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Les Novices : Livre II - Adonis sang (partie III)

Le vampire et sa reine


Un


Kurt ouvrit les yeux, comme alerté, il se rendit compte qu'il était encore en vie comme à chaque fois. Il se redressa sans prendre appui sur les rebords de son cercueil, il se releva comme une masse de pierre, la mort était là, elle le dévisageait de ses yeux vides, amusée, ce qui agaçait violemment Kurt. Puis il sentit l'odeur, cette odeur de sang chaud qui circulait à l'abondance dans le corps, du sang menstruel... La chaleur... Cette odeur propre aux êtres toujours vivants, ses canines se forgeaient d'impatience, il se tourna vers son lit.
- Qu'est ce que c'est que cela, la mort ?, demanda t-il en voyant Mimi couchée sur son lit.
- Ta porte de secours, répondit le squelette.
- Ca ne marchera pas la mort, son esprit est faible et son âme tourmentée, je me sens trop impliqué envers elle.
- Elle te ressemble...
- Alors elle ne peut m'être utile, une âme égarée est déjà suffisante.
- Elle est beaucoup plus forte que les autres.
- Ne dis pas ça, elle ne sera pas comme les autres, puisque je la tuerai auparavant.
- Epargne-lui ta faiblesse, donne lui ce que tu n'as pas pu donner aux autres, ne fais plus les mêmes erreurs. Elle est plus forte que toi, souffla le squelette.
- Donc, elle fera un excellent dîner.
Kurt se jeta sur Mimi, celle ci ne hurla pas lorsque les deux crocs s'enfoncèrent dans la chair tendre de son cou. Elle ouvrit les yeux comme émergée brutalement et les referma tranquillisée, lentement, plongeant dans un autre monde, plein de merveilles. Mimi enlaça bientôt Kurt qui, surpris, s'arrêta au beau milieu de son festin.
- Pourquoi tu t'arrêtes ?, demanda Mimi presque délirante.
Kurt ne répondit pas, les lèvres maculées du sang de sa victime consentante.
- Pourquoi tu t'arrêtes ?, recommença t-elle le visage triste parce que la douleur de sa morsure se faisait sentir à présent.
- Tu... Tu voulais que cela arrive, lui répondit-il presque terrifié.
Mimi souriait, elle ouvrit de nouveau les yeux. Elle se redressa et porta ses mains à sa chemise, elle le déboutonna. Kurt l'observait, troublé.
- Tu as perdu ta langue, persifla Mimi en lui enlevant son habit, tu as l'air d'être terrifié, c'est de moi que tu as peur ?
- Non, ton inconscience me fige, répondit Kurt, ta détermination me glace. Qu'est ce que la vie t'a donc infligée de si horrible pour que tu puisses en arriver là ?
- Rien, la vie ne m'a rien donné justement, rien pour me satisfaire.
Mimi glissa sa main sous l'un des oreillers qui ornaient le lit et d'un geste rapide et sûrement calculé, elle ouvrit d'un coup de lame la peau du torse. Kurt écarquilla les yeux, elle avait touché plusieurs vaisseaux, le sang jaillissait bientôt telle une fontaine écarlate. Noun s'accrocha à lui et se mit à boire le sang qui s'échappait de la plaie.
- Je t'en prie, arrête !, ordonna Kurt impuissant.
- Laisse la faire, maugréa la mort.
Kurt le regarda, les larmes aux yeux. En vérité, il ne voulait pas qu'elle cesse, mais il avait peur.
- Aide-moi la mort, empêche la, aide la, supplia t-il.
Mimi arrêta, elle se renversa violemment sur le lit, la bouche et le menton couvert de sang, ses doigts s'accrochaient désespérément à son cou, elle couinait presque. Ses pupilles se dilataient, elle clignait des yeux parce qu'ils la brûlaient.
- Qu'est ce qui se passe la mort ? Que lui arrive t-il ?, demanda Kurt paniqué.
- Tu ne te rappelles plus de cela, cinq cent ans, ce n'est pas si loin.
Maintenant, le corps de Mimi se soulevait comme si elle recevait des décharges électriques puissantes, ses doigts s'accrochaient à présent aux draps du lit.
- Elle se transforme... Je ne voulais pas.
- Elle a choisi seule, est ce que tu vas enfin comprendre, gronda la mort avant de disparaître.
Mimi s'arrêta, elle ne semblait plus respirer, l'odeur qui la distinguait des autres venait de s'enfuir, sa peau s'éclaircissait brièvement. La plaie de Kurt se cicatrisa vite.
- Kurt !
C'était une plainte longue, une voix fluette et douce. Il entrevit ses deux canines lorsqu'elle l'appelait, dès maintenant, elle lui ressemblait, elle lui appartenait, alors pourquoi se sentait-il si mal.
- Kurt !, recommença t-elle sans bouger, inanimée.
Il se coucha tout du long sur elle.
- Oui, je suis là, répondit-il, je sais ce que tu veux.
Il l'embrassa, Mimi l'enlaçait, ses ongles s'enfoncèrent dans la peau de son dos, elle l'embrassait aussi, ils se dévoraient, d'amour et de sang...


