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Les Novices : Livre II - Adonis sang (partie II)

Renoncement


Un


Mimi se réveilla en sursaut en essayant de chasser quelque chose du creux de son cou, puis lorsqu'elle se rendit compte qu'elle n'était plus en danger et que le vampire n'était plus là, elle se calma pour savoir où elle se trouvait. Ici, il faisait froid, elle était seule et ailleurs, c'était sombre, elle savait qu'elle se trouvait sur un lit, mais celui de qui ? A travers la fenêtre, la lumière de la lune fusait. Mimi était mal à l'aise, elle ne voyait et n'entendait rien, mais elle avait l'impression d'être épiée.
- Bonsoir !, dit-elle au hasard.
- Bonsoir !, lui renvoya l'obscurité.
Son coeur allait s'arrêter, mais elle essaya de se calmer, au moins, elle savait qu'il y avait quelqu'un.
- Vous êtes l'un des vampires de la boîte ?, demanda t-elle, douteuse.
- Pardon ?
- Vous êtes l'un des vampires de la boîte ?, répéta t-elle plus fort.
Son interlocuteur riait faiblement.
- Cet endroit attire les vampires et les fous comme le sang attire les moustiques, répondit-il.
- Qui êtes vous ?, demanda Mimi.
- Quelqu'un.
- Merci quelqu'un de m'avoir sauvée, dit-elle d'une voix étranglée, non contrôlée.
- Vous rappelez-vous ?, souffla t-il.
Un voile de silence s'imposa lourdement. Mimi se sentait ridicule, assise sur ce lit.
- Que faisiez vous dans cet endroit ? Vous êtes aussi attirée par ces scènes d'horreurs ?, demanda le vampire.
- Moi aussi ?, s'indigna Mimi.
- Oui, comme les autres. Ceux qui s'y pressent pour voir ou devenir un « habitant des ombres », s'expliqua t-il.
- Je ne comprends pas? Mais si j'étais là bas c'était pour chercher quelque chose.
- Comme...
- La mort, coupa Mimi.
- Je... Cette fois c'est moi qui ne comprends plus.
- Je suis une rêveuse. Mes rêves et mes fantasmes sont peuplés de tâches noires, fit Mimi.
- Que cherchez vous ?, demanda Kurt.
- La mort, le sang, la nuit, les vampires.
- Pourquoi ?
- Parce que je suis fascinée par eux, comme beaucoup. Leurs vies sont pleines, ils voient tout, ils traversent tant d'époques, rencontrent tant de personnages, effraient tant de monde. J'aimerais être crainte.
- Marcher dans l'ombre, vivre dans l'ombre, boire dans l'ombre, pleurer dans l'ombre, seul. La mort éternelle, les remords, l'envie d'être... De redevenir quelqu'un, se reprit-il, ce sont là les sentiments qu'un vampire doit essayer d'accepter toute sa vie durant, jusqu'à ce qu'on le délivre enfin.
- Je n'ai pas peur de tout ça, je ressens déjà ces sentiments en tant que mortelle, affirma Mimi d'un ton résolu.
Le vampire poussa un long soupir d'effroi.
- Tu es... très étrange, souffla t-il, incertain de l'impact de ces mots, sur elle et sur lui.
Mimi fronça les sourcils.
- Qui êtes vous ?, demanda t-elle pour la cinquième fois.
- Je me nomme Kurt Simplon Patrick.
- C'est anglais ! Je n'entends pas d'accent.
- Je ne l'ai plus, je parle français depuis plus deux siècles, répondit Kurt, mais je suis anglo-saxon.
- Je m'appelle Fadi, Mimi pour mes amis.
Le silence s'interposa de nouveau.
- Pourquoi il fait si sombre ici ?, demanda Mimi pour briser ce silence.
- La lumière est mensongère, elle me fait du mal et me rappelle que je ne reverrais plus la véritable lumière, celle du soleil.
