D, comme ... : 03 - Destinées

I am not like I was before
I thought that nothing would change me
I was not listening anymore
Still you continued to affect me.

"Feel So Different", I do not want what I haven't got, Sinead O'Connor.


Un endroit obscur dans le Nevada, Novembre 1991, Lever du Soleil.

Autour de lui se développait un léger brouillard, il avait froid. Le Soleil était en train d'apparaître, le cocon de son corps était en train de se transformer en un carcan de douleur. Pourquoi lui ? Il aurait dû mourir depuis longtemps. Pourquoi ici, à l'extérieur ? Il avait froid. Il sentit que l'on s'approchait de lui mais il ne voyait pas les personnes qui se trouvaient autour de lui. Qu'est-ce que cela signifiait ?

« Nous y voilà, Adam StClaire, je peux faire quelque chose pour toi, mais il faut que tu le veuilles » dit la voix étrange et noble qu'il avait déjà entendue lorsqu'il avait finalement perdu conscience dans la rue où les autres l'avaient rattrapé.

Il savait que ce qu'il avait senti alors ne pouvait signifier qu'une chose, si sa colonne vertébrale était réellement brisée alors personne ne pourrait rien faire pour lui.

« Je vais te faire une proposition assez simple. Il te suffira de hocher la tête pour la valider. Je sais que tu auras terriblement mal en faisant cela mais je n'ai pas d'autre moyen de t'amener à prouver ta possible détermination » continua l'homme sans pour autant apparaître dans son champ de vision.

Il y eut un silence lourd.

« Je peux te redonner l'usage de ton corps et même en faire un outil bien plus efficace que jamais, toutefois, il faudra que tu fasses une action pour moi. Tu devras tuer une créature ignoble. Tu auras du temps pour te préparer à cet affrontement et je t'aiderai à comprendre tes nouvelles possibilités mais rien ne devra te détourner de ton devoir. »

C'était un contrat assez simple et c'était cela ou mourir, Adam n'avait pas vraiment de choix.

« Je veux aussi te préciser que si tu comptes rompre un jour ou l'autre ton contrat, je reprendrai ce que je te donnerai. J'aurai ce pouvoir tant que tu n'auras pas payé ta dette. »

L'homme fit une nouvelle pause.

« Pour les explications et les réponses aux questions que tu te poses, tu devras accepter avant toute chose. Tu as exactement cinq minutes pour te décider, lorsque le soleil sera visible au dessus des arbres, je ne serai plus en mesure de faire quoi que ce soit pour toi. »

Il cria, il pensait qu'il ne pourrait plus jamais ressentir une douleur, ni même parler tellement la mort était proche, malheureusement il avait tord et à ce moment là, ça le réconforta.

Et il hocha la tête.


Chicago, 10 Octobre 2004, East Side, à la limite des territoires.

Adam regardait le soleil se lever sur un no-man's land entre le territoire des HardLiving et celui des DeathAngels, c'était un terrain vague. Il y avait eu là une école dans des temps anciens. Quelle importance, maintenant c'était un front de guerre, que même les forces d'intervention anti-gang évitaient avec soin. Son manteau de cuir claquait lentement au gré du vent, rien ne bougeait.

Pour lui, il y avait les guetteurs de chacun des camps, ils étaient là à attendre. Il y avait aussi les esclaves, les mômes qui servaient de vendeurs, des mômes comme il l'avait été, peut-être un peu plus jeunes. Il y avait aussi les filles qui bossaient sur le terrain, elles n'allaient pas tarder à faire le « grand tour ». Une expression qui signifiait faire le tour des bars pour payer leurs mac'. Il avait bien l'intention de foutre un peu le souk dans ces petites habitudes.

Décapiter l'un des Dragons était une bonne solution pour que l'autre attaque et ça ne manquerait certainement pas. Il y avait d'ailleurs une agitation anormale du coté des DeathAngels. Les Autres, c'était eux, ceux qui se trouvait de l'autre côté de la limite des territoires. C'était eux qui l'avaient tué, qui l'avaient maudit. Et ils devaient payer. Pas ceux qui lui avaient directement tapé dessus, eux n'était que des pions. Ce qu'il voulait, c'était la tête du Dragon, les vrais responsables.