Deux


Raphaëlle suivit l'allée de dalles blanches, elle soupira sous la pesante chaleur du soleil qui insistait encore ce jour là, elle portait ses lunettes d'un noir franc qui s'accordait parfaitement avec ses vêtements de deuil.
- Il ne devrait pas être permis de faire aussi beau, grommela t-elle.
Raphaelle se heurta à la porte, elle défonça cette obstinée d'un coup de pied précis et raide, et à sa plus grande surprise, la vieille porte rouillée ne s'était pas effondrée. Elle entra sans prudence avec une grande confiance en elle, elle comptait bien aller jusqu'au bout de son idée elle aussi.
- Mimi ?!, appela t-elle.
Elle monta les escaliers en marbre jusqu'au premier sans se soucier du décor magnifique et vieux de plus d'un siècle.
- Fadi !, chuchota t-elle à présent en s'introduisant dans la chambre.
Raphaëlle s'approcha lentement du cercueil, puis elle soupira en voyant ce spectacle si désolant, Mimi l'avait fait...
- Fadi !, cria presque son amie.
Mimi se réveilla en sursaut, toujours sur le coup de son changement, échappant aux bras de Kurt.
Raphaëlle l'attrapa vivement par le cou et le poignet puis la poussa vers les vieux volets qui se brisèrent et laissaient entrer la lumière du jour si heureuse de pouvoir enfin éclairer cette pièce et promener ses rayons sur les murs sombres.
- Non !, hurla Kurt en se levant brusquement pour aller se réfugier dans un coin sombre avant de brûler vif.
Mimi se protégeait le visage, elle se voyait déjà flétrir sur le tapis, mais rien ne se produisait, alors elle affronta le soleil.
- Quel est ce prodige, la mort ?, demanda Kurt.
- Pardon !, fit Raphaëlle qui croyait qu'on lui adressait la parole.
Kurt la regarda, il venait tout juste de prendre conscience de sa présence.
- Qui êtes vous ?
- Son amie, répondit Raphaëlle en s'approchant de Mimi.
- Je ne comprends pas, souffla celle ci effarée.
- Frank avait raison. Lorsque je ne t'ai plus revu le fameux soir du show de « dépeçage », lorsque je croyais que le vampire t'avait tuée, et que toi tu ne m'as donnée aucun signe de vie, j'ai appelé Frank, lui, m'a dit que tu étais encore en vie, qu'il t'avait vu, et il m'a parlé de beaucoup de choses, des choses incroyables. Je savais que t'étais assez folle pour en devenir une toi-même. Donc, Frank avait une théorie, juste, d'après ce que je vois, il m'a dit que tu ne pouvais pas être totalement vampirisée si ton maître avait une âme.
Mimi se tourna vers Kurt, complètement hagard, c'est pour cela qu'il ne l'avait pas tué, il éprouvait encore des sentiments humains. Kurt baissa la tête, blessé de ce qu'il appelait « sa tare », un vampire qui avait du coeur ! Quelle blague !
- La seconde théorie de Frank était que tu ne pouvais pas être un de ces goules si toi-même tu as prononcé la formule du père Antonio.
- Elle l'a prononcée !, s'étonna Kurt.
- Il y a quatre ans, c'est un ami qui nous l'avait fait réciter, il a eu raison, précisa Raphaëlle à son encontre.
Mimi se mit à grogner, très en colère, Raphaëlle recula.
- Qu'est ce que tu veux ?, grogna t-elle.
- T'aider, répondit Raphaëlle.
- Je décide seule, si tu veux m'aider, va-t'en !
Raphaëlle avait eu envie de la gifler très fort, mais à quoi cela aurait servi, elle ne demanda pas son reste, elle lui tourna le dos, vexée.
- Tu peux voir le soleil !, suffoquait Kurt.
- Kurt ?
Il se laissa glisser le long du mur trop pâle.
- Kurt ! Qu'est ce que tu as ?
- Je n'ai rien bu depuis six ans et pour te changer, j'ai dû me vider de mon propre sang.
Mimi prit l'énorme drap de velours noir, elle l'accrocha à la vitre et les rayons du soleil boudaient de nouveau.
Ensuite, elle s'approcha de Kurt.
- Ce soir, je t'emmènerais dîner dans un endroit sublime, buffet à volonté, ne t'inquiète pas, mais pour le moment, viens t'allonger.
Elle l'aida à aller à son cercueil et ils se recouchèrent.


