banniere

Retour

Ombres : II - Enfants des ombres (partie 3)

Dixième

A la suite de cela, la police avait investi les lieux, on venait d'arrêter la directrice pour faute professionnelle et sans doute pour un meurtre, l'assistante n'avait pas survécu, et les sbires sous le choc d'une vision encore non assimilée n'allaient pas à l'encontre des théories de la police. Les orphelins étaient heureux, car c'était la première fois qu'ils voyaient des gens de l'extérieur, des reporters, ils s'agglutinaient à ses étrangers comme si l'air du dehors dont ils étaient imprégnés leur permettait de voyager au delà des murs assassins de l'établissement. Ce jour là, Florent s'était éloigné d'Amélie, il restait dans son coin, pensif, la mine triste, et depuis, il se rapprocha dangereusement de Dorothée, qui n'attendait que cela. Florent changea à partir de ce jour, il accompagnait constamment Dorothée dans ses virées nocturnes, tout était possible depuis qu'il n'y avait plus de directrice. Florent tua alors, tout comme Dorothée, pour se venger.

C'est un matin, en se rendant à la Chapelle qu'Aurélia découvrit les deux corps l'un près de l'autre, mutilés, elle hurla en se précipitant dans la cour pour alerter les surveillants, ensuite elle put vomir. Tout comme ceux, qui, par curiosité morbide allèrent regarder. La police était encore revenue, ils maudissaient les lieux, cela ne faisait que trois jours qu'ils avaient arrêté l'ancienne directrice qui coulait actuellement des jours heureux dans un asile, car elle prétendait avoir vu le démon et l'avoir accueilli dans son établissement. On prenait des photos pour embarquer les corps ensuite. C'était le cadavre du jeune homme qui avait le plus choqué Amélie, elle tomba sur le sol inconsciente.
Une jeune femme se tenait debout derrière le bureau de la directrice, elle soupira en regardant les dossier des pensionnaires de l'établissements.
- La jeune fille a été étranglée et peut-être violée vu l'état de son vagin, pas de trace de semence, souffla t-elle pensive.
- Qu'est ce qui te prouve qu'elle a été violentée ? lui demanda un homme vêtu comme un prêtre.
- Les contusions sur son visage, les traces de strangulation, les dommages qu'a subi son organe génital et je ne te parle même pas de l'intérieur, tu ne vas pas me dire qu'elle s'est faite cela toute seule.
Le prêtre hocha la tête perplexe.
- L'autre, continua la jeune femme, s'appelait Thomas, la tête a été coupée pas arrachée, ce qui...
- Les yeux arrachés, compléta Amélie qui venait de se réveiller.
On l'avait installée sur le sofa, elle inspecta les lieux rapidement pour se rendre compte qu'elle se trouvait dans le bureau de feu la directrice. Ensuite elle examina le prêtre et la jeune femme. Elle se leva d'un bond pour s'incliner face à l'homme d'église.
- Mon Père, dit-elle.
- Vous êtes mademoiselle Amélie Rawkassie Anastass ? lui demanda la jeune femme.
Amélie acquiesça.
- Je suis la nouvelle directrice et voici Monsieur Bartholomé, le prêtre qui remplacera celui que vous n'avez jamais eu, je crois que ce choix s'impose vu les incidents de ces derniers temps.
- As tu vu les corps ? lui demanda doucement le prêtre.
- Oui, comme Aurélia et beaucoup d'autres, répondit Amélie.
- L'assassin a attaché les mains des deux cadavres pour les lier l'un à l'autre à l'aide d'une corde, comme pour les unir, symbole ou mysticisme ? Allez savoir, il ou elle ne laisse aucune empreinte, on dirait presque c'est un fantôme, analysait la nouvelle directrice.
