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D, comme ... : 02 - Devoir

The rain auditions at my windows,
its symphony echoes in my womb,
My gaze scans the walls of this apartment,
to rectify the confines of my tomb.


"The Web", Script for a Jester's Tear, Marillion.


Chicago, 10 Octobre 2004, Middle Street, 13 ans plus tard.

Il regardait la porte maintenant, la porte d'un hôtel particulier qui devait avoir eu une époque de splendeur pendant les années 80. C'était une ruine. Le temps faisait toujours des dégâts, il fait changer les choses et les gens... Sauf exception...

Il avait un devoir, un très difficile devoir, trop lourd même. Il pensa qu'il n'était pas encore assez mûr pour ça. Il soupira et se dit finalement qu'il ne serait jamais prêt pour cela. Il n'avait pas vraiment le choix de toute façon. C'était suivre la destinée ou... En fait, il n'avait pas de choix du tout. La porte qui barrait son passage était une vieillerie qui avait subi trop de choses pour poser des problèmes. Dans son pardessus de cuir, les deux calibres étaient froids, il n'était pas encore assez excité pour répandre leur chaleur.

Ces mains glissèrent sous le vêtement, effleurant les crosses de bois précieux et faisant sauter les attaches de sécurité des holsters. Ils s'appelaient Chacal, en référence à une série animée japonaise, et Miséricorde, car c'était ce qu'il apportait. Il appliqua une poussée violente du pied sur le bois de la porte qui craqua, trop vermoulue pour résister à sa force inhumaine.


Action.

Il avança dans un grand hall de marbre, un grand hall froid, défraîchi où des morceaux de plafond avaient fracassé les décorations rococo qui traînaient encore sur les murs lézardés. A sa droite se situait l'accueil. Un ghetto-blaster était en train de débiter un rap ridicule dans un fond de crachotement qui rendait les paroles indistinctes et incompréhensibles. Personne, ce n'était pas étonnant. Au fond de la pièce un double escalier montait vers une mezzanine qui donnait sur une porte à double battant. Il ne put que respirer à fond, il les sentait, ils étaient là à l'attendre.

D'une porte de service, un homme sortit en hurlant des insanités, un shotgun à la main. Chacal, un. Sa tête se détacha de son corps dans une gerbe de sang, il tomba vers l'avant à son pas suivant. Elle les a laissés seuls, ce ne sont encore que des larves, pas des créatures qui se défendaient réellement. En voilà une deuxième, qui poussait la porte du premier. Non, Ils étaient deux. Il avait horreur de ça, tirer sur des enfants, une fille et un garçon. Enfin, il tenta de se souvenir que c'était des enfants mais avant l'incarna. Miséricorde, deux, trois... Il eut l'impression que ses mains bougeaient seules ou que c'était les armes qui le guidaient. Mais son coeur était gelé, il se refroidit encore quand il vit leurs corps partir en morceaux. Il était comme hors de lui-même. Il espérait que Ceux qui Jugeaient, comprendraient. C'était son devoir.

Encore quelques pas, pour être bien au milieu du bâtiment. Il posa le paquet sur le sol et régla la minuterie. Douze secondes... Une fois que le détonateur fut enclenché, il se mit à courir vers la sortie. Sans regarder en arrière. Bientôt, il n'y aurait plus d'ici, mais sa mission ne serait pas terminée. La Mère n'était pas là. Elle avait dû prévoir son arrivée et partir en laissant ses larves sur place. C'était lassant cette partie de cache-crash.

Il pensa que personne ne comprendrait encore ce qu'il venait de faire. Il savait que personne ne croirait ses explications. Personne ne savait que les démons étaient présents. Il fallait leur montrer que c'était une réalité. Mais, malgré les preuves, personne ne croyait jamais la sordide vérité. On le prenait simplement pour un psychopathe. Peu lui importait, c'était son destin, son devoir, peut-être même son salut. Il le ferait donc jusqu'au bout, voilà tout.

Il sentit la chaleur qui se dégageait du bâtiment derrière lui. Il avait parcouru trop de distance en douze secondes. Lorsqu'il roula sur le sol, il se posait encore la même question. Pourquoi avait-il autant changé depuis sa "mort" ? Il ne voulait plus entendre les voix des juges, ceux qui disait : "vous êtes bien entraîné" ou encore "vous savez parfaitement ce que vous faites". S'il y avait bien une chose qu'il ne savait pas, c'était pourquoi il était plus qu'un humain. Il avait été élevé par un Déchu, c'était peut-être une raison. Mais comme tout le reste, ça n'expliquait pas tout.

Bien des gens pensaient que les démons ne devaient pas avoir d'état d'âme. Lui, il ne l'était qu'à moitié, mais il avait tellement de choses qui lui traînaient dans la tête qu'il avait du mal à savoir où il en était. Il était avant tout un humain. Et les humains ont des scrupules. Il avait maintenant 22 ans, et était devenu un assassin professionnel, tellement efficace qu'aucune de ses victimes n'avait jamais eu une chance de survivre. Il n'était pourtant pas insensible, les visages des innocents pervertis par la Mère hanteraient à jamais ses rêves.