Trois


Il était très tard, et c'était le dernier train qui circulait encore dans le métro en direction de la place d'Italie.
Quatre personnes se trouvaient dans un des wagons. Le train s'arrêta à une station, Kurt entra, précédé de Mimi, ils s'assirent face à un jeune couple, et le train reparti. Les yeux de Mimi récemment verts et ceux de Kurt restèrent accrochés au baiser échangé par les deux tourtereaux, qui, gênés, s'arrêtèrent.
Mimi leur adressa un joli sourire, puis elle dévisagea l'homme, un regard intense comme le lui avait appris Kurt pour lire à travers les vivants. Sébastien Lemaire, vingt-sept ans, divorcé, pas d'enfant à charge, il a une petite amie qui n'est pas celle qu'il embrasse si passionnément.
Le train qui s'était arrêté à Richard Lenoir était reparti. Mimi buvait Sébastien, elle aimait ça, son sang la réchauffait d'un coup, une nouvelle vie affluait en elle, le sang chaud de Sébastien se mélangeait au sien, devenu si glacé, puis elle s'arrêta, paniquée, elle lâcha sa victime qui s'écroula à terre, il ne restait plus qu'un passager dans le wagon qui somnolait.
- C'est ta conscience qui réagit, commença Kurt, la mort de cet homme va te peser jusqu'à la fin de ta vie éternelle, c'est à dire jamais.
Il avait les larmes aux yeux en tenant dans ses bras la jeune fille complètement hébétée. Mimi aussi avait envie de pleurer, le remord la dévorait à présent, Raphaëlle l'avait prévenue, elle n'était pas devenue un vrai démon. Le train s'arrêta à Bréguet Sabin, un homme en blouse grise monta dans le wagon, il portait un bonnet noir à l'effigie du groupe « Satanic Surfeurs ».
- Comment fait-on pour vivre avec ?, demanda Mimi.
- Je n'ai jamais réussi, répondit Kurt en, essayant de se reprendre.
Elle se leva en retenant ses larmes, mais qu'est ce qu'elle était devenue réellement ? Le train repartait. Mimi se dirigea vers l'homme au bonnet noir qui lui faisait volte face, car malgré son dégoût, elle avait encore soif.
Tourne-toi ! C'est ce qu'il fit. Mimi recula, d'abord surprise, puis interloquée. Kurt, quant à lui, s'épouvantait, voulait fuir à tout prix.
- Frank ?!, finit-elle par laisser sortir, ne sachant vraiment plus quoi dire.
Frank glissa sa main gauche sous sa blouse.
- Allons-nous-en !, cria Kurt qui ne tenait plus en place.
Il reculait en entraînant Noun par la main, puis ils passèrent à travers une des vitres du wagon, réveillant le dernier passager. Frank fit de même, il sortit une arbalète très ancienne et se mit à les pourchasser.
- Je ne comprends pas, fit Mimi, pourquoi cours-tu ? C'est mon ami.
Kurt s'arrêta.
- Ton ami est un chasseur d'ombres, répondit-il.
- Quoi ?!.
Une flèche atteignit l'épaule de Kurt qui grogna avant de se laisser choir sur les genoux. Frank lui sauta dessus, il essayait de le coucher sur le dos.
- Arrête Frank !, hurla Mimi.
Il ne l'écoutait pas, trop occupé, alors elle l'empoigna avec toute cette nouvelle force et le projeta loin.
Kurt se redressa avec beaucoup de peine. Mimi l'enserra par la taille, elle leva la tête et se mit à sauter si haut qu'elle put atteindre la grille qui séparait le métro de l'extérieur.
Frank s'était relevé, il observait leur fuite, très passif.