Il se décida enfin à bouger, le soleil venait de passer au-dessus des murs. Il fit une chose que personne d'autre n'aurait faite, pour rien au monde. Il traversa simplement la limite comme si de rien n'était, comme on traverse une rue comme les autres. Il sait qu'aucun des guetteurs n'engagera les hostilités. Pour ne pas mourir, il fallait rester discret. Il était évident que le premier qui tirerait provoquerait une réaction en chaîne qui se terminerait invariablement par la mort de l'intégralité des guetteurs. C'était une forme de statu quo tacite que connaissait parfaitement StClaire. Il savait qu'il ne prenait que peu de risques puisque personne ne transgresserait cet interdit.

Les enfants-démons qui vendaient la drogue sur les bords du terrain vague le regardèrent passer, l'air abasourdi, comme si ce n'était pas possible et qu'ils rêvaient. StClaire continua son chemin, un léger sourire accroché aux lèvres. Il savait, ou imaginait, qu'il provoquait la peur parmi les personnes qui l'entouraient. Il avait brisé la terrible loi des Dragons.

Il avançait parmi les rues sans avoir besoin de chercher son chemin. Il connaissait ce territoire là aussi comme sa poche. Les chemins qu'il avait si souvent utilisés pour s'enfuir lui revenaient en mémoire. Ces moments d'excitation auprès de Marty, lorsqu'ils fuyaient les Autres sur leur propre territoire. Ils prenaient beaucoup de risques à l'époque, juste pour prouver leur valeur aux chefs du gang.

Maintenant, il se trouvait devant le quartier général. Il allait finir le travail, effacer enfin les douleurs de son passé. Le premier garde ne comprit pas ce qui se passait quand la balle de Chacal traversa son gilet pare-balle pour finir sa course dans le mur derrière lui. Adam sentit monter l'excitation la plus puissante, cette haine violente qui lui permettait d'affronter les larves de la Mère. Il allait y avoir un massacre, et il ne pourrait certainement pas s'arrêter avant que tout soit fini. Un maelstrom de violence et de sang remplaça sa conscience.

Lorsqu'il revint à lui, les corps l'entouraient, le seul survivant était une gamine, d'une quinzaine d'années. Elle le regardait en pleurant, le canon de Miséricorde, encore fumant à moins de dix centimètres du visage.

« Tu as de la famille ? » demanda-t-il.

Elle ne put répondre autrement qu'en secouant la tête négativement.

« Ok, lève-toi, suis-moi si tu veux. Je ne suis jamais capable de me contrôler. C'est de ma faute, je vais t'aider temporairement », continua-t-il.

Il se rendit compte que c'était incohérent. Il se demanda s'il arriverait à rester un humain jusqu'à la fin de sa mission, jusqu'à sa libération.

Il refit son voyage meurtrier dans le sens inverse. Des cadavres tapissaient l'endroit. C'était la première fois qu'il perdait le contrôle aussi longtemps, la folie des Déchus approchait, c'était sa croix. Mais il devait s'en sortir. Il le devait, au moins pour Marty, pour lui dire qu'il avait été vengé.

Il regardait le visage d'un jeune garçon, douze ou treize ans, les larmes aux yeux, un couteau à la main, qui venait d'apparaître devant lui.

« Je vais te planter, tu vas crever salopard », cria-t-il dans un sanglot.

Adam tourna la tête et regarda le corps près du mur. Il en sortait un sang noir qui n'avait rien d'humain. Le visage du jeune homme était encore intact après le passage de Chacal et de Miséricorde, il ressemblait à l'enfant. Et il comprit, enfin, pourquoi Luc l'avait choisi, il comprit que le deuxième Dragon était dirigé par la Mère. Le corps qui gisait là était une Larve. Il regardait le garçon avec un regard plus intense. Il n'avait pas les symptômes. Il pointa le canon de Chacal vers son visage.

« Je crois que tu ne comprendras certainement pas la raison qui m'a fait faire le ménage ici. », commença-t-il, « Je viens à peine de le comprendre moi-même. »

Il fit une pause et comprit que ça ne suffirait certainement pas. Menacer un mort, ça ne suffit pas à le faire revenir à la vie.

« Maintenant, écoute-moi. Crois-tu en Dieu ? » finit-il par dire.

Le garçon fut surpris.

« Alors regarde... », dit-il finalement.

Le garçon lâcha son couteau et tomba à genou.