Il resta allongé un moment, attendant que les langues de flamme qui s'échappaient du bâtiment ne soient plus dangereuses. Il soupira, laissant repasser ses souvenirs de combattant dans son esprit. Il devait faire un pèlerinage dans cette belle ville de Chicago, avant de reprendre la chasse. Il devait aussi faire un peu de ménage sur les lieux de sa mort. Il ne voulait pas que ça arrive à d'autres. Il se releva, épousseta son pardessus et tourna à gauche en bas des escaliers comme si de rien n'était. Au loin des sirènes de pompier s'approchaient déjà. Ce n'était pas important, c'était déjà trop tard.

Il passa devant un distributeur de journaux et laissa glisser une pièce dans la fente. Le canard racontait en page 4 la mort d'un adolescent dans une ruelle de l'East Side. Une mort sans intérêt, une mort de plus, comme la sienne. East Side, ce serait un début pour retrouver ses racines, se dit-il en laissant tomber le journal dans une poubelle.


Chicago, 10 Octobre 2004, East Side.

Il passa près de la grande porte métallique, les marques du gang étaient toujours là. Il poussa la porte sans se soucier des possibles problèmes qu'il allait inévitablement rencontrer.

« Qu'est ce tu veux ? » cria un gamin installé dans une chaise à l'autre bout de l'Antichambre, comme ils l'appelaient à son époque. Maintenant, il savait ce que voulait dire ce mot. Il n'y avait pas besoin de faire un dessin, ce môme devait avoir un calibre planqué dans le bureau qui était devant lui. On avait fait comme d'habitude, un boulot pénard pour tester le bonhomme et on l'envoie ensuite sur le front.

« Je viens voir Santos. De la part d'Adam », dit-il simplement en prononçant son prénom à la française comme avait l'habitude de le faire le Cajun qui servait de chef au gang des DarkLiving. Le gosse le regarda de travers, mais il avait un doute, il ne fit pas d'impair, il décrocha simplement le téléphone.

« Y'a un certain Adam pour Santos. Je fais quoi ? »

Adam sourit, il y eut un blanc. Il sut que c'était le moment. Le môme venait de réagir, il se retrouva avec Chacal sous le nez à une telle vitesse qu'il en tomba de sa chaise. Il saisit le téléphone.

« Tu me dois une vie, Master Yoda, tu pourrais au moins m'offrir le thé ! »

L'affaire se conclut bien plus vite avec l'allusion qu'il venait de faire à ce surnom qu'il employait au moment de l'entrée dans le gang.

« Passe donc devant, gardien de porte, j'ai horreur d'avoir un flingue dans le dos. »

Le môme se releva, c'était certainement la première fois qu'il tremblait depuis qu'il était dans le gang. C'était aussi certainement la première fois qu'il voyait une arme de si près sans la tenir dans sa main. Il ne se fit pas prier.

Ils arrivèrent rapidement dans le "bureau" de Santos qui était en fait un vieux bar recyclé. C'était encore plus sombre que dans sa mémoire, c'était toujours aussi enfumé. Quatre gars, nettoyaient des armes de diverses calibres dans la pièce, c'était la garde rapportée de Santos. Le Chacal retourna dans son holster avant que la porte n'ait fini de s'ouvrir laissant apparaître un léger soulagement dans la démarche du môme. Une fois dans la place, Santos le dévisagea. Le vieux Cajun portait plus de cicatrices que dans le temps, il avait aussi perdu deux doigts à la main droite. Il observa Adam longuement.

Adam obligea le môme à s'installer sur une chaise près de la porte et effleura la crosse de son arme sous le cuir, allusion suffisante pour que la menace soit claire.

« Alors Santos, toujours bon pied, bon oeil. C'est quoi ton business maintenant ? »

« Adam, je te croyais mort, je suis heureux que tu sois saint et sauf, mais ça ne t'autorise pas à foutre ton nez dans mes affaires. »

« Au contraire, Master, comme je le disais tout à l'heure, tu me dois une vie, et je suis tout sauf Saint ! »

Adam balança la coupure de journal sur la table.

« Il y a toujours des Adam StClaire ? Comment s'appelait-il, celui là ? »

« Très franchement, j'en sais rien » répondit Santos.

« Tu avais autant de peine lors de la mort de Marty et de ma disparition, je présume. Tu as dû sortir un bon mot, dans le style : 'c'est triste, mais vous savez les affaires sont les affaires'. »

« Pourquoi t'es venu ici, StClaire ? »

« Tu te pose encore la question, Master Yoda ? »

En une fraction de seconde, Chacal et Miséricorde avaient rayé de la carte les quatre gardes du corps, refaisant la tapisserie de la pièce avec des bouts de cervelle. Santos se retrouva avec les deux calibres sous le nez.

« Com... Comment tu peux utiliser des trucs aussi monstrueux ? » demanda-t-il

« S'il te le demande, là-haut, tu diras que tu sais pas ! »

Adam appuya sur les deux détentes au même moment, répandant Santos sur une bonne partie du mur du fond de son "bureau". Il se retourna vers le môme qui était resté assis sur la chaise près de la porte.

« Maintenant, tu sais ce que c'est que la mort. Retourne chez toi, va à l'école et évite les emmerdes, tu veux ? »

Le môme secoua la tête pour affirmer son accord, se leva d'un bond et courut plus vite qu'il n'avait jamais couru. Adam posa simplement ses lunettes de soleil sur son nez et se dirigea vers la sortie. Il croisa deux flics dans l'entrée.

« Que se passe-t-il, ici ? » demanda l'un d'eux.

« Tu viens de perdre ton extra de fin de mois », répondit-il.

Nehwon

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