Le prêtre regardait Amélie avec attention, ses yeux la transperçaient presque, comme si il voulait lire dans ses pensées, et si il le pouvait ? Amélie se sentit mal à l'aise.
- Puis-je m'en aller s'il vous plaît, pria t-elle.
- Oui, bien sûr, permit la nouvelle directrice.
Amélie s'élança vers la sortie, elle referma cependant la porte avec douceur.
- Je dois éplucher le dossier de tous les orphelins, fit la jeune femme, je trouverai bien une faille.
Elle leva soudain les yeux pour voir le prêtre en méditation.
- A quoi penses tu ? lui demanda t-elle.
- A cette enfant, il faut que je lui parles.
Amélie s'éloigna du bureau, il y avait cette présence malsaine qu'elle voudrait éviter de répandre dans tout l'établissement, mais elle réclamait sa liberté à présent.
Florent adorait les Pixies, "Wave of mutilation" était son titre préféré, lorsque la pression sur ses tempes le rendait fou, il mettait ce disque dans la salle de musique, il était seul et pensait à son ange. Il avait suivi Amélie jusqu'à la cabane où elle pénétra. Il fit de même sans ménagement, elle devait bien le haïr à présent, puisqu'il la trouva en larme.
- Amélie !
Elle sursauta et se tourna vers lui avec tristesse.
- C'est dégueulasse, chuchota t-elle.
Il fit un pas vers elle.
- Non ! Ne m'approche pas ! hurla Amélie.
Elle alla se réfugier dans un coin de la cabane, et s'asseya pour continuer à pleurer. Florent resta debout, immobile pendant quelques instant, ne sachant pas vraiment quoi faire pour la réconforter.
- Vas tu seulement cesser tous ces massacres ? demanda Amélie entre deux sanglots.
- Je ne sais pas, j'aimerais...
Amélie ne pouvait plus l'arrêter, elle en était consciente, la nuit où il s'était fait injecter ce poison dans les veines, cela avait réveillé la monstrueuse bête qui somnolait en lui, cette haine ineffable qui ne demandait qu'à se débarrasser de son handicap.
Florent s'approcha, il s'accroupit face à elle, tant de larmes en une si mauvaise journée ! Florent était tout d'un coup apprivoisé, il céda à un immonde caprice, il pleurait lui aussi.
- S'il te plaît mon ange, tu es ma seule porte pour le paradis. Je t'aime, gémissait-il.
Et devant tant d'absurdité que représentait cette scène apathique, voir mémorable, Amélie lui ouvrit ses bras, il s'y lotit. Avec elle, même faire l'amour devenait quelque chose de nouveau.
Il y eut encore deux autres cas similaires de meurtre, où les victimes étaient lacérées jusqu'à la démesure et liées l'une à l'autre dans une mort silencieuse. Un véritable chef d'oeuvre de boucherie moderne. Le corps des filles restaient à peu près reconnaissable, mise à part le fait que de vilaines contusions au cou venait altérer cette jeunesse, elles semblaient vieilles dans la mort, la langue pendante et les yeux hagards. Leur appareil génital souffrait le plus, l'assassin déformait la chair, atrophiait les parois, arrachait même quelques tissus. Les jeunes hommes, eux, avaient moins de chance (si l'on peut se permettre de le dire), ils avaient la tête défoncée par un objet lourd et leur tête était coupée.
Elle leur faisait du charme et les entraînait à la mort, elles le suivaient confiantes et séduites à la vengeance qui engendrait la tombe.
La nouvelle directrice avait beau augmenter la sécurité, instaurer des couvre-feux aberrants, rien n'y faisait. Elle s'en tapait la tête contre le mur, et exaspérait de ne pouvoir trouver un jour les véritables dossiers de certains orphelins, car elle avait découvert avec désarroi que certains étaient falsifiés. Pourquoi ?

