était considéré comme respectable, peu importe sa profession ou son rang. Le défaut venait du fait que certains profitaient de ce système pour accomplir leurs méfaits sous des façades d'honnêteté. La situation avait poussé Zohrskt à quitter sa patrie, et à joindre l'Académie, tout d'abord comme élève puis comme Maître. J'avais beaucoup de respect pour lui, de par sa gentillesse et son respect pour tous ses élèves, doués ou pas.

Au fur et à mesure de ma rêverie, le paysage défilait devant mes yeux et bientôt le soleil se coucha. Comme l'avait annoncé Nack, nous continuâmes encore un peu, et un campement allait être établi. Avec dextérité, les chauffeurs formèrent un cercle avec les charrettes, puis attachèrent les chevaux de manière à ce qu'ils puissent brouter. Pour ce qui est d'allumer du feu, Angus eut vite fait de mettre un peu de bois sec au milieu du cercle des charrettes, puis il sortit un petit sachet de poudre de son paquetage et il l'enflamma en claquant des doigts, jetant rapidement le petit sachet dans le bois. On entendit la déflagration, puis une grande flamme jaillit. Je regardai les doigts qu'il avait claqués : il portait des bagues ornées de silex qui produisaient une étincelle à ce moment là. Le Nain me faisait de plus en plus rire, avec son air grognard et son art de la plainte, et surtout la manière claire de montrer à Giordano qu'il n'était pas du tout impressionné par ses prétendus états de service au sein de l'armée de Licht. D'ailleurs ce dernier me posait problème, comme l'avait dit Nack, il serait dangereux en cas de combat de par sa vanité et son égoïsme.

Drayde de par son métier se devait d'être un peu avare mais au niveau de la nourriture il se surpassa. Il nous montra ce qu'il avait prévu pour nous, je crus qu'il plaisantait. Par contre sa ration était bien plus fournie et il proposa à notre valeureux capitaine de manger avec lui. Giordano en camarade exemplaire accepta et se mit dans un coin avec le patron. Angus me fit signe et j'allai le voir :
- Je suis peut être un Nain, mais je suis pas stupide. Ces gens là se fichent de nous. Comment le défendre avec un estomac vide ? Cette plaine doit regorger de lapins, t'as qu'à regarder le sol, il y a des traces de partout.
- J'ai des couteaux de jet, t'en veux un pour chasser ?
- Niveau arme de jet, j'ai pas que mon tromblon. T'imagines la tronche du lapin après une décharge de mon bijou ? Doit pas rester grand chose à manger. Par contre j'ai un arc de ces foutus Elfes : si tu veux t'en servir prends le dans mon paquetage.
- Dis moi pépé Tromblon, pourquoi c'est moi que tu as contacté ?
- T'es le seul ici qui porte des artefacts... Académicien n'est ce pas ? Allons chasser, on parlera après diner.

Nous revînmes avec une douzaine de gros lapins bien dodus. Nack sortit des ustensiles de cuisine d'un coffret qui était sous son siège et cria à la cantonade :
- Messieurs, lapin pour ce soir.

Nous n'étions pas passés inaperçus moi et Angus en allant chasser. Le capitaine vint vers moi et me dit :
- Quand tu quittes le camp je dois le savoir compris ?
- Si j'étais pas là, j'avais quitté le camp. T'as qu'à mieux ouvrir tes yeux. Je suis pas dupe moi, capitaine, alors si tu me cherches je te passe mon épée à travers le corps avant que t'aies eu le temps de respirer, compris? Je vais monter la garde avec Angus cette nuit, tache de t'en souvenir. Et fais attention à la manière dont tu me parles.

Après m'être occupé du cas Giordano, et avoir mangé les délicieux lapins, j'allai vers Angus et lui dis :
- Il faut qu'on parle, y'a des trucs qui m'échappent et j'aime pas ça.
- Attends que ces faiblards et leur patron s'endorment... On a des choses à se dire.

Nels

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