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Ombres : II - Enfants des ombres (partie 2)

Sixième

Amélie se rendait ce matin à la petite chapelle de l'orphelinat. Elle regardait bien soigneusement autour d'elle avant de pénétrer dans le confessionnal.
Elle baissa la tête et ses longs cheveux blonds tombèrent sur son visage comme un rideau pour la cacher.
- Ah ! T'es là !
- Bonjour Dorothée, souffla Amélie.
- Salut, ça va ?
- Oui. Et toi ?
- Je suis allée hier soir au cinéma avec Florent, alors je crois que je vais très bien, répondit Dorothée.
Amélie se tut.
- La jalousie va t'étouffer si tu continues à te taire, se moqua Dorothée.
Amélie était profondément révoltée, mais elle voulait se contenir pour ne pas entrer dans le jeu de sa soeur.
- Il te bat, dit-elle calmement.
- Oui et cela ne regarde que moi. Mais il ne te touchera jamais si tu as peur que ça t'arrive, il ne pourra pas, je le tuerais avant.
- Ca devient absurde! Pourquoi me protèges tu autant ? demanda doucement Amélie.
- Sans le bien, le mal n'existe, il en est de même pour nous deux, tu me vois oeuvrer sans toi et toi sans moi ? C'est ta haine qui m'alimente.
- Je n'ai plus toute cette rancoeur.
- Parce que j'ai tout bouffé chérie, j'existe. La haine de Florent m'aime et si cela me permet de le garder, je le laisserai me violer comme une grosse truie, hurla Dorothée.
Amélie mit sa main devant sa bouche et fixa le vide au dessus d'elle, la chapelle résonnait encore de ces mots impropres. Les voûtes semblaient prendre plaisir à le répéter pour taquiner Amélie, elle était effrayée.
- Dorothée ?
...
- Dorothée ?
Elle était partie. Alors Amélie s'enfuit en courant de la petite chapelle, ses bouquins à la mains qu'elle devait rendre au plus vite à la bibliothèque de l'orphelinat.
Elle traversa lentement la cours les jambes électrisées, elle avait tellement entendu d'histoire sur Dieu, elle en avait peur, et la chapelle l'horrifiait, c'était un effort surhumain qu'elle faisait lorsqu'elle passait le seuil du lieu saint. Mais elle se sentait obligée d'y mettre les pieds, comme si cela pouvait lui enlever quelques responsabilités, comme si grâce à cela, quelque chose lui serait pardonné.
Amélie montait les marches des escaliers du bâtiment d'activités pour se rendre à la bibliothèque, à mi-chemin elle s'assit au rebord de la fenêtre et se mit à épier Florent comme elle avait toujours eu l'habitude de le faire. Elle le regardait s'amuser dans la cours avec ses camarades, elle aimait le voir heureux, elles avaient tout fait pour cela.
Il tourna lentement la tête vers le bâtiment d'activité conscient d'être observé, et leva les yeux à la fenêtre.
Amélie s'éloigna de la vitre, elle se leva et s'empressa d'aller à la bibliothèque, elle était rouge de honte d'avoir été prise sur le fait. Mais il l'arrêta, il avait été très rapide, il était essoufflé.
- Pourquoi tu es pressée ? Je te fais peur maintenant ? demanda t-il.
- Non, balbutia t-elle. J'étais seulement pressée de rendre mes livres.
Un joli sourire s'imprima sur le visage de Florent.
- Je t'accompagne.
Elle ne le repoussa pas.
Amélie rendit ses livres et alla les ranger, par simple politesse, à leur place. Florent était toujours à ses côtés, amusé comme toujours de ses gentillesses.
- Tu es sorti hier soir, commença t-elle sur un ton monocorde.
- Dorothée t'a tout raconté ? Je suis allé au cinéma...
- Pour la première fois, compléta t-elle.
- Oui, fit-il encore complètement excité par sa première sortie.
Amélie rangea le livre d'Orson Wells.
- Vous vous êtes...., elle laissa glisser un livre par inadvertance en voyant le poing menaçant que brandissait Florent sur elle. C'est Dorothée qui avait droit à ça, pas elle. Florent qui ne l'avait jamais vue si effrayée se radoucit aussitôt, sa main effleura la joue d'Amélie. Elle se baissa pour ramasser le livre qui lui avait échappé des mains, elle se redressa très vite de peur d'avoir à faire à une nouvelle attaque, qui ne serait pas ratée cette fois ci.
- Tu as peur que je te frappe ? lui demanda t-il attristé.
- Non, mentit-elle.
- Tu es si différente de ta soeur, je ne peux pas m'attaquer à un ange.
Elle était très flattée.
- Je sais ce que tu as vécu et si je peux t'aider à t'assagir, je le ferais, dit-elle rassurée à présent.
- C'est gentil, mais Dorothée m'aide déjà.
- Oh oui ! La thérapie de ma soeur, maugréa t-elle.
Le ton qu'elle avait pris amusa Florent.
- Pas besoin d'être jalouse, dit-il.
- Je ne le suis pas, répliqua Amélie sur le point d'exploser.
Il s'approcha d'elle. Amélie se sentait prise dans un tourbillon électrique, elle allait avoir une attaque, Florent se penchait doucement vers elle, vers ses lèvres sèches, elle s'était préparée à cette scène une centaine de fois, mais pas ici, cependant...
- Elle ne va pas aimer, lui chuchota t-elle lorsqu'il fut trop près de son visage.
Florent l'embrassa et c'était la première fois pour Amélie.


