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Nouvelles : L'écrit vain

L'écrit vain, c'est un peu l'histoire d'une personne, à qui un jour on a offert soit un feutre, soit un stylo, et puis il a commencé à tracer des symboles sur une feuille. Puis on lui enseigne que les jolis petits sigles qu'il place devant lui, sur la feuille de papier, veulent des fois dire plein de choses, un peu comme les signes que vous êtes en train de déchiffrer là. Et un jour on lui offre plein de feuilles attachées aux autres, avec plein de signes sur les feuilles, et on lui dit que ça s'appelle un livre.
Ca, c'est la première étape, on est tous passés par là, en particulier si vous avez pu lire ce que je vous ai écrit.
La deuxième étape est que la personne a grandi ou avancé en âge. La personne sait que des fois les livres sont agréables à lire : c'est un livre bien écrit ou alors un bon livre. Il découvre aussi que les gens qui font des livres, appelés des écrivains, ou des auteurs, ne font pas tous des bons livres. Paraîtrait il que certaines personnes font beaucoup de bons livres alors on dit d'eux que ce sont de bons écrivains, ou bons auteurs. Alors notre personne va vouloir lui aussi écrire, écrire et écrire sans arrêt. Puis, la personne se relit ...
La réaction est aussi radicale que celle d'un loup garou sorti en boite un soir de pleine lune, ou alors que celle d'un cachet d'aspirine dans un verre d'eau : la personne adore ce qu'elle vient d'écrire. Tel un Narcisse dans un magasin de miroirs, il ne cesse de trouver des figures de style sublimes, des allusions à en mourir de rire, une culture suffisamment solide pour pouvoir exploser la mâchoire d'un pit-bull, il est tout simplement génial - à lire en trois syllabes - voire à la limite du divin : c'est comme si un esprit supérieur universel avait traversé son esprit afin de déposer sur le papier à l'aide d'une plume d'or les mots les plus beaux de toute la création sous les cieux, oui !, une oeuvre magistrale d'un lyrisme seulement égalé par les archanges lorsqu'ils chantent à la gloire du grand Patron universel... - je reprends mon souffle -
Mais je m'emporte dans ces considérations comme vous avez pu vous en rendre compte. La notable naissance d'un nouvel écrit vain, ne cherchez pas de faute d'orthographe, se traduit par un florilège de publications, une avalanche de textes dits divins tombant au choix de l'Himalaya, du mont Olympe, de l'Annapurna, voire de beaucoup plus loin, mais ne nous perdons pas dans des considérations métaphysiques. Il en est même qui sont suffisamment fous pour se faire passer pour des mages amnésiques ; après tout, la race de ces écrits vains ne se connaît aucune limite, leur style plaisant à l'avantage de plaire. Il se regarde dans un miroir quand, dans une fébrilité quasi orgasmique, il balance sur une feuille les mots que son esprit imagine au fur et à mesure, sans se soucier d'orthographe, ni de grammaire : les gens qui ont forgé ces grilles du langage ont omis de prévoir qu'un génie tel que l'écrit vain pouvait naître un jour. Alors l'écrit vain continue de distribuer sa prose, étant malheureusement incompris du grand public, de tous ces ignares qui du mont Olympe, ne retiennent que les jeux olympiques.

Il a des projets plein la tête, avec une divine, ou seigneuriale, ou royale ou magique bonté, il va permettre à d'autres de s'associer à lui, former une équipe où son talent est reconnu, où il est vénéré tel un employé de Mac Donald's devant un car de touristes américains affamés. Il peut donner libre cours à tous ses fantasmes, à toutes ses envies d'écriture même les plus folles, étant comme inspiré par une sorte de vortex qui lui réclame d'éditer sans cesse sa prose qu'il adore tant, celle qu'il chérit tout autant qu'une bouteille de vodka pour un alcoolique. L'écriture est une maîtresse qui lui rend toutes les faveurs qu'il demande, à défaut d'une autre maîtresse, il n'y a que devant un clavier que l'écrit vain est comme un poisson dans l'eau.

Alors je m'en vais, ayant au moins tenté de vous faire partager la détresse de ceux qui ont oublié que tout comme l'habit ne fait pas le moine, la plume ne fait pas l'écrivain. Tout du moins si vous avez lu jusque là, vous aurez fait de moi un homme heureux, un écrit vain joyeux et je vous en remercie.

Nels

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