- Tu es bien un vampire, mais alors dis moi pourquoi tu ne t'es pas nourri de mon sang ?, demanda Mimi.
- Parce que la mort m'a dit de t'épargner, répondit Kurt.
Le lit remua un instant, Mimi n'avait pas bougé, elle était trop envoûtée pour oser frémir.
- Quel âge as-tu ?, souffla t-elle.
- Cinq cents ans, répondit-il.
- Non... non, je voudrais connaître ton âge de vie, reformula t-elle.
- Seize ans, répondit-il d'une voix cassée.
- J'aimerais avoir seize ans toute ma vie et mourir toujours, souffla Mimi.
- Tu parles avec incohérence de choses que tu ne connais pas, s'impatienta Kurt.
- Je sais beaucoup de choses sur les vampires, ma culture littéraire là dessus commence par Bram Stocker et se termine par Jeanne Kalogridis, alors, je te prie de ne pas m'insulter !
- Qu'est ce que toi, mortelle, libre de voir et de sentir le soleil, libre de voir et de sentir la lune pourrait bien trouver à cette existence avortée et sombre folle qu'est la nôtre ?, demanda Kurt à bout de patience en apparaissant enfin à la clarté de la lune.
Mimi ne broncha pas, elle le dévisageait avec envie.
- Je trouve votre existence séduisante, répondit-elle.
Kurt rugit, il grogna, son visage se tordait affreusement pour prendre la forme d'une créature ressemblant à une chauve souris.
- Est-ce que maintenant, tu trouves mon monde séduisant ? Je te plais comme ça ?, gronda t-il.
- Oui, répondit Mimi de plus en plus séduite, elle lui caressa le visage.
Kurt redevint lui-même, il s'éloigna d'elle et s'enfonça gêné dans la pénombre.
- Allons Kurt, fit-elle amusée par sa gène, je t'effraie ? Après cinq cents ans d'existence, tu trouves le moyen d'être troublé par une fille, une simple mortelle, et pas par la plus jolie de plus.
- Il... Il ne faut pas dire ces choses là.
- Quoi ? Que tu es troublé par une simple mortelle ?
- Non, le fait de douter de toi.
- Je ne le suis pas, moi, je le sais.
- Il y a des temps où la beauté ne signifie plus rien à mes yeux, dit Kurt.
- Ce qui veut dire que tu pourrais aimer une tranche de veau, persifla Noun.
Kurt ria doucement.
- Qu'est ce que tu vas faire de moi ?, demanda t-elle.
- Rien, vous êtes libre.
Il ne la tutoyait plus du tout, il avait repris ce ton froid et distant avec elle.
- Il faut partir, on doit s'inquiéter à votre sujet, continua t-il.
Mimi ne dit plus rien, elle se leva du lit, elle essayait de se guider dans cette obscurité avec ses mains, jusqu'au cadre de lumière devant elle.
- J'aime la nuit, je veux la voir comme toi tu la vois, annonça t-elle.
- Il faut être prêt pour ça et ne rien regretter. Moi, je n'ai pas eu le choix, fit Kurt avec un lointain goût de regret.
- Je suis prête depuis très longtemps, mais toi ?...
- Adieu, fit-il sèchement.
Mimi s'en alla. Kurt s'avança vers la fenêtre pour essayer de l'apercevoir, pour la voir vraiment s'éloigner d'ici.
- Dis-moi la mort...
Le reflet du squelette lui apparut sur la vitre.
- Reviendras t-elle ?, demanda Kurt.
- Assurément, si elle ressemble à sa mère, assurément.
Kurt ne comprit pas cette allusion, il oublia vite.
Le reflet s'évapora. Mimi était en bas, dans l'allée de dalles grises, elle leva les yeux vers la fenêtre, Kurt ne se cacha pas, puis elle s'en alla pour de bon.


