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Ombres : II - Enfants des ombres (partie 1)

Les deux soeurs


Premier


A l'orphelinat Solange Les Muguets, ce matin, un nouveau pensionnaire, l'air triste mais téméraire se présenta au bureau de la directrice, accompagné d'une des femmes de l'assistance du tribunal pour enfant. Ce futur pensionnaire avançait dans le couloir comme absent au reste du monde, l'assistante le traînait tant bien que mal à travers le corridor froid et gris, non pas qu'il ne voulait pas avancer, mais sa volonté ne semblait plus lui répondre, il n'entendait même pas les hurlements des enfants qui jouaient dans la cour, ni les plaintes de l'assistante qui lui ordonnait d'avancer. Enfin, ils arrivèrent au bout du couloir et comme sortie d'un mauvais film d'épouvante, la directrice émergea de son bureau tout sourire tavelé face au petit qui frissonna sur le coup, ce fut l'une de ses toutes premières réactions après le choc...
- Sa mère est morte il y a deux jours, elle s'est jetée par la fenêtre de leur appartement, annonça l'assistante à la directrice.
Elle avait pris place sur un siège après avoir installé l'enfant sur celui qui se trouvait près d'elle. La directrice s'assied à son tour derrière son bureau.
Cette dernière se tourna vers l'enfant, elle fut très étonnée de le voir si calme, il semblait presque soulagé d'être ici.
- Nous avons décidé, vu son jeune âge de le confier à votre psychologue, continua l'assistante.
- Est-il souffrant ? demanda la directrice un peu inquiète pour la réputation de son établissement. Le petit est malade ?
- En quelque sorte, voyez vous, le petit a assisté au suicide de sa mère.
- Je comprends, souffla la directrice soulagée.
Puis elle ouvrit le dossier que l'assistante lui avait fait glisser sur son bureau. Elle se mit à le parcourir en ajustant ses lunettes sur son nez.
- Le petit se nomme Florent Fredevillier, il vient tout juste d'avoir neuf ans, dit-elle en relevant les yeux vers l'assistante qui acquiesça, il est née à Paris le 4 Août 1963 en bonne santé.
Pendant qu'elle continuait sa lecture, le petit Florent se familiarisait avec le bureau en détaillant toute la pièce, puis il regarda la fenêtre. Il vit une petite fille blonde, tout comme lui, qui possédait d'immenses yeux noirs. Florent les avait gris. La petite fille lui souriait, mais il fronça méchamment les sourcils et détourna son regard, choqué d'avoir été si grossièrement interrompu par cette petite catin.
Quelques instants plus tard, il se tourna de nouveau vers la fenêtre, il vit une autre petite fille, celle ci était brune et possédait elle aussi des yeux immenses, bleus, elle lui souriait à son tour. Ce sourire là, fit frémir Florent, cette petite fille pendant un instant, il le jurerait, ressemblait à sa défunte mère.


Deuxième


Florent le savait bien, il ne s'habituerait jamais à cet orphelinat, il restait assis toute la journée durant dans la cour et regardait les autres enfants jouer. Mais ce qu'il ne supportait vraiment pas, c'était cette petite fille blonde qu'il avait aperçue la première fois par la fenêtre du bureau de la directrice. Elle passait son temps à l'observer sans rien dire et elle souriait tout le temps comme une idiote. Jusqu'ici, Florent évitait de répondre à ses regards pour l'encourager, mais un jour, alors que cette situation lui insupportait au plus haut point, les souvenirs de sa mère affluèrent d'un coup dans son cerveau comme pour essayer d'alimenter une haine fondée contre cette petite peste. Madame Fredevillier était une femme si détestable, les souvenirs qu'il exécrait refirent surface, et c'était inconcevable, c'était comme si cette petite fille avait lu ses pensées, parce qu'elle s'attrista tout d'un coup. Florent fit retomber sa colère, il la regardait à présent, les yeux noirs de la petite blonde versaient d'énormes larmes, ses amies se pressaient autour d'elle.
Depuis ce jour là, elle ne l'observa plus, à présent, c'était Florent qui cherchait désespérément à croiser ses yeux de pitié emplis d'une peine opprobre.