Quatre


Mimi regardait avec amusement et étonnement la blessure de Kurt se cicatriser.
- C'est terrible !
- Cela fait bien longtemps que je ne trouve plus ça terrible, fit Kurt.
Elle le regarda, puis soupira, il ne savait pas s'amuser.
- Merci de m'avoir aidé, dit Kurt.
- C'est normal, je crois que je deviendrais folle si tu n'étais plus là.
Kurt se coucha sur son lit, rassasié par sa jeune victime. Mimi s'assit à ses côtés.
- Tu veux bien me raconter ton histoire, commença t-elle, comment est ce que tu es devenu un vampire, pourquoi t'a t'on laissé une âme ?
- Pour me torturer.
- Pourquoi es-tu si triste ?
Il ne dit plus rien.
- Est-ce que mes questions t'embêtent ?, demanda Mimi qui ne voulait pas rester sur sa fin.
- Non ! Mais c'est tellement loin, il y a certaines choses que je voudrais effacer de ma mémoire et au bout de toutes ces années d'existence, je commençais à purger mes peines.
- Je comprends, fit-elle déçue.
Kurt se redressa et se moqua t-elle, Mimi boudait carrément.
- Je vais te raconter certains détails, puisque tu insistes, dit-il, je suis né en 1558 en Angleterre, dans une petite ville qu'on nomme actuellement Kingston Upon Hull. Des femmes et parfois même des hommes venaient de toutes les contrées pour me voir, ils venaient se rendre compte par eux même, que le jeune adonis existait réellement. Les femmes de tous âges et de toutes situations affluaient devant ma porte, les hommes m'enviaient, d'autres étaient passionnés, on se tuait sur le seuil de mon cottage, et je trouvais cela fort plaisant, j'ai joué avec l'amour de ces personnes, j'étais un jeune sot. Mais, je suis tombé amoureux, d'abord de deux prostitués, incroyablement belles et ensuite d'une jeune comtesse encore plus incroyablement belle, mon égal de la beauté, c'était, pour mon grand malheur, un démon, et les deux jeunes prostituées étaient ses novices, la comtesse aimait s'entourer de merveille et de jeunesse, elle voulait voir souffrir la plus belle de ces merveilles.
- Toi !, souffla Mimi.
- Elle... Elle m'a laissé mon humanité pour son plaisir, pour une sorte d'expérience dont je ne sais toujours rien, mais la comtesse était comme cela, elle était folle. Et... Et j'avais une petite soeur, elle avait quatorze ans, elles l'ont rendue éternelle pour me faire plus de mal, et ma mère...
Kurt s'interrompit, il avait envie de mourir, c'était si beau d'avoir tout enfoui très loin dans sa mémoire et voilà qu'il recommence à se torturer, il y avait certaines choses qu'il ne se sentait pas prêt à dévoiler. Sa soeur, Cassie était encore vivante, un miracle ! Il sentait son esprit se promener de-ci et là, parfois, elle avait très peur de venir lui rendre visite. Il l'avait revu au moins quatre fois, lorsqu'elle s'était éprise d'un autre vampire nommé Saphir, l'ami de son frère, et d'autres fois, par hasard. Il était heureux, parce qu'elle n'était pas morte, c'était sa seule famille désormais, tout les autres étaient morts par sa seule faute et le poids de la culpabilité l'envahissait péniblement.
- Kurt !
Il sursauta. Non, il n'était plus seul, Fadi était là à présent et il l'aimait, il l'aimerait toujours puisqu'il lui avait offert sa vie éternelle, c'est ce qu'il n'a jamais osé faire avec les autres.
- J'ai tué la comtesse et je pensais que cela allait me rendre ma liberté, mais elle m'avait jeté une malédiction, continua doucement Kurt, j'ai rencontré les ancêtres de ton ami Frank, j'ai conversé pendant des nuits et des jours avec le père Antonio qui essayait de trouver un remède pour me guérir, pour me rendre ma forme originelle, il est mort de vieillesse tout comme le moine Julien de Foucault, qui essayait de trouver un remède pour guérir mes victimes éventuelles.
- Les ancêtres de Frank étaient eux aussi des chasseurs d'ombres ?, demanda Mimi très intéressée.
- Le premier que j'ai rencontré s'appelait Emmanuel Maufas, un chasseur ambitieux qui savait reconnaître le bien et le mal, les chasseurs de l'ancien temps étaient moins exaltés, moins meurtriers, ils voulaient avant tout empêcher les humains de souffrir des « habitants de l'ombre ».
- Qu'est ce que les « habitants de l'ombre » ?
- Ce sont toutes ces créatures qui nourrissent l'esprit et l'imagination des humains.
- Ils existent ?!
- Oui, nous existons, répondit Kurt.
Elle souriait, très fière d'entendre cela, elle était acceptée, mais ce que Kurt lui cachait, c'est qu'il l'enviait beaucoup, elle pouvait encore voir le soleil, elle n'était pas entièrement métamorphosée.

Kei

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