Septième

Le soir suivant, Amélie fit une chute par la fenêtre de sa chambre, elle était passée à travers la vitre. On s'était empressé sur son corps à moitié inerte. Elle avait été transportée à l'infirmerie d'urgence et le docteur avait été tiré de son lit. On s'était étonné que la petite Amélie puisse encore gigoter après un pareil atterrissage.
- Qui vous a poussé ? demanda rudement la directrice, très choquée qu'une chose pareil ait pu se produire dans son établissement.
- J'ai glissé Madame, cela paraît très stupide, mais je retournais me coucher après m'être rendue aux toilettes et comme il faisait noir, je n'ai pas aperçu le sac d'Églantine, mon pied l'a heurté et je suis ici à présent, raconta Amélie avec beaucoup de conviction.
La directrice soupira.
- Je leur dis toujours de ranger leurs chambres et ces jeunes sottes ne m'écoutent jamais, dit-elle en se tournant vers le docteur.
Florent s'était tout de suite rendu près d'Amélie en entendant l'un de ces camarades alerter les autres parce qu'une fille était passée par la fenêtre. La directrice ne l'avait pas encore remarqué, et pendant qu'elle pérorait avec le docteur de ses problèmes avec les orphelins qu'elle avait à charge, Florent s'approcha d'Amélie.
- Ca va ? chuchota t-il.
- Non, elle a essayé de me tuer.
- Qui ?
- Dorothée, elle... On s'est disputées.
Florent ouvrit la bouche, mais la directrice l'empoigna à ce moment.
- Qu'est ce que vous faites ici ? Retournez dans votre chambre. Il faut qu'elle se repose, gronda t-elle.
Florent s'en alla bien vite, il avait horreur de cette femme. Elle lui avait toujours fait peur, depuis le premier jour.
Plus tard dans la pénombre, Amélie entendit des sanglots.
- Pardon!
Puis plus rien.
Amélie scrutait l'obscurité pour essayer de l'apercevoir mais rien n'y fit.
- Dorothée! Je t'en supplie, n'aie plus peur de moi, reviens! Je t'aime, souffla Amélie avant de se mettre à geindre.