Deux


Le vent s'était levé lentement, alors que tous se reposaient, essayait de gagner le sommeil, les « habitants de l'ombre » sortaient, se sentaient vivre, effrayaient, plaisaient. Mimi était couchée sur son lit, elle qui depuis longtemps était plongée dans ses rêves de chérubins piqués, de prêtres morts, et d'anges sadiques. Kurt était présent, il l'observait patiemment, puis fit le tour de son lit pour s'asseoir doucement près d'elle.
- Mortelle !, chuchota t-il en se penchant légèrement vers elle. Mortelle ! Je t'en prie, éveille toi !
Mimi ouvrit les paupières, il l'embrassait déjà et elle se laissa faire, jusqu'au moment où elle sentit une vive douleur aux lèvres, qui devenait de plus en plus insupportable.
Mimi essaya de repousser Kurt, mais il continuait à l'embrasser, à la dévorer, le sang débordait sur son menton, glissait doucement, séchait rapidement.
Lorsqu'elle se libéra enfin, sa bouche avait été arrachée, elle n'avait plus de peau et ses articulations s'agitaient nerveusement, elle hurla.
Kurt se tenait debout face à elle, le visage maculé de sang, horrifié par les cris et les larmes de Noun.
Kurt ouvrit les yeux, et essaya de reprendre son souffle, il ouvrit la porte de son cercueil étouffé et respira. Tous les volets étaient fermés, mais on voyait les rayons du soleil les transpercés et s'arrêter juste au pied du cercueil. Kurt essaya de toucher les faisceaux de lumière, mais il se brûla bien vite et enleva sa main. Il se recoucha dans son cercueil complètement découragé, mais il ne referma pas le couvercle cette fois ci.


Trois


Mimi suivit les dalles blanches de l'allée, il faisait tellement beau dehors et les rayons du soleil essayaient vainement de transpercer les volets de la vieille demeure inhabitée... Enfin presque.
La porte d'entrée était tellement rouillée par le temps, qu'il fallait défoncer la porte à coups de pieds violents, elle s'ouvrit mais ne tomba pas en poussière au plus grand étonnement de Mimi. Elle distinguait mieux l'intérieur de la vieille maison, c'était sale, elle se laissait mourir et dépérir dans la tristesse comme le maître des lieux. Mimi monta les escaliers qui menaient au premier, elle s'introduisit dans la chambre où elle s'était trouvée la veille, elle vit au pied du lit, face à la torture, aux volets marquants le jour, un cercueil, le couvercle grand ouvert et Kurt reposait à l'intérieur de son monde confins de velours noir matelassé. Les rayons du soleil qui avaient réussi à transpercer les fentes défaillantes des vieux volets, s'arrêtaient juste au pied du coffre. Kurt l'avait voulu ainsi, peut-être qu'il pensait constamment à la mort, il se mettait délibérément en danger pour masquer son suicide en faute d'inattention.
Mimi s'assit près du cercueil. Elle dévisagea le jeune adonis longuement, il avait l'air de se battre dans son rêve, il ne respirait plus et s'était mordu les lèvres si fort qu'elles avaient saigné, le sang avait séché et formait une petite croûte au coin de sa bouche. Mimi se pencha pour l'embrasser, attirée irrésistiblement par sa beauté inconsciente. Il gémit, elle sursauta, en éloignant son visage du sien, surprise.
- Va t-en mortelle !, ordonna t-il d'une voix à peine audible, il dormait profondément, il semblait loin, perdu dans son sommeil.
- Je m'appelle Fadi, Mimi pour les intimes, répliqua t-elle gentiment, très heureuse à l'idée qu'il puisse rêver d'elle.
Il ne répondit plus, se calma alors. Mimi se tourna face à la fenêtre, appuyée contre le cercueil et assise face aux rayons qui venaient embrasser sa peau à présent. Puis elle adopta une expression grave, elle ne voulait plus réfléchir, elle avait décidé d'aller au bout de son idée.
- C'est la dernière fois que je te défie, annonça t-elle en s'adressant à la lumière du jour.

Kei

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