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Nouvelles : Etre Ange

Dieu est un fainéant. Voilà maintenant près de trois ans que je travaille pour lui et tel est donc le constat que je viens de tirer. Dieu est un fainéant. Alors bien sûr, je ne lui conteste pas le mérite d'avoir créé le monde, etc... Mais il n'empêche que depuis, il se repose sur ses lauriers. N'en déplaise à certains, c'est bel et bien son portrait que je suis en train de peindre avec ces quelques lettres : fainéant.
D'après ce que j'ai pu entendre à droite à gauche, il semblerait qu'après avoir créé l'univers, il n'ait pas eu tout de suite l'idée d'introduire des gens dedans. Il observait ainsi sa création durant plusieurs jours jusqu'à l'avoir parcouru en long, en large et en travers. Il put alors dresser un horrible constat : ce monde qu'il avait mis tant de difficultés à bâtir l'ennuyait profondément. Il le connaissait par coeur.
De là lui vint l'idée de rajouter quelques éléments, il créa alors les animaux mais après s'être diverti quelques temps, il s'en lassa également les jugeant trop stupides et trop prévisibles. Il en arriva donc au projet ultime, créer l'Homme. Il s'y attela avec passion et dévouement, il mit du temps et de l'énergie. Il s'appliquait ardemment, souhaitant à tout prix des êtres imprévisibles, d'une certaine façon intelligents mais pas parfaits non plus, il fallait qu'ils soient divertissants.
Après avoir créé leur enveloppe, il les envoya sur son monde et se reposa quelque temps. A son réveil, il se rendit compte que ses créations n'avaient pas bougé, il fallait les faire vivre.
"Quelle tâche complexe et ennuyeuse !" se dit il.
Il lui vint alors sa dernière idée : créer quelqu'un pour le remplacer dans son poste de Dieu. Un substitut capable de faire vivre tous ces gens, ainsi il pourrait se divertir sans pour autant participer au fonctionnement du monde.
Il découla de cette idée des milliers d'employés, tous créés dans ce but et qui portèrent le nom d'anges.
Je suis l'un d'eux. Je suis l'ange numéro 43 456, baptisé Manakel. Je suis né il y a presque trois ans et depuis je sers sans relâche celui qu'on appelle Dieu.
En quoi cela consiste-t-il ? Et bien c'est très simple, nous possédons chacun un bureau, une machine à écrire et nous inventons ainsi la vie des personnes qui peuplent le monde. Nous passons alors la journée à créer un bout de vie à ces gens et nous confions nos travaux au patron à la fin de la journée.
Alors bien sûr notre entreprise est structurée et n'importe qui ne peut faire ce qu'il veut. Il existe des grades, et chaque ange possède le sien. Ceux qui se trouvent en bas de la pyramide (en général les anges relativement neufs, comme moi) s'occupent avant tout des personnes banales, sans histoire et souvent assez ennuyeuses. Nous avons alors des règles, il est interdit de leur donner une vie intéressante, amusante ou même simplement heureuse (désolé si vous en faites partie).
Lorsque l'on gravit les échelons, on peut alors s'intéresser à des personnes plus intéressantes jusqu'à arriver au sommet : les gens influents, puissants ou célèbres.

Il ne va pas sans dire que Dieu porte un regard critique à nos travaux et c'est lui même qui décide de tous les changements de grades. Lorsqu'il s'amuse et qu'il prend plaisir à regarder la vie de nos inventions, il récompense leurs responsables. A l'inverse, lorsque l'ennui le gagne et que nos travaux ne le satisfont pas, il sanctionne sévèrement.
Voilà donc ce que Dieu a à faire désormais, contempler et juger. Le reste du travail nous le faisons. Nous ne nous en plaignons pas bien heureusement, car ce travail est loin d'être fastidieux mais nous serions certainement plus heureux si le Saint Patron voulait bien nous laisser toutes les libertés que nous souhaitons.
Car ne vous méprenez pas, nous sommes loin d'être libres dans nos créations. Ainsi il n'est pas rare de nous voir tous convoqués pour une assemblée générale où il est indiqué les directives que le Vieux nous donne pour s'amuser un peu plus. Dans ses crises de mégalomanie, Il nous impose souvent des guerres de religion, aimant beaucoup l'idée qu'on puisse se battre pour Lui. Il aime également les autres guerres, qui ne sont pas de religions, Il apprécie aussi les meurtres, les viols et tout ce qui pourrait abîmer ses créations. Il ressemble ainsi beaucoup aux enfants que nous inventons qui cassent leurs jouets.
Oui, en vérité Dieu est un gosse fainéant qui aime casser ses jouets. Et nous nous exécutons lorsqu'Il nous le demande. Mais il est venu un moment où nous sommes arrivés à saturation.
Nous demandions un peu de reconnaissance de la part de nos marionnettes. Car si on leur avait informé de l'existence de Dieu, nous restions toujours dans l'ombre du Grand Barbu (car je le confirme, il est barbu). C'est de là qu'est venu la première mésentente entre Dieu et mes semblables.
Une grève a été mise en place, longtemps avant que je n'arrive ici, par les anges eux-mêmes. Tous stoppèrent leurs activités si bien que la Terre s'arrêta de tourner. Comme vous pouvez l'imaginer, Dieu s'en trouva fort fâché et voulu résoudre ce conflit au plus vite, le spectre de l'ennui rôdant au-dessus de lui. Telles furent nos revendications : nous ne voulions plus demeurer dans l'ombre et nous souhaitions informer les Hommes de notre présence. Nous voulions ainsi que Dieu ne soit plus le seul être adoré. Celui-ci approuva et nous devînmes aussitôt des créatures divines nobles et somptueuses aux yeux des humains alors que, jusque là, notre nom n'avait même pas été mentionné. Dans un élan d'euphorie, nous nous dotions mêmes d'ailes majestueuses aux plumes blanches synonymes de pureté. Il est vrai que nous nous voyions mal décrire nos ridicules petites ailes grises de pigeons comme étant symbole du pouvoir divin. Mais qu'importe, nous étions nous aussi adorés, respectés, et même parfois craints, en bref nous étions, c'est le cas de le dire, aux anges.

Mais malgré cette histoire heureuse, il demeure tout de même un certain sentiment amer parmi nous. Et ces quelques lignes en sont le résultat. J'ai décidé d'outrepasser mon rang, de briser la loi du silence qui nous régit et de vous livrer cette cruelle vision de la vérité. J'ai donc pris en charge la vie d'un écrivain-marionnette et lui ai dicté cette révélation qu'il a cependant rédigé en songeant l'inventer lui même.
J'ignore l'effet que cela produira et je me demande même si ces quelques lignes seront jamais lues mais il m'était nécessaire de transmettre ce secret. Car Dieu a peut être le droit de casser ses jouets mais je possède moi celui de les mettre en garde : « Celui en qui vous croyez et que vous pensez rejoindre à votre mort n'est rien d'autre qu'un gosse fainéant qui s'ennuie et qui, afin de s'occuper, prend plaisir à casser ses jouets. Alors ne rêvez pas de paradis et de vie après la mort car une fois hors d'usage le jouet ne possède plus les faveurs de l'enfant. »

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