Huitième

Pendant plusieurs jours, l'orphelinat avait retrouvé son calme, Dorothée ne se manifestait plus (encore).
Mais le malheur arrivait à grands pas, ils étaient même plusieurs. Un jour, la directrice avait reçu dans son bureau leur visite ; trois hommes et une femme, tous vêtus de façon uniforme, ils se présentaient comme les scientifiques les plus important du pays. Très heureuse de recevoir cette visite opportune, (car la directrice ne vivait que pour et par l'orphelinat et ne voyait pas grand monde), elle émit le besoin de comprendre ce qui pouvait bien amené des scientifiques d'aussi grande renommée dans ce taudis que l'on souhaitait appeler « orphelinat » pour donner bonne conscience aux adultes de l'extérieur qui laissait ces enfants pourrir entres ces murs gorgés de sang des suicidés, des crève amours.
- Nous sommes ici dans le cadre d'une recherche scientifique sur l'hypnose. Grâce à cela, des milliers de personnes pourraient se souvenir de beaucoup de choses plus facilement, sans aucun risque, peut-être même sans avoir recours à l'hypnose directement, commença la jeune femme qui semblait avoir beaucoup plus d'autorité que les trois autres, ce qui emplit la directrice d'une admiration naissante envers cette créature froide, cette dominatrice. Les hommes restaient derrière elle, immobiles, n'attendant qu'un signe de sa part pour lui nettoyer ses souliers avec leur langue.
Cependant, la directrice n'était pas encore dupe, elle savait que cette femme et ces hommes lui mentaient, c'était encore une de ces expériences pour le compte du gouvernement, quoi de plus économique que de tester toutes sortes de saletés sur des enfants dont personne ne se soucie.
- Nous allons l'expérimenter sur l'un de vos enfants, après tout, qu'est ce qu'un orphelin ? Sinon une bouche à nourrir de plus, continua l'assistante, qui avait bien l'air d'être la patronne de l'équipe.
Un des hommes fit glisser une somme intéressante sur le bureau en sapajou. La directrice souris, laissant paraître ses dents jaunies par le tabac.
- Si vous y tenez. J'ai... J'ai peut-être quelqu'un qui fera très bien l'affaire, leur dit-elle.
La femme en face d'elle hocha la tête, l'air satisfaite, elle avait de toute façon cette expression en passant le pas de la porte du bureau. Ce pourrait-il qu'elle ait prémédité d'avance la coopération passive de la directrice ?