Troisième


Florent était devenu un chasseur féru, il voulait à tout prix lui parler, mais la petite fille était sans cesse entourée par d'autres enfants, ou parfois c'était le bibliothécaire, le professeur, un surveillant, la directrice avec son affreuse dentition qui lui parlait et cela durait longtemps, cette petite attirait tellement de monde, elle rayonnait sans cesse, ils l'aimaient tous, mais la petite ne souriait plus à Florent, elle ne lui lançait même plus un seul regard, ce qui avait pour don d'irriter l'intéresser. Mais il savait bien qu'un jour il lui parlera.
La petite fille entra dans la petite chapelle qui se trouvait au fond de la cour, Florent l'avait suivie, c'était le moment ou jamais, mais à peine avait-il franchi le seuil de la porte qu'il reçut un violent coup au ventre, il s'effondra à terre, les bras croisés sur son mal et se mit à gémir.
- Pourquoi la suis-tu ? demanda t-on.
Florent releva la tête pour apercevoir la petite brune qu'il avait aussi vue par la fenêtre du bureau.
- Arrête de renifler comme un bébé ! Pourquoi la suis-tu ? gronda t-elle.
- Je veux parler avec elle, répondit Florent.
- De quoi ? La dernière fois tu lui as fait peur, je sais pas comment tu as fait, mais je n'ai pas aimé la voir pleurer.
- T'es méchante ! Je te déteste !
- C'est bien fait pour toi.
- Vous êtes toutes des petites pestes, grogna Florent.
La petite fille leva un sourcil, presque étonnée par l'intonation de sa voix.
- Alors comme ça t'aime pas les filles, persifla t-elle.
- Je vous hais toutes.
- Ca promet pour un petit garçon de neuf ans. Si tu n'aimes pas les filles, pourquoi tu veux parler avec Amélie ? demanda t-elle.
- Elle s'appelle Amélie ?!
- Si je te le dis ! En tout cas, je crois pas qu'elle veuille te voir, si tu lui fait encore une vacherie, je viendrai te botter les fesses, menaça t-elle avant de s'en aller.
Florent essaya de se ressaisir, mais son ventre lui faisait encore mal, elle avait une sacrée force pour une petite fille. Florent vit alors la petite blonde s'approcher de lui et s'agenouiller, emprunte de douceur et d'inquiétude.
- Ca va ? s'empressa t-elle.
- Non.
- Il faut pas trop te fâcher contre elle, c'est ma soeur, dit-elle.
Florent plongea ses yeux dans les siens.
- Toi, tu es plus gentille, souffla t-il.
- Dorothée n'est pas méchante non plus, elle veut pas que je pleure, c'est tout.
- Je te préfère toi.
Elle l'aida à se relever.


Quatrième


Plus Florent grandissait, plus il devenait téméraire et stoïque. Il continuait à ne prêter aucune attention au sexe opposé, au grand dam de ces demoiselles qui enviaient son amitié avec Amélie, cette simple fille trop intelligente, trop chouchoutée, que certaines méprisaient dorénavant par jalousie.
Voyant le peu d'intérêt que « Monsieur » Fredevillier accordait aux jeunes filles de l'orphelinat, on se mit à l'insulter en le traitant de « pédé ». Mais l'on n'y fit plus attention au bout de quelques temps puisque l'intéressé s'en moquait totalement, et puis après tout, il n'avait que treize ans, comme le disait la directrice, il n'était pas encore en âge pour ce genre de chose.
Ce matin, un autre garçon, de la section des grands s'était encore plaint auprès de l'administration, on l'avait agressé et il semblerait que ce soit la même et unique personne qui sévissait déjà depuis quelque temps dans l'établissement, et qui avait déjà agressé plus de huit garçons. Ce qui frustrait le plus c'était que l'agresseur soit une fille, pas plus grande que ses victimes, d'après des témoins.
- Dorothée les frappe, parce qu'ils ne restent pas tranquilles avec elle, expliquait Amélie à Florent.
- Depuis qu'elle m'a foutue son poing dans le ventre, je ne l'ai plus revue.
Florent avait parfois des malaises, cela faisait quelques temps qu'il était comme ça, il se désespérait à ne rien dire à sa meilleure amie, elle ne comprendrait pas. Il avait peur de ce qui pouvait se passer dans sa tête, c'était comme si il ne pouvait plus se contrôler, son esprit prenait le dessus souvent sur sa conscience, il voulait rendre le mal, et tant pis si cela faisait souffrir, il voulait seulement ne plus avoir à se retenir d'être soulagé. Florent avait giflé Amélie un jour, sans aucune raison et lorsqu'il la regardait à présent, le petit bleu qu'elle avait sur la joue l'accusait sans cesse. Cependant, Amélie ne lui en tenait aucune rigueur, elle faisait toujours comme si de rien n'était. Cela aiderait tellement Florent si elle pouvait être furieuse après lui, il aurait moins de remords.
- Je vais aller réparer le vélo du surveillant, tout à l'heure il me l'avait demandé, mentit-il pour s'éloigner.
Amélie ne dit rien, elle le suivit du regard jusqu'à ce qu'il referme la porte derrière lui.
Florent était entré dans la cabane qui servait de cave pour les matériaux de l'orphelinat. Il regardait le vélo du surveillant qui n'était effectivement pas en très bon état, il allait le retaper même si on ne lui avait rien demandé.
- Je peux t'aider ? proposa t-on.
Florent se retourna rapidement pour l'apercevoir, elle, la jolie petite fille brune qui ne ressemblait plus à une enfant. Elle avait gardé une tenue d'écolière qui lui donnait un air aguicheur, elle ressemblait à une sauvageonne, les cheveux longs, hirsute, elle lui souriait comme lorsqu'elle avait neuf ans, elle ne les avait plus, et Florent non plus, il sentait son sang battre dans ses veines, lui faire mal, sa chair réclamait le sacrifice d'une autre chair, et cette pensée il essayait de la réprimer, mais tant qu'elle sera là, il n'en sera pas autrement.
Dorothée répondait-elle à ce désir d'offrir la violence pour se sentir plus légère.
- Tu te souviens de moi ? s'enquit-elle.
- Dorothée !
Elle fit vivement oui de la tête, ravie qu'il se souvienne d'elle.
- Tu veux que je t'aide ? insista t-elle.
Ce n'était pas le moment, Florent se sentait mal, il s'était éloigné d'Amélie pour ne pas exploser sur elle, et voila que sa soeur insistait. Lorsqu'elle ouvrit la bouche de nouveau, il lui sauta dessus et la gifla violemment. Elle protesta légèrement, Florent l'entraîna vers le fond de la cabane et la força à se coucher à terre à l'aide d'un croche pied. Curieusement, elle ne hurlait pas, mais Florent n'y pensait pas.
Il lui arracha ses bas, il défit nerveusement sa ceinture et était prêt à accomplir son forfait lorsque les mains de Dorothée se posèrent sur ses joues. Florent s'arrêta éberlué à la vue de ce visage, il vit quelque chose de familier, qui lui faisait reprendre conscience, il trouvait de l'amour à ses traits, il venait de comprendre bien des choses.
C'est alors que l'image s'en alla laissant place à une nouvelle réalité, ce qui déchaîna les incontrôlables gestes de Florent. Il la viola pour se libérer.