Amélie affaiblie par les jours d'insomnie passés à s'inquiéter pour Florent et à avoir peur, se trouvait à la bibliothèque pour y déposer des bouquins comme à son habitude, mais cette fois ci, elle était enceinte et cela se voyait indécemment. La nouvelle directrice ne s'en inquiétait pas, elle l'avait accepté sans trop faire la moue, après tout qui s'inquièterait de savoir qu'un orphelin était heureux ou même ressentait quelques émotions ? On pensait qu'Amélie en était à son neuvième mois, mais cela faisait seulement quatre mois, quatre mois que l'orphelinat respirait enfin, car il n'y avait plus de massacres, quatre mois que la nouvelle directrice soignait ses nerfs à coup de café, car elle cherchait toujours les dossiers, et pour couronner le tout, l'ancienne directrice venait de décéder aujourd'hui, elle s'était ouvert les poignet avec sa propre dentition qui devait bien lui servir à quelque chose d'utile pour une fois.
Amélie rencontra sur son chemin le père Bartholomé, elle n'a cessé de le fuir depuis son arrivée, mais là, elle ne savait pas véritablement comment s'en sortir.
- Mon père ! fit-elle en baissant constamment les yeux.
- Oui, c'est moi, persifla ce dernier.
Elle souria.
- Que faites vous ici ? lui demanda t-elle.
- Je viens m'instruire et rêver comme tout le monde.
- Avez vous fait votre choix ?
- Oui, cela se nomme : Iniquité, répondit le prêtre en lui montrant le livre qu'il avait caché derrière sa soutane, c'est un illuminé nommé Saphir Valmond de Freyme. Il prétend connaître l'existence de deux puissances sur Terre : une qui régit le bien et une autre qui soustrait le mal. Il s'agirait de deux soeurs jumelles nées sous le signe astrologique du Lion, un 04 Août de plus, qui seraient chargées, l'une comme l'autre, de maintenir l'équilibre entre le bien et le mal, ce sont deux petites filles adorables d'apparence, l'une semble être brune et l'autre blonde.
Le prêtre vit le malaise s'installer sur le visage d'Amélie, elle blêmissait à vu d'oeil.
- Je... Je dois aller aux sanitaires, étouffa t-elle avant de s'éclipser totalement, le prêtre la regardait s'enfuir complètement satisfait et l'on le voyait à travers son sourire condescendant.
Amélie se précipita à la Chapelle, son ventre lui faisait très mal, elle glissa sur le sol carrelé et se traîna avec peine vers le choeur en sanglots, elle trouva la force de se mettre à genou devant la statue du Christ, crucifié, que l'on a rendu pitoyablement avilissant sur une croix en bois rappelant la froide conclusion de l'homme sur sa nature grotesque de bête gonflée de haine et de préjugés. Amélie se mit à prier, elle croyait que cela l'aiderait même si elle ne croyait plus en Dieu depuis l'âge de dix ans. Elle sentait soudain, le liquide chaud de la honte lui couler entre les cuisses, et la douleur avait repris. Amélie s'écroula sur le sol malgré elle, elle hurla parce que ses muscles se tendaient si fort qu'elle avait l'impression qu'on la compressait comme une boite de conserve, elle essaya de reprendre sa respiration et lorsqu'elle y parvint, elle poussa des hurlements, les larmes aux yeux.
- Pas maintenant ! S'il vous plaît ! Pas maintenant ! supplia t-elle.
Elle serra les cuisses très fort et attendit que l'on vienne lui porter secours, étendue sur le sol froid.
- Dorothée ! Dorothée ! Je t'en supplie, reviens ! chuchota t-elle.
Amélie sentit les lèvres chaudes de sa soeur sur sa joue, puis sa présence se fit moins sentir, elle était partie pour de bon.