Neuvième

Le soir même, alors que tous les orphelins étaient plongés dans un profond sommeil, quatre ombres se découpaient sur le mur du dortoir des garçons. Ils emmenaient Florent à moitié endormi dans le bureau de la directrice.
- Z'êtes sûr qu'elle veut me voir ? Il est vachement tard, fit Florent tout endormi.
- Absolument, lui répondit un des hommes.
Ils le firent entrer sans employer la force. Florent vit la directrice se lever de derrière son bureau, puis il aperçut tout cet attirail de métal, des outils tranchants de l'infirmerie. Florent paniqua.
- C'est quoi ce merdier ? demanda t-il, complètement bien réveillé par la méfiance.
- Étude du cerveau, répondit le troisième homme.
Florent fronça les sourcils.
- Vous voulez m'ouvrir le crâne ?
- Non monsieur Fredevillier, non, rassura l'assistante, nous allons seulement essayer de contrôler votre capacité de penser, vos facultés mentales. Nous allons tester vos rêves, mentit-elle.
- Vous allez m'ouvrir ! s'entêta Florent, très méfiant sur la présence de ces objets de tortures posés soigneusement sur le bureau de la directrice, qui avait déjà tout l'air de sortir d'un film d'horreur, et qui de plus lui souriait derrière son bureau, bon dieu ! Ce que la lueur de l'ampoule pouvait lui être défavorable.
- Non, seulement vous faire dormir pendant quelques instants et essayer de lire vos rêves pour voir si iles sont assez équilibrés, expliqua calmement l'assistante.
- Comment vous allez faire ça ? demanda Florent qui n'était pas encore convaincu.
Le premier homme lui désigna une machine que Florent n'avait jamais vue encore jusqu'à ce soir.
- Ceci est un électroencéphalogramme, et l'aiguille que vous voyez ici, fit-il, permet de lire les activités de votre cerveau.
Florent le regardait sceptique.
- Du baratin, je veux retourner au lit, décida Florent.
- Si vous coopérer avec nous, vous aurez ce que vous voulez, insista l'assistante.
- D'une manière ou d'une autre, fit le troisième homme.
Florent n'avait pas bronché à l'annonce de cette menace, toutes les souffrances valent mieux que ce qu'il avait déjà vécu, mais il voyait là un échappatoire.
- Je voudrais partir de l'orphelinat, avec Amélie, ce n'est pas un endroit pour nous, nous voulons vivre et aux frais de ceux qui nous ont lâché dans cet enfer infantile.
La directrice cherchait à s'imposer mais l'assistante lui coupa l'herbe sous le pied.
- Accordé!
Florent remonta sa manche de pyjama et offrait la saignée de son bras à l'un des hommes qui se trouvaient à ses côtés.
- Vous semblez très intelligent pour un enfant échu dans cet endroit, fit remarquer l'assistante, alors que le bourreau faisait son office sur l'adolescent.
- Asseyez vous là, dit un autre acolyte en désignant la chaise près du bureau et de la table de torture.
Florent lui obéit.
- Détendez vous, souffla l'homme.
Florent prenait une profonde respiration, il savait que s'était une erreur de faire ça, mais si il y avait un exutoire pour lui et son Amélie, il était prêt. Il avait juste peur de mourir alors qu'elle et sa soeur s'étaient sacrifiées pour le ramener à la vie. Et doucement, pris de vertiges à l'intérieur de lui même, Florent plongea dans le sommeil du poison qu'on venait de lui administrer, il avait peur, cet endroit lui était familier, il était revenu en arrière dans un cauchemar qu'il ne voulait plus voir réapparaître un jour.
L'assistante se tourna vers la directrice.
- Comment se nomme l'orphelin ? lui demanda t-elle.
- Florent Fredevillier, répondit la directrice impatiente de voir les résultats mais perplexe quand aux conditions de l'expérience.
L'assistante s'approcha de Florent, elle l'examina soigneusement pour vérifier qu'il était vraiment endormi.
- Florent ? commença t-elle d'une voix calme et apaisante que la directrice se surprit à entendre de sa bouche.
- Florent, où te trouves tu ?
- A l'école, répondit une petite voix timide et fluette, ce qui impressionna carrément la directrice, elle faillit s'édenter.
- Quel âge as-tu ? continua l'assistante.
- Cinq ans.
L'assistante se redressa légèrement et se tourna vers ses serviteurs.
- Il est retourné de sa propre initiative à un moment précis de sa vie, c'est plutôt aberrant, constata t-elle impressionnée.
Florent l'attendait à la sortie de l'école maternelle, sa maîtresse désespérait de la voir venir dans une de ses tenues inconvenantes et extravagantes, elle avait des cernes presque rouges sous les yeux, des bleus au mollet, des bas éventrés qui ne ressemblaient plus à grand chose. Elle ne disait rien à personne, même pas un salut, elle empoigna le petit Florent devant tous les autres parents comme un paquet de linge sale, ils le plaignaient, mais personne ne venait l'aider, ils lui tournaient le dos.
Florent voulait juste qu'on l'aide, juste un peu de compassion dans ces quelques regards.
Florent se rappelait comment il se cachait dans sa chambre espérant se faire oublier par cette folle; sa propre mère. Quelques fois, cela marchait et parfois non, c'était cela le cycle de la fatalité. Il savait que l'amour que sa mère lui portait n'était pas normal, on ne lui avait pas dit, mais il le savait.
- Florent ! Viens te lave r! criait-elle du bout du couloir vicier.
Il se souvenait de ses pas lents et indécis qui l'entraînaient au malaise. Sa petite forme apparaissait au seuil de la salle de bain. Elle fumait sa cigarette si maladroitement, ce qui lui accordait une ressemblance vaseuse avec une mauvaise actrice de cinéma. Lorsqu'elle le vit, elle jeta son mégot dans le lavabo.
- Déshabille toi et viens ! lâcha t-elle.
Le petit garçon lui obéissait de peur de prendre des coups de ceinture sur son corps frêle, cette ceinture ornée de petits de coeurs en fer qu'il méprisait autant que sa mère.
Il avait cinq ans mais savait ce que c'était la répugnance. Il se mit debout dans la baignoire froide et Fabienne commençait à le nettoyer avec le gant, elle le frottait vivement et perdit petit à petit le fil, c'était des caresses à présent. Florent se sentait mal à l'aise comme les autres fois depuis qu'il avait quatre ans, ou peut-être depuis toujours.
- Maman, je veux aller au lit !
Elle ne l'écoutait pas.
- Maman ?!
Fabienne referma le gant sur son pénis, ce qui la faisait bien rire et lorsqu'elle riait, Florent avait peur.
- Maman ! Arrête ! J'ai mal ! Maman !
La porte se referma violemment sur les cris, les pleurs de ce pauvre enfant, et les éclats de rire de sa mère.