Cinquième


Madame Fredevillier hantait les pensées de son fils de plus en plus souvent, c'était peut être sa haine envers elle, envers toutes celles qui avaient la malchance de lui ressembler de près ou de loin, qui provoquait toutes ses réactions incontrôlées.
Madame Fabienne Fredevillier était très jeune et fragile, d'apparence, parce qu'elle avait fait du mal à son fils. Lorsque son souvenir devenait trop pesant, Florent se jetait sur Dorothée qui semblait être présente pour qu'il puisse se venger en un sens. Même si elle paraissait froide et abjecte, Florent avait découvert chez elle beaucoup de gentillesse et de chaleur, surtout depuis qu'il savait tout. Il ne parlait d'elle à personne, d'ailleurs pour l'orphelinat, elle n'existait pas vraiment. Seule Amélie était au courant, mais elle essayait de cacher tant bien que mal une certaine jalousie envers sa soeur.
Cette nuit, Florent devait attendre que la directrice effectue un dernier passage dans les chambres pour se faufiler hors de son bâtiment et rejoindre Dorothée. Et c'était la première fois qu'il sortait de l'enceinte de l'orphelinat, ils avaient passés la barrière sans problème, ce qui l'avait frappé.
- L'orphelinat ne compte pas parmi les établissements les plus sécurisés, tout le monde se fiche pas mal du sort d'un orphelin, ça les arrangerait bien que l'on se sauve, au moins on servirait à quelque chose; d'appâts pour des policiers sans coeur. Une chasse aux orphelins serait si drôle, s'emporta Dorothée.
Elle s'accrocha à son bras, l'entraîna dans un terrain vague qui servait pendant certains soirs de « Drive-in » pour les jeunes amoureux. Florent était totalement fasciné et sous le charme, il découvrait pour la première fois l'écran géant où l'on projetait un film hollywoodien, toutes ces belles images défilaient devant lui, et soulevaient une certaine émotion, c'était un véritable ravissement. Il aurait aimé qu'Amélie puisse voir ça.
- On dirait que c'est la première fois que tu vois ce genre de chose, se moqua Dorothée.
- Ca l'est !
- T'es jamais allé au cinéma ?!
- Non, jamais. Ma mère m'interdisait de poser le pied dehors, et quand il y avait école, elle m'accompagnait et venait me chercher, la plupart du temps, elle n'avait presque rien sur le dos. J'avais honte d'elle tout le temps.
Dorothée se serra contre lui.
- Jamais je ne lui pardonnerai pour ce qu'elle t'a fait, chuchota t-elle.
Les images sur l'écran avaient saisi Florent. Il ne dit plus rien et resta là, bouche bée, admiratif.
- J'aurais aimé qu'Amélie soit là, lâcha t-il sans s'en rendre compte.
Dorothée le serra encore plus fort, il s'éloignait d'elle.

Kei

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