Onzième

Le prêtre entra dans le bureau sans frapper, fier de lui, il allait pouvoir exposer sa théorie à sa partenaire, mais il la trouva plongée dans une lecture intensive. Il remarqua que le tableau qui était accroché au fond de la pièce, reposait sur le sol, déchiqueté furieusement, sans doute par une patience menée à bout. Le prêtre s'installa sur le canapé et attendit.
- Bonsoir Éric ! lui lança la nouvelle directrice qui venait de relever la tête de ses dossiers.
- Bonsoir !...
- Tu as vus, coupa t-elle, je les ai enfin trouvés, elle les avait bien mis à l'abri de nos interrogations.
Le prêtre lui lança le livre Iniquité.
- Tu veux savoir, je vais te raconter une belle histoire, commença t-il.
- Les fresques des Soeurs Lions m'ont déjà été enseignées.
- Connais tu réellement toute l'affaire ?
- On aurait omis de tout me révéler ? Enseigne moi donc "prêtre".
- C'est l'histoire de deux soeurs jumelles nées un 4 Août...
- Ce n'est qu'une simple hypothèse.
Il ne l'écouta pas.
- Il y avait une bourgeoise et sa soeur qui s'étaient unies à un démon pendant la domination d'un roi Hongrois sur la Transylvanie, mais il faut exclure le fait de ce que beaucoup de légendes prêtent à cette région et ces "vampires". Donc, la bourgeoise et sa soeur sous la protection du démon se sont enfuies pour échapper à une rébellion paysanne, elles étaient toutes deux enceintes. Elles accouchèrent le même jour, le même moment, de deux petites filles, la blonde devait être la réincarnation du bien par excellence et la petite brune était destinée au destin tragique d'être la réincarnation, une personnification vivante de la Grande Faucheuse. Elles étaient devenues en quelque sorte des gardiennes de la porte qui mène au salut ou l'errance perpétuelle sur Terre en tant qu'esprit. Le père, le démon géniteur de ses petites filles appartenait à ce que les Hongrois ont appelé "La roue des Gargouilles", étoile à cinq branches, cinq branches pour cinq gargouilles, cinq démons qui ont créé leur propre hiérarchie, ils se plaisaient à tourmenter les êtres humains, et voulaient copuler avec les femmes parce qu'ils les trouvaient puissantes, tant par leur innocence, leur beauté et leur cruauté, leur folie. Mais voila, comme dans toutes les histoires, ils n'étaient pas prêts pour l'amour. Le châtiment accordé au père des deux petites, qui s'était épris des deux soeurs, était la mort. Lors de la naissance des petites filles, il se produisit une effusion de sang dans la région, tous les "habitants de l'ombre" rendus fous par la naissance de tant de pouvoir, assassinèrent beaucoup de monde, y compris les soeurs bourgeoises et le démon qui essayait de protéger ses petites filles. A leur mort, un autre démon de la branche le remplaça, il s'occupa des deux petites filles. Le démon les élevait avec tant de cruauté qu'elles se retournèrent contre lui, la petite brune le tua pour protéger sa soeur trop innocente aux goûts du démon.
- Il est vrai que je n'ai eu vent de tout ceci, avoua la nouvelle directrice.
Le prêtre très satisfait continua son récit sans plus de frénésie.
- Les deux petites filles rendaient visite aux mourants et lorsque ceux ci n'avaient pas rendu leurs devoirs de bonté, c'était la visite importune de la petite brune vêtue de noire qu'ils recevaient. Cependant, tout bascula, car la petite mort s'écarta du droit chemin, elle prit goût aux massacres et commençait même à s'en prendre à des innocents, des jeunes en pleine forme, des femmes, des enfants... La petite innocente pour arrêter l'hécatombe, a emprisonné sa soeur dans son propre corps pour l'assagir.
Le prêtre reprit son souffle, son acolyte ne semblait plus aussi passionnée, elle devait connaître cette partie de l'histoire.
- La jeune Amélie Rawskassie Anastass est née le 04 Août 1960 d'après certains fichiers. Sa mère avait été une jeune prostituée qu'un riche Hongrois a épousé, elle n'était pas la mère naturelle d'Amélie. Le riche Hongrois est descendant de la famille Rawskassie An...
Elle s'immobilisa, un éclair lui avait traversé le crâne, elle venait de se rappeler d'une chose, Jade Rawskassie Anastass... La police a retrouvé la petite Amélie sur la route, elle a fait un long voyage pour venir ici, on l'a retrouvée sur la route, ce qui suppose qu'elle avait quelque chose d'important à régler dans un endroit précis, sinon pourquoi faire tout ce chemin de Hongrie jusqu'en France. Elle maîtrisait parfaitement le français, c'était une fille modèle avant de tomber enceinte.
- Et le père de l'enfant ? demanda le prêtre très impressionné.
- Florent Fredevillier est né lui aussi le 04 Août 1960, il a eu semble t-il une enfance malheureuse, voire hallucinante, pas d'ami, introverti, pas de sortie, plusieurs cicatrices sur le corps dues à des sévices corporels sévères, et si je te parlais de sa mère, tu deviendrais fou, les monstres que nous traquons te sembleront moins pervers.
Le prêtre se cala dans son fauteuil, ce qui signifiait qu'il était prêt à tout entendre.

Kei

Précédent - Suivant