Dans une réalité plus proche, Florent s'agitait sur sa chaise, l'assistante avait ordonné qu'on le maintienne en place.
- Florent ! Que fait t-elle ? s'empressa t-elle.
- L'aiguille va beaucoup trop vite, informa un des acolytes, il faut le calmer.
- Florent ! Florent !...
Sa voix se perdait au fond d'un rêve cruel amorcé par le poison, et les enfants se rappelaient ...
***
Les voûtes étaient noires, et renvoyaient les cris d'une jeune femme qui se disputait fortement avec un homme à la voix bourrue. La petite Amélie ouvrait les lourdes portes de la demeure, elle avait tant de force pour une aussi petite fille de son âge. L'homme s'était jeté au cou de la jeune femme, elle étrangla un hurlement, il l'agrippait avec ses mains, ses doigts de pirates, il l'étrangla, elle se débattait avec courage.
- Mère! cria Amélie en voyant le précieux liquide rouge se répandre sur ses lèvres saintes. Elle se précipita vers le pauvre corps, mais la tête de celui ci roulait déjà à ses petits pieds. L'homme se tourna ensuite vers elle, plein d'agressivité, il attrapa violemment Amélie.
- Père ! Vous l'avez tuée, hurla t-elle.
Il l'emmena au fond de la vaste demeure, et l'enferma dans une petite pièce. Elle se retrouva seule pour continuer à pleurer pour sa douce mère qui venait de la quitter. Lorsqu'elle avait fini de s'apitoyer, la petite Amélie se retourna, elle vit l'horreur; La tête de la défunte la contemplait horrifiée. Amélie hurla sans cesser.

***
On lui avait injecté une petite dose de tranquillisant, on s'inquiétait seulement parce qu'on se demandait si le tranquillisant allait dissipé les effets du poison. Florent s'était calmé à présent.
- Florent ! Où es tu à présent ? reprit l'assistante galvanisée.
- Chez moi, sur mon lit.
- Quel âge as-tu ?
- Neuf ans...
Fabienne Fredevillier avait alimenté la haine de son fils envers les femmes, les adultes, il ne voulait plus grandir, et ne croyait pas aux contes de fées qu'on lui assénait à l'école, il voulait bien, par contre, croire en l'existence des sorcières, toutes les femmes étaient laides, toutes des vieilles folles, avec un nez crochu et une âme pestilentielle. Florent se cachait toujours d'elle comme essayaient de le faire Hansel et Gretel, il voulait que cette folle l'oublie, mais cela ne fonctionnait pratiquement jamais. Maintenant, elle venait jusque dans sa chambre pour le battre lorsqu'il ne répondait pas ou lorsqu'il n'obéissait pas. Elle aimait beaucoup cette satanée ceinture en cuir ornée de petits coeurs, elle prouvait ainsi son amour démesurément cinglant et radicalement violent à son fils. Florent préférait de loin les coups qu'elle lui infligeait plutôt que ces attouchements désordonnés, qui lui faisaient mal au coeur, mal au corps, mal à l'âme. Fabienne le tripotait comme si il était déjà grand, elle mettait sa bouche où il ne fallait pas.
Ce jour là, ce fameux jour, Florent était couché sur son lit, les poings serré et les yeux mouillés, elle le caressait tout en lui parlant, elle l'appelait toujours Fabrice - Non Maman! Je suis Florent, arrête! Je suis ton fils - Florent se sentait constamment sale, il ne pouvait pas prendre de douche ou de bain sans la permission de sa mère ou sans qu'elle le fasse elle-même. Il avait des nausées fréquentes et la colère le consumait littéralement. Cet amour là, il le savait bien, n'était pas admis, ni même normal.
Florent avait le ventre serré, elle poussait des gémissements en masturbant la masse de chair au bas ventre qui se formait déjà. Florent fermait les yeux, répugné. Fabienne lui donnait le tournis, et ce poids sur lui c'était trop, il avait mal, elle sautait sur lui en scandant le nom du fameux Fabrice à tout bout de champ.

Dans le bureau de la directrice, Florent s'agrippait à la chaise, on le maintenait encore, la directrice s'était éloignée, fascinée, mais tout aussi mal à l'aise. La tension de Florent montait, l'aiguille de l'encéphalogramme s'affolait.
- Madame ! fit un sbire aux côtés de l'assistante.
- On laisse continuer, cingla t-elle.
***
Dorothée courait à en perdre haleine dans les couloirs de cette immense demeure, elle essayait de distancer son père, fou de rage qui voulait l'attraper. Il essayait de lui faire avaler des mélanges insipides, méphitiques, il les séquestrait, elle et sa soeur. La demeure depuis la mort de leur mère avait des airs de morte vivante, ses organes se laissaient corroder par la douleur, la peine, ses viscères tombaient quelques fois sur le sol poussiéreux, la demeure émanait aussi une odeur de mort alors méconnue des vivants, et c'était ici que le propriétaire voulait y faire mourir ses deux petites filles, qui n'étaient pas véritablement les siennes...
- Dorothée! hurlait l'homme au travers des escaliers.
- Tu ne toucheras pas à mon Amélie.
- Amélie ! Je veux Amélie !
Dorothée avait pris la direction d'un autre couloir, lorsqu'il la rattrapa.
- Lâche moi ! hurla t-elle, et ces yeux si innocent se transformèrent en braises ardentes, il l'a secoua, la rudoya, la gifla gravement, un filet de sang se glissa au coin de sa mignonne petite bouche.
Dorothée se libéra après s'être débattue courageusement, elle agrippa un buste posé sur une petite colonne et frappa à la tête son « père », si violemment qu'il s'effondra.
- Toi, tu vas aller rejoindre ton véritable monde ! cria t-elle subjuguée par tant de violence.
Elle se précipita vers le mur où son « père » accrochait tout un tas d'armes blanches, elle y décrocha une hache, sans vraiment savoir ce qu'elle attrapait, puis elle revint vers son « père » et leva l'arme pour l'abattre de sang froid sur lui. Le sang s'éparpilla sur le sol, les murs et sur Dorothée en un millier de rubis.
Dorothée frémissait d'un plaisir qui lui était encore inconnu, elle lâcha l'arme le sourire aux lèvres, puis d'un coup, retrouva son calme et comme si de rien n'était, elle se remit en marche à travers le couloir tout heureuse d'avoir accompli une bonne action.
Puis à fur et à mesure de ses pas, elle entendit, comme une note de musique lointaine, une voix qu'elle reconnaissait bien et qui lui faisait peur, elle jeta alors de bref coups d'oeil derrière elle, et la voix se rapprocha. Dorothée se mit à courir, elle alla se réfugier dans une des nombreuses chambres de la demeure, elle s'enferma et attendit prise de spasmes, que la voix se taise. D'un seul coup, elle se rendit compte qu'elle n'était jamais entrée dans cette chambre, qu'elle était plus grande que toutes les autres et beaucoup plus sombre. C'était peut-être même l'endroit le plus triste de toute la demeure. Dorothée leva le nez sur le portrait le plus raffiné qu'elle ait jamais vu, c'était le portrait d'une grande demoiselle, une fille, au visage fin que des cheveux longs magnifiques ornaient de leur air sombre, elle avait des tâches de rousseur sous les yeux, cette fille semblait avec toutes les peines du monde s'efforcer de sourire.
Ce portrait était si familier à Dorothée, cette fille lui inspirait plus que de la confiance. La petite s'approcha du tableau, mais s'arrêta écoeurer, une énorme bestiole rampait sur le cadre, une deuxième, puis un autre, et sortant de nulle part, des centaines de bêtes infectèrent la pièce, Dorothée en avait une sainte horreur, elle essaya de ne pas céder à la panique, ce serait trop facile. Elle se dirigea vers la porte de sortie, avec l'envie de vomir car elle sentait ces satanées bestioles lui ramper dessus. Elle attrapa la poignée de la porte et essaya de l'ouvrir. IMPOSSIBLE! Elle s'énerva sur la poignée, mais un énorme serpent qui glissait tout le long de la porte la fit reculer, elle trébucha, sans doute sur une de ces choses visqueuses et plongea dans cette rivière mouvante, elle hurla à s'en égorger.

Dorothée sursauta, elle se réveilla d'un sommeil agité, en sueurs, elle reprenait ses esprits pour s'apercevoir qu'elle n'était plus dans cette chambre cauchemardesque. Elle contrôla sa respiration avant de se glisser hors de son lit prête à trouver la personne qui la forçait à se rappeler.
***
Fabienne se releva, satisfaite, elle venait encore d'assassiner son enfant, s'en rendait-elle vraiment compte ?
Florent ne pouvait plus bouger comme à chaque fois, il culpabilisait, peut-être qu'elle était comme ça par sa faute, mais il ne voyait vraiment pas, en ce moment, il voulait se rendre aux toilettes pour vomir, vomir son coeur.
- T'es un bon garçon ! lança Fabienne sans regarder son fils.
Elle rabaissa ensuite sa jupe et s'extirpa de la chambre. Florent bougea, d'abord lentement puis il remonta son pantalon encore très secoué, il avait très mal, et c'était de sa faute à elle, pas de la sienne. Ce ne pouvait pas être sa mère, une mère ne fait pas ça à son enfant, cette femme était une usurpatrice. Florent prit dans ses bras son ours en peluche; Comanche, et se rendit au salon. Sa mère prenait l'air, accoudée à la fenêtre, elle tournait le dos à Florent, alors celui ci eu une idée, elle était mauvaise, mais il voulait que son ventre arrête de lui faire autant souffrir, il n'aimait pas ça. Le petit ange fonçait droit sur elle avec Comanche sans plus réfléchir.

Dorothée se posta devant la fenêtre du bureau de la directrice, elle rageait tellement que son nez lui fit faux bond et sanglota des stalactites rouges. L'aiguille de l'encéphalogramme s'affola, elle se décrocha pour aller se loger dans l'oeil droit de l'assistante qui émit un cri aigu en se dépêchant d'arrêter une hémorragie naissante. La machine explosa, des morceaux s'éparpillèrent dans la salle mettant le feu aux rideaux, ils s'affolèrent tous.
L'assistante qui se trouvait près de Florent abandonna ses cris de douleurs pour se concentrer sur ce qu'elle apercevait. Elle vit le poison injecté à Florent s'enfuir des veines de celui ci par où on l'avait fait entrer.
Florent toussa, il pleurait, il avait mal partout et se tortillait comme un enfant qui avait mal au ventre, il s'arrêta ensuite, agité par quelques tremblements. L'ampoule éclata. La directrice poussa un cri terrible, elle se réfugia derrière son bureau parce que deux points verts lumineux dans la pénombre la fixaient obstinément, méchamment